Celle qui n’avait pas peur de Cthulhu

Roman humoristico-lovecraftien de Karim Berrouka.

Attention, rien de japonais !

Ingrid Planck est une parisienne trentenaire terre-à-terre qui vit de petits jobs dans l’intérim. Dans le métro elle est abordée par un inconnu qui connaît son nom et qui lui dit qu’il en va de l’avenir de l’humanité. Alors s’il en va de l’avenir de l’humanité … Ingrid se demande si elle attire les gens bizarres, avec son ex qui n’était pas le dernier côté délires. Tout ce que lui annonce cet étranger se produit : la DGSE débarque chez elle et l’interroge sur son ex. Mais surtout, une secte d’hommes- poissons prend contact avec elle. Il semblerait qu’elle ait vraiment quelque chose à faire, un rôle à tenir, dans un jugement. Celui de Chtulhu … Doit-il sortir de sa prison de R’lyeh et tout détruire ou y rester ? Cinq sectes, adorants des entités cosmiques immémoriales, doivent le décider et Ingrid est le centre du pentacle et peut-être une voix décisive dans le choix …

Ce roman de 400 pages n’est pas un pastiche qui se plairait à moquer l’œuvre de H.P. Lovecraft. C’est plus un hommage, irrévérencieux le plus souvent, mais un hommage tout de même. Il ne cherche pas non plus l’imitation : rien ici du réalisme, de l’ancrage historique fort (voir microhistorique), géographique du Maître de Providence. Le réalisme est le dernier soucis de K. Berrouka. La logique n’est pas absente, mais ce n’est pas un problème quand Ingrid passe alternativement de la méfiance au non questionnement de ce qui lui est dit. La légèreté sans doute … Cela donne par contre une histoire très solide et surtout extrêmement plaisante. La connaissance de la production lovecraftienne est par contre requise, rien que pour identifier les allusions dans les titres de chapitres et pour bien comprendre l’ironie de certains dialogues. Tout n’est d’ailleurs de ce côté-ci pas toujours juste il nous semble (p. 147). Les portraits des différentes factions sont délirants et drôles, le final est totalement foutraque et inattendu (sans être pour autant éloigné de la doxa lovecraftienne) et tout ne s’explique pas. Et il y a bien sûr des livres. Y aura-t-il un Arabe fou ?

Une réussite, ciselée et enjouée, qui a le bon goût de ne pas vouloir cocher toutes les cases.

(Beaucoup de choses impies et cyclopéennes, mais pas d’ichor irisé … 8,5)

Des bêtes fabuleuses

Nouvelle fantastique de Priya Sharma.

Kss Kss Kss

Cette nouvelle accompagne le catalogue de la collection Une Heure Lumière des éditions Le Bélial. Elle ne fait que cinquante pages mais on peut dire que c’est concentré et que cela fait une excellente publicité aux autres textes de l’auteur, dont un est bien entendu édité par la maison sus-mentionnée.

Ami et Kath, deux sœurs, vivent dans une tour au Nord de l’Angleterre, dans une ville qui ne s’est jamais remise de la fin de l’industrie lourde. Toutes les deux ont chacune une fille. Lola est la fille que Kath a eu à seize ans et Tallulah est le nourrisson d’Ami. Le moins que l’on puisse dire,c’est que personne ne roule sur l’or et les deux sœurs attendent la sortie de prison de Kenny, incarcéré pour meurtre crapuleux. Enfin, Kath, pas trop. Lola est un peu particulière. Elle est très attirée par les serpents, et il semble que se faire mordre par elle occasionne plus de dégâts que ne le ferait un autre enfant. Les années passent et revient Kenny. Kath, qui voulait partir avant sa sortie de prison, ne l’a pas fait et n’y arrive pas plus quand il revient habiter chez elle. Qu’a Kenny en commun avec Lola ? Lola ne va pas tarder à le découvrir.

P. Sharma maîtrise l’ellipse comme personne et donne à ce court texte une très grande force en finalement assez peu de mots. Et comme l’intrique est très bien conçue, la fin met tout le reste de la nouvelle dans une autre perspective et explique l’illustration qui ouvre le récit par la même occasion. L’ambiance, dans une Angleterre pauvre, criminelle et décadente à plusieurs titres, est admirablement rendue. La fin est haletante et terrible, mais au vu de la brièveté de l’œuvre nous nous abstiendrons de plus en parler.

Opération réussie pour l’éditeur !

(à toute berzingue … 8,5)

Simulacres martiens

Roman de science-fiction de Eric Brown.

Avait de l’effet en noir et blanc !

H.G. Wells rentre en collision avec A. Conan Doyle, voilà le point de départ de ce court roman (qui a déjà connu un premier épisode publié dans la revue Bifrost). En 1907, la Terre a subit l’attaque des Martiens et leurs fameux tripodes, suivie d’une seconde venue martienne (une fois réglé les problèmes virologiques qui avaient mis un coup d’arrêt à l’invasion) qui établit des relations diplomatiques.

Le vice-ambassadeur de Mars en Grande-Bretagne s’annonce justement chez Holmes et Watson. Il souhaiterait leurs assistance dans l’élucidation du meurtre d’un philosophe martien d’importance, avec à la clef un voyage vers la planète rouge. Pour Holmes, toujours aussi curieux et locuteur du parler martien, l’occasion est belle d’en savoir plus sur les extraterrestres. Si seulement le philosophe en question, censé être une sommité, apparaissait dans les encyclopédies et revues sur Mars. Qu’à cela ne tienne, l’appel du mystère est bien trop grand et Holmes et Watson affronteront les cinq semaines de voyages pour se rendre sur Mars. On verra bien sur place !

Roman court, trop court, tant il donne l’impression de s’arrêter au milieu du gué. L’idée de base est extrêmement plaisante mais l’auteur nous semble avoir peine à s’en dégager pour raconter une histoire qui va au delà du placardage de noms. On voit passer Chesterton et Shaw en militants anti-martiens, Holmes et Watson ont vieilli, les dissonances entre technologie martienne et terrienne secouent visiblement la société mais derrière cela, les caractéristiques de base de l’enquête holmesienne ne nous semblent pas respectées. Pas de fulgurances inductives, pas de théories avancées par Watson que Sherlock viendrait gentiment mettre à bas. Holmes est toujours curieux, pas le plus intelligent de sa fratrie, mais il est simple spectateur de son aventure martienne, bien au delà du flegme et du détachement qu’il affecte. Le roman est plaisant à lire, pas exempt de fausses pistes amusantes, mais à la fin le lecteur a tout de même le sentiment qu’il aurait pu y avoir autre chose,de plus grand, de plus fort, de plus intelligent, de plus époustouflant, de plus osé.

Mais au moins les Martiens ont l’air rigolos !

(mais heureusement l’histoire n’est pas irrespectueuse de l’univers holmesien … 6)

L’Etrusque

Roman historico-fantastique de Mika Waltari.

Où sont les Amazones ?

Si je ne risquais pas de t’offenser, je dirais que les Grecs et leurs coutumes sont partout comme une maladie contagieuse. p. 340

Turms d’Ephèse est un Ionien un peu particulier. C’est lui qui, sur injonction d’Artemis, a mis le feu au temple de Cybèle à Sardes (l’une des grandes villes perses à l’ouest de l’empire) et ainsi démarré les guerres médiques. Mais cet acte qui l’obsède n’est connu que de lui … Pour trouver le sens des directives divines et pour savoir qui il est, Turms se rend à Delphes pour y consulter la Pythie. Sur place il fait la connaissance de Dorieos, un membre d’une des deux familles royales de Lacédémone, venu chercher un avis sur l’héritage de son père disparu en Sicile. Les deux retournent en Ionie, à Milet, où ils s’engagent contre la Perse. Les combats terrestres étant peu nombreux, ils s’engagent comme combattants embarqués dans la marine de la coalition ionienne révoltée. Mais la bataille de Ladé tourne à l’avantage des Perses. Turms et Dorieos rejoignent la flottille de Dionysos de Phocée, versent dans la piraterie et espérant rejoindre Massilia, en passant par Cos et Chypre. Ils hivernent à Himère en Sicile.

Turms, Dorieos et le médecin Mikon sont hébergés par Tanakil, une femme riche et ambitieuse. De son côté, Turms rencontre ses premiers Etrusques. Tous se rendent à Eryx au sanctuaire d’Aphrodite pour que cette dernière réponde à leurs questions matrimoniales. En route, ils passent par la ville de Ségeste et rencontrent des Sicanes. A Eryx, Dorieos décide de se marrier avec Tanakil et de conquérir Ségeste, l’héritage de son père. Turms rencontre la prêtresse Arsinoé, en tombe amoureux et l’enlève. Dorieos, après quelques soubresauts et ayant réussi à conquérir Panorme et Ségeste, il est couronné roi de Ségeste. Mais meurt empoisonné peu de temps après, des mains de son épouse bafouée. Turms, Arsinoé et Mikon cherchent ensuite refuge chez les Sicanes pendant quelques années, puis Turms et Arsinoé partent pour Rome, devenue une république à peine quelques années plus tôt. De là Turms peut en apprendre plus sur l’Etrurie. Et peut-être enfin sur lui-même.

L’argument central du roman est que les Etrusques sont mystérieux, surtout leurs sourires. Ce qui se marie assez bien avec le fait que ledit Turms est lui aussi bien mystérieux (moins pour les étruscologues, il faut le dire). On présente donc au lecteur toute une série d’éléments, souvent sous un angle pédagogique, qui doivent construire cette mystériosité (les siècles étrusques, les dés, les dieux voilés, l’aniconisme etc, avec un petit concentré p. 438 mais aussi avec le raté du papyrus en place du livre de lin p. 504). Ces éléments sont sourcés et on peut aisément sentir que l’auteur s’est documenté avec sérieux (R. Bloch sur Bolsena au début des années 1950 p. 297 ?), sa documentation étant elle aussi très largement contaminée par le lieu commun évoqué plus haut (et par d’autres courants idéologiques, comme les Troyens germaniques de la p. 141). C’est en définitive la documentation de son temps.

Mais à notre sens, M. Waltari a aussi puisé à d’autres sources, d’un autre type de littérature. La première nous semble être D.H. Lawrence dans Etruscan Places, emblématique de la douceur étrusque (voir son pacifisme) mis en regard de l’ascétisme romain. La seconde est le Nouveau Testament (avec une coloration platonicienne), ce qui pour un fils de pasteur n’est pas si étonnant. Il y a une claire et explicite mise en parallèle entre ce que M. Waltari caractérise comme saints hommes étrusques (qu’il appelle lucumons) et Christ. Cela se voit dans des citations directes de la Bible (Jean 5,8 p. 492), les miracles (avec un aveugle et une paralytique p. 492-493) et la morale qu’ils professent (guerre défensive, ne pas faire à autrui ce que l’on ne souhaite pas qu’on nous fasse etc p. 494-501). On en vient à des Etrusques qui deviennent des proto-chrétiens (« Nous avons arrêté les sacrifices humains », historiquement très discutable), à mettre en miroir des protagonistes qui ne reculent pas devant les sacrifices sanglants ou humains (justification fallacieuse de la mer p. 68). De manière intéressante, l’auteur mentionne un mythe de fondation romain avec Ramon et Remon (p. 340) qui ne nous est pas connu par ailleurs. Tite-Live et (p. 352) Théopompe (p. 100) sont aussi expressément cités.

Le récit est plein de rebondissements et de voyages comme il sied à un récit initiatique (même si celui-ci se termine quand Turms a la quarantaine), au point de peut-être verser dans la longueur. C’est correctement écrit mais les personnages sont tous d’une inconstance rare et pas forcément très épais. De manière assez « choquante », Tanakil n’est pas une femme étrusque mais phénicienne. Cependant, comme chez Tite-Live, elle est aussi faiseuse de roi. De toute manière les personnages féminins sont peu valorisés (et toujours avec une touche d’érotisme « à l’antique ») et parler d’un roman misogyne n’est pas exagéré.

De plus, M. Waltari montre avec justesse l’unicité de la Méditerranée en insérant son récit avec habileté dans des événements historiques connus. Les vues stratégiques perses sur la Méditerranée occidentale ne sont pas improbables, comme le montrèrent au IVe siècle celles d’Alexandre III le Grand (véritable successeur de Darius III). La Rome que nous fait voir M. Waltari est bien sûr téléologisée mais pas non plus anachronique. Ce n’est pas parfait (grosse erreur sur Tertius p. 353), parce que certains éléments romains dépréciés sont en fait la norme (charges selon le cens), mais ce n’est pas si mal.

Romantisme et idyllisme étrusque (emblématique p. 383) sont au programme de ce roman historico-fantastique de 520 pages, appréciable par tous et avec des gros morceaux de mystère dedans.

(les cités grecques n’ont pas le beau rôle p.428 et n’était sûrement pas aussi naïves face aux Perses … 6,5)

La Maison des Jeux I : Le serpent

Roman fantasy de Claire North.

Theodotos et le lion.

En 1610, à Venise. Thene accompagne son mari dans la Maison des Jeux. Ce dernier vient y dilapider sa dot, mais sans style. Pensant à raison pouvoir bien mieux jouer que son mari, elle s’y rend seule et commence à accumuler les succès qui se matérialisent en ducats sonnants et trébuchants. Mais elle attire aussi l’attention des gérants de la Maison des Jeux, des gens masqués et habillés de blanc. Ses succès dans la Loge Basse de la Maison pourraient lui permettre d’accéder à la Loge Haute. Pour y être accepté, il faut battre trois autres joueurs dans un jeu qui a pour objectif de faire élire un patricien au Tribunal Suprême, le pouvoir exécutif de la république vénitienne (vraisemblablement le Collège Suprême de la Venise historique). Il y a peu de règles et il n’est pas dit que les joueurs ou les pièces jouées (des individus aux capacités particulières à la disposition du joueur) puissent s’en sortir indemne …

Ce court roman, première partie d’une trilogie, peut se lire de manière indépendante. Nous pensions initialement que ce serait un récit de science-fiction, mais il nous a fallu nous rendre à l’évidence à la lecture que ce n’est pas le cas (du moins aucun élément tangible du genre ne figure dans ce premier volet). Nous sommes donc dans un roman de fantasy, éventuellement de fantastique, qui prend place dans une Venise du XVIIe siècle (une constante dans les romans chroniqués ici ces derniers temps) et qui ne semble pour son cadre sociopolitique, géographique et architectural pas très différente de la Venise historique.

C’est une très bonne histoire, très axée sur la politique et sa petite cuisine, peut-être légèrement teintée de militance néoféministe, servie par un narrateur très intéressant que nous pensons être un collectif de juges de la Maison des Jeux. Ce narrateur pluriel accompagne le lecteur en suivant Thene mais aussi en observant d’autres scènes. Très agréable à lire, le livre parvient très bien à donner l’illusion du masque derrière le masque derrière le masque derrière le masque etc. Et la froideur marmoréenne de Thene, son flegme, ne sont pas une donnée immuable …

Restera-t-elle l’héroïne dans le tome suivant pour autant ?

(le titre du livre reste assez mystérieux …8)

Wielstadt III : Le chevalier de Wielstadt

Roman de Fantasy de Pierre Pevel.

La dure vie de jeune vierge.

Dans le livre final de cette trilogie, P. Pevel fait venir à nous pour une dernière fois le chevalier Kantz, une année après que nous l’ayons quitté. Nous sommes toujours à Wielstadt, cette ville protégée des menaces extérieures par le dragon. Mais à l’intérieur, la menace est plus cachée et surtout plus sournoise. A commencer par ces démonistes qui sacrifient de la jeune vierge à qui mieux mieux. Kantz y met, brutalement, bon ordre, dans une crypte faiblement éclairée (comme il se doit). Mais ceux-là étaient finalement faciles à retrouver. Le Voleur de Visage est lui plus dur à localiser dans une ville de 500 000 âmes. Mais son action sur la psychologie des habitants est dévastatrice. Le bourgmestre voit très nettement le danger d’émeutes destructrices mais surtout le péril pour sa position. Dans les coulisses, différentes coteries s’activent pour tirer partie de la situation. A intervalles régulier, le Voleur de Visage assassine une jeune femme, met son cadavre en scène et découpe son visage. La difficulté de mettre un nom sur le corps met la population sous tension … Le guet et Kantz sont sur l’affaire mais d’autres évènements peuvent aussi détourner notre héros de sa mission. Le passé par exemple …

Après l’enquête policière et le Porte-Monstre-Trésor des deux premiers tome, P. Pevel dirige le lecteur vers un roman plus axé sur la psychologie du héros tout en continuant à prendre, avec finesse, comme base des traditions parabibliques. La maestria des combats contés par l’auteur est restée mais le récit pâtit terriblement du fait du choix de la forme trilogie. Il y a cette désagréable impression d’un élagage fait pour rentrer dans les cases et achever le cycle sur le rythme ternaire. Avec la matière présente, plus celle que l’on peut aisément deviner, il y aurait eu sans problème la possibilité de rajouter assez de pages pour produire un quatrième tome. Ce qui aurait peut-être aussi permis de mieux exploiter encore une galerie de personnages secondaires avec du potentiel, mais qui peuvent apparaître comme uniquement présents pour fournir des moyens de pression sur Kantz. Les protecteurs de la ville ne sont pas follement aidants non plus …

Il y a de très belles non-linéarités dans le récit mais hélas aussi ces redites que l’on avait déjà vues dans le second tome. Quelqu’un lit-il la trilogie dans le désordre ? On ne peut pas non plus parler de décennies entre la parution des différents tomes. Les tourments intérieurs de Kantz sont de plus très limités dans le temps, et apparaissent du coup surjoués et certains développements sont assez prévisibles. Mais face aux moments de classe jetés ici et là et des rebondissements très bien amenés, c’est pas bien grave. Le tout se lit tout de même avec grand appétit jusqu’à une fin douce-amère qui laisse une quantité de suites possibles.

Peut-être pas aussi abouti que les Lames du Cardinal mais toujours dans le haut du panier.

(mais c’est d’une brutalité … 7,5)

Wielstadt II : Les masques de Wielstadt

Roman de fantasy de Pierre Pevel.

Bas les masques !

Le second tome de la trilogie prend place lors d’un été caniculaire, trois ans après les premières aventures du chevalier Kantz. On retrouve ce dernier accompagnant des Templiers lors d’une opération d’interception d’une bande armée qui doit se rendre à Wielstadt, la ville marchande qui parvient toujours à se tenir éloignée de la guerre. Enfin … la ville oui, mais ses habitants c’est moins sûr. Kantz tombe lors du combat sur un démon dénommé Osiander et ses séides et ne doit son salut dans le combat qu’à la chance. Le démon se rend à Wielstadt, c’est acquis. Mais où ? Et quel est son objectif ? Kantz n’a pas trop le temps de faire plus de recherches puisqu’il doit rendre une faveur qu’il a contracté trois ans plus tôt : il doit livrer une lettre à Heidelberg et ramener une éventuelle réponse. En guise de réponse, il escorte la destinatrice de la lettre, la comtesse de Ludehn, en direction de Wielstadt mais ils sont attaqués en route. Parvenant à s’échapper du traquenard, la comtesse fausse ensuite compagnie au chevalier à la faveur de la nuit. En plus de cette série d’événements étranges, voilà que réapparaît en ville un ami du chevalier, disparu depuis trois ans mais dont la vie semble très immédiatement en danger. Certains éléments semblent liés, mais comment ? Le démon peut-il être arrêté avant d’avoir fait trop de dégâts ?

Au niveau de l’architecture scénaristique, si le premier tome avait toutes les apparences du roman policier (série de meurtres, la police a besoin d’aide), ce second tome sort de ce schéma pour adopter celui de la chasse au trésor. La scène (presque) finale est emblématique de cette thématique : des méchants, un trésor et un environnement labyrinthique. Si la fin est bien tournée, avec de beaux rebondissements (et aussi par ceux qui n’interviennent pas), c’est tout ce tome qui cavale à un train d’enfer. Une telle vitesse a pour inconvénient de passer par pertes et profits le développement des personnages secondaires pour se concentrer sur Kantz, sur qui on continue d’apprendre des choses intrigantes (dont on peut imaginer qu’elles joueront un rôle dans le dernier volume). Du coup, Kantz est bien distinct mais le reste est un peu flou. Pourtant, il y avait matière à aller un peu plus loin, notamment avec des personnages féminins.

Cela aurait aussi pu être un tome de transition comme le tout début aurait pu le laisser penser, plus calme avant une nouvelle accélération dans le dernier tome, mais non. Et cette vitesse se reflète dans la manière dont ce livre captive le lecteur. Les pages se tournent avec une légèreté folle, en contrepoint de la très grande dureté du monde (très sanglant) que décrit P. Pevel. Un monde très intéressant et qui continue de livrer ses secrets, et où l’auteur utilise avec intelligence les différentes organisations secrètes du temps ou des résurgences médiévales. Et c’est souvent l’occasion de faire un peu de pédagogie au travers du narrateur.

Vivement la fin !

(l’auteur qui s’excuse de ne pas coller entièrement à la recherche historique … 8,5)

Wielstadt I : Les ombres de Wielstadt

Roman fantasy de Pierre Pevel.

Un plus grand trésor.

Retour chez Pierre Pevel, qui avec les Lames du Cardinal nous avait déjà proposé une relecture fantasy des Trois Mousquetaires. Dans les Ombres de Wielstadt, nous restons dans la première moitié du XVIIe siècle mais le cadre géographique change. En lieu de Royaume de France, le lecteur est cette fois-ci embarqué vers le Saint Empire Romain de la Nation Germanique. Ce dernier est géologiquement différent de celui qui fut de notre monde. Suite à de dantesques crues du Rhin, la mer a envahi la basse vallée dudit fleuve, quelque part en aval de Cologne, formant la Rheinsee. A l’embouchure du Rhin et sise sur ses bras, sorte de Rotterdam westphalienne, se trouve la ville de Wielstadt. Puissante ville marchande, très peuplée, elle a pour particularité d’être défendue par le dernier dragon d’Occident. Toute armée mettant le siège devant la ville ayant été jusqu’à présent détruite par le dragon, la ville est à l’abri des guerres qui ensanglantent l’Europe. Le conflit qui a démarré en 1618, deux ans avant les faits relatés, ne fait pas exception. Mais si la guerre ne vient pas jusqu’aux murs de la ville, elle peut tout de même affecter ses habitants, de toutes confessions, alors que la bataille de la Montagne Blanche, en Bohême, vient de voir la défaite des princes protestants en révolte contre l’Empereur.

Le Chevalier Kantz revient justement dans la ville, de retour d’une mission pour l’Ordre du Temple ressorti de la clandestinité (dans laquelle il était entré en 1312). Mais le repos est de très courte durée puisque la prévôté fait appel à lui pour l’assister une fois de plus et profiter ainsi de ses connaissances démonologiques et kabbalistiques. Un tapissier et toute sa famille ont été horriblement massacrés et il y a fort à parier que l’aide d’un chasseur de démons ne saurait être de trop.

On peut penser que le héros est un autre Salomon Kane, l’un des héros de R. Howard. Ils ont en commun l’escrime et la foi. Mais Kantz n’est pas fou ni puritain et a une vie sociale bien plus développée que Kane. Magicien, il est aussi bien plus subtil et moins indestructible que Kane. Kantz a la quarantaine, commence à avoir des pépins physiques. Côté écriture, P. Pevel est très fort pour poser les ambiances en faisant appel à toute la palette des sens, particulièrement pour faire sentir l’hiver au lecteur. L’auteur, à la différence de ce qui se passait dans les Lames où cela faisait partie du cahier des charges, ne feuilletonne pas ses fins de chapitres. Par contre c’est cru, tirant sur le gore. S’il faut trouver un petit point négatif (autre que l’erreur sur l’habillement protestant de la p. 218), il est des moments où le narrateur tombe dans le « catholicisme pour les nuls » (p. 56 de l’intégrale), mais peut-être a-t-il fait le choix de s’adapter au lectorat … L’auteur s’amuse, souvent une bonne base pour que le lecteur y trouve aussi son compte.

Vivement la suite de la trilogie !

(dommage que la couverture ne m’ait pas du tout encouragé à lire ce livre plus tôt … 8)

La Longue Terre

Roman de science-fiction de Terry Pratchett et Stephen Baxter.

En écoutant Led Zeppelin.

Quelqu’un a publié sur internet le schéma d’un petit appareil électronique sans fer qui tire son énergie d’une patate. Une fois monté, ce petit appareil permet à son détenteur de changer de monde selon que l’on pousse l’interrupteur vers l’ouest ou l’est. S’ouvrent alors des perspectives folles : chacun pourrait ainsi aller dans ces mondes adjacents dont le nombre est indéterminé, mais surtout accéder à ses ressources. Tout ceci a des conséquences économiques et sociales extrêmement lourdes, mais dans un premier temps il s’agit surtout de retrouver les enfants et les adolescents qui ont été les premiers à expérimenter le dispositif qui permet le Passage. A Madison dans le Wisconsin, où se trouve le savant qui a publié le schéma, c’est Josué Valienté, un jeune homme orphelin élevé par les nonnes qui permet le sauvetage de ces jeunes expérimentateurs. Par la même, il prend conscience de son don de Passeur-né, un de ceux qui n’ont pas besoin du petit appareil et qui ne dégobillent pas après le Passage …

Dans les semaines et les mois qui suivent, chaque pays essaie de s’adapter à la nouvelle donne. Les interdictions de passages sont inefficaces (mais aussi peu nombreuses). Explorateurs, colons et libertariens partent de la Primeterre pour les Terres parallèles (qui sont toutes des répliques de la Terre), entraînant une récession généralisée, accrue par la possibilité de revenir vers la Primeterre avec des ressources qui sont virtuellement infinies (si on peut soi-même les porter et que ce n’est pas féreux). Les Etats essaient d’établir leur souveraineté sur leurs territoires parallèles et en conséquence, les colons vont de plus en plus loin.

Mais Josué Valienté est de ceux qui la plupart du temps cherchent à échapper à la présence humaine. Son expérience d’explorateur et sa capacité à passer de monde en monde sans effets physiologiques font qu’il est recruté quelques années après le Jour du Passage par Lobsang, une intelligence artificielle qui dit être la réincarnation d’un réparateur de mobylette tibétain. Lui veut comprendre la Longue Terre et pour cela se propose d’aller explorer les « Hauts-Mégas », au-delà de la 200 000e Terre vers l’ouest, à l’aide d’un dirigeable baptisé Mark Twain (qui formera son enveloppe corporelle) et ainsi pourra effectuer des passages à très grande fréquence. Une exploration qui n’est pas sans dangers, petits et grands.

Ce livre est la mise en application de l’adage bien connu de T. Pratchett : « La science-fiction, c’est de la fantasy avec des boulons ». A base de chapitres alternant arc narratif et ambiance, c’est dans ce tome (la série en compte cinq) principalement de la SF d’exploration qui est servie au lecteur. Des mondes avec leur faune et leurs particularités que les protagonistes choisissent ou non de voir de plus près que du haut du dirigeable. C’est donc d’une certaine manière une longue exposition, à la limite du longuet. Au moins les bases sont correctement posées ! Au début on peut penser à Ambre mais la question de la double polarité est assez vite écartée (explication du concept p. 300). L’œuvre aborde plusieurs thèmes, mais très présent sont ceux de l’économie (lumineux p. 73) et de l’exclusion. Tous ne partent pas, tous ne peuvent pas partir. Aussi l’influence de la pensée de H. Thoreau nous semble assez sensible, mais de manière très équilibrée. Au-delà de l’exploration des mondes, c’est aussi en parallèle une exploration assez piquante guidée par les grandes œuvres de la science-fiction. Des références sont entre autres faites à Robur le Conquérant de J. Verne (p. 303, mais il faudrait vérifier que c’est aussi le cas dans la version anglaise), Blade Runner (p. 318), R. Heinlein (p. 339) ou encore F. Herbert (et son océan conscient du Programme Conscience p. 426 ?). Etrangement, on peut aussi voir à la p. 323 un petit écho du débat français sur l’identité nationale d’avant 2012. Le style est moins porté sur l’humour que dans les Pratchett classiques (mais pour le traducteur cela reste très demandant), même si les bons mots et les personnages truculents ne sont pas absents, loin de là. S. Baxter s’est vraisemblablement chargé des aspects physiques (de tous types, de la métallurgie à l’astrophysique, en passant par les effets transmondes). Les ambiguïtés sont savamment dosées, comme il sied à des auteurs très expérimentés et de ce calibre. Mais l’aspect final donne une impression générale de décousu, de pistes ouvertes sans lendemain, sans doute dû au découpage du cycle mais aussi à une priorité donnée aux développements comico-philosophiques du duo homme-machine Josué/Lobsang sur les implications des découvertes.

C’est donc un début.

(époustouflant français phonétique p. 14 quand un Anglais essaie de parler à des Russes … 6)

Après Dune I : Les Chasseurs de Dune

Roman de science-fiction de Brian Herbert et Kevin Anderson.

Une couverture qui ne ment pas.

La fin de la Maison des Mères laissait le lecteur en plein mystère. Qui donc est ce vieux couple aux pouvoirs visiblement immenses qui en voulait de manière peu claire, de manière presque incongrue, aux passagers du non-vaisseau que sont les personnages principaux du livre. Aux dires de Brian Herbert, son père Franck aurait laissé un synopsis de la suite (et fin), avec quelques idées. Partant de cela, les deux auteurs entreprennent de donner une fin au cycle de Dune, qui se présente pour des raisons éditoriales en deux volumes en langue française.

Trois trames parallèles composent ce premier tome. La première est centrée sur les occupants du non-vaisseau qui se déplace sans but, toujours plus loin vers les planètes de la Dispersion. Avec le ghola Duncan Idaho, des Bene Gesserit dissidentes, des survivants Juifs, un Maître du Tleilax et quatre Futars (hommes-félins) organisent leur vie dans un immense vaisseau, sous la menace constante du couple de petits vieux. Le second récit est celui de la fusion en un seul Ordre du Bene Gesserit et des Honorées Matriarches, sous la conduite de Murbella. Cette dernière a la certitude que seul un Ordre uni et fort aura une chance dans la confrontation qui vient avec l’Ennemi que les Honorées Matriarches fuient. Une fusion qui ne va pas sans heurts, entre survivances de distinctions et dissidences. Le nouvel Ordre a certes le monopole de la production d’Epice suite à la vitrification de Rakis (anciennement Dune) grâce aux vers des sables sauvés par Sheeana mais la Guilde Spatiale cherche d’autres sources d’approvisionnement en essayant de retrouver comment produire l’Epice à partir des cuves axolotl du Bene Tleilax. Le fait que les Honorées Matriarches aient annihilé les Tleilaxu n’aide pas à résoudre le problème. La dernière trame concerne les Danseurs-Visage revenus de la Dispersion, ces change-formes qui sont devenus indépendants de leurs maîtres tleilaxu. Ils obéissent aux plans du couple de petits vieux mais ils ont aussi leurs objectifs propres.

Se remettre à la page de nombreuses années après la lecture du précédent épisode n’a pas été simple, même avec ce qui se veut une aide très maladroite en tout début de livre. Mais les souvenirs nous sont revenus en cours de route et le contexte de départ s’éclaircit assez vite. A tel point qu’il semble que nous avons déjà lu ce livre … qui ne nous a donc pas laissé une très grande trace …

Nous nous sommes lancés dans la lecture avec appréhension. Les livres précédents du duo d’auteurs nous avait laissé un goût assez amer, pour le moins, même si tout n’était pas uniforme ni uniformément mauvais (certes, toujours en regard de la série originale du père). Pour tout dire, nous avons voulu lire ce livre pour y trouver certaines pistes pouvant mener aux idées de F. Herbert pour avoir une image de ce que ce dernier souhaitait comme point final à sa saga. Hélas, les années (ou le marketing) n’ont pas apporté aux deux auteurs la solution pour écrire de meilleures choses avec un tel matériel. A nouveau, tout est délayé. C’est long, lent et manque toujours autant de réflexion de la part des personnages. Leurs tourments nous sont majoritairement incroyables, au premier sens du terme. Certains éléments du scénario (à trous), et ce parmi les plus centraux, se voient arriver de très loin. Le livre est de plus marqué par un nombre très important d’illogismes, qui mettent à mal l’histoire et se trouvent mis à nu dans certains dialogues bâclés. Il n’est certes pas impossible que certains de ces illogismes et incohérences soient ceux de F. Herbert (en reprise de ce qui se passe déjà dans la Maison des Mères, comme cette histoire de tableau de Van Gogh p. 255) mais cela fait tout de même vraiment beaucoup.

Dans cette fange, il y a néanmoins (comme dans les autres livres du duo) quelques pépites au scintillement un peu falot. Il y a par exemple p. 311 un intéressant parallèle inversé avec l’enfance d’Héraklès avec ce qui se passe dans le berceau du ghola Léto II. Mais est-ce dans l’esprit de la série ?

Cette première partie est donc, comme nous le craignons, une déception. Trop d’incohérences, trop de pages, trop de gholas sans justification un peu assise et à la vie antérieure trop présente, trop d’action, trop de fils blancs cousus, trop de Mentats (pour bien peu d’intelligence). Et en plus, la quatrième de couverture vend la mèche … Nous lirons, malheureusement, la seconde partie dans le même esprit. Ou pas, si nous retrouvons les notes d’une première lecture …

(faut-il voir une référence à I. Asimov p. 169 ? … 4)