Tous ceux qui tombent

Visages du massacre de la Saint-Barthélemy
Essai historique de Jérémie Foa.

C’est en effet assez sombre.

Les huguenots s’estimaient bons citoyens ; les voisins les voulaient vrais fidèles. p. 137

Jérémie Foa fait d’étranges rêves. Il aimerait fouiller sous la Tour Eiffel, ou sous la préfecture à Toulouse. Pour y retrouver les traces des victimes de la Saint Barthélemy, à Paris et dans toute la France, tuées entre août et octobre 1572 et qu’il a côtoyé dans les archives notariales. Parce que leur décès a enclenché la constitution d’actes, pour régler leur succession ou constater leur décès par la déposition de témoins. Mais les notaires enregistrent aussi les inventaires de meurtriers, dévoilant ce que fut leur vie après le 24 août 1572. Loin du roi Charles IX (mais pas forcément loin de la cour royale) ou des tractations avec l’Espagne et l’Angleterre, J. Foa scrute les rues, les ponts et les quais, note les adresses mais surtout met en évidence les relations interpersonnelles de ceux qui y vivent. La grande ville ne rend pas anonyme celui qui y habite. Chacun sait qui sont ses voisins.

Ce livre est composé de 26 chapitres de longueurs variables, aux titres assez souvent cinématographiques. Mais avant cela, il y a un prélude qui donne doublement le ton : il ne sera que très peu question des donneurs d’ordre du massacre et de leurs intentions mais le livre se consacrera à la matérialité du massacre et le texte lui-même s’attachera à atteindre la plus belle tenue littéraire. Les chapitres proposent plusieurs approches. L’un propose de suivre les démarches d’une veuve voulant récupérer ses biens spoliés arguant qu’à la différence de son défunt mari, elle est catholique. Un autre met en lumière tout un groupe de voisins qui déclarent devant notaire qu’untel est catholique et messisant alors qu’il est notoire que cette personne est un huguenot (p. 167 et p. 178, ambivalence des voisins et poids temporaire du papier dans une crise qui est une sortie temporaire de appellations contrôlées). Un autre encore montre que le massacre peut servir de couverture pour l’apurement de contentieux professionnels par voie de tueur à gage (p. 193). Un autre enfin parle d’une réparation pour une blessure causée par une balle perdue … entre miliciens (p. 149).

La milice bourgeoise, justement, est à Paris la cheville ouvrière du massacre (la noblesse venue assister à la noce d’Henri de Navarre et Marguerite de Valois est pour sa part la cible de tueurs de l’entourage des Guises). C’est avant tout un massacre entre voisins, un pogrom entre connaissances. Comme rien dans l’apparence ne peut distinguer un huguenot d’un catholique, c’est la connaissance intime des gens qui permet un classement. Et la milice a pu repérer les tenants de la « nouvelle opinion » depuis des années dans une ville de Paris plus violemment catholique que le roi (la confrérie Sainte-Geneviève comme QG des massacreurs p. 55). Les gens qui sont assassinés à la Saint Barthélemy, leurs corps jetés à la Seine, ont très souvent dans les années précédentes été emprisonnés par la milice, parfois pendant dans des mois (l’auteur fait justement le lien entre les registres d’écrou, le massacre et ceux qui le perpètrent). Ainsi, si la milice a appris à appréhender, connaît les adresses et les visages, les victimes ont aussi appris à laisser passer l’orage et à ouvrir aux représentants de la municipalité qu’ils connaissent. Ce n’est pas une foule emplie de violence aveugle qui agit, ce sont des hommes détenteurs de la force publique qui se connaissent. Le massacre n’a pas été prémédité, il a été préparé (p. 35). Suivent des spoliations massives.

La collection dans laquelle s’inscrit cet ouvrage s’appelle « A la source » et annonce on ne peut plus clairement la ligne directrice du livre. Ce dernier est au plus près des sources, abondamment citées dans le texte mais aussi intelligemment présentées au lecteur (grâce aussi au cahier central avec ses photographies de documents). A cela s’ajoute une ambition littéraire assumée au résultat plaisant (hors peut-être un rare moment p. 125), avec de savoureux archaïsmes très XVIe siècle. L’auteur a de nombreuses cordes à son arc et s’aventure avec à propos dans le champ de la philosophie de l’histoire (p. 124-125 par exemple), mais on sent aussi un intérêt marqué pour de nombreuses autres disciplines des sciences humaines. Enfin, en écrivant sur le passé, J. Foa pense bien évidemment au présent et le lecteur avec lui. Si S. Paty est évoqué (p. 84) comme cas de décapitation d’intellectuel faisant le pendant à celle du philosophe Ramus lors de la Saint Bathélemy, le lecteur quant à lui peut vite faire un rapprochement, hélas non exclusif, avec le génocide du Rouanda. L’auteur exprime -t-il l’envie de croire en une rétribution divine en fin d’ouvrage ? La question reste ouverte mais c’est indéniablement un livre qui donne envie d’être historien et aurait toute sa place dans un cursus universitaire dans une unité de méthodologie.

Et pendant le massacre, la vie normale continue chez les notaires …

(Bon le titre fait un peu film français moqué par les Guignols … 8,5)

La Maison des Jeux I : Le serpent

Roman fantasy de Claire North.

Theodotos et le lion.

En 1610, à Venise. Thene accompagne son mari dans la Maison des Jeux. Ce dernier vient y dilapider sa dot, mais sans style. Pensant à raison pouvoir bien mieux jouer que son mari, elle s’y rend seule et commence à accumuler les succès qui se matérialisent en ducats sonnants et trébuchants. Mais elle attire aussi l’attention des gérants de la Maison des Jeux, des gens masqués et habillés de blanc. Ses succès dans la Loge Basse de la Maison pourraient lui permettre d’accéder à la Loge Haute. Pour y être accepté, il faut battre trois autres joueurs dans un jeu qui a pour objectif de faire élire un patricien au Tribunal Suprême, le pouvoir exécutif de la république vénitienne (vraisemblablement le Collège Suprême de la Venise historique). Il y a peu de règles et il n’est pas dit que les joueurs ou les pièces jouées (des individus aux capacités particulières à la disposition du joueur) puissent s’en sortir indemne …

Ce court roman, première partie d’une trilogie, peut se lire de manière indépendante. Nous pensions initialement que ce serait un récit de science-fiction, mais il nous a fallu nous rendre à l’évidence à la lecture que ce n’est pas le cas (du moins aucun élément tangible du genre ne figure dans ce premier volet). Nous sommes donc dans un roman de fantasy, éventuellement de fantastique, qui prend place dans une Venise du XVIIe siècle (une constante dans les romans chroniqués ici ces derniers temps) et qui ne semble pour son cadre sociopolitique, géographique et architectural pas très différente de la Venise historique.

C’est une très bonne histoire, très axée sur la politique et sa petite cuisine, peut-être légèrement teintée de militance néoféministe, servie par un narrateur très intéressant que nous pensons être un collectif de juges de la Maison des Jeux. Ce narrateur pluriel accompagne le lecteur en suivant Thene mais aussi en observant d’autres scènes. Très agréable à lire, le livre parvient très bien à donner l’illusion du masque derrière le masque derrière le masque derrière le masque etc. Et la froideur marmoréenne de Thene, son flegme, ne sont pas une donnée immuable …

Restera-t-elle l’héroïne dans le tome suivant pour autant ?

(le titre du livre reste assez mystérieux …8)

Forgotten Gods

The Art of Yoan Lossel.
Recueil d’oeuvres graphiques par Yoan Lossel.

Ombres et lumières.

Des thèmes antiques (gréco-romains, celtiques) ou ayant attrait au rêve ou au fantastique, une inclinaison pour la part sombre de la psyché humaine (les ruines), des évocations vaporeuses et l’usage de l’or, voici quelques éléments (parmi d’autres) présents chez les peintres préraphaélites (la confrérie artistique britannique du XIXe siècle) et les symbolistes. Peut-être ne sont-ils pas tous morts, ou l’un d’entre eux s’est réincarné à la fin du XXe siècle en Yoann Lossel. Ce n’est pas un copiste, à la manière de, mais bien un artiste empruntant la voie originale que lui propose l’utilisation du graphite allié à la feuille d’or et qui affiche ouvertement ses influences. Son admiration pour les courants précités, son humble hommage même, transparaît dans ses œuvres, avec en plus une petite adjonction d’influences Art Nouveau et Arts and Crafts (cadres, bijouterie).

Le livre retrace dix années de production, entre 2011 et 2021, à partir du moment où Y. Lossel trouve son mode d’expression le plus marquant (ses travaux d’illustration pour diverses éditions sont donc exclus, ce qui aurait été un beau moyen de comparaison). De manière très explicite dans le livre, la rencontre de l’artiste avec sa muse Psyché Ophiuchus en 2015 est un moment pivotal pour ce dernier et qui se matérialise dans le projet The Fall qui se trouve renommé The Rise.

Dans ce livre sont présentés une trentaine d’œuvres (y compris quelques collaborations), que l’on retrouve organisées (datées) en arborescence à la fin. Les textes qui accompagnent ces œuvres ne font pas de remplissage. En dehors de la qualité certaine des textes, ils ont le très grand avantage de faire mieux voir les œuvres, de propose des angles et des précisions (dans le processus créatif par exemple). L’on peut certes discuter de certaines analyses iconographiques, comme par exemple avec Eros et Thanatos où il nous semble qu’il faille voir aussi le motif d’Artémis et Orion (et donc pas un guerrier p. 31) en plus de celui de la Pietà. Mais hors quelques désaccords mineurs …

Et quand on veut se placer dans la lignée du bel objet manufacturé comme l’artiste, on accorde un soin tout particulier au rendu de l’objet livre. Les reproductions, entières ou partielles, sont de ce fait d’excellente qualité sur un très beau papier et la mise en page esthétiquement très satisfaisante pour l’œil (entrelacs Art Nouveau, reproduction des cadres). On aurait peut-être aimé encore plus d’œuvres dans le livre mais il semble que Y. Lossel ne produise pas beaucoup. Mais il y en aura sûrement d’autres, porteurs de plaisirs raffinés !

(Y. Lossel habite en forêt de Brocéliande … 9)

Crime sexuels et société à la fin de l’Ancien Régime

Essai d’histoire moderne par Enora Peronneau Saint-Jalmes.

Tout n’était donc pas si sombre …

L’image classique de l’Ancien Régime, finalement peu touchée par les apports de la science des dernières décennies et en premier lieu les travaux de F. Furet, reste dégradée. Avant 1789, tout y est barbarie, oppression, inégalité et injustice. Nous ne prétendons pas voir pu nous dégager entièrement de cette vision, notamment en matière de justice. Et si en plus c’est de crimes sexuels qu’il faut parler, nous en sommes restés à un mélange « absence de plaintes, honte et marginalisation des victimes » comme la norme en France (et sans doute partout ailleurs). La lecture du présent livre a radicalement changé notre point de vue. Grâce d’abord à son apport de connaissances (et notre capital de départ était fort maigre) mais aussi à la faveur d’une méthodologie équilibrée qui ne place pas au premier rang de ses préoccupation des considérations politiques (et donc de pouvoir).

Le premier chapitre s’intéresse au crime en lui-même : qu’est-ce qu ‘un viol à la fin de la période moderne en France ? C’est un crime royal, relevant donc de la justice royale agissant au niveau local (la justice seigneuriale doit se dessaisir), qui en cas d’appel est traité par les parlements. Dans ce livre, qui se base sur l’étude de 31 cas (pas tous jugés) et qui sont situés principalement dans l’Yonne actuelle (Sens et Auxerre), c’est le Parlement de Paris qui est compétent. Si des religieux sont inculpés, il y a une procédure conjointe avec les tribunaux ecclésiastiques de l’évêché (cas des « incestes spirituels », quand un religieux est un peu trop proche des paroissiennes ….). Ce crime est donc à catégoriser, à mettre dans son environnement et à faire constater (par différents moyens, dont l’expertise médicale à la demande de la victime ou du ministère public p. 93).

Puis l’auteur s’intéressent aux différents acteurs de l’information et de l’action en justice que sont le demandeur (il n’y a pas de statut de victime encore et le demandeur n’est pas forcément la victime, qui peut être mineure par exemple), le défendeur (accusé) et le témoin. E. Peronneau Saint-Jalmes détaille ensuite le devenir des plaintes en première instance et en appel (et comment les appels se concluent). Si la peine pour viol est la mort, cette dernière est rarement appliquée et les peines prononcées vont du blâme à la peine de galères à vie en passant par des bannissements plus ou moins longs et lointains (p. 95-100).

Le quatrième chapitre met en lumière l’environnement social des viols et des tentatives de viol. En général, victime et coupable se connaissent, vivent dans le même quartier ou dans les mêmes cercles. Honneur et déshonneur, en plus de la paix sociale, sont alors en question. Le chapitre suivant interroge les représentations collectives (dont la relation des crimes au travers de « canards sanglants », des feuillets sensationnalistes vendus par des marchands ambulants) avant de passer à l’évolution d’un crime social à un crime intime, une évolution où la morale bourgeoise en développement à la fin du XVIIIe siècle joue un très grand rôle.

Enfin, dans une troisième et dernière partie, E. Peronneau Saint-Jalmes analyse les trajectoire des victimes et des accusés présumés après le crime et après le procès entre stigmatisation (l’entêtant soupçon) et intégration des victimes (la plupart se marient) et le soutient aux accusés, les liens qu’ils peuvent encore avoir avec les victimes (comme d’autres actions en justice) et comment les crimes sont oubliés ou remémorés. Les notes (sans doute très réduites par rapport au mémoire universitaire qui est la base du livre), les annexes les bibliographies et un index renforcent un volume comprenant 300 pages de texte.

La qualité première du livre tient au fait qu’il balaie un très large spectre qui va du droit (un peu) au devenir des justiciables en passant par la pratique concrète de la justice, au procès certes secret et à la méthode arbitraire, mais qui n’est pas pour autant tyrannique, désintéressée de la vérité et de l’innocence ou encore détachée des nécessités sociales. Le relatif faible nombre de cas relativise les statistiques présentées dans le livre mais leur diversité (sur plusieurs décennies) permet tout de même d’avoir un large panorama, avec une grande diversité d’accusés mais majoritairement des victimes mineures (c’est à dire de moins de 25 ans) et deux hommes victimes de sodomie (mais pas de viol, qui n’existe que pour les victimes féminines). Ce qui étonne par contre, c’est la rapide conclusion des cas : en général en moins d’un ans (y compris en cas d’accord entre les parties).

L’auteur fait aussi bien ressortir le problème de la passivité de la victime (p. 208) : c’est à la fois une condition pour être victime mais aussi le nid du soupçon de collusion avec l’accusé (qui n’en serait alors plus un). Les conclusions de l’étude du devenir des victimes contredit (au XVIIIe siècle) l’idée d’une réprobation de ces dernières (mariages, enfants, peu de mobilité géographique donc maintient des réseaux de solidarité) et c’est sans doute la plus grande avancée de cet essai.

Il y a quelques termes juridiques à appréhender pour le profane, quelques problèmes de cohérence formelle, très peu de tournures maladroites (p. 206 par exemple, mais une très belle inscription dans le débat historiographique avec Vigarello et Ariès p. 145-146) donnant un très beau résultat, très clair sur le fonctionnement de la justice d’Ancien Régime, remuant des préjugés et remettant à leur place ceux qui prennent plaisir à gifler leur grand-mère.

(les crimes sexuels ne représentent que 2% des procédures judiciaires …8)

Chef de guerre

Témoignage autobiographique sur la vie de commando marine par Louis Saillans.

Mais quand dorment-ils ?

Des films documentaires sur les commandos marine sont légion (mais principalement axés sur la sélection), les livres de témoignage le sont un peu moins. Ces derniers ont pour avantage de pouvoir faire plus facilement le choix entre ce qui est dicible ou pas dans les événements qui sont rapportés (du point de vue du secret militaire en premier lieu) et de permettre au spectateur/lecteur d’avoir accès à une certaine intériorité. Ce livre rassemble les souvenirs et les réflexions qu’ont pu faire naître dix années intenses (et l’adjectif est faible) sous les armes.

L. Saillans (forcément un pseudonyme) a un parcours particulier : il a d’abord été élève-pilote dans l’Armée de l’Air puis a bifurqué vers les commandos Marine par goût de l’aventure. Il aurait été intéressant de savoir si cette formation aéronautique lui a été d’une quelconque aide dans sa carrière, mais le livre n’en dit rien. Passé la terrible sélection, il est affecté en unité avant de devenir chef de groupe cinq ans plus tard. De ses missions, l’ouvrage ne mentionne que celles en milieux arides (seulement le Mali ?) mais on peut se douter que ce ne fut pas toujours le cas.

Les quinze chapitres du livres sont agencés chronologiquement, avec les premières années sous l’uniforme, le changement de voie, le stage commando, les premières missions (assez court) puis on passe aux missions en tant que chef de groupe (la majeure partie du livre) entre capture de chef terroriste, appuis aux forces locales, saisie de caches d’armes (de vive force), recherche d’un soldat allié porté disparu et neutralisation de groupes djihadistes. Les problèmes moraux qui peuvent se faire jour ne sont pas absents, tant dans le groupe que dans le cadre de la coopérations avec d’autres forces, étatsuniennes par exemple (p. 108). On a aussi l’opportunité d’apercevoir quelques bribes de la vie de camp ou comment les changements dans la vie privée peuvent avoir un effet sur l’état d’esprit de l’auteur (devenir père). Le dernier chapitre est articulé autour de trois citations (Dostoievski, Platon et Héraclite) et touche aux thèmes de la discipline, de ce que signifie être chef (la responsabilité) et de ce qui est transposable dans la vie civile. L’épilogue rappelle les propos de l’introduction : il faut maintenant pour l’auteur continuer hors du champs de bataille le combat pour les valeurs qui l’y animaient déjà.

Sans savoir grand chose du processus d’écriture de ce livre, il faut saluer sa très grande lisibilité (mais qui est cohérente avec le niveau montré à l’oral dans les entretiens qui ont accompagné le lancement du livre). Pas de grande littérature, du direct, du factuel, quelques termes qui auraient pu être mieux choisis (les « complices » de J. Moulin, p. 188) mais avec de belles tournures. Au delà de la description au ras du sable (qui garde tout son intérêt), ce qui est plus intéressant encore ce sont les moments autour de l’action, la préparation de la mission (mais aussi le brouillard de la guerre) et ce qui se passe après le retour à la base. Les raisons de l’engagement djihadiste (p. 110) sont un peu simplistes, trop monofactoriels, et les citations du chapitre 15 font un peu statuts de réseaux sociaux (mais sont argumentées). Par contre, Clausewitz est assez mal cité p. 190 … Le mélange en cahier central entre les photographies professionnelles (produites vraisemblablement pour les forces armées) et la collection personnelle de l’auteur est très sympathique (sans pour autant éviter la discussion) et apporte un grand plus au livre. Un bon ouvrage dans ce type particulier, qui a bien su manœuvrer entre récit qui avance et gestion du nécessaire secret.

(même pour le meilleurs il y a toujours danger … 7,5)

Women and Weapons in the Viking World

Amazons of the North
Essai d’archéologie viking de Leszek Gardeła.

Beau décor pour un jeté de hache !

L’analyse génomique de la tombe Bj 581 de Birka (Suède) en 2017 avait jeté un pavé dans la mare des études nordiques. Découverte en 1878, la tombe abritait un guerrier au vu du matériel recueilli. Le guerrier est devenu une femme après analyse des restes ostéologiques … Mais la tombe est-elle pour autant celle d’une guerrière ? L. Gardeła éclaire les différents contextes et les liens possibles entre femmes et armes à l’époque viking, entre le VIIIe et le XIe siècles. Loin des emballements rapides …

Classiquement avec ce type d’ouvrage, l’introduction aborde les problèmes méthodologiques et théoriques afin de bien délimiter le sujet, entre diversité des pratiques funéraires scandinaves, artefacts polysémiques, idéal guerrier et la question sexe/genre dans le monde viking. L’auteur enchaîne sur l’historiographie. De manière assez surprenante l’existence possible de guerrières viking remonte au tout début du XXe siècle, avec la fouille de Nordre Kjølen en Norvège, que les fouilleurs analysent comme la tombe d’une skjoldmø, une « jeune femme au bouclier » prenant part au combat (p. 22), que l’on retrouve dans certaines sagas mais aussi chez des historiens comme Saxo Grammaticus et Jean Skylitzès. Leur analyse est reprise par de nombreux scientifiques.

Les textes en question font l’objet d’une longue analyse dans le troisième chapitre. L. Gardeła commence avec la Gesta Danorum de Saxo Grammaticus avant de passer à la Saga des Islandais (une œuvre plutôt réaliste) puis aux sagas légendaires qui mettent en scènes des femmes prenant les armes (souvent peu de temps et en l’absence d’hommes p. 93) ou même combattent. Il y aussi un cas périphérique chez les Anglo-Saxons. Tout ceci mène aux indices livrés par les tombes contenant des armes et qui peuvent contenir un défunt de sexe féminin. A tout seigneur tout honneur, l’auteur commence ce chapitre avec la maintenant célèbre tombe de Birka, Bj. 581 (qui peut de plus aussi montrer un lien fort avec le monde centre-européen). Commençant par la Suède (quatre sépultures), l’auteur embraye avec la Norvège (au moins dix cas) puis s’intéresse au Danemark (trois exemples). A chaque fois, la tombe et son contenu sont détaillés, accompagné d’illustrations et souvent d’une vue d’artiste (très plaisante mais qui ne valent peut-être pas celles faites par Ƿórhallur Ƿráinsson dans The Viking Way).

Une fois la description faite, L. Gardeła interprète son corpus, arme après arme. La présence d’une hache, par exemple, ne permet pas de définir le guerrier. Les types retrouvés peuvent tout à fait être des outils aux nombreux emplois (de cuisine, pour couper du bois) ou servir dan le cadre de rituels. Il est à noter que certaines tombes contiennent des armes miniatures (et pas que des haches), que l’auteur analyse aussi, tout comme leur positionnement dans la tombe. L’auteur s’intéresse dans le reste du chapitre aux épées (emblématiques s’il en est), aux lances, aux boucliers, aux arcs et flèches et enfin aux équipements de monte.

Le sixième chapitre est iconographique (on avait déjà eu quelques éléments de ce type dans les chapitres précédents). Il est d’abord question des broches dites « valkyrie », que l’auteur réinterprète comme des représentations de Sigurd et Brynhildr. Mais il n’oublie pas les petites statuettes et appliques, la tapisserie d’Oseberg et les stèles.

Le chapitre suivant s’aventure hors de Scandinavie pour trouver d’autres exemples de femmes combattantes, que ce soit chez les Sarmates mais aussi des cas de travestissement éventuellement combattant dans les Provinces Unies du début de l’époque moderne (p. 127), les guerrières de la garde royale du Dahomey ou encore les femmes au front lors des deux guerres mondiales (Russie, Serbie, Pologne) mais sans oublier (avec quelques dommageables imprécisions, p. 133) les engagements non combattants. Le dernier chapitre est la conclusion de l’ouvrage (qui contient 130 pages de texte). Cette conclusion est très prudente, l’auteur n’est visiblement pas encore convaincu de l’existence de guerrières viking même s’il est gagné à l’idée que la mentalité scandinave de la période ne s’y oppose pas et permet peut-être à des femmes de poursuivre un idéal guerrier sans forcément être sur le champ de bataille. Aucune des femmes inhumées ne semble avoir souffert de traumatismes que l’on pourrait attribuer au combat, ce qui serait un argument de poids dans la reconnaissance de l’existence de guerrières (qui de toutes façons seraient en nombre extrêmement réduit).

Historiographiquement et méthodologiquement très solide, l’auteur rappelle plusieurs fois sa ligne de conduite basée sur la prudence (p. 92), surtout à l’aide d’un argument simple qui naît des apports du premier chapitre : le matériel des tombes est un choix fait par ceux qui inhument, pas par le défunt. Les artefacts ne sont donc pas forcément des possessions du défunt mais reflètent comment le voient ceux qui inhument (p. 9, avec un très bon diagramme des objets funéraires). Une autre caractéristique de l’ouvrage est son utilisation d’exemples non-scandinaves et le plus souvent polonais (le nom de l’auteur est un indice …), ce qui donne des ouvertures plus inhabituelles et pas moins pertinentes (les armes miniatures chez les femmes aztèques pour l’accouchement par exemple p. 127). Il reste quelques défauts, le premier étant une écriture assez peu plaisante (même s’il est difficile de faire du beau dans les descriptions de fouilles et les inventaires) et qui peut ralentir le rythme. La tentative littéraire de la conclusion, peut être en référence à The Viking Way (l’auteur semble être très lié à N. Price, peut-être son élève), est très maladroite. Nous n’avons pas pu non plus nous expliquer comment un homme de 35/40 ans peut avoir une mère de 40 ans (double inhumation à Gerdrup p. 69-70, mais un article de 2021 sur cette tombe par O. T. Kastholm et A. Margaryan ne fait pas mieux) …

Un ouvrage qui calme les auteurs de conclusions hâtives et rappelle certains fondamentaux, dans l’équilibre et le réalisme mais pas sans exclure la possibilité de l’existence d’une incarnation de femmes combattantes en lien avec des figures mythologiques dans le Nord médiéval.

(ainsi ces belles broches trilobées sont d’origine carolingienne p. 103-104 …8)

Wielstadt III : Le chevalier de Wielstadt

Roman de Fantasy de Pierre Pevel.

La dure vie de jeune vierge.

Dans le livre final de cette trilogie, P. Pevel fait venir à nous pour une dernière fois le chevalier Kantz, une année après que nous l’ayons quitté. Nous sommes toujours à Wielstadt, cette ville protégée des menaces extérieures par le dragon. Mais à l’intérieur, la menace est plus cachée et surtout plus sournoise. A commencer par ces démonistes qui sacrifient de la jeune vierge à qui mieux mieux. Kantz y met, brutalement, bon ordre, dans une crypte faiblement éclairée (comme il se doit). Mais ceux-là étaient finalement faciles à retrouver. Le Voleur de Visage est lui plus dur à localiser dans une ville de 500 000 âmes. Mais son action sur la psychologie des habitants est dévastatrice. Le bourgmestre voit très nettement le danger d’émeutes destructrices mais surtout le péril pour sa position. Dans les coulisses, différentes coteries s’activent pour tirer partie de la situation. A intervalles régulier, le Voleur de Visage assassine une jeune femme, met son cadavre en scène et découpe son visage. La difficulté de mettre un nom sur le corps met la population sous tension … Le guet et Kantz sont sur l’affaire mais d’autres évènements peuvent aussi détourner notre héros de sa mission. Le passé par exemple …

Après l’enquête policière et le Porte-Monstre-Trésor des deux premiers tome, P. Pevel dirige le lecteur vers un roman plus axé sur la psychologie du héros tout en continuant à prendre, avec finesse, comme base des traditions parabibliques. La maestria des combats contés par l’auteur est restée mais le récit pâtit terriblement du fait du choix de la forme trilogie. Il y a cette désagréable impression d’un élagage fait pour rentrer dans les cases et achever le cycle sur le rythme ternaire. Avec la matière présente, plus celle que l’on peut aisément deviner, il y aurait eu sans problème la possibilité de rajouter assez de pages pour produire un quatrième tome. Ce qui aurait peut-être aussi permis de mieux exploiter encore une galerie de personnages secondaires avec du potentiel, mais qui peuvent apparaître comme uniquement présents pour fournir des moyens de pression sur Kantz. Les protecteurs de la ville ne sont pas follement aidants non plus …

Il y a de très belles non-linéarités dans le récit mais hélas aussi ces redites que l’on avait déjà vues dans le second tome. Quelqu’un lit-il la trilogie dans le désordre ? On ne peut pas non plus parler de décennies entre la parution des différents tomes. Les tourments intérieurs de Kantz sont de plus très limités dans le temps, et apparaissent du coup surjoués et certains développements sont assez prévisibles. Mais face aux moments de classe jetés ici et là et des rebondissements très bien amenés, c’est pas bien grave. Le tout se lit tout de même avec grand appétit jusqu’à une fin douce-amère qui laisse une quantité de suites possibles.

Peut-être pas aussi abouti que les Lames du Cardinal mais toujours dans le haut du panier.

(mais c’est d’une brutalité … 7,5)

Pisa etrusca

Anatomia di une città scomparsa
Essai d’étruscologie de Stefano Bruni.

Cachée, plus cachée.

Pise, une ville antique sans antiquités. p. 7

Pise, c’est l’oubliée de l’étruscologie. Très rarement sur les cartes, ou alors remplacée par la colonie romaine de Luni, et absente des grands manuels de la discipline. Il est vrai que la cité étrusque la plus au nord sur la côte tyrrhénienne cumule les handicaps : comme souvent en Toscane une occupation urbaine continue jusqu’à nos jours, pas de tombes peintes comme à Tarquinia, pas de nécropole romantique comme à Cerveteri ou de murailles pittoresques comme à Rosselle. Les découvertes archéologiques des siècles passés n’ont pas non plus mis au jour de trésors et à peine quelques découvertes fortuites ont été faites avant le XXe siècle. Seule la mise en place d’une administration patrimoniale et la conduite de fouilles de sauvetage permirent de petit à petit se faire une idée de la ville située aujourd’hui bien plus loin de la mer qu’au Ve siècle avant notre ère, à la confluence de l’Arno et de l’Auser (aujourd’hui appelé Serchio, au cours détourné à partir du VIe siècle ap. J.-C. et ne se jetant plus dans l’Arno). Et c’est seulement avec ces découvertes que l’on passe d’une Pise vue comme ligure à une Pise étrusque.

Et c’est aussi l’objet de la première partie du présent livre, écrit par Stefano Bruni en 1998 alors qu’il est encore archéologue auprès de la Surintendance archéologique à Pise et en charge des fouilles urbaines. La seconde partie avance quelques pistes pour la reconstruction du paysage antique de la bouche de l’Arno, avec quelques intéressantes remarques sur ce qu’est un « paysage troyen » (p. 53), qualificatif que semble donner quelques sources grecques à la ville. La transition se fait naturellement avec l’étude des différents mythes de fondation, qu’il soit troyen, grec (en lien avec la Pise d’Elide, près d’Olympie), étrusque (Tarchon y est le fondateur, comme à Tarquinia) ou encore, de manière assez étrange, hyperboréenne ou sicule (p. 65).

La troisième partie a pour but de poser les bases de l’occupation de la région pisane à l’Age du Bronze et à l’Age du Fer. Si les premières hauteurs entre Pise et Lucques sont occupées dès le Paléolithique, c’est aussi le cas des dunes entre Pise et Livourne. L’emplacement de la ville actuelle reçoit un premier peuplement à l’époque du Bronze et l’Age du Fer voit vraisemblablement l’émergence de familles aristocratiques et les premières nécropoles. S. Bruni passe ensuite à la période archaïque et passe en revue la ville (enfin ce que l’on peut en voir, c’est-à-dire pas tant de choses que cela), les nécropoles, le port de San Piero a Grado et l’organisation territoriale. L’auteur fait aussi part de ses espoirs quant aux découvertes futures qui permettraient peut-être d’en savoir plus. S. Bruni enchaîne sur la période classique (aux vestiges retrouvés moindres, surtout à cause des fondations des maisons-tours de la période médiévale qui vont venir détruire ces niveaux, p. 209) avant de passer à la période romaine. Cette dernière partie évoque le renouveau monumental de la ville, la question des murailles de la ville (passage très intéressant sur pourquoi ce n’est pas forcément une nécessité p. 231), les effets de l’alliance avec Rome et les rapports conflictuels avec les Ligures, quelques mots sur la production artisanale locale et enfin, pour finir, l’intégration de Pise dans le système romain qui se fait au Ier siècle av. J.-C. Le livre s’achève sur une bibliographie conséquente, une liste des sources antiques et divers index. Il n’y a pas vraiment de notes (des références dans le texte) et les renvois se font dans la bibliographie. Un système pour le moins … moyen. Le cahier central d’illustrations est impraticable.

Avec cet ouvrage, on sent de manière brute que le manque de sources ne permet pas toutes les audaces. Le seul passage où l’auteur se laisse aller à quelques conjectures est même très clairement indiqué avec l’emploi du mot fantaisie (p. 191). C’est donc sérieux du début à la fin, avec un auteur au plus près des sources archéologiques mais qui fait plus que se défendre avec les textes. On aurait par contre quelques sérieuses remontrances à faire aux cartes, trop sommaires. Celle des p. 46-47 est à la fois trop détaillée (toutes les rues de la ville actuelle) et incomplète pour permettre une compréhension. On cherche même dans ce cas le lien avec le texte.

Mais ce livre, avec ses tous petits défauts et un italien pas toujours facile, parvient néanmoins à faire renaître devant le lecteur une ville très particulière au sein de la confédération étrusque. Une ville entourée d’eau (Ravenne, Spina, Venise), à l’origine toponymique inconnue, aux pratiques funéraires toutes en retenue (difficile même de savoir si le défunt est un guerrier p. 143, des lois somptuaires ?) alors que la ville affiche sa richesse, bien insérée dans les réseaux de la côte, mais aussi vers Bologne et la Sicile et plus loin, le monde ionique (p. 138). Productrice de cippes (leur emploi incroyable autour du tumulus de la via San Jacopo p. 150-151, déjà évoqué ici), construisant au besoin des cénotaphes, Pise use aussi de cratères pour recueillir les cendres de ses défunts, parfois en marbre. Et le marbre est bien plus travaillé que dans les autres cités tyrrhéniennes, avec une stylistique en lien avec Marseille et l’Ionie (p. 167). Cité tournée vers la mer, elle fonde des colonies (Gênes) et entretien des comptoirs jusqu’en Espagne (Lattes, p. 194). Il y a un caractère pisan indéniable pour l’auteur, très différent de celui de sa voisine Volterra, et que sans vraiment le définir, ce dernier donne au lecteur d’admirer.

(de temps en temps, une petite submersion … 6,5)

Wielstadt II : Les masques de Wielstadt

Roman de fantasy de Pierre Pevel.

Bas les masques !

Le second tome de la trilogie prend place lors d’un été caniculaire, trois ans après les premières aventures du chevalier Kantz. On retrouve ce dernier accompagnant des Templiers lors d’une opération d’interception d’une bande armée qui doit se rendre à Wielstadt, la ville marchande qui parvient toujours à se tenir éloignée de la guerre. Enfin … la ville oui, mais ses habitants c’est moins sûr. Kantz tombe lors du combat sur un démon dénommé Osiander et ses séides et ne doit son salut dans le combat qu’à la chance. Le démon se rend à Wielstadt, c’est acquis. Mais où ? Et quel est son objectif ? Kantz n’a pas trop le temps de faire plus de recherches puisqu’il doit rendre une faveur qu’il a contracté trois ans plus tôt : il doit livrer une lettre à Heidelberg et ramener une éventuelle réponse. En guise de réponse, il escorte la destinatrice de la lettre, la comtesse de Ludehn, en direction de Wielstadt mais ils sont attaqués en route. Parvenant à s’échapper du traquenard, la comtesse fausse ensuite compagnie au chevalier à la faveur de la nuit. En plus de cette série d’événements étranges, voilà que réapparaît en ville un ami du chevalier, disparu depuis trois ans mais dont la vie semble très immédiatement en danger. Certains éléments semblent liés, mais comment ? Le démon peut-il être arrêté avant d’avoir fait trop de dégâts ?

Au niveau de l’architecture scénaristique, si le premier tome avait toutes les apparences du roman policier (série de meurtres, la police a besoin d’aide), ce second tome sort de ce schéma pour adopter celui de la chasse au trésor. La scène (presque) finale est emblématique de cette thématique : des méchants, un trésor et un environnement labyrinthique. Si la fin est bien tournée, avec de beaux rebondissements (et aussi par ceux qui n’interviennent pas), c’est tout ce tome qui cavale à un train d’enfer. Une telle vitesse a pour inconvénient de passer par pertes et profits le développement des personnages secondaires pour se concentrer sur Kantz, sur qui on continue d’apprendre des choses intrigantes (dont on peut imaginer qu’elles joueront un rôle dans le dernier volume). Du coup, Kantz est bien distinct mais le reste est un peu flou. Pourtant, il y avait matière à aller un peu plus loin, notamment avec des personnages féminins.

Cela aurait aussi pu être un tome de transition comme le tout début aurait pu le laisser penser, plus calme avant une nouvelle accélération dans le dernier tome, mais non. Et cette vitesse se reflète dans la manière dont ce livre captive le lecteur. Les pages se tournent avec une légèreté folle, en contrepoint de la très grande dureté du monde (très sanglant) que décrit P. Pevel. Un monde très intéressant et qui continue de livrer ses secrets, et où l’auteur utilise avec intelligence les différentes organisations secrètes du temps ou des résurgences médiévales. Et c’est souvent l’occasion de faire un peu de pédagogie au travers du narrateur.

Vivement la fin !

(l’auteur qui s’excuse de ne pas coller entièrement à la recherche historique … 8,5)

Der Mensch des Mittelalters

Essai d’histoire médiévale sous la direction de Jacques La Goff.
Paru en français sous le titre L’Homme médiéval.

Recherches sur l’expérience humaine.

L’objectif est ici de faire une description courte et compréhensible de la société médiévale occidentale à partir de dix portraits ou idéaux-types. Il restera des petits trous dans la raquette mais les auteurs en ont conscience. En 400 pages on ne peut clairement pas tout dire, surtout s’il faut prendre en considérations les dix siècles de la période. L’assortiment est donc varié et sont présents le moine, le guerrier/chevalier, le paysan, le citadin, l’intellectuel, l’artiste, le marchand, la femme (et la famille), le saint et enfin, le marginal.

Chaque portrait forme un chapitre, lui-même confié à un historien ou une historienne qui, au moment de la première parution en 1987, n’était déjà plus un débutant. Cinq Italiens, quatre Français, un Soviétique (dans la ligne du Parti p. 284) et un Polonais se sont donc attelés à la tâche et proposent ici ce qui est devenu un classique associé à Jacques Le Goff, où ce dernier ne signe que l’introduction, mais dont les idées en matière d’histoire des mentalités semblent bien représentées. Cette même introduction détaille le projet derrière ce livre et comment les chapitres doivent se répondre au sein de la tripartition classique oratores/bellatores/laboratores.

Le niveau général est haut. Si d’une manière ce livre est un manuel, il ne doit pas être le premier manuel lu par un lecteur intéressé par le Moyen-Age, rien que pour s’en sortir avec la chronologie. Mais il est aussi un peu daté. Ecrit en 1987 par des auteurs qui sont déjà très installés dans la carrière, il est le fruit d’une recherche plus ancienne. Le mot « barbare » est tout de même encore beaucoup utilisé (p. 88 par exemple) et l’archéologie expérimentale a démontré la grande mobilité du chevalier en armure (p. 127) … Le chapitre sur le paysan est très généraliste, mais c’est difficile de faire une synthèse à partir de situations aussi radicalement différentes. On remarquera aussi plus d’exemples italiens qu’à l’accoutumé.

Néanmoins, il y a dans ce livre de très nombreuses idées intéressantes qui interpellent le lecteur. Comme par exemple l’idée de la disparition de l’esclavage en Europe occidentale parallèlement avec la démilitarisation de la société « romano-barbare » au VIIIe siècle (p. 89), celle d’une christianisation de la chevalerie avec Bernard de Clairvaux et d’une cléricalisation du guerrier (p. 104), celle de la ville comme royaume de la monnaie (p. 167), celle de la confrérie (très répandue à la fin du Moyen-Age) comme une avancée vers l’égalité des membres du corps civique (p. 179-183), les différentes définitions de la sainteté au Nord et au Sud des Alpes (martyrs, évêques, nobles fondateurs, rois, ascètes). Le dernier chapitre sur la marginalité (B. Geremek) à lui seul mérite la lecture de ce livre.

Des approches parfois datées (femmes ET famille …), une lecture pas toujours prenante et aisée (du moins en allemand) avec des moments où le livre tombe des mains mais encore et toujours un classique.

(peut-on vraiment parler de souverains absolus au XVIe siècle p.128 ? …6)