Retour sur Dune

Roman de science-fiction de Frank Herbert.

Aaaah nos yeux !

Ce besoin qu’ont les princesses de faire des phrases.
Paul Muad’Dib, La graphomanie, mythes et symptômes

L’année 2020 devait marquer le retour de Dune sur les écrans de cinéma. Tout ne s’est pas passé comme prévu. Nous avions souhaité, pour pouvoir juger le film, relire le premier roman du cycle, mais cette fois-ci en anglais. Nous avons ainsi pu comparer nos souvenirs avec cette relecture et une première chose n’a pas changé : il est toujours extrêmement difficile de reposer le roman.

Quelques mots quand même sur l’histoire ? La famille ducale des Atréides quitte sur ordre impérial son fief de Caladan pour celui de Dune. Cette planète extrêmement inhospitalière a la particularité d’être la seule de l’univers à produire l’Epice, aux effets nombreux, mais surtout indispensable au voyage spatial. Le Duc Leto sait que c’est un piège mais pense pouvoir le retourner contre ses instigateurs. Toute son antique Maison peut y passer, y compris sa concubine Jessica et son unique fils de 16 ans, Paul, aux rêves prémonitoires …

En vrac, quelques impressions donc, sans prétention d’exhaustivité. Primo, les drogues sont d’une importance énorme dans le roman, chez tous les protagonistes. C’est une thématique très années 60 qui s’ajoute à la thématique nucléaire présente dans la SF depuis les années 40. Secundo, même au milieu du grand mix religieux construit par F. Herbert et l’utilisation de la langue arabe dans cet environnement sablonneux, il y ce lien des Fremen avec l’Egypte qui ne nous avait pas sauté aux yeux (p. 404, « Misr nilotique », c’est pourtant direct !). Tertio, au sein de l’intertextualité herbertienne, nous n’avions pas remarqué l’apparition de Heisenberg (p. 341), renvoyant au roman paru un an après Dune : Les yeux d’Heisenberg. Quarto, nous avons trouvé un lien entre Dune et Fondation de I. Asimov, avec dans les deux romans cette idée d’une explosion inévitable (ici, le Jihad Fremen) mais dont un homme peut réduire les conséquences néfastes en tentant de le diriger. Mais le parallélisme marqué avec l’Islam (prophétisme armé), nous ne savons pas encore vraiment comment l’appréhender.

Quinto, Dune est un roman écologiste mais avec vraiment beaucoup de plastique (par exemple, les plantations à base de coupelles en plastique devant recueillir la rosée p. 357-358). Sexto, que personne ne se soit posé des questions sur l’origine des Sardaukars avant le Duc Leto et le mentat Thufir Hawat (p. 341) nous semble aujourd’hui peu crédible. Septimo, F. Herbert peut aussi faire dans la facilité avec Varota, ce maître-luthier de la planète Chusuk, qui se doit d’avoir un nom à consonnance italienne.

L’édition anglaise du roman que nous avons eu entre les mains (datée de 1988, voir l’ignoble l’illustration supra) est un rappel vibrant que les illustrations de W. Siudmak pour le cycle de Dune sont d’une incroyable qualité, dans leur salvadordalisme éthéré (comme tout ce qu’il a pu faire pour Pocket). Le cartonné reprenant l’illustration juste après la couverture (dans les parutions des années 1990) était le signe que l’éditeur en avait bien conscience.

Plus qu’à attendre l’arrivée du film.

(erreur typographique plaisante p. 351 de notre édition, où on lit lors d’un combat « tavern » au lieu de « cavern » …)

American parano

Pourquoi la vieille Amérique va perdre sa guerre contre le reste du monde
Essai de caractérisation des Etats-Unis dans leur relation au monde par Jean-Philippe Immarigeon.

Sans la voix d’Ozzy.

Entre 2001 et 2003, les Etats-Unis surprenaient le monde par leur réaction à l’acte terroriste du 11 septembre. Premièrement, ils déclaraient une « guerre à la terreur », plongeant dans un manichéisme strict et peu réaliste du type « avec nous ou contre nous ». L’Afghanistan, qui donnait refuge aux dirigeants d’Al Qaïda, était bombardé et envahi. Puis, en 2003, démarrait l’invasion de l’Irak. A chaque fois, un déluge de feu et une action rapide mettait à bas gouvernements et forces armées officielles mais un contrôle du terrain très problématique s’ensuivait, avec le refus des populations locales que l’on fasse leur bonheur contre leur volonté. Effet collatéral, la France ayant refusé de s’associer à la guerre en Irak (les armes de destruction massive – terme impropre par ailleurs – n’étant ni produites ni en possession du régime baathiste irakien comme le prouvait la suite), elle est la cible de campagnes de presse extrêmement violentes qui surprirent de ce côté-ci de l’Atlantique. C’est le pourquoi de ces attaques, leur soubassement idéologique, qu’explore ici J.-P. Immarigeon dans un livre paru en 2006.

Comme A. de Tocqueville va beaucoup nous accompagner dans ce livre, il est l’objet principal du premier chapitre. L’auteur analyse et critique les écrits de Tocqueville (l’égalité avant la liberté aux Etats-Unis ? p. 19). Le second chapitre s’attaque au mythe du pays neuf, sans histoire, sorti de rien en 1776. Même ceux qui en 1620 débarquent du Mayflower ont une histoire, en arrivant dans un pays neuf, et une pensée qui est avant tout un refus de l’Europe. Pour l’auteur, c’est de cet idéalisme piétiste que naît cette vision du monde étatsunienne simplifiant tout (p. 40) et ignorant beaucoup. Et Tocqueville n’est pas toujours dans la sympathie : « Ainsi ils nient ce qu’ils ne peuvent comprendre » rappelle l’auteur.

J.-P. Immarigeon passe ensuite à la place de la religion aux Etats-Unis. Comme le laissait supposer le chapitre précédent, la place de cette dernière ne peut pas y être petite. L’auteur n’y va pas par quatre chemins : les Etats-Unis sont une théocratie (p. 60). La cause du départ des Pères Pèlerins, c’est qu’en Europe la loi des Hommes commence à supplanter la loi de Dieu (p. 69). Le quatrième chapitre reste dans la thématique religieuse mais l’aborde en revanche du côté du panthéisme que l’auteur veut voir dans la recherche étatsunienne d’une loi universelle, alliée au scientisme et à la prédestination calviniste. Pour l’auteur, il y a forcément déni de l’altérité porteuse de vérité (p. 78). Le chapitre compare aussi brièvement les deux acceptions, étatsunienne (1783) et française (1791), de la démocratie et les déclare opposées : on ne pourrait faire nul choix politique majeur dans l’interprétation étatsunienne. Le despotisme éclairé (p. 92).

Le cinquième chapitre revient ensuite sur le 11 septembre et ses suites. Il rappelle le débat sur la torture, envisagée sérieusement dans de nombreux éditoriaux. La détention arbitraire et indéfinie n’est pas plus un problème (à Guantanamo). Et toujours sans modification de la constitution de 1787. Naturellement, on glisse vers la censure (chapitre suivant), qui pour l’auteur est exercée par la majorité aux Etats-Unis en utilisant l’ostracisme (p. 120). Toujours explorant les conséquences de 2001, l’auteur s’attache ensuite à expliquer le soutien des intellectuels à la guerre en Irak mais aussi cet atavisme anti-Français qui épisodiquement prend les Etatsuniens (dès avant l’indépendance). Ensuite, dans un huitième chapitre, J.-P. Immarigeon veut faire la part des choses entre empire universel et Etat barricadé refusant les charges de l’empire. Il reprend la formule de Niall Ferguson, « l’empire dénié » (auteur d’un très bon Empire, d’un moins bon Colossus, mais qui n’est pas toujours tendre avec les Etats-Unis, p. 159).

Le neuvième chapitre quant à lui s’intéresse à la conduite de la guerre en Irak, marquée par le technicisme mais aussi une très grande incompréhension de la manière de faire des ennemis. Et si en plus on ne comprend pas un traître mot de ce qu’ils disent … Enfin dans un dernier chapitre, l’auteur envisage les évolutions de la relation transatlantique, en y voyant une inexorable et lente dégradation. Se détacher enfin de l’Europe nous dit l’auteur, une sorte de parricide (p. 226).

Une postface en forme de conclusion récapitulative et les notes complètent cet ouvrage de 230 pages de texte.

Pour le moins, ce livre est stimulant. Il va très loin dans l’analyse, avec parfois des passages assez durs à suivre quand on s’aventure dans la philosophie mais l’auteur est un très bon connaisseur du pays (et de Tocqueville, bien entendu). La lecture en est agréable, tonique, et, si tous les arguments avancés n’ont pas le même poids, ce dernier n’est jamais nul. On peut discuter de la notion de féodalisme appliquée aux Etats-Unis (p.72 par exemple, qu’il faut nous croyons comprendre comme une société de statuts). J.-P. Immarigeon n’échappe pas, de temps à autres, à certains simplismes (sur la barbarie du cinéma étatsunien et de la Guerre des Etoiles en particulier p. 211). De manière générale, sa connaissance des jeux vidéo nous semble très faible (p. 219) et ses jugements cinématographiques (en relation avec la psyché étatsunienne) sont beaucoup trop rapides. Que vient faire le Seigneur des Anneaux dans le puritanisme ? De même, il y a une sorte d’indécision (ou de grand mélange) à vouloir placer les Etatsuniens comme marqués (et encore guidés) par la prédestination calviniste tout en étant le fruit de la théologie luthérienne (p. 224). Le versant juriste de l’auteur se marie à ses autres talents pour nous livrer un portrait aux forts contrastes, et où, parfois, se glisse encore un peu d’admiration. Nous ne reviendrons pas sur l’utilisation, toujours imprécise, du mot « Amérique » dans tous le livre (mais une demande de l’éditeur n’est pas forcément à exclure).

Nous verrons si la suite, L’imposture américaine, est de la même veine.

(si, comme à la p. 81, ce n’est pas le peuple le souverain mais la constitution, cela éclaire sous un autre jour les théories habermassiennes sur le patriotisme constitutionnel et son origine … 8)

La guerre ne fait que commencer

Essai de criminologie terroriste de Alain Bauer et Xavier Raufer.

Démarre bien …

La conflagration du 11 septembre 2001 a mis en lumière de manière impromptue des spécialistes de l’Afghanistan mais a aussi permis aux experts en sécurité, journalistes ou chercheurs, d’écrire quelques livres. Et c’est le cas ici. Publié en janvier 2002, cet ouvrage (qui nous est tombé dessus par hasard) veut faire le point sur l’attentat qui a fait connaître Al Qaïda et Ben Laden dans tout le monde connu ainsi que les conséquences politiques et économiques. Dix-huit ans après, que reste-t-il de ce livre ?

Dix chapitres pour 300 pages de texte sans illustrations, ce livre s’achève par une page et demie de bibliographie. Le prologue dresse le tableau d’une augmentation de la criminalité en France dans les années 90 et le changement pour le terrorisme qu’a été la fin du Bloc soviétique (la base arrière de nombreux groupes type Rote Armée Fraktion). De manière très succincte, le déroulé du 11 septembre est rappelé à un lecteur qui ne devait pas avoir oublié grand-chose quatre mois après les faits. Puis les deux premiers chapitres listent les conséquences économiques à court terme, le troisième chapitre s’essaie à déterminer les manquements des services de renseignement (fascination technique, bureaucratie). Le chapitre suivant mettre en opposition les Etats-Unis d’Amérique et Al Qaïda avant que les auteurs ne donnent plus de détails sur les réseaux de recrutement de Al Qaïda, sur certains de ses cadres et sur des groupes salafistes-jihadistes dans la proximité d’Al Qaïda. Le sixième chapitre essaie de caractériser le nouveau terrorisme, qui serait urbain, « low-tech », fluide, hybride et en essaim. Le chapitre suivant veut avancer vers des solutions : protéger les grands groupes mondialisés, comprendre les flux financiers, avec méthode. La France est l’objet plus spécifique du huitième chapitre, mais où il est question surtout de délinquance. Le chapitre suivant est une chronologie mondiale, allant de février 1998 à novembre 2001. Le dernier chapitre rassemble quelques thèmes épars, sans chercher à être une conclusion : les « loups solitaires », la « bombe sale » à matériel nucléaire, les Etats faillis (qui doivent être remis en marche p. 303 dans une optique néo-conservatrice), etc.

Ce qui choque en premier lieu c’est que ce livre est tout de même écrit comme un mauvais billet de courses. Et comme il fallait sortir ce livre au plus vite, il n’y a pas eu vraiment de relecture. Mais le vice initial, c’est la non-différenciation entre terrorisme et criminalité (p. 35 par exemple). Non qu’il puisse y avoir continuité ou liens, mais comme il n’y a pas vraiment de définition du terrorisme, tout ne peut être qu’agrégat. Et du coup on passe à côté d’une différence fondamentale (qui peut varier dans le temps et dans l’espace par ailleurs) : le combat contre le crime est éternel et adialectique, avec le terrorisme on est dans la politique, qui n’exclut donc pas le dialogue (sans pour autant qu’il ait automatiquement lieu).
C’est aussi l’occasion de coller plein de choses au thème premier, surtout si cela permet de retomber sur des sujets plus maîtrisés, comme la délinquance urbaine. On a un livre sur le 11 septembre qui ne parle pas du Bureau des Services ni ne dit pourquoi ils en sont venus à commettre un acte terroriste aux Etats-Unis. Le côté anarchiste d’Al Qaïda est plus que surévalué (p. 103).

Et comme les deux auteurs adorent les formules percutantes, on tombe vite dans l’absence de subtilité. Le passage sur les wargames allie méconnaissance et mauvaise foi, dans le seul but de montrer que les services de renseignements étatsuniens sont déconnectés du réel (p. 70). Les traductions sont inconstantes (p. 118 en regard de la p. 117 …), tout comme les translittérations. Les biographies n’ont pas toutes été vérifiées :  un saoudien, ancien d’Afghanistan, qui a 27 ans en 2001 et donc 15 en 1989 à la fin de la guerre (p. 141), c’est peu probable. Surtout que la date de naissance donnée est fausse et que la personne en question … ne ferait peut-être même pas partie d’d’Al Qaïda. La nouveauté de la guerre contre des entités non étatiques (p. 175) est elle aussi très relative … mais toute cette page est une négation de Thucydide.

Mais le plus énervent pour la fin : l’usage immodéré, à toutes les sauces, du nom « protoplasme » pour qualifier d’Al Qaïda, de l’adjectif « lo-tech » et du nom « bombes humaines » pour ceux qui détournèrent les quatre avions du 11 septembre, qui justement n’avaient pas de bombes …

Et comme les conséquences tant en termes de victimes qu’économiques et politiques annoncées en début d’ouvrage ont été bien révisées depuis, ce livre a donc très mal vieilli.

(le livre se contredit p. 193 … 4)

Sporadically Radical

Ethnographies of Organised Violence and Militant Mobilization.
Recueil d’articles ethnologiques sous la direction de Steffen Jensen et Henrik Vigh.

Aux horaires de bureau.

La question agite les observateurs après un attentat ou la découverte que tout un groupe d’amis a pris fait et cause pour l’Etat Islamique et a fait le voyage de Syrie. Comment ces jeunes gens, hommes ou femmes, ont pu en arriver à une telle décision ? Se sont-ils radicalisés ? Pour les auteurs, le terme de radicalisation n’est pas le bon (et ne conduit à aucune analyse pertinente) et il faut penser ces engagements en termes de mobilisation au sein de structures portées sur la violence, sachant que la mobilisation n’est pas forcément de tous les instants (p. 22). Il n’y a pas d’unilinéarité (p. 8). On peut être Ben Laden le matin et 2Pac l’après-midi (deux icônes du mécontentement, p. 22). L’approche des auteurs se veut ainsi dualiste et perspectiviste. Il y a ce qui caractérise les mobilisés (âge, genre, génération, futurs imaginés et tangentiels) et ce que les organisations ont à leur offrir (des rituels et des secrets, ainsi qu’un mode de relation aux autorités, p. 11). Les mobilisés naviguent entre les possibilités, recherchant revenus, statut et avenir.

Le premier chapitre emmène le lecteur vers la Guinée-Bissau, où l’on suit d’anciens miliciens de la milice Aguenta, démobilisée en 1999 suite à la défaite du président Vieira lors de la guerre civile déclenchée l’année précédente. L’un d’eux fait partie de la minorité musulmane du pays et considère que l’islamisme radical peut être une solution d’avenir /sans pour autant être lui-même dévot (p. 47, mais aussi l’islamisme vu comme une source de paix et de sortie de l’adolescence p. 49). D’autres ont pu rallier l’Europe et s’insérer dans des réseaux criminels au Portugal tout en se tournant vers le rastafarisme. Le second chapitre reste en Afrique mais s’intéresse au Sierra Leone, où là encore les anciens soldats et miliciens sont en surnombre et tentent de gagner leur vie en étant embauché par des entrepreneurs politiques dans les pays limitrophes. « Victimes de la paix » (p. 63), ils sont passés en 2002 à la fin de la guerre civile de « quelqu’un » à « personne » (tension entre visible et invisible p. 87), sans revenus. Soupesant les risques et les gains potentiels, ils s’engagent ou non dans des actions clandestines, avec divers intermédiaires qui ne savent pas forcément eux-mêmes qui sont les clients (p. 65). De ce fait, ce sont des relations purement techniques, sans attachement ni à un homme ni à une cause, mais où le secret a une valeur cardinale.

Le chapitre suivant nous transporte au Bengladesh, à l’université de Dacca. Pour obtenir un endroit pour dormir dans les dortoirs de l’université, les primo-entrants doivent choisir l’une des sections étudiantes des grands partis bangladeshi et sont ainsi contraints de militer dans un environnement parfois hostile où des dortoirs peuvent être pris d’assaut à la faveur de résultats électoraux. D’autres perdent leurs possessions et leur lit lors de conflits entre coteries d’un même parti (p. 109). Mais pour certains, ce peut être le début d’une carrière politique, les universités étant de plus très peu nombreuses dans le pays. Coercition ou plein gré finalement (p. 92) ?

Mais déjà nous retournons en Afrique, au Kenya plus précisément. Le mouvement Mungiki, héritier des Mau Mau des années 1950 (p. 123), y est très actif. Politiquement et religieusement actif, il se présente comme une société secrète (baptême, rituels, serments secrets, hiérarchie, tribunaux internes) qui prend la défense de la culture Kikuyu (parfois de manière paramilitaire) et veut corriger les erreurs historiques qui les contraignent à la pauvreté et à la marginalisation politique. Leur volonté de retrouver les anciens rituels Kikuyu est une très claire attaque contre le Kenya né de l’indépendance (p. 131), contrebalancé par un appel constant au renouvellement générationnel, une régénération littéralement (p. 143). Très souvent opposés au gouvernement de Nairobi, les heurts avec la police peuvent être sanglants, voire meurtriers.

Le cinquième chapitre se déroule à Manille, au sein d’une confrérie, la Tao Gamma Phi. Cette dernière prend place au sein d’une société très hiérarchisée, l’une des plus inégale au monde, mais qui a été secoué par des mouvements sociaux égalitaires, très liés à la Passion christique, avec son corollaire de souffrances auto-infligées (p. 153). Et justement, pour rentrer dans cette confrérie (qui se bat contre d’autres), il faut passer au travers d’un rituel qui inclut de se faire frapper le postérieur de manière très répétée par une batte de cricket. Pourquoi de jeunes hommes adhèrent-ils à cette confrérie, qui pourtant ne peut leur promettre une ascension sociale (le développement des fraternités de quartiers pauvres correspond à la baisse du nombre de fraternités étudiantes dans les années 1990, p. 158) ou un réseau tel que le font les vraies confréries étudiantes à lettres grecques étatsuniennes ou philippines ?

On reste cette fois-ci en Asie dans la section suivante. Au Népal, la guérilla maoïste est rentrée dans le jeu institutionnel avec la fin de la guerre civile en 2006. Guérilla devenu parti, il comprend une organisation de jeunesse qui cherche à mobiliser les énergies en faveur de changements politiques, Le parti maoïste a accédé au pouvoir au Népal par intermittence à partir de 2008. Tout comme le parti libéral, le parti maoïste lutte contre le féodalisme népalais (avec des objectifs bien entendu différents mais tous deux mettent l’accent sur le jeunesse contre la gérontocratie des autres partis). Le fait pour un frère de devoir constituer la dot de sa sœur conduit à l’expatriation d’une bonne partie de la population et enferme les jeunes gens dans des trappes à pauvreté (p. 192). Entre consumérisme, famille omniprésente et un écart encore très grand entre ville et campagne, la vie de jeune militant maoïste n’est pas de tout repos.

L’Ouganda est le dernier pays visité dans ce livre, avec les deux derniers chapitres. Le premier de ces chapitres décrit le programme de « jeunes cadres » mis en place par le gouvernement dans la région de l’Acholiland (qui a connu la guerre civile entre 1986 et 2009). Suite à la fin officieuse des hostilités, entre autres avec la Lord’s Resistance Army (incertitude bien expliquée p. 214-215), le gouvernement de Kampala décide de se réimplanter dans le Nord, sur sa frontière avec le Soudan. Pour les jeunes formés (majoritairement issus de camps de déplacés), à mi-chemin entre un service armé et un service civil (ils doivent être les yeux et les oreilles du gouvernement en plus de marquer sa présence au Nord), il y a l’attrait d’une entité nébuleuse et féroce, l’Etat ougandais, et la possibilité de démarrer ainsi une carrière (mais avant tout de survivre), d’être quelqu’un une fois passé par une formation ritualisée (p. 222). Le dernier chapitre du livre se place ensuite de l’autre côté, chez d’anciens insurgés de l’Acholiland revenus à la vie civile. Démobilisés (dure critique du processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration ainsi que de certaines ONG p. 247-248), ils ne sont pas forcément libérés de leurs souvenirs et de leurs actes (enlèvement d’enfants pour en faire des soldats qui eux-mêmes conduiront d’autres enlèvements, exécutions, attaques de villages etc.) alors qu’ils sont en contact avec leurs victimes. Pour certains, l’appel du sang est toujours là (p. 247), avec en plus une perte de statut qui peut être ressentie durement.

Une description des contributeurs (tous rattachés à des organismes danois de recherche) et un index complètent cet ouvrage.

Le livre présente donc une grande variété d’études ethnologiques, conduites sur plusieurs années, dont aucune ne s’intéresse au djihadisme mais qui permettent néanmoins par analogie d’en approcher certaines réalités (la criminalité p. 42). La critique du terme radicalisation (comme acte normatif d’un gouvernement, p. 19) est claire, même si parfois les auteurs peuvent avoir du mal à en trouver un autre. Historiographiquement, les auteurs se situent du côté de la théorie dite critique (C. Mouffe et J. Butler p. 17), ce qui peut conduire à reprendre quelques discutables affirmations de A. Badiou (conservatisme capitalistique p. 18). De même, affirmer que religion et politique sont deux royaumes séparés depuis 1648 est peut-être présomptueux (p. 16). La littérature n’est qu’en langue anglaise, mais c’est peut-être du au lieu de production, le Danemark, plus tourné vers l’exportation de sa production scientifique.

Les contextualisations sont bonnes, même si parfois on peut se trouver en manque de détails dans certains articles (que font vraiment les confréries à Manille ? Pourquoi se battent-elles entre elles ?). Il faut aussi accepter le point de vue ethnologique, et de ne pouvoir ainsi faire que des généralisations approximatives (ce dont conscients les chercheurs). Parmi la pluralité des motifs qui conduisent à intégrer une organisation violente, pour les auteurs, celle de la survie prend souvent le pas sur l’adhésion idéologique. Comme chez O. Roy (cité p. 10), il y aurait ainsi d’abord mobilisation, puis éventuellement une coloration idéologique par après.

Mais peut-on comparer un déplacé ougandais qui cherche un moyen de subsistance d’un Européen économiquement intégré qui veut rejoindre la Mésopotamie islamiste ? Le livre ne répond pas à cette question …

(« le futur est difficile à prévoir, surtout quand il concerne l’avenir » a-t-il vraiment été dit pour la première fois par un humoriste danois p. 26 ? … 7)

 

Daesh, paroles de déserteurs

Recueil de témoignages édités par Thomas Dandois et François-Xavier Trégan.

Entrée gratuite, sortie payante.

Il existait jusqu’à présent des ouvrages sur les revenants français de Daesh. Certains étaient peut-être même des repentis, mais sûrement pas tous. Avec ce livre, notre image est complétée puisqu’il fait le choix de s’intéresser aux recrues locales (des Syriens et un Jordanien) de l’Etat Islamique (EI) qui ont fait le choix de la désertion.

Mais il n’y a pas que le fait d’avoir été membre, volontairement ou non, de l’EI qui relie ces gens (les adultes interrogés étaient tous volontaires, les deux enfants étaient des enfants soldats arrachés à leur famille). Ils ont aussi tous été exfiltrés par une organisation basée dans le sud de la Turquie et dont l’assèchement en ressources humaines est l’angle d’attaque contre l’EI. Et c’est visiblement une activité dangereuse. Mais comme cette organisation est conduite par des anciens habitants de Raqqa, cela a pour conséquence limitatrice que les témoignages recueillis par les deux auteurs sont ceux de gens provenant majoritairement de cette région ou de Deir ez-Zor tout en ayant l’avantage que ces mêmes témoins ont habités dans la région de la capitale syrienne de l’EI.

Mais les auteurs ne sont pas non plus dupes des gens qu’ils rencontrent, comme ils le soulignent dans le préambule : ils sont très déçus par l’EI, mais n’ont pas forcément renoncé au salafisme ou au jihadisme (p.13). Le préambule permet de présenter les méthodes utilisées, l’intérêt des témoignages croisés qui permettent des recoupements et certaines conditions d’entretien (un soir d’attentat p. 14).

Les six premiers chapitres permettent d’esquisser un portrait de l’organisation qui exfiltre les déserteurs de l’EI appelée Thuwwar Raqqa. On y apprend, dans la mesure où cela ne pose pas de problème sécuritaire, comment fonctionne cette organisation, les dangers encourus, sa naissance et ses évolutions. Thuwwar Raqqa rassemble aussi des documents sur l’EI, tant sur son ordre de bataille que sur ses ramifications plus civiles. Que sur ce point l’organisation fasse des appels du pied à l’endroit de services de renseignement (contre financement) paraît évident, et il est difficile pour le lecteur de prendre pour argent comptant tout ce qui est décrit. Toujours est-il que les deux auteurs (dont au moins un est arabophone) sont impressionnés. Le dernier chapitre de cette partie donne un avant-goût des témoignages, avec parfois des informations que l’on ne retrouvera pas forcément dans ces mêmes témoignages.

La seconde partie rassemble les témoignages, un par chapitre et onze en tout. Le premier est celui d’un dénommé Abou Ali. Jordanien mais ayant étudié en Syrie, il passe assez facilement la frontière pour rejoindre l’EI. Il est envoyé en formation théologique, où dès le premier jour on lui demande s’il veut participer à une mission suicide. Il ne peut faire confiance, tellement on peut vite passer de vie à trépas. Il dit avoir été choqué par le peu d’ouverture d’esprit des gens sur place … Après la formation théologique, trois semaines de formation militaire et direction le front. Brancardier puis gardien de prison, il déserte depuis Alep.

Le second témoignage est celui d’Abou Oussama. Il rejoint l’EI parce que ce sont eux qui ont rétabli l’ordre à Raqqa et qu’il est attiré par le Jihad. Puis suivent Abou Hozeifa (il est resté quatre ans et demi) qui a été le chef d’un check-point, Abou Maria un cuisinier aux premières loges de la corruption des émirs. Kaswara avait encore 14 ans quand il est devenu un agent de la sécurité intérieure de l’EI. Il a égorgé et fait égorger mais est parti après avoir subi un viol. L’instituteur Abou Fourat n’a pas été membre de l’EI mais s’est enfui et il a peut-être connu Moussa et Youssef, deux enfants soldats, eux aussi interrogés par les auteurs. Leur oncle apporte fait aussi le récit, très pessimiste, de comment les enfants sont attirés et formatés par Daesh, ce que confirme Abou Ahmad dans le chapitre suivant. Abou al-Abbas a quant à lui été chanteur pour l’EI et dans le dernier témoignage Rayan raconte comment, étudiant, il s’est retrouvé dans Al-Qaida puis l’EI parce qu’il avait été refusé par d’autres groupes rebelles. Une très courte postface veut mettre en garde le lecteur : la fin de l’emprise territoriale de l’EI n’est de loin pas la fin de l’organisation.

La forme du livre est dérangeante d’une certaine manière. Ce ne sont pas des témoignages bruts mis en forme mais des témoignages réécrits, sans indications. Ils sont très travaillés, peut-être même trop, et ne permettent pas de pouvoir retrouver les formulations originales, encore moins les questions des deux auteurs. Et des questions il y en a sûrement eu, comme presque chaque témoignage s’achève sur une exhortation à ne pas se joindre à l’EI. Les entretiens ont peut-être décousus mais il y avait sans doute moyen de plus respecter les paroles d’origine.

Dans leur insincérité, les témoignages sont intéressants, montrant bien la prise en main de la société syrienne par l’EI et son utilisation des enfants, comme d’autres totalitarismes avant eux (p. 167 entre autres). Les témoignages donnent une idée assez précise de l’attrait qu’a pu avoir ou que peut encore avoir cette organisation, avec des parcours divers qui amènent à s’engager, forcé ou non. Pour beaucoup de témoins adultes néanmoins, l’idée de départ n’était pas si mauvaise mais les jihadistes de l’EI ont tout gâché, surtout en invitant des combattants étrangers. Tous n’excluent pas de ne pas retourner combattre, en Birmanie par exemple (p. 104).

(le terreau est toujours là … 6)

L’Etat Islamique pris aux mots

Essai de géopolitique de Myriam Benraad.

La peinture n’est pas leur passion première.

En 2005 sortait en librairie, sous les plumes de Gilles Kepel et de Jean-Pierre Milelli, le livre Al-Qaida dans le texte. Depuis, pour des raisons idéologiques et stratégiques, l’Etat Islamique (EI) s’est détaché d’Al-Qaida en 2013 (voir sur ce point Will McCants dans ces lignes, mais pas dans la bibliographie) et son discours s’est donc franchement séparé de son ancienne appellation. Il n’était donc pas illogique que Myriam Benraad, une disciple de G. Kepel, s’attaque à l’analyse du discours de l’EI, dans le but d’explorer les ressorts idéologiques de l’EI et  sa vision du monde, pour finalement mieux le combattre sur le plan informationnel.

L’introduction précise les buts et la méthodologie du livre en accentuant sur la pensée binaire de l’EI (mais aussi par moment de G. W. Bush p. 8), qui cherche à supprimer la zone grise entre ce que l’EI appelle l’Occident (et donc l’apostasie) et eux (où le croyant est chez lui dans le califat et peut s’y réaliser). L’auteur dit aussi dans l’introduction analyser les écrits et les contenus audiovisuels de l’EI à travers une grille d’analyse classique du discours politique, en le confrontant avec la réalité. Pour ce faire, M. Benraad présente d’abord les supports médiatiques de l’EI (en trois pages) avant de passer aux vingt chapitres du livre, traitant chacun d’une dyade.

Le premier chapitre est intitulé « Orient et Occident ». Comme tous les autres chapitres, en exergue se trouve une citation qui sert d’illustration du texte qui suit. Le lecteur est de ce fait confronté au problème principal de la forme choisie dans cet ouvrage : le système de références choisi est imprécis du fait de la volonté de l’auteur d’utiliser le système dit « Harvard » avec seulement le nom de l’auteur et la date de publication, ce qui dispense, commodément, de donner un numéro de page (mais « allège » la page, puisqu’il n’y a plus de notes infrapaginales). Si l’on ne s’occupe que de fanzines limités en nombre de pages, c’est éventuellement jouable, mais quand on fait de même avec des ouvrages aux nombre de pages conséquents, c’est comme s’il n’y avait aucune référence. Toujours est-il que M. Benraad démontre avec justesse que l’EI se déclare comme l’Orient, et que ses ennemis sont donc l’Occident. L’auteur analyse avec justesse la construction d’un Occident simpliste par l’EI (les croisés, les Romains etc.) avec en sus, malgré une haine des orientalistes, un auto-orientalisme (p. 21-22) du fait de la venue de nombreux jeunes ayant vécu en Occident et qui ne se sont pas défaits de leurs codes culturels (voir de leur langue).

On retrouve la même architecture dans les chapitres qui suivent : civilisation et barbarie, Islam et mécréance, jihad et croisades, colonial et décolonial, unité et division, califat et démocratie, oumma et nation, Tyrannie et libération, corruption et justice, humiliation et revanche, grandeur et décadence, tradition et modernité (sans définition de ladite modernité), bien et mal, pur et impur (le culte moderne de la pureté p. 121), beauté et laideur (l’esthétique occidentale, celle du jeune urbain connecté p. 126-128), utopie et dystopie, immanent et transcendant, paradis et enfer et enfin, vie et mort. La conclusion souligne la nécessité d’un contre-discours et évoque les débats francophones sur le jihadisme de manière succincte et assez neutre (p. 158), précédant un glossaire des mots arabes (bien fait mais où on ne comprend pas la présence d’étoiles devant certains mots) et une courte bibliographie.

Ce livre se veut pédagogique (exposition des buts du livre, p. 13) mais ne peut hélas pas toujours éviter le simplisme (par exemple, une définition bien trop restrictive des croisades p. 39) ni par moments un retour à un texte pour les spécialistes (A. M. al-Zarqaoui est cité sans date p. 58). Il y a de très nombreuses très bonnes remarques dans ce livre (sur la pensée colonialiste de l’EI, sur le concept d’unicité dans le Coran p. 61, sur ce que le Coran favorise comme régime politique p. 67 ou encore par exemple sur l’anachronisme de l’oumma conceptualisée par l’EI p. 76) , fruit de nombreux travaux et d’une attention à ce qui s’écrit sur l’EI et le salafisme-jihadisme de par le monde, toujours avec la mise en avant de termes en langue arabe avec l’explication du sens que leur donne l’EI. Mais si l’on compare ce livre à sa référence, Al-Qaida dans le texte, les citations sont beaucoup moins longues et ne sont pas commentées, elles ne sont qu’illustrations. Le texte souffre aussi de répétitions et de faiblesses de constructions, voire de phrases obscures ou d’adjectifs mal choisis (p. 109). Une écriture trop rapide ?

De plus, plus gênant que ces remarques de forme, ce qui a notre sens plombe cet ouvrage est l’aisance avec laquelle sont cités certains noms dont on en voit pas avec clarté le lien avec le sujet, et qui donc se rapproche du lâcher de nom. Pourquoi citer E. Durkheim dans une comparaison entre le suicide en Occident et dans les pays arabes alors que le sociologue n’a pas travaillé sur cette aire (p. 154) ? Il en est de même avec H. Arendt (p. 115) ou K. Mannheim, le sociologue (p. 133). Cela manque d’explications, comme quand M. Benraad parle « d’approche politique démocratique » en Islam avant l’Occident (Athènes comprise ? p. 63) ou quand elle affirme que le kamikaze peut aussi se retrouver aussi dans les traditions juives et chrétiennes (p. 154), sans donner le moindre exemple. Il y a une claire volonté de faire direct et pratique, de montrer une voie, mais cela se fait ici au détriment de l’exposé.

C’est donc une petite déception que ce livre de 190 pages, qui n’est pas que défauts, loin de là, mais ne se hisse pas au niveau de son devancier.

(ah le lol-jihad, avec ses vidéos de chatons p. 23 … 6)

Les revenants

Enquête sur les jihadistes revenus en France par David Thomson.

Noir c'est noir ?
Noir c’est noir ?

David Thomson n’est aujourd’hui plus un inconnu. Journaliste à Tunis au moment du renversement de Z. Ben Ali, il a ses premiers contacts avec le salafisme et le salafisme-jihadisme. Ces contacts, il les garde dans les années qui suivent et peut suivre leur parcourt tout en rentrant en contact avec d’autres jihadistes francophones.  Avec les conversations qu’il a ainsi eues avec des hommes et des femmes qui sont partis en Syrie, Irak et Libye, il publie en 2014 un premier livre intitulé Les Français jihadistes. Deux ans plus tard, le travail très anthropologique de D. Thomson prend la forme d’un second livre basé sur les expériences des jihadistes, là encore hommes et femmes, qui sont revenus en France depuis les zones tenues par les jihadistes en Syrie et en Irak (200 déçus sur 1000 français partis, p. 73).

Chaque partie a son fil conducteur. Dans les cinq premières parties, c’est une conversation avec un ou plusieurs revenants, définissant de fait une typologie. Seule la dernière partie fait exception, puisqu’elle présente des jihadistes qui ne sont pas revenus et qui pour certains sont déjà morts.

« Bilel » (ce n’est pas son vrai nom) a fui l’Etat Islamique qu’il désertait en passant la frontière turque de manière presque clandestine. Presque, puisqu’il avait préparé son passage avec le consulat d’Istanbul et que ce dernier a prévenu les autorités turques de l’arrivée de Bilel et de sa famille. Au printemps 2014, Bilel avait rejoint la Syrie via le Maroc et la Turquie pour intégrer un groupe de combattants d’Al Qaïda. Début juillet, il rejoint l’EI après la proclamation du califat le 29 juin mais affirme n’avoir jamais combattu. Il y aurait eu des fonctions de chauffeur à Raqqa, surtout pour accueillir les combattants voulant rejoindre l’EI en provenance de Turquie. Selon lui, les Syriens ne souhaitent pas vivre sous la coupe de l’EI et prenant conscience de l’aspect totalitaire de l’EI (impression renforcée par les attentats de Paris le 13 novembre 2015), il profite d’une réorganisation de son travail pour passer dans une sorte de clandestinité avant de décider de revenir en France. Il est emprisonné en Turquie.

Yassin a lui eu à la fois de la chance et de la malchance dans son jihad. Il part, jeune vingtenaire, pour la Syrie à l’automne 2014. Mais après quelques semaines il est très gravement blessé à l’abdomen, une partie des intestins arrachés et opéré en urgence. Sa chance, c’est que sa famille au complet vient le chercher pour le ramener en France. Le plan marche parce que les deux parents sont médecins et que les jeunes sœurs de Yassin sont aussi du voyage pour atténuer la méfiance de l’EI. Mais le séjour n’est pas de tout repos, entre la protection des filles à assurer pour qu’elles ne soient pas mariées ni kidnappées, retrouver le fils blessé et pouvoir préparer ce dernier à la fuite vers la Turquie. Mais au retour, il faut s’expliquer avec les autorités …

La troisième partie est celle de Zoubeir, parti à 17 ans et devenu profondément désillusionné. A la grande différence de beaucoup de jihadistes revenus en France (environ 200), lui ne se revendique plus du salafisme, qu’il soit quiétiste ou jihadiste (il rejette même l’Islam pour tout dire, puisque pour lui il ne peut être que jihadiste, p. 153). Selon lui, les Français sur place reproduisent le mode de la vie de la cité, l’ultra-takfirisme (excommunication, rendant le meurtre de l’excommunié licite) en plus. Zoubeir est lui devenu jihadiste pour devenir quelqu’un (p. 95), admirant la piété pour voir au-delà du consumérisme. Devenu salafiste quiétiste grâce à une rencontre dans sa mosquée, il part  pour la Syrie sept mois après avoir été en contact avec un jihadiste via un réseau social, et en avoir par ce biais rencontré plein d’autres. Zoubeir hésite encore entre Al Qaïda et l’EI, mais quand un de ses contacts parisien part rejoindre l’EI, il franchit le pas fin 2013. Déjà attiré par la radicalité politique et en besoin de transcendance (p. 107), déjà éduqué religieusement, son voyage est facilité par un don anonyme et par le fait que l’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs n’est plus en vigueur. Sur place, Zoubeir remarque vite que l’une des raisons de l’afflux de combattants en Syrie semble lié à la frustration sexuelle. Les houris du paradis sont un thème central, tout comme la drague sur internet pour faire venir en Syrie des jeunes femmes d’Europe (et parfois la demande vient des jeunes femmes elles-mêmes qui rêvent du prince charmant en kamis, p. 192).

Zoubeir distingue aussi deux périodes. Avant 2014, le jihad en Syrie ressemble pour les jihadistes français à une grande colonie de vacances : peu de combats, une vie de patachon, avec, pour les jeunes de quartiers difficiles, la même vie centrée sur les femmes, l’or et les armes, mais avec une justification religieuse en plus à leurs déprédations (p. 127). Le tout avec force publications sur les réseaux sociaux. A partir de 2014, avec la hausse de la participation des intervenants extérieurs en Syrie et en Irak, le taux de mortalité augmente, tout comme le nombre d’auteurs d’attentats suicide. Avec les bombardements vient le dégoût et après un court passage chez Al-Qaïda, Zoubeir revient en France par la Turquie. Mais le récit que ce dernier livre à D. Thomson sur les jihadistes et leur emprise dans les prisons françaises n’est pas moins alarmant. Il y a rencontré certains des terroristes des années 2014 et 2015 (p. 133-149).

La partie suivante montre l’autre versant du jihad, celui des femmes. Elles n’ont pas le droit de combattre, mais leur implication et leur détermination n’est pas moins grande. Une vingtaine de femmes sur les 200 parties sont revenues de Syrie (p. 161). C’est beaucoup plus dure pour une femme de partir d’une zone contrôlée par des jihadistes, puisqu’elle ne peut se déplacer qu’avec son mari ou un tuteur (p. 161). Dans cette partie, l’auteur a donc interrogé près de 10% de cette cohorte. La première, Safya, a bénéficié de la clémence de la justice et du fait d’être une femme (la tentative d’attentat à la voiture piégée de septembre 2016 peut avoir fait bouger les lignes cependant, puisque le fait principalement d’un trio féminin). Mère célibataire d’un enfant conçu et porté en Syrie, elle est revenue pour accoucher sur l’insistance de sa mère et devant l’absence de péridurale en Syrie. Elle ne renie rien de son parcours. Lena est elle aussi revenue déçue de Syrie, mais reste idéologiquement inchangée. Son récit porte sur la vie des femmes jihadistes, en charge d’élever la prochaine génération de jihadistes. Il y aurait autour de 420 enfants français sur place, pour une partie sans existence légale en France (p. 176). Certaines femmes revendiquent pourtant le droit de perpétrer des attentats suicide, puisqu’elles reçoivent souvent une ceinture d’explosifs pour leur mariage. Les pertes chez les hommes aidant (195 Français ont déjà été tués sur place au moment de l’écriture de ce livre p. 93), il n’est pas impossible, malgré les préventions des émirs, que cela arrive. Une police des mœurs entièrement féminine (appelée hisbah) existait cependant dans les zones de l’EI avant d’être dissoute … pour violence injustifiée (p. 183). Lena est partie parce qu’elle pensait qu’elle serait mieux considérée comme femme « dans un pays vraiment musulman », aux violences considérées par elle comme légitimes, où elle ne serait pas considérée comme un bout de viande (p. 188). Sa désillusion est à la hauteur des attentes, quand elle est confrontée aux usines matrimoniales (p. 205), aux mariages express et aux divorces à la chaîne.

Mais tous les revenants ne sont pas issus de familles immigrées maghrébines. D. Thomson a aussi interrogé Quentin et Kevin, l’un niçois et l’autre breton, qui se sont convertis au début de l’adolescence et passent très vite au salafisme. Le portrait de Quentin est l’occasion de faire connaissance avec Omar Diaby, un prédicateur de rue qui a sévit à Nice et qui est responsable avec son adjoint Mourad Farès de nombreux départs vers la Syrie de jeunes Français (p. 228 et p. 232, peu en sont revenus).

Enfin, dans la sixième partie, il y a les portraits de quelques-uns de ceux qui ne sont pas revenus. Parmi eux, il est un ancien revendeur de stupéfiants cherchant à devenir rappeur (comme beaucoup de jihadistes européens p. 261) devenu soldat, imam et chanteur de nashids (poèmes religieux chantés a capella). Les autres portraits sont ceux de deux anciens de l’armée de terre (p. 267-273), dont l’un a  apporté avec lui un certain savoir-faire en Syrie (il serait passé par une unité commando) et un autre pourrait ainsi assouvir ses envies de meurtre en toute impunité en étant bourreau.

En fin de volume (avant quelques pages décrivant certains acteurs du livre), l’épilogue fait un résumé des différentes pistes dégagées par ce livre, qui demandent à être confirmées par des études plus larges : la place d’internet dans le recrutement, le besoin de transcendance, du ressentiment antisystème (p. 257) et de l’influence du rap dans la radicalité, celle de l’ennui et des cellules familiales dysfonctionnelles dans les envies de départ et la possibilité de passer d’un état supposé de minorité à la domination violente (le quartier, en étant et la racaille et la police, pour résumer). Quelle est aussi la place de la sexualité dans la volonté de rejoindre les combats dans une guerre civile (p. 113-117, il est des jihadistes homosexuels aussi p. 285) ? Quel peut être en face le discours institutionnel ? Pour l’auteur, montrer un islam républicain pour faire revenir les brebis dans la bergerie n’aura aucun effet (p. 287).

C’est incontestablement l’un des livres les plus pénétrants sur le jihadisme francophone de la fin de l’année 2016, et premièrement parce qu’il ne cherche pas à tous prix à donner des réponses mais veut tout d’abord donner du matériel à la réflexion d’autres, si possibles de spécialistes de la question. Il démarre certes sur l’expression d’une revanche que lui a donnée l’Histoire sur ses contradicteurs d’avril 2014 dans l’introduction (p. 12-14). Sa critique du concept très imprécis de déradicalisation (p. 91) et avant tout de son inefficience (p. 183) est argumentée et convaincante. Sa description du monde du jihad comme d’un monde inversé (sans cependant l’être totalement, puisqu’il reste consumériste p. 122-123) est une analyse assez plausible. Le racisme exacerbé (p. 211-212) semble aussi avoir choqué de nombreux jihadistes qui pensaient que tous étaient frères.

Le sérieux du thème n’empêche pas quelques libertés de ton journalistique, tendant parfois vers l’humour (p. 196 ou p. 217). Le propos n’est pas sec, aidé par des notes expliquant des termes spécifiques, et de ce fait ce livre se lit très facilement, maintenant un équilibre entre soucis de ne pas perdre le lecteur profane et exigence intellectuelle. Le livre n’évite pas quelques imprécisions (les « textes scripturaires » p. 97 ou dans la note p. 125, mais pour cette dernière c’est sûrement dans le but de rester clair en touchant un sujet très complexe) et quelques oublis lors de la relecture (la note p. 134 par exemple), mais ce sont quelques grains de sable dans la mer d’informations que nous livre le travail acharné et très sérieux de D. Thomson.

(il existerait des parents de jihadistes qui seraient juifs p. 124 … 8,5)

 

ISIS The State of Terror

Essai sur le jihadisme appliqué à une société de l’information par Jessica Stern et J.M. Berger.

Sale époque pour les égyptologues.

L’Etat Islamique (EI), ce n’est pas les Soviets plus l’électricité, mais bien le jihadisme (qui n’est de loin pas né au XXIe siècle) plus les réseaux sociaux. Al Qaida, avec ses cassettes puis ses vidéos montrant des hommes âgés lisant une conférence face caméra, fait tout de suite daté face aux sanglantes vidéos de l’EI transmises via Facebook ou Twitter. C’est cette évolution dont rendent compte les deux auteurs, l’une, J. Stern, étant une universitaire spécialisée dans le terrorisme, la violence et le trauma, et l’autre, J.M. Berger étant un spécialiste du lien entre le fanatisme (surtout aux Etats-Unis) et les réseaux sociaux. Après le contexte historique (J.-P. Filiu), le contexte culturel et mental (William McCants), l’image se complète avec ce livre qui explore un autre pan du phénomène Etat Islamique, celui de ses canaux de propagande et de recrutement, sans pour autant délaisser les autres caractéristiques de cet objet politique (ses relations avec Al Qaida par exemple).

Le livre (onze chapitres, un appendice bien fourni et 280 pages de texte) commence de manière assez pratique par un solide glossaire qui ne fait pas l’impasse sur la nuance, suivi par une chronologie et une note sur les sources électroniques qui sont utilisées et analysées. L’introduction pose d’excellentes bases en discutant plusieurs définitions, une intention pédagogique que l’on retrouve tout au long de l’ouvrage (notamment dès que le lecteur pas versé du tout dans les réseaux sociaux aborde des parties plus technologiques, comme p. 131 ou p. 149). Les deux premiers chapitres sont ceux de la contextualisation, replaçant l’EI dans le Moyen-Orient et le Levant tout en définissant sa place dans la galaxie jihadiste. Le troisième chapitre affine le dernier positionnement puisqu’il montre la grande différence qui existe entre Al Qaida et l’EI. Al Qaida se veut une société secrète sur le modèle bolchévique. Il est dur d’en faire partie, d’être reconnu et d’être accepté comme homme-lige par ceux qui se considèrent comme une avant-garde qui entraînera à sa suite l’Oumma (décrite comme martyrisée et faible) au travers d’un consentement éclairé (religieux). L’EI au contraire est facile à trouver (physiquement et sur internet) et leur objectif est beaucoup moins lointain puisque le califat (puissant, au contraire de la victimisation d’Al Qaida) est maintenant proclamé. Son organisation se veut moins centralisée, en réseau, avec des foules connectées, tout en sachant que l’appui des masses ne leur est pas acquis. Les deux groupes et leurs supporters se confrontent autant sur le terrain que dans le cyberespace (p. 63-72).

Les quatre chapitres suivants passent en revue ce qui, ensemble, fait la particularité de l’EI. Il est tout d’abord question des combattants étrangers, surtout occidentaux. Ils sont beaucoup utilisés, non seulement dans les opérations suicides, mais aussi dans les opérations de propagande. Puis les auteurs passent à la teneur du message colporté par l’EI, mais surtout la manière dont celui-ci est fabriqué, de manière de plus en plus professionnelle comme cela semble manifeste dans le montage des vidéos. L’EI se détache de plus en plus du « style Al Qaida » à partir de la mort de O. Ben Laden en 2011. Les auteurs détaillent les évolutions dans l’élaboration des vidéos (vues aériennes à partir de mai 2014 par exemple, p. 110) et comment l’EI s’en sert comme ballon d’essai pour son évolution (la proclamation du califat p.116). Le tout, toujours en plusieurs langues (p. 70). L’utilisation des moyens technologiques de communication par l’EI est une évolution prévisible compte tenu du fait qu’il était devenu de plus en plus facile de partager des images et des vidéos à partir des années 2000 et que des forums servaient déjà pour recruter ou passer des consignes. Youtube puis Facebook puis Twitter sont utilisés pour diffuser des messages ou pour attirer à soi, sans toujours que les entreprises qui gèrent ces services fasse toujours grand-chose, ou alors avec un temps de retard plus ou moins grand, pour contrer ces agissements (au contraire de la pédopornographie par exemple). Les auteurs discutent en profondeur de la stratégie dite du Tape-Taupe, quand on tape sur les comptes qui apparaissent, qui ressuscitent, qui sont à nouveau éliminés etc. Si bien sûr, si tous les comptent ne disparaissent pas, leur audience diminue immanquablement car celle-ci ne fait pas dans sa totalité l’effort de retrouver le compte et le titulaire du compte peut aussi se lasser. Les auteurs continuent leur étude dans le chapitre suivant en s’intéressant aux brigades électroniques, les individus derrière les comptes d’utilisateurs mais aussi ceux qui programment des logiciels permettant de démultiplier les messages et ainsi de faire passer le message au premier plan. La réaction de Twitter, malgré les pressions gouvernementales, tarde à venir, sans doute du fait du positionnement libertarien de ses dirigeants (p. 138) mais finit néanmoins par se mettre en marche (p. 183) puis s’intensifier.

La dernière partie revient à la constitution de l’EI en commençant par sa compétition avec Al Qaida, et en tout premier lieu pour attirer des groupes jihadistes dans le monde entier (p. 194-195) et recueillir leur allégeance au travers d’un lien personnel entre dirigeants. Là encore, la différence entre l’EI et Al Qaida semble patente quant aux communications entre ces groupes (constitués en provinces) et la direction de l’EI qui est bien plus efficace et régulière que ce que pouvait faire O. Ben Laden ou A. Al-Zawahiri (Al Qaida communique très peu, accentuant un effet centrifuge sur ses affiliés – p. 61 –  et parfois la publication des messages se fait avec un retard qui ridiculise le groupe, comme quand il réaffirme son allégeance au mollah Omar, dont la mort avait été annoncée par les Talibans quelques semaines auparavant, p. 285 …). Les deux auteurs passent ensuite à des thèmes peut-être moins abordés dans les ouvrages déjà parus sur le salafisme-jihadisme : qu’est-ce que la terreur (en citant la correspondance entre S. Freud et A . Einstein, p. 208), qu’est-ce que le mal et quel type de mal, celui qui décapite, qui réautorise l’esclavage et fait soldat des enfants,  est ici à l’œuvre ? J. Stern et J.M. Berger évoquent aussi le futur d’une société ainsi exposée à la violence, en mettant aussi en miroir les sociétés occidentales qui ont vu à partir du XVIIIe siècle une hausse de l’empathie qui se retrouve dans une approche totalement inverse de la décapitation (p. 206).

Ensuite, de manière très courte, il est question de l’aspect apocalyptique de l’EI, en rapport avec d’autres mouvements de ce type aux Etats-Unis. Mais ce chapitre ne souhaite clairement pas se substituer au livre de W. McCants ni à ce que peut dire J.-P. Filiu sur ce sujet (cité p. 220 et 223). Le dernier chapitre est une conclusion déguisée, qui rappelle les objectifs de l’EI (p. 249-250) et donne quelques pistes pour se protéger de sa propagande mais aussi la contrer, et surtout, in fine, qu’il ne sert à rien d’être contre l’EI si l’on n’est pour rien d’autre (p. 252).

Décidément, le puzzle se complète, et les pièces qui le composent sont grandes et ajustées. Ce livre est un éclairage tout à fait intéressant sur ce qui fait le fanatisme religieux aujourd’hui, mais qui le faisait déjà dans les décennies précédentes : la vue en arrière sur le plan religieux et moral n’empêche nullement l’utilisation des technologies du jour (dans un genre tout autre, comme chez certains Juifs ultra-orthodoxes). C’est ce qui permet aux Shebabs  somaliens de recruter à Minneapolis (p. 160). Mais ce qui est possible ici, l’est d’une manière permis par ceux qui possèdent le champ de bataille (p. 247, le milieu en fait, communément appelé cyberespace) : l’Occident, et au premier rang les Etats-Unis. Si l’EI a les coudées franches sur Facebook, puis après que Facebook fasse le ménage (p. 161-163), puisse se réfugier sans problème sur Twitter (avant d’y rencontrer enfin une résistance, p. 167), ce n’est pas grâce à sa puissance mais plutôt devant une absence de volonté.

Le livre, qui bien sûr au vu de l’actualité du sujet a dû être écrit avec une certaine célérité, n’est pas sans imprécisions. Parmi elles nous noterons celle sur l’abolition de la peine de mort en France (p. 209), celle sur les victimes de l’attentat ayant ciblé Charlie Hebdo (p. 285), sur la question du génocide en Bosnie-Herzégovine (p. 82) ou encore le fait que Abou Bakr Al-Bagdadi aurait étudié le droit islamique (p. 37, alors que c’est la récitation coranique). Imprécisions très périphériques donc, et qui donc ne font pas baisser le niveau de ce livre embrassant un spectre très large de références,  aux notes très abondantes, fruit d’un travail de collaboration très abouti et qui donne au lecteur des clefs de compréhension qui lui serviront à coup sûr. Qui plus est, le livre est écrit de manière directe et claire, dans un anglais courant cherchant toujours la pleine compréhension du lecteur et sans redites, ce qui n’est jamais un point négatif (et un peu d’humour p. 202).

Il va sans dire que ce livre mérite une rapide traduction.

(très éclairante comparaison EI/IIIe Reich p. 115 quant à la publicité des atrocités …8)

The ISIS Apocalypse

Essai historique sur l’Etat Islamique (Daech) de William McCants.

Celui de Patmos a tué bien moins de gens.

Arrivé sur le devant de la scène médiatique occidentale en juin 2014 avec la prise de Mossoul, l’Etat Islamique (EI) n’en est toujours pas reparti. Chacun a bien compris que ce n’était pas les considérations humanitaires les plus larges qui guidaient l’action de ce groupe qui déjà s’étendait entre l’Irak et la Syrie, avant de se proclamer comme califat le 29 juin de la même année.

Mais avec William McCants on quitte la sidération surmédiatisée pour plonger dans une explication de très haut niveau, centrée sur les fondements historico-théologiques du groupe EI et éclairant de plus la place de l’EI parmi les groupes salafistes-jihadistes de niveau mondial (en six chapitres et 240 pages de texte).

L’ouvrage démarre avec une très courte introduction avant s’atteler à expliquer le drapeau noir de l’EI (où se trouve écrite la profession de foi islamique). Et pour expliquer pourquoi ce drapeau noir est devenu une marque mondialement connue au point de flotter devant certaines maisons de banlieues étatsuniennes (qui n’y voyaient sincèrement pas à mal), l’auteur commence par détailler la vie de Abou Moussab al-Zarqaoui, un petit délinquant jordanien qui entre en contact avec Al-Qaida et fait part de sa fascination pour Nur al-Din et Saladin et sa haine des Chiites. Le régime taliban en Afghanistan ayant été stoppé dans son intention de se former en Etat dit islamique, Al-Qaida pense que sa chance est en Irak et avant même l’invasion étatsunienne, y missionne al-Zarqaoui (qui pourtant est déjà à ce moment-là pas sur la même ligne stratégique que Ben Laden) pour y mettre en place des réseaux et y agir dans le désordre qui naîtra immanquablement d’une telle invasion. Et les dissensions entre la branche mésopotamienne et le centre d’al-Qaida ne cessent pas, prenant même une autre tournure avec la proclamation d’un Etat en Irak en 2007, contre l’avis du Centre et usant de termes ayant pour but de convaincre les observateurs que le chef de l’EI était en fait un calife (et donc que son drapeau devait naturellement être celui de Mahomet, noir).

Mais la mayonnaise ne prend pas comme espéré (chapitre 2). Abou Ayyoub al-Masri (qui est en théorie subordonné au « commandeur des croyants » Abou Omar al-Baghdadi) a succédé à al-Zarkaoui en 2006 et c’est lui qui a souhaité établir au plus vite un Etat, croyant en l’arrivée imminente du Mahdi, le Messie annoncé par les hadiths. Cette croyance a bien sûr une résonnance dans la propagande de l’EI, mais semble avoir peu de réceptions favorables en Irak où devant la violence déployée par l’EI, des tribus sunnites se coalisent pour se battre contre le groupe (avec l’aide des troupes de Bagdad, p. 45) et les Etats-Unis portent des coups à ses dirigeants. En 2009, l’EI est considéré par les autres groupes jihadistes comme en voie de disparition et son Etat comme inexistant.

Le chapitre suivant porte un éclairage sur trois mouvements jihadistes qui permettent la remontée en puissance de l’EI (bien favorisée aussi par la politique anti-sunnite menée par le gouvernement de Bagdad). Le premier d’entre eux est Al-Qaida dans la péninsule arabique où Nayif al-Qahtani est le maître d’œuvre de la propagande et le rédacteur en chef de l’Echo des batailles, qui reprend le drapeau de l’EI dans ses publications. Samir Kahn, qui avec Anwar al-Awliki, créé le magazine de langue anglaise Inspire (toujours pour AQPA) est aussi actif au Yémen où al-Qaida s’attaque aux forces gouvernementales et aux tribus. Le second mouvement est le somalien al-Shabab et le troisième est al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Est analysé dans le livre leurs liens avec Al-Qaida central et l’EI, ou comment le lien de subordination envers Ben Laden est souvent que très très théorique mais aussi comment ils échouent à gouverner les territoires qu’ils contrôlent. Le chapitre s’achève sur la confusion qu’amènent les printemps arabes en 2011, car le drapeau de l’EI flotte en divers endroits dans les mains de groupes islamistes sans qu’il y ait de liens formels avec al-Qaida. Il est devenu est symbole de protestation.

Le quatrième chapitre est celui de la quasi-résurrection de l’EI, avec l’arrivée en mai 2010 de Abou Bakr al-Bagdadi (qui comme son prédécesseur n’est pas de Bagdad, mais marque une obligation édictée par les prophéties apocalyptiques prisées par l’EI) après la mort de Abou Omar (abattu dans sa propre maison). Abou Bakr, n’étant pas autorisé à étudier le droit en 1991 se rabat sur la théologie, étudiant plus particulièrement la récitation du Coran. Après un passage chez les Frères Musulmans, il rejoint al-Qaida en 2006 pour être en charge de la charia. Il défend sa thèse en 2007. Mais ce qui marque la renaissance de l’EI ce n’est pas le changement de chef, mais la mise en pratique du livre Le Management de la Sauvagerie, écrit par Abou Bakr Naji en 2004 en plus de l’extension de son combat à la Syrie sous le nom de Jabat al-Nosra. En 2012, ce même groupe sort de la clandestinité pour se transformer en groupe insurgé et être plus à l’écoute des besoins locaux (peut-être sous l’influence du théoricien du jihad al-Suri) et ainsi gagner des appuis locaux et même internationaux (p. 84-86), mais pas sans oppression une fois le terrain conquis. Mais vite des tensions naissent entre Jabat al-Nosra et l’EI en Irak, obligeant al-Qaida à tenter une médiation qui échoue. Les deux groupes se combattent et des attaques-suicides sont même utilisées, avec pour résultat que le plus méchant attire des combattants de l’autre camp (le « badness factor », p. 89).

Le chapitre cinquième analyse plus en profondeur les croyances apocalyptiques sur lesquelles se basent l’EI (de telles croyances ne se limitent de loin pas aux seuls salafistes-jihadistes). L’une d’elle fait du Levant le lieu de la bataille finale menant à l’apocalypse, avec la place éminente que les étrangers (convertis ou non habitants du pays) doivent y prendre. Et au Levant, la localité de Dabiq est celle où précisément doit se conclure ce combat (et qui logiquement donne son nom à une revue de propagande). L’auteur explique par ailleurs le lien de cette prophétie avec la dynastie omeyyade (p. 103), tout comme il explique le messianisme et l’anti-chiisme radical qui animent l’EI.

Enfin, dans un sixième et dernier chapitre, W. McCants étudie la question du califat, déclaré en juin 2014 et qui marque la séparation entre al-Qaida (qui ne souhaitait pas une telle proclamation, bien trop prématurée) et l’EI. Les drapeaux s’accompagnent de bannières déclarant le califat déclaré en accord avec méthode prophétique (c’est-à-dire de Mahomet), avec une nouvelle monnaie devant évoquer les premières monnaies islamiques (qui n’existent pas avant les Omeyyades, et sur un modèle qui ferait bondir les salafistes d’aujourd’hui, p. 127). Cette déclaration fait naitre un débat parmi les savants du salafisme (p. 128, peu de savants pour l’instauration), et al-Qaida tente pour un court temps de faire passer le mollah Omar pour un contre-calife (même s’il n’est pas reconnu comme calife mais comme commandeur des croyants). Mais Mahomet n’est pas la seule inspiration de l’EI, la dynastie abbasside (telle que vue par ces jihadistes, parce que la vérité est plus baroque, mais qui eux aussi arrivèrent au pouvoir à la faveur d’une ambiance mystique et apocalyptique) fournissant aussi des modèles (p. 131). Mais la possibilité que l’EI puisse conquérir Bagdad, capitale des Abbassides, avec sa majorité chiite, est plus que faible …

La conclusion, qui rappelle l’influence démultiplicatrice de l’invasion étatsunienne de 2003 sur l’apocalypticisme sunnite (rejoignant ainsi un trait plus chiite, avec force complotisme, p. 145) fait une distinction entre l’apocalypticisme lent de Ben Laden qui est dépassé par sa version rapide, celle de Zarqaoui, martelé par sa propagande (et les très fines différences avec le wahhabisme séoudien, p. 136-138). W. McCants affirme ensuite que tout ceci est très loin de ce que voulait Ben Laden (et que le succès de l’EI est surtout du au fait qu’il a eu les coudées franches, p. 153) et que pour lui la stratégie occidentale actuelle est la meilleure possible dans ce contexte. Le livre est complété par des appendices sur les prophéties apocalyptiques sunnites, par les nombreuses notes et un index.

On repose ce livre avec un seul regret : il aurait pu être plus gros pour en apprendre encore plus. Le début de l’ouvrage donne d’ailleurs le ton, avec l’analyse des différences entre Ben Laden et Zarqaoui, deux générations qui ne tirent pas les mêmes leçons des expériences jihadistes passées (comme en Algérie, p. 13, ou plus loin, p. 68-69). Les explications du drapeau (p. 20) et de l’inspiration abbasside (p. 26-27) sont lumineuses (mais on a quelques sérieux doutes sur les 100 000 croisés de la Première Croisade, p. 24). La suite est tout aussi excellente, claire, pédagogique et très fouillée. On tourne les pages sans même le remarquer. Les notes font la bagatelle de 49 pages, renvoyant vers de nombreux types de documents (y compris des polémiques via Twitter, p. 95). L’auteur fait part en fin d’ouvrage des possibilités d’évolutions de l’EI et des contradictions qu’il a à résoudre (comme le fait que les anciens baathistes soient nombreux dans l’appareil, p. 79). Se dirige-t-on vers une temporisation dans le millénariste apocalyptique ou une fin des temps sans Mahdi (p. 142-144) ? Ce livre est donc un très bon complément de celui de P.-J. Luizard, Le piège Daech (voir ici), étudiant le temps présent et les relations inter-jihadistes alors que P.-J. Luizard mettait en lumière les tendances longues agitant la Syrie et l’Irak.

Mais comme dans les romans de Georges Martin, il ne faut pas trop s’attacher aux personnages …

(Ben Laden, cet écolo p. 66 … 8,5)

Le piège Daech

Essai d’histoire du Levant et de la Mésopotamie contemporains de Pierre-Jean Luizard.

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L’histoire vue comme un bon gros bâton !

L’Etat Islamique, ou EI ou Daech, a fait une irruption plus que remarquée sur les écrans du monde entier en 2014, lors de ce qui était déjà la huitième année de son existence. Ce mouvement a pris la place de Al Qaida comme première organisation terroriste sunnite du monde en faisant deux choix stratégiques opposés : là où Al Qaida entendait gagner l’assentiment populaire pour pouvoir faire revivre le califat au travers d’un chef charismatique (O. Ben Laden) et dans un jihad déterritorialisé, l’EI a choisit de se tailler un domaine et d’instaurer le califat sans avoir à sa tête un chef charismatique. Certes, l’EI a accumulé les ralliements de groupes salafistes-jihadistes du monde entier du fait de ses succès (sans phagocyter entièrement les groupes locaux d’Al Qaida) et sa propagande particulièrement bien pensée pour cibler l’Occident a fait mouche, mais est-ce que ce groupe ne s’inscrit pas tout autant dans l’histoire du monde arabe d’après la fin de l’Empire ottoman que dans celle de la crise du monde musulman ? Pierre-Jean Luizard inscrit l’expansion de l’EI dans l’histoire de la Syrie et de l’Irak et démontrant surtout l’échec de l’imposition du concept d’Etat-Nation dans l’ancien Empire ottoman. Un siècle après, la rivière de l’histoire fait une résurgence karstique …

Après une très courte introduction expliquant l’objectif du livre, le premier chapitre entre tout de suite dans le vif du sujet avec l’irruption de l’EI en janvier 2014 à Falloujah (à 70 km de Bagdad) qui crève les écrans internationaux. L’armée irakienne subit déroute sur déroute, surtout parce qu’elle est formée de clientèle chiite et qu’elle s’est comportée comme une armée d’occupation dans les zones sunnites d’Irak. Mossoul et Tikrit sont rapidement, et avec elles des stocks plus que conséquents d’armes et de très grosses sommes d’argent (pour Mossoul, on parle de plus de 300 millions d’euros). Les Kurdes sont d’abord complices des actions de l’EI, avant par la suite de se distancer d’eux. Une fois la conquête faite, l’EI s’attaque à la corruption (en exécutant ceux qu’elle considère comme corrompus ou spéculateurs) et transmet le pouvoir local aux chefs tribaux, à la condition qu’ils appliquent les standards moraux de l’EI et n’affichent pas d’autre drapeau. En juin, les deux tiers de l’Irak sunnite sont aux mains de l’EI, ce qui pose la question de savoir si c’est encore un groupe terroriste ou déjà une organisation étatique qui risque de mettre à bas tout le système régional. L’EI ne se contente pas de rassembler les sunnites minoritaires oppressés par les chiites (après avoir eux-mêmes dirigé l’Irak pendant 80 ans), il internationalise le conflit en contestant les frontières issues des mandats et de fait la légitimité des Etats, et en attirant de nombreux jihadistes d’Europe, du Maghreb et d’Asie centrale (pour répondre de manière internationaliste à la coalition internationale qui se met en place).

Ces frontières sont issues du démantèlement de l’Empire ottoman, symbolisé par les accords Sykes-Picot. Le second chapitre retrace l’histoire de ces frontières et comment les populations de ces territoires finirent, souvent dans le sang, à accepter les nouveaux Etats (des Etats-Nations sans Nations …) que délimitent ces frontières, poussés par les puissances mandataires (qui avaient trahies leurs nombreuses et contradictoires promesses de la Première Guerre Mondiale) et leurs intérêts. Le rêve chérifien n’ayant pas vu le jour, l’idée panarabiste est reprise comme élément de discours par les partis nationalistes dans le but de prendre le pouvoir au niveau des Etats. Puis le troisième chapitre rappelle une constante dans l’histoire irakienne : l’Etat y est toujours contre la société, que ce soit quand il est aux mains des Sunnites (entre 1920 et 2003) comme quand il est dirigé par les Chiites (depuis 2003), mais être Kurde ne compte pas comme être Sunnite même si vous l’êtes … Avec les divisions confessionnelles et ethniques, il faut en plus aussi prendre en compte les tribus dont certaines ne sont arrivées en Mésopotamie qu’au début du XXe siècle (p. 73). Certaines d’ailleurs se convertissent (entièrement ou en partie) au chiisme, plus favorable aux opprimés (nous sommes dans un système bédouin ou les nomades ont l’ascendant sur les sédentarisés) et qui compte deux villes saintes en Irak (Kerbala et Najaf). L’urbanisation ne met pas fin au système tribal, il le déplace seulement dans les quartiers ou les immeubles.

Cette fragmentation irakienne ne se retrouve pas en Syrie (le quatrième chapitre) avant la guerre civile (près de 70% d’Arabes sunnites et de très nombreuses minorités composent la population en 2010). Le parti Baas est fondé dans les années 30 par un Grec Catholique, un Alaouite et un Sunnite. Il devient le parti des minoritaires qui veulent échapper à ce statut, avant qu’ en Syrie, les Sunnites y adhèrent en masse à partir de 1952 et du succès apparent du nassérisme. Seulement, à partir du début des années 60, les Alaouites commencent leur colonisation de l’armée (c’est aussi le fait des Druzes et des Ismaéliens). Hafez El-Assad prend le pouvoir en 1970 et cinq ans après, les Alaouites occupent 60% des postes d’officiers (mais les clans en son sein continuent de rivaliser, p. 101). En février-mars 2011, dans le cadre des Printemps arabes, les protestataires scandent des slogans pluriconfessionnels, mais c’est la très dure répression qui favorise la communautarisation du soulèvement. A l fin de l’année 2011, le sentiment anti-alaouite a fortement progressé, surtout dans la majorité sunnite (dont l’auteur souligne la forte tradition hanbalite, tradition qui a donné naissance au wahabisme, p. 105). Mais surtout revient à la surface un anti-chiisme violent, alors que justement le gouvernement s’est allié à l’Iran. Ce dernier fait aussi le choix de la confessionnalisation en combattant principalement l’opposition dite « modérée » et laissant les coudées franches aux groupes jihadistes afin d’obliger les puissances extérieures à le soutenir (alors qu’il avait soutenu les jihadistes quand les Etats-Unis étaient en Irak …).

Avec deux Etats en lambeaux, voir faillis, la situation régionale peut-elle encore empirer ? C’est l’objet du cinquième chapitre. L’Iran soutient sans se cacher le gouvernement irakien (qui est tout simplement son client). Le Liban, du fait de ses liens avec la Syrie, de sa fragmentation et des réfugiés qui en nombre sont venus sauver leur vie dans ce petit pays côtier, peut légitimement craindre une extension du conflit sur son sol. La Jordanie, fragilisée et ayant beaucoup de ses nationaux sous la bannière du jihad, est soutenue par les Etats occidentaux, et au premier rang desquels, les Etats-Unis. L’Arabie Saoudite, déjà très engagée au Yémen, finance divers groupes salafistes-jihadistes, dont certains ce sont retournés contre la main qui les nourrit. Enfin, la Turquie a cru pouvoir soutenir des Kurdes à l’extérieur du pays sans que cela ait de conséquences en Turquie même tandis que sa sortie du monolithisme kémaliste (nécessaire à l’AKP pour affirmer un islam politique) a aussi réveillé les revendications des alévis et remet en cause la touranité des groupes minoritaires. Pariant sur une chute rapide d’un gouvernement syrien qui était pourtant son allié, le gouvernement turc se range au côté de l’opposition. C’est positionnement aujourd’hui très critiqué en Turquie et sa politique néo-ottomane est plus qu’à l’arrêt.

Le dernier chapitre se recentre sur l’EI et son expansion en Syrie et en Irak. L’EI n’a pas fait que proclamer le califat, il tient à en faire un vrai Etat. S’il souhaite détruire les frontières mandataires, il ne méconnait pas les frontières ethniques et religieuses et surtout prend en compte l’existence des tribus même si de nombreux combattants étrangers affluent. L’EI appointe des juges, a une police des mœurs, a relancé les écoles et les universités (avec un programme bien entendu différent) et cherche à satisfaire les besoins de la population. Son service de propagande est maintenant bien connu et il est spécifiquement dirigé contre l’Occident (p. 169). L’auteur se garde de donner des solutions et même de faire de la prospective. Avec raison, puisque depuis la parution du livre, au début de l’année 2015, les choses ont encore bien changé, avec une plus forte présence russe en Syrie par exemple.

Ce livre, assez court (180 pages) et écrit gros, est une très bonne introduction à ce qui agite le Proche-Orient. Néanmoins, on voit que la spécialité de l’auteur est l’histoire de la zone (et si les notes infrapaginales sont peu nombreuses, on sent les sources sérieuses, par exemples sur les liens institutionnels entre religion et pouvoir, p. 67), mais pas le jihadisme. Le discours est très pédagogique, et donc d’une grande clarté. Il y a des cartes mais des cartes plus historiées et sériées auraient été un plus, puisque la situation tactique locale change tout de même très rapidement. Par contre les repères chronologiques en fin de volume sont assez pratiques. Un bon point de départ.

Qui se poursuivra bien vite dans cette veine !

(le double-jeu kurde p. 23 expliques certaines actions étatsuniennes contre les camions citernes transportant du pétrole de contrebande … 7,5)