Der Fliegende Holländer

Livret et musique de Richard Wagner.
Production de l’Opéra de Francfort.

Bikers et bière de contrebande.

Voici une histoire, reprise par R. Wagner, qui appartient à la catégorie de celles qui ont encore droit de cité dans la culture commune, en grande partie grâce aux métaphores sportives (mais très rarement marines). On ne peut en dire autant de Lohengrin ou de Tannhäuser, eux aussi objets et héros wagnériens.

Echappant à une violente tempête, le bateau du capitaine Daland se réfugie dans une baie, loin de son village qu’il pensait encore atteindre. Le capitaine va se coucher et laisse la veille à son timonier, qui a tôt fait de s’endormir. Arrive le Hollandais Volant, navire dont le capitaine est affligé d’une malédiction qui ne lui permet de toucher terre que tous les sept ans, pour une seule journée. Si une femme l’aime jusque dans la mort, alors la malédiction sera levée sur lui et son équipage. Le capitaine, réveillé, revient sur le pont et sermonne son timonier qui ne lui a pas signalé l’arrivée de l’étrange navire. Puis il parle avec le Hollandais, qui lui demande s’il n’aurait pas une fille. Convaincu par les richesses que lui fait voir le Hollandais, le capitaine Daland promet à ce dernier la main de sa fille. Les vents étant à nouveau favorables, les deux bateaux voguent vers le village de Daland.

A terre, les femmes du village filent la laine. L’une d’elle, Mary, la nourrice de Senta (la fille de Daland) refuse de chanter la complainte du Hollandais volant, arguant qu’elle attire le malheur. Mais Senta la chante de manière exaltée puis se jure d’être celle qui sauvera le maudit. Erik, le fiancé de Senta, annonce l’arrivée de deux navires et supplie Senta d’abandonner son rêve fantastique. Arrivent Daland et le Hollandais à la maison du capitaine. Senta et Hollandais ne disent mot, puis le capitaine les laissent seuls. Très vite, Senta et le Hollandais se jurent un amour éternel.

Le soir venu, l’équipage fête son arrivée à terre avec les femmes du village. Ils essaient d’inviter l’équipage fantôme à se joindre à eux et constatent leur état de non-mort, ce qui déclenche une panique. Erik, hanté par un rêve affreux où tout le village périt, veut convaincre Senta de renoncer à ses projets mais le Hollandais les surprend et, se méprenant sur la situation, décide de repartir en mer, maudissant par la même l’infidèle Senta. Cette dernière se jette dans la mer, ce qui a pour but de délivrer le Hollandais volant de sa malédiction (rendu cependant de manière très implicite dans la mise en scène de cette production).

L’œuvre étant donnée sans pause, le décor doit pouvoir s’adapter aux différentes scènes (le rideau tombe néanmoins une fois, entre le premier et le second acte. Le premier acte donne à voir un décor de navire, avec voiles et bouts. Ces derniers sont tirés vers le haut quand vient le bateau fantôme et laissent apparaître des nœuds coulants, en même temps qu’une hélice tournante descend des cimaises.
Les scènes au village font plus penser à l’Indonésie ou aux Philippines, avec un petit côté quartier chaud à Manille. Des poteaux électriques surplombent une sorte de rue avec des cartons et des caisses où filent les femmes en attente des marins et où se transpose aussi ce qui est censé être la maison du capitaine Daland. La scène finale, qui voit la destruction de l’environnement urbain et le retour des gigantesques pales de l’hélice (enflammées pour l’occasion), y prend donc aussi place, ce qui à notre sens amoindrit la compréhension du spectateur, voire même annihile la volonté de l’auteur, car il difficile d’y voir l’idée de rédemption que ce dernier voulait y placer.
D’autres décisions de mise en scène changent aussi de manière substantielle la teneur de l’histoire (le timonier emmené par l’équipage fantôme, peut-être comme capitaine de remplacement, un prêté pour un rendu, quand le Hollandais se croît délivré de la malédiction).

Du point de vue des costumes, Daland et ses marins sont habillés en marins (la couleur bleue, la casquette), tandis que le Hollandais est en noir avec un long manteau et ses marins sont des bikers (avec des patchs Flying Dutchman) armés de couteaux et qui chevauchent des motos dont certaines sont dotées d’hélices mouvantes. Les villageoises sont habillées de robes de grands-mères des années 80. Pour ce qui est des voix, le Hollandais a été très bon, assez abyssal, Senta et Daland ont bien tenu leur rang, Mary était assez transparente (avec une présence scénique du même tonneau) et Erik plutôt quelconque. L’orchestre aurait pu être plus puissant (mais c’est peut-être lié au contexte de la création de l’œuvre) mais a très bien servi une partition qui laisse des traces encore de longues heures après le baisser de rideau.

(l’utilisation de la lampe de poche, très bien inscrite dans la mise en scène … 8)

Les Arabes, leur destin et le nôtre

Histoire d’une libération
Essai historique sur les Lumières arabes de Jean-Pierre Filiu.

Le violet du deuil peut-être, mais pas le vert.

Du triumvirat Kepel-Roy-Filiu, qui pour ainsi dire a l’hégémonie parmi les orientalistes français contemporains, seul le dernier n’avait pas encore fait d’apparition dans ces lignes. Spécialiste ni de l’Asie centrale ni de l’Egypte, Jean-Pierre Filiu a été diplomate, notamment en poste en Syrie, avant de devenir enseignant.

L’objet de son propos, ce sont les Lumières arabes, entre 1798 et nos jours. Ces Lumières, ce sont les courants modernisateurs et parfois même démocratiques qui parcourent les pays arabes et qui malgré les islamistes de toutes obédiences et les dictatures survivent encore aujourd’hui parmi les intelligentsias arabes (quelle que soit la religion desdits Arabes).

Tout commence avec l’Expédition d’Egypte du général Bonaparte, en 1798 (introduction et premier chapitre). Le monde arabe est alors mis en contact, de manière brutale, avec la modernité occidentale. De ce choc naît la Nahda, ou Renaissance, qui vise à l’émancipation individuelle et collective, contre les Ottomans et contre les Occidentaux.  Les Ottomans, au XIXe siècle, sont encore bien présents dans le monde arabe, que ce soit nominalement ou en gestion directe. Parmi les pays qui ont conquis leur autonomie, on peut dénombrer l’Egypte (dirigé par des khédives modernisateurs) mais qui sera conquise par les Britanniques, la Tunisie placée sous protectorat français en 1881. L’Algérie est conquise par la France en 1830 (mais ne devient colonie de peuplement qu’avec la IIIe République). Le Levant reste sous étroit contrôle ottoman et l’Arabie est assez autonome. Dès cette époque se constituent les deux pôles de la Nahda, le pôle islamiste et le pôle nationaliste. La France, traditionnellement protectrice des Lieux Saints, s’intéresse au développement arabe, particulièrement en Egypte.

La situation change radicalement avec la Première Guerre Mondiale (deuxième chapitre). Les Alliés promettent au shérif de la Mecque un royaume arabe en échange de son soutien contre les Ottomans. Mais les Alliés n’honorent pas leur parole et à la place d’un royaume allant de l’Arabie à Alexandrette et de Damas à Bagdad (le Congrès syrien vote le vœu d’une monarchie constitutionnelle à Damas en 1919), surgissent des protectorats. Certains fils du shérif sont installés comme monarques, mais sous la surveillance franco-britannique. Une révolte (utilisant la non-violence) est écrasée en Egypte et les protectorats sont imposés par la force vive. En 1924, les Séoud conquièrent l’ensemble de l’Arabie et promeuvent leur vision de l’islam, le wahhabisme.

En 1922, l’Egypte est déclarée indépendante (chapitre 3) sous la forme d’une monarchie constitutionnelle. Mais si les nationaliste du parti Wafd dominent la politique égyptienne, une contestation plus religieuse mais pas moins nationaliste voit le jour en 1928 avec les Frères Musulmans. La création du Liban en 1926 et l’encouragement par les Britanniques de l’émigration juive en Palestine (où se déroule une guerre civile larvée) constituent des facteurs déstabilisateurs au Levant. La création de l’Etat d’Israël, la guerre d’Algérie, les indépendances marocaines et tunisiennes modèlent le monde arabe après 1945, tout comme la Guerre Froide va encourager les Occidentaux à préférer le soutien à des régimes autoritaires à la démocratie (malgré des décennies de vie parlementaire) dans les pays arabes (chapitre quatre). La Syrie voit l’armée prendre le pouvoir en 1949, et il en est de même pour l’Egypte en 1952. La Tunisie devient un régime fort (avec une prépondérance policière), tandis que l’Algérie indépendante devient très vite une dictature militaire (1965) tout comme l’Irak (1958). Enfin, en 1969, c’est Kadhafi qui prend le pouvoir en Libye (p. 122).

Le cinquième chapitre traite des années 70 et 80, entre terrorisme palestinien, Guerre du Kippour, crises pétrolières, mais surtout la révolution iranienne de 1979 qui a des répercutions aussi en France. La période s’achève avec la seconde guerre du Golfe qui fait suite à l’invasion du Koweït par l’Irak. Le chapitre suivant continue avec les années 90 et 2000, avec la guerre civile en Algérie, la poursuite et l’échec du processus de paix en Terre Sainte, la montée en puissance d’Al Qaida, le 11 septembre 2001, la fin de la domination syrienne au Liban et l’invasion étatsunienne de l’Irak.

Le septième chapitre passe enfin aux évènements qui secouèrent le monde arabe à partir de 2011, touchant des pays ayant achevé leur révolution démographique, avec les générations les plus jeunes bien plus éduquées que leurs devancières. La Tunisie, l’Egypte, le Yémen, Bahreïn, la Libye et la Syrie sont touchés. La Tunisie semble être sortie de la crise par le haut, l’Egypte est repassée sous le contrôle de l’armée mais la guerre fait toujours rage en Syrie, en Libye et au Yémen. Le livre s’achève sur une conclusion rappelant le lien entre la France et le monde arabe, pour le meilleur comme pour le pire. La fin du livre est optimiste (tout en étant politique), malgré Charlie et l’attentat du Bardo. Le volume est complété (pour atteindre les 250 pages de texte) par des cartes dans le texte, des conseils de lecture et un index.

Les chapitres sont assez inégaux, le troisième étant par exemple moins bon que le second (mais peut-être est-ce aussi parce qu’il traite de choses qui nous sont bien plus connues) et on perd de vue l’objectif du livre par endroits (la Nahda). La partie sur la « guerre froide arabe » et la politique arabe du général De Gaulle(p. 112-118) est d’excellente facture, tout comme celui sur les brigades internationales de l’OLP (p. 127) ou l’implication des Frères Musulmans dans l’éducation en Arabie Saoudite et au Qatar suite à leur exil devant les répressions syrienne et égyptienne (p. 136-137). Comme c’est un livre agile, qui se lit avec une très grande aisance et qui vise un public large, certaines explications sont parfois un peu courtes (p. 185, sur la Seconde Intifada par exemple) ou trop généralistes (p. 209 sur la démographie de la Tunisie) ou même imprécises (p. 231 sur les Gardiens de la Révolution, sur l’Intifada seulement à coups de pierres p. 167 ou sur l’absence de volonté coloniale de l’Allemagne p. 77). Mais le lecteur apprendra sûrement un grand nombre de choses à la lecture de cet ouvrage très solide, comme le fait que durant la guerre civile en Algérie dans les années 90 (150 000 morts), aucune installation pétrolière n’a jamais été la cible d’une attaque (p. 180), ou des détails sur la politique du président Chirac au Liban (p. 200), sur la diversité de l’OLP (p. 169) ou encore le passé de Frère Musulman de Nasser (p. 101, en plus d’avoir aussi été un agent de l’Abwehr).

L’auteur ne cache pas toujours ses sentiments, mais c’est compréhensible à défaut d’être excusable, au vu de son parcours (par exemple, un jugement stratégique peu étayé p. 66 sur les Accords Sykes-Picot et une pique à l’encontre des commentateurs des Printemps arabes p. 221). Mais il est un brin optimiste s’il croit que l’on apprend à l’école l’histoire de la Tunisie entre 1955 et 1959 (p. 107) …

Si ce livre s’éloigne parfois de ce qui semblait être son sujet, il nous présente néanmoins un très bon résumé de l’histoire des pays arabes du XIXe au XXIe siècle, alliant hauteur de vue, érudition et ne laissant que peu de choses hors champ. Il est donc très utile à l’observateur des douloureux soubresauts de la région.

(l’idée de Royaume arabe de Napoléon III p. 27, qui s’en souvient ? … 7,5)