Viking Worlds

Things, Spaces and Movement
Actes de colloque sous la direction de Marianne Hem Eriksen, Unn Pedersen, Bernt Rundberget, Irmelin Axelsen et Heidi Lund Berg.

Porte ouverte sur un pré verdoyant.

Il est toujours bon de revenir vers le Septentrion, de boire au tonneau de Mimr sans sacrifier un œil ou de passer quelques jours et nuits pendu à Yggdrasil. Il y avait longtemps que l’on ne l’avait pas fait, et cela nous manquait. Viking Worlds vient donc à point, en rassemblant  treize contributions, majoritairement de « jeunes chercheurs » au colloque tenu à Oslo en mars 2013. Ces contributions sont réunies en trois parties : espaces réels et idéaux, objets et espaces genrés (avec un point d’interrogation) et enfin une dernière partie intitulée production, échange et mouvement.

L’introduction met la barre haute et laisse même penser que le livre va envoyer un pavé dans la mare en parlant d’avancées fondamentales sur le sujet des femmes combattantes (autres que walkyries, p. 3-6). Mais de ceci il n’est hélas nullement question dans le reste du livre, douchant d’autant l’impérieux enthousiasme né dans l’introduction. Mais la lecture reste néanmoins très intéressante, avec des sujets et des méthodes d’acquisition des connaissances très diverses.

Le premier chapitre réinterroge d’un point de vue archéologique et étymologique la halle nobiliaire, un lieu emblématique de l’âge viking, et le second chapitre, de très haute volée, analyse la description d’une telle halle dans le poème Husdrapa (source non publiée). Mais est-ce une description d’un lieu existant ? Le chapitre suivant s’éloigne des halles pour passer aux lieux de rassemblement en Norvège occidentale, en tant que lieu de justice et de politique qui se retrouve aussi en Islande. Le Danemark n’est pas oublié avec une étude toponymique dans l’arrière-pays de du complexe palatial de Tyssø. La partie s’achève une contribution qui s’éloigne pas trop de Tyssø en expliquant l’importance de l’anneau dans la constitution de lieux sacrés (celui en or de Tyssø pèse deux kilos …). Les deux articles sur la halle et les lieux de rassemblement nous semblent les plus intéressants dans cette partie, même si les critères pour qualifier un bâtiment de halle nobiliaire pourraient être affinés en déterminant un nombre minimum de critères permettant cette qualification (p. 15).

La seconde partie démarre avec la mise en lumière de la sépulture d’une jeune fille ayant vécu dans la place marchande de Birka (Suède). Cette sépulture met en relief la place de Birka au sein d’un réseau commercial très étendu. L’article suivant s’éloigne de la côte pour s’intéresser à l’estive en Islande et à la répartition du travail selon le sexe. Quel était le lien entre l’alpage et la ferme ? Quels étaient les contacts entre les différents membres de la famille ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles l’auteur tente de répondre. La question des clefs, qui semblaient tranchée depuis plus d’un siècle, revient sur le devant de la scène dans le dernier article de cette partie, avec un ton très critique et un propos très historiographique. L’article sur Birka est cependant quelque peu décevant, n’entrant sans doute pas assez dans les détails. Par contre, l’article sur l’estive a été une réelle découverte pour nous, très finement écrit et même avec d’utiles rappels (sur la fiabilité des évènements extérieurs à Islande rapportés dans les sagas familiales islandaises, p. 104). L’utilisation du terme de préhistoire scandinave pour l’époque viking dans l’article sur les clefs nous semble tout de même faux (p. 128), mais il est vrai que cet article est de manière générale assez nébuleux. L’auteur se veut penser l’archéologie foucaldienne, où il n’y a plus de Vérité, mais s’en plains dans le même temps … La forme y gêne plus que le fond, mais on se rapproche malheureusement aussi de l’anachronisme (p. 134-135).

La dernière partie est introduite par un article plutôt généraliste (mais néanmoins très bon) sur le commerce au Haut Moyen-Âge, avec un petit accent mis sur la Scandinavie. Il est suivi par une contribution plutôt technique sur le tissage dans tous ses aspects, mais qui s’intéresse tant aux tissus et aux pesons (dont le poids et la forme sont déterminants) qu’à ceux qui tissent. Le métal fait lien avec le papier suivant qui met en lumière le travail du plomb en Norvège, suivi presque logiquement avec celui sur l’analyse isotopique de l’argent de différents trésors découverts au Danemark.  Le volume voit enfin sa conclusion avec un article sur les Vikings en Pologne, un sujet il est vrai rarement central dans ce genre de livres, mais qui a aussi été défavorisé par la Guerre Froide qui a coupé la Scandinavie de la production scientifique polonaise (en polonais). Il semble pourtant qu’il y ait beaucoup à dire sur la présence viking sur les bords sud-est de la Baltique. L’article sur le tissage et ses évolutions est d’un grand intérêt (comment est faite une voile, l’élément le plus cher d’un bateau) et il est amusant de savoir qu’il existe des festivals vikings florissants en Pologne (p. 215-216).

Comme les thèmes sont passionnants, ce livre se lit goulument. Les auteurs écrivent de manière globalement claire, rendant le tout accessible au non-spécialiste (mais qui a quelques notions cependant). Chaque contribution est introduite par un résumé et accompagnée d’une bibliographie. Il y a de nombreuses illustrations dans le texte, dont certaines en couleur. Un bel exemple de ce qui se fait de nos jours dans le monde anglo-saxon et assimilé dans l’étude de la Scandinavie alto-médiévale. Mais le coup de l’introduction reste un peu en travers de la gorge …

(beaucoup de premières pierres dont on espère voir le chemin qu’elles deviendront … 7,5)

Le guide Howard

Guide de l’œuvre littéraire de Robert E. Howard par Patrice Louinet.

Pas de travail du chapeau.

La réédition toilettée de l’intégrale des aventures de Conan, avec les textes établis (c’est raconté p. 197), traduits et commentés par Patrice Louinet avait fait entrer la réception du héros le plus connu de Robert Howard dans une autre ère. Mais P. Louinet ne s’étant pas contenté de Conan et étant parmi les meilleurs spécialistes mondiaux de l’œuvre howardienne, il était le plus indiqué pour signer un guide, proche dans sa forme du guide sur Philip Dick et pourtant pas identique.

Le but de l’auteur est clair dès l’introduction : il veut que Robert Howard soit enfin reconnu comme un auteur de premier plan, qui a concouru à la définition d’un pan entier des littératures de l’imaginaire (la fantasy épique ou « heroic fantasy » ou encore « sword and sorcery »), à l’égal de J.R.R. Tolkien donc, en le séparant de ses continuateurs qui n’ont fait que mal réécrire ou trahir son œuvre, mais ont aussi colporté des mensonges intéressés sur sa biographie.

Pour ce faire, la première des onze parties de ce livre porte sur dix idées reçues auquel un lecteur pourrait avoir été confrontées : son enfance misérable, sa sympathie pour le fascisme, sa croyance en un Conan ayant existé … Et dès cette partie, P. Louinet ne fait pas mystère de son ressentiment envers ceux qui ont voulu récupérer les œuvres de R. Howard, et au premier rang d’entre eux, les époux Sprague de Camp. Ils seront éreintés, avec d’autres et souvent avec un humour féroce, tout au long de ce guide.

La seconde partie est composée de vingt fiches de lecture, présentant les vingt nouvelles que P. Louinet juge comme indispensables et les premiers à devoir être lus. Ce n’est pas un classement selon leur qualité mais surtout au travers du commentaire qui accompagne chaque fiche d’une mise en relief, afin de montrer les étapes successives dans l’œuvre importante de R. Howard qui ne se limite de loin pas à la vingtaine de nouvelles mettant Conan en scène mais va du récit dit de confession aux nouvelles de boxe et aux récits paléolithiques.

La biographie prend place dans le troisième chapitre. Elle est d’une facture classique et ramassée, commençant avec les parents de R. Howard et s’achevant avec eux, puisque sa mère survit un jour à son fils unique (il s’est suicidé après avoir appris que sa mère ne sortirait plus du coma) et que son père ne meurt qu’en 1944, non sans avoir essayé de tirer inélégamment parti des écrits de son fils.

La partie suivante revient aux textes, avec une liste de vingt autres écrits qui peuvent mériter une lecture, principalement pour balayer tout le spectre de la production de notre Texan. La liste est augmentée de dix entrées au chapitre suivant, avec de courtes annotations.

La partie suivante a pour objectif de démêler le vrai du faux en ce qui concerne Conan. Y est discuté sa qualité de barbare, de sa citation la plus célèbre (celle sur les ennemis et leurs femmes, p.179) ou, entre autres choses, des femmes que l’on croise dans ses aventures. « Sur Howard » est le titre de la partie suivante. Il reprend le même genre de jeu question-réponse que dans le chapitre précédent, cette fois-ci sur les magazines pulps, sur la filiation littéraire de R. Howard mais aussi sur sa machine à écrire.

Puis P. Louinet passe en revue les adaptations sur tous types d’écrans, de plateaux et de papiers des nouvelles ou seulement des héros de R. Howard. Il n’hésite pas à donner un avis, généralement tranché (p. 233-234, p. 243, un festival). C’est rarement positif et le ton est donné dès le début, en affirmant qu’il n’existe aucune adaptation de R. Howard au cinéma (p. 225). Quittant l’auteur, P. Louinet se retourne vers l’entourage réel et artistique de R. Howard en le comparant à Tolkien (p. 247), en parlant de l’influence de F. Frazetta  ou de Glenn Lord dans le succès posthume mais c’est aussi la partie où il démontre pourquoi il en veut aux époux de Camp (p. 253-258).

Enfin, avant la bibliographie indicative commentée et la très rapide conclusion, P. Louinet reproduit plusieurs extraits de lettres que R. Howard envoya à H.P. Lovecraft. Les deux écrivains échangèrent beaucoup de lettres, furent indéniablement amis malgré leurs profondes différences, mais ne se rencontrèrent jamais.

De nombreuses et courtes anecdotes parsèment le livre, apportant des informations de manière ludique.

Ah on est loin du rythme d’écriture d’un Alain Damasio avec R. Howard ! Et ce n’est pas que le premier jet est déjà parfait, il y a quantité de retouches avant qu’une nouvelle ne soit envoyé à un magazine même s’il aimait à prétendre le contraire. Pour une carrière qui a duré douze ans, entre 1924 et 1936, ce fut diablement prolifique. Et il est mort à 30 ans … Cet aspect météoritique est bien rendu dans ce guide qui marie très bien le guide de lecture aux questionnements sur l’homme, modelé par son contexte. Il est proche de H.P. Lovecraft mais n’est pas phagocyté par lui, il s’adresse à un public ravagé par la crise de 29 (p. 126), qui cherche l’évasion mais aussi exprime une défiance puissante envers la politique. Au travers de ce qu’il dit de la civilisation, il rappelle à ses lecteurs que la chute peut très bien ne pas s’arrêter, mais de manière poétique.

Les illustrations monochromes dans le texte appellent le lecteur à les chercher en couleur pour se faire aussi une idée de la sensualité calibrée de l’auteur, calibrée pour le lectorat (et ce qu’en pensait les éditeurs) et pour se retrouver en couverture du magazine. P. Louinet connaît évidemment très bien son sujet et tisse une toile qui relie entre eux les différents héros de R. Howard et donne envie, par son enthousiasme ciblé et son érudition, de connaître plus avant cet auteur du Texas qui a su faire voyager et rêver des générations de lecteurs. On regrettera juste de petites imprécisions de langage (balnéaire ou thermale ? p. 120) ou de cohérence (deux dates différentes p. 130 et 133) et une assez incompréhensible faute (voix/voie p. 120). Les répétitions de « le Texan » lassent un peu sur la fin …

Il y a donc de grandes chances que ces bons conseils portent quelques fruits.

(le père de Howard fit nettoyer la voiture dans laquelle ce dernier se suicida d’une balle dans la tête et la conduisit encore plusieurs années … 8)