Alamut

Roman historique de Vladimir Bartol.

Des fleurs dans le désert.

Au Nord de l’Iran, dans le massif de l’Elbourz, en 1092. Deux jeunes gens arrivent à Alamut, la forteresse des Ismaéliens nizârites. La première est Halima, jeune et splendide esclave vendue à Bukhara et qui se retrouve dans le harem paradisiaque d’Alamut en compagnie d’une vingtaine d’autres filles. Et puis il y a Avani Ibn Tahrir, petit-fils d’un martyr connu de l’ismaélisme et que son père envoie à la forteresse pour servir son maître, Hassan Ibn Saba. Ce à quoi est destiné Halima reste obscur pour le lecteur comme pour la jeune femme pendant assez longtemps, mais ce que devient Ibn Tahrir est assez vite clair : il devient un soldat de la forteresse, mais dans un genre particulier. L’entraînement ne se limite pas au maniement des armes et aux exercices physiques, il se complète par une formation médicale, poétique, mathématique mais surtout dogmatique. Le but, former des combattants d’élite, aux ordres directs d’Ibn Saba le nouveau Prophète. Mais pour que ces combattants se transforment en « couteaux humains », aptes à remplir toutes les missions au mépris de leur vie, il faut leur donner un avant-goût du paradis, un paradis qu’ils aspireront de toutes leurs forces à retrouver. Et c’est là que les trajectoires d’Ibn Tahrir et ses compagnons fedayins d’un côté, et d’Halima et les autres courtisanes de l’autre, vont se croiser.

Le roman s’appuie sur un fond historique très solide, qui est celui de la secte ismaélienne (branche du chiisme) des Hashashins, établie en une sorte de royaume indépendant entre le XIe et et le XIIIe siècles au Nord de l’Iran actuel. Militairement peu nombreuse, la communauté acquiert historiquement le respect de ses voisins chiites, sunnites (seldjoukides) et chrétiens (en Syrie) en pratiquant l’assassinat ciblé de princes et le roman prend place dans les deux premières années de l’établissement de la secte à la forteresse d’Alamut. Historiquement fondé, mais pas sans remaniement par l’auteur. On peut en effet plus que douter que Hassan Ibn Saba ait développé en tant que chef ismaélien une pensée aussi nihiliste après un parcours philosophique aussi complet. Cet aspect nous semble plus à rattacher à l’objectif du slovène V. Bartol de démontrer que la politisation de la religion amène à la terreur, que la moralité peut-être abolie ou que les adeptes peuvent avoir des doutes (et être idéologiquement plus sincères) mais suivent tout de même le maître. Dans le contexte de 1938 dénoncer l’aveuglement idéologique à tendance mystique peut vous attirer des ennemis venant d’endroits différents … Mais si l’on compare à des évènements historiques encore plus récents, dans les années 1980, ce n’est pas mieux dans la même zone géographique avec un vieux monsieur qui envoie lui aussi des jeunes gens fanatisés à la mort (par vagues cette fois-ci). Pour revenir à la fin des années 30, l’auteur est plus précis quand il fait dire à Hassan Ibn Saba qu’il souhaite créer un « homme nouveau » (p. 270), marqueur s’il en est de deux totalitarismes qui se veulent des modèles en Europe. Le roman nous a aussi fait penser à Dune, certes de part sa thématique (et certains termes, fatalement), mais aussi au travers de la figure de Minutcheher, le chef militaire d’Alamut, que l’on peut rapprocher de Stilgar réalisant que le charisme religieux animant des « enragés » met la compétence martiale au second plan (p. 407-408).

Il y a certains moments un peu mous vers le premier tiers du livre, la traduction des poèmes (élément central du personnage de Ibn Tahrir) ne leurs rend sûrement pas justice, mais le final est très enlevé en mêlant l’action à des éléments de contexte géopolitiques de manière très habile (même si on peut considérer comme un peu bâclée la dernière scène avec Ibn Tahrir), en ménageant des rebondissements pas téléphonés tout en cochant les cases de ce que doit être un roman sur les Assassins comprenant des scènes de harem.

Un roman solide, qui a encore des échos aujourd’hui en Slovénie comme en Iran, comme nous le verrons.

(c’est ce roman qui est à l’origine de la série vidéoludique à succès Assassin’s Creed … 7,5)

Le Trophée

Nouvelle de science-fiction de Christian Léourier.

Mais que s’est-il passé ?

Avant de présenter la collection Une Heure Lumière à la manière plaisante d’un dépliant d’agence de voyage un peu étrange (et après une introduction regrettant que cette même collection n’ait pas fait naître chez les auteurs francophones de SF un attrait pour le roman court après sept années d’existence), le hors-série 2023 de la collection propose au lecteur une fort intéressante nouvelle qui voit une initiation tribale prendre une autre tournure.

Ilann, un homme au sang mêlé et sans clan, participe à la très traditionnelle chasse au matt, cette bête musclée au rostre proéminent (sorte de croisement entre le rhinocéros et le gnou) dans le défilé de Skarth. Ilann réussit à abattre le matt sur lequel il avait réussi à grimper. Cependant il ne reçoit pas le symbole de sa victoire et de son nouveau statut parmi les Haelites. Au lieu de cela, pour pouvoir obtenir la cordelette écarlate de la part de la Mère, il doit emmener la dépouille de sa victime à la Colline Sacrée à l’aide d’un traîneau. Mais peut-être ne fera-t-il pas le voyage retour à vide …

Cette nouvelle est à classer dans la catégorie « science fiction subtile ». Pas de batailles à coup de lasers, pas de hackers dans des villes pluvieuses, juste un voyage comme on pourrait en faire dans une œuvre se déroulant dans un environnement pré-industriel (si l’on ne tient pas compte de la faune). Il y a juste quelques petites allusions, sur une Venue, des gens qui ont un rapport différent à la modernité, une tradition pas partagée par tous, des descendants laissés sur ce qui doit donc être une autre planète. Et en fin de compte cela crée une tension chez le lecteur qui donne son sel à cette nouvelle. Alors certes, c’est un peu la foire aux néologismes au tout début, mais le format étant ce qu’il est …

Encore un hors-série du Bélial qui éveille la curiosité !

(échec et matt ! …8)