Le Trophée

Nouvelle de science-fiction de Christian Léourier.

Mais que s’est-il passé ?

Avant de présenter la collection Une Heure Lumière à la manière plaisante d’un dépliant d’agence de voyage un peu étrange (et après une introduction regrettant que cette même collection n’ait pas fait naître chez les auteurs francophones de SF un attrait pour le roman court après sept années d’existence), le hors-série 2023 de la collection propose au lecteur une fort intéressante nouvelle qui voit une initiation tribale prendre une autre tournure.

Ilann, un homme au sang mêlé et sans clan, participe à la très traditionnelle chasse au matt, cette bête musclée au rostre proéminent (sorte de croisement entre le rhinocéros et le gnou) dans le défilé de Skarth. Ilann réussit à abattre le matt sur lequel il avait réussi à grimper. Cependant il ne reçoit pas le symbole de sa victoire et de son nouveau statut parmi les Haelites. Au lieu de cela, pour pouvoir obtenir la cordelette écarlate de la part de la Mère, il doit emmener la dépouille de sa victime à la Colline Sacrée à l’aide d’un traîneau. Mais peut-être ne fera-t-il pas le voyage retour à vide …

Cette nouvelle est à classer dans la catégorie « science fiction subtile ». Pas de batailles à coup de lasers, pas de hackers dans des villes pluvieuses, juste un voyage comme on pourrait en faire dans une œuvre se déroulant dans un environnement pré-industriel (si l’on ne tient pas compte de la faune). Il y a juste quelques petites allusions, sur une Venue, des gens qui ont un rapport différent à la modernité, une tradition pas partagée par tous, des descendants laissés sur ce qui doit donc être une autre planète. Et en fin de compte cela crée une tension chez le lecteur qui donne son sel à cette nouvelle. Alors certes, c’est un peu la foire aux néologismes au tout début, mais le format étant ce qu’il est …

Encore un hors-série du Bélial qui éveille la curiosité !

(échec et matt ! …8)

La millième nuit

Roman de science-fiction de Alastair Reynolds.

Sans Capitaine Cousteau.

D’Abigail Gentian sont issus 999 clones qui se retrouvent tous les deux cent mille ans pendant mille jours et nuits sur une planète pour rêver les expériences des autres et ainsi mettre à jour leur informations. Lors de la millième nuit doit être révélé le meilleur rêve (ou fil) et son auteur est alors en charge d’organiser la prochaine rencontre. Campion, un membre de la lignée, remarque une incohérence dans un fil présenté. Associé à son amante Purslane, il entreprend de vérifier son intuition. Mais est-il ce faisant en train de se mettre en travers du plus grand projet galactique ayant existé, allant bien au-delà des rivalités internes au clan ?

Pour un soi-disant tenant de la Hard-SF, l’auteur conte son histoire avec beaucoup de poésie et en cela la couverture reflète très bien le contenu. Le côté Hard-SF est plus à voir dans les caractéristiques du monde : les vaisseaux spatiaux par exemple, s’ils peuvent être construits en partie avec des composants organiques, ne peuvent que s’approcher de la vitesse de la lumière. Aussi les voyages sont extraordinairement longs dans toute la galaxie. Les clones étant virtuellement immortels, ce n’est pas un problème pour eux, mais les informations qu’ils se transmettent sont déjà périmées (nous aussi nous voyons des lumières du passé quand nous regardons les étoiles). C’est ce problème de l’unité de la galaxie, d’un temps partagé, qui est au cœur de ce court roman en plus de celui de l’humanité multiforme. Deux thèmes qui sont aussi présents dans Dune.

L’histoire développe les personnages aussi bien que ce type de format le permet, et l’auteur montre à plusieurs reprises son tour de main et son expérience dans des situations où il ne va pas au plus simple, toujours en accordant une attention particulière aux descriptions sensorielles (le retour de l’esprit dans le corps de la p. 93 par exemple, « le sentiment d’être comprimé dans une bouteille trop petite »). Et puis il y a de jolis rebondissements !

Un excellent roman, tout à fait digne de la collection.

(tous clones, tous différents … 8)

Neuro-science-fiction

Les cerveaux d’ailleurs et de demain
Essai sur le cerveau dans la science-fiction par Laurent Vercueil.

Beaucoup de matière (grise).

Le cerveau et ses fonctions cachées est un thème assez répandu dans la SF qui a, semble-t-il, connu un pic avec les années 1970 et l’action des psychotropes dans le déblocage de capacités insoupçonnées et surpuissantes. Mais les années 80 n’ont pas forcément délaissé cet organe (peu sexy) en le cybernétisant comme dans le cyberpunk. Les extraterrestres, entre Krang des Tortues Ninjas et les envahisseurs de Mars attaque, semblent aussi avoir besoin de ce genre d’accessoires. Toutes ces apparitions et utilisations sont rassemblées dans ce livre écrit par un neurologue grand lecteur de science-fiction.

La première partie prend pour thème le cerveau des extraterrestres en se basant sur la description de l’intelligence des envahisseurs de la Guerre des Mondes de H. G. Wells. En premier lieu, elle se doit d’être vaste. Il est donc question de la possibilité d’une boîte crânienne surdimensionnée pour des extraterrestres mais l’auteur aborde aussi les possibles types d’intelligence (il n’y a pas de définition universellement acceptée de ce qu’est l’intelligence p. 45) ou les intelligences multiples. Mais l’alien est aussi calme. Il a une maîtrise absolue de ses émotions, ce qui emporte des capacités métaboliques particulières. Par contre, cette maîtrise des émotions peut aussi résulter de dommages ou d’opérations du cerveau, conduisant à une plus faible réponse à certains stimulus. Ou alors ils ont des émotions et ne les prennent juste pas en compte. La dernières caractéristique de l’intelligence extraterrestre est l’impitoyabilité. L’alien peut-il éprouver de l’empathie ? Comment un humain peut-il en manquer ?

La seconde partie, plus grande en nombre de pages, s’intéresse à ce que peuvent faire les cerveaux dans la science fiction et quel est le regard que peuvent porter aujourd’hui les neurosciences sur ces fonctionnalités. Première possibilité abordée, l’extension de l’intelligence. Seconde possibilité, la multiplication des cerveaux. En troisième position vient la réduction ou la suppression du sommeil, permettant de consacrer le temps gagné à acquérir du savoir. Mais peut-être pouvons-nous exploiter les rêves aussi ?

Enfin, pour peut-être se libérer de l’enveloppe charnelle, pourrons-nous placer notre cerveau dans une cuve et atteindre ainsi l’immortalité. Mais cela ne signifie pas que notre mémoire ne pourra pas être modifiée … L. Vercueil veut aussi rappeler que le cerveau peut voyager dans le temps, que certains envisagent la greffe de tête (mais attention, le cerveau est plus ou moins à la remorque de l’expérience corporelle p. 233), ou, au moins, de pouvoir lire dans les pensées. Jusqu’à prédire l’avenir ? A chacune des actions potentielles du cerveau, rencontrée dans dans la SF, tant ancienne que récente, l’auteur apporte des réponses sur la faisabilité et partage avec le lecteur la possibilité que cela advienne un jour en spécifiant l’état actuel des connaissances.

Il y a dans ce livre l’alliance de deux hauts niveaux de connaissances, l’un en littérature de l’imaginaire et l’autre en neurologie. Et c’est aussi un peu ce qui est attendu du lecteur, pour qui la lecture ne sera pas toujours aisée. Certes il y a le glossaire (très utile mais pas très long), mais on ne sait pas qu’il existe avant d’y arriver. Du coup, c’est le grand saut dans la piscine d’eau glacée. Ou alors ce n’est pas à lire quand il est encore tôt pour le cerveau du lecteur. Mais en dehors de la difficulté, le lecteur est récompensé par une foule de considérations très intéressantes,où il apprendra surtout des choses sur notre cerveau, sur les types d’intelligences (même si l’auteur est partagé sur la question p. 48-50), sur le rôle des hémisphères du cerveau (p. 145, où le gauche invente un truc pour se sortir de l’embarras!) mais aussi sur la fonction de ralentisseur qu’ont eu les dinosaures dans notre propre développement par rapport à des extraterrestres (p. 54). On ne le suivra par contre pas sur le conspirationnisme reptilien qui serait apparu avec internet. La série V lui est pourtant bien antérieure ! Sur la caducité du concept de cerveau reptilien, L. Vercueil est par contre bien plus convaincant (p. 141-143, fonctions réparties et non hiérarchisées) et le passage sur la nécessité du sommeil est excellent (« le lit nous tend les draps » p. 153). En définitive, un peu d’humour accompagnant une excellente vulgarisation appuyée sur de la science-fiction de toutes époques (qui donne envie d’être lue), entrecoupé dans ses 270 pages de texte de très bonnes illustrations. Encore un très bon volume de la série Parallaxe.

(Kant a fait de la SF  p. 22 et Arthur Clark rappelle l’ahurissante responsabilité d’être seul dans l’univers p. 107 … 7)

Simulacres martiens

Roman de science-fiction de Eric Brown.

Avait de l’effet en noir et blanc !

H.G. Wells rentre en collision avec A. Conan Doyle, voilà le point de départ de ce court roman (qui a déjà connu un premier épisode publié dans la revue Bifrost). En 1907, la Terre a subit l’attaque des Martiens et leurs fameux tripodes, suivie d’une seconde venue martienne (une fois réglé les problèmes virologiques qui avaient mis un coup d’arrêt à l’invasion) qui établit des relations diplomatiques.

Le vice-ambassadeur de Mars en Grande-Bretagne s’annonce justement chez Holmes et Watson. Il souhaiterait leurs assistance dans l’élucidation du meurtre d’un philosophe martien d’importance, avec à la clef un voyage vers la planète rouge. Pour Holmes, toujours aussi curieux et locuteur du parler martien, l’occasion est belle d’en savoir plus sur les extraterrestres. Si seulement le philosophe en question, censé être une sommité, apparaissait dans les encyclopédies et revues sur Mars. Qu’à cela ne tienne, l’appel du mystère est bien trop grand et Holmes et Watson affronteront les cinq semaines de voyages pour se rendre sur Mars. On verra bien sur place !

Roman court, trop court, tant il donne l’impression de s’arrêter au milieu du gué. L’idée de base est extrêmement plaisante mais l’auteur nous semble avoir peine à s’en dégager pour raconter une histoire qui va au delà du placardage de noms. On voit passer Chesterton et Shaw en militants anti-martiens, Holmes et Watson ont vieilli, les dissonances entre technologie martienne et terrienne secouent visiblement la société mais derrière cela, les caractéristiques de base de l’enquête holmesienne ne nous semblent pas respectées. Pas de fulgurances inductives, pas de théories avancées par Watson que Sherlock viendrait gentiment mettre à bas. Holmes est toujours curieux, pas le plus intelligent de sa fratrie, mais il est simple spectateur de son aventure martienne, bien au delà du flegme et du détachement qu’il affecte. Le roman est plaisant à lire, pas exempt de fausses pistes amusantes, mais à la fin le lecteur a tout de même le sentiment qu’il aurait pu y avoir autre chose,de plus grand, de plus fort, de plus intelligent, de plus époustouflant, de plus osé.

Mais au moins les Martiens ont l’air rigolos !

(mais heureusement l’histoire n’est pas irrespectueuse de l’univers holmesien … 6)

La Longue Terre

Roman de science-fiction de Terry Pratchett et Stephen Baxter.

En écoutant Led Zeppelin.

Quelqu’un a publié sur internet le schéma d’un petit appareil électronique sans fer qui tire son énergie d’une patate. Une fois monté, ce petit appareil permet à son détenteur de changer de monde selon que l’on pousse l’interrupteur vers l’ouest ou l’est. S’ouvrent alors des perspectives folles : chacun pourrait ainsi aller dans ces mondes adjacents dont le nombre est indéterminé, mais surtout accéder à ses ressources. Tout ceci a des conséquences économiques et sociales extrêmement lourdes, mais dans un premier temps il s’agit surtout de retrouver les enfants et les adolescents qui ont été les premiers à expérimenter le dispositif qui permet le Passage. A Madison dans le Wisconsin, où se trouve le savant qui a publié le schéma, c’est Josué Valienté, un jeune homme orphelin élevé par les nonnes qui permet le sauvetage de ces jeunes expérimentateurs. Par la même, il prend conscience de son don de Passeur-né, un de ceux qui n’ont pas besoin du petit appareil et qui ne dégobillent pas après le Passage …

Dans les semaines et les mois qui suivent, chaque pays essaie de s’adapter à la nouvelle donne. Les interdictions de passages sont inefficaces (mais aussi peu nombreuses). Explorateurs, colons et libertariens partent de la Primeterre pour les Terres parallèles (qui sont toutes des répliques de la Terre), entraînant une récession généralisée, accrue par la possibilité de revenir vers la Primeterre avec des ressources qui sont virtuellement infinies (si on peut soi-même les porter et que ce n’est pas féreux). Les Etats essaient d’établir leur souveraineté sur leurs territoires parallèles et en conséquence, les colons vont de plus en plus loin.

Mais Josué Valienté est de ceux qui la plupart du temps cherchent à échapper à la présence humaine. Son expérience d’explorateur et sa capacité à passer de monde en monde sans effets physiologiques font qu’il est recruté quelques années après le Jour du Passage par Lobsang, une intelligence artificielle qui dit être la réincarnation d’un réparateur de mobylette tibétain. Lui veut comprendre la Longue Terre et pour cela se propose d’aller explorer les « Hauts-Mégas », au-delà de la 200 000e Terre vers l’ouest, à l’aide d’un dirigeable baptisé Mark Twain (qui formera son enveloppe corporelle) et ainsi pourra effectuer des passages à très grande fréquence. Une exploration qui n’est pas sans dangers, petits et grands.

Ce livre est la mise en application de l’adage bien connu de T. Pratchett : « La science-fiction, c’est de la fantasy avec des boulons ». A base de chapitres alternant arc narratif et ambiance, c’est dans ce tome (la série en compte cinq) principalement de la SF d’exploration qui est servie au lecteur. Des mondes avec leur faune et leurs particularités que les protagonistes choisissent ou non de voir de plus près que du haut du dirigeable. C’est donc d’une certaine manière une longue exposition, à la limite du longuet. Au moins les bases sont correctement posées ! Au début on peut penser à Ambre mais la question de la double polarité est assez vite écartée (explication du concept p. 300). L’œuvre aborde plusieurs thèmes, mais très présent sont ceux de l’économie (lumineux p. 73) et de l’exclusion. Tous ne partent pas, tous ne peuvent pas partir. Aussi l’influence de la pensée de H. Thoreau nous semble assez sensible, mais de manière très équilibrée. Au-delà de l’exploration des mondes, c’est aussi en parallèle une exploration assez piquante guidée par les grandes œuvres de la science-fiction. Des références sont entre autres faites à Robur le Conquérant de J. Verne (p. 303, mais il faudrait vérifier que c’est aussi le cas dans la version anglaise), Blade Runner (p. 318), R. Heinlein (p. 339) ou encore F. Herbert (et son océan conscient du Programme Conscience p. 426 ?). Etrangement, on peut aussi voir à la p. 323 un petit écho du débat français sur l’identité nationale d’avant 2012. Le style est moins porté sur l’humour que dans les Pratchett classiques (mais pour le traducteur cela reste très demandant), même si les bons mots et les personnages truculents ne sont pas absents, loin de là. S. Baxter s’est vraisemblablement chargé des aspects physiques (de tous types, de la métallurgie à l’astrophysique, en passant par les effets transmondes). Les ambiguïtés sont savamment dosées, comme il sied à des auteurs très expérimentés et de ce calibre. Mais l’aspect final donne une impression générale de décousu, de pistes ouvertes sans lendemain, sans doute dû au découpage du cycle mais aussi à une priorité donnée aux développements comico-philosophiques du duo homme-machine Josué/Lobsang sur les implications des découvertes.

C’est donc un début.

(époustouflant français phonétique p. 14 quand un Anglais essaie de parler à des Russes … 6)

Après Dune I : Les Chasseurs de Dune

Roman de science-fiction de Brian Herbert et Kevin Anderson.

Une couverture qui ne ment pas.

La fin de la Maison des Mères laissait le lecteur en plein mystère. Qui donc est ce vieux couple aux pouvoirs visiblement immenses qui en voulait de manière peu claire, de manière presque incongrue, aux passagers du non-vaisseau que sont les personnages principaux du livre. Aux dires de Brian Herbert, son père Franck aurait laissé un synopsis de la suite (et fin), avec quelques idées. Partant de cela, les deux auteurs entreprennent de donner une fin au cycle de Dune, qui se présente pour des raisons éditoriales en deux volumes en langue française.

Trois trames parallèles composent ce premier tome. La première est centrée sur les occupants du non-vaisseau qui se déplace sans but, toujours plus loin vers les planètes de la Dispersion. Avec le ghola Duncan Idaho, des Bene Gesserit dissidentes, des survivants Juifs, un Maître du Tleilax et quatre Futars (hommes-félins) organisent leur vie dans un immense vaisseau, sous la menace constante du couple de petits vieux. Le second récit est celui de la fusion en un seul Ordre du Bene Gesserit et des Honorées Matriarches, sous la conduite de Murbella. Cette dernière a la certitude que seul un Ordre uni et fort aura une chance dans la confrontation qui vient avec l’Ennemi que les Honorées Matriarches fuient. Une fusion qui ne va pas sans heurts, entre survivances de distinctions et dissidences. Le nouvel Ordre a certes le monopole de la production d’Epice suite à la vitrification de Rakis (anciennement Dune) grâce aux vers des sables sauvés par Sheeana mais la Guilde Spatiale cherche d’autres sources d’approvisionnement en essayant de retrouver comment produire l’Epice à partir des cuves axolotl du Bene Tleilax. Le fait que les Honorées Matriarches aient annihilé les Tleilaxu n’aide pas à résoudre le problème. La dernière trame concerne les Danseurs-Visage revenus de la Dispersion, ces change-formes qui sont devenus indépendants de leurs maîtres tleilaxu. Ils obéissent aux plans du couple de petits vieux mais ils ont aussi leurs objectifs propres.

Se remettre à la page de nombreuses années après la lecture du précédent épisode n’a pas été simple, même avec ce qui se veut une aide très maladroite en tout début de livre. Mais les souvenirs nous sont revenus en cours de route et le contexte de départ s’éclaircit assez vite. A tel point qu’il semble que nous avons déjà lu ce livre … qui ne nous a donc pas laissé une très grande trace …

Nous nous sommes lancés dans la lecture avec appréhension. Les livres précédents du duo d’auteurs nous avait laissé un goût assez amer, pour le moins, même si tout n’était pas uniforme ni uniformément mauvais (certes, toujours en regard de la série originale du père). Pour tout dire, nous avons voulu lire ce livre pour y trouver certaines pistes pouvant mener aux idées de F. Herbert pour avoir une image de ce que ce dernier souhaitait comme point final à sa saga. Hélas, les années (ou le marketing) n’ont pas apporté aux deux auteurs la solution pour écrire de meilleures choses avec un tel matériel. A nouveau, tout est délayé. C’est long, lent et manque toujours autant de réflexion de la part des personnages. Leurs tourments nous sont majoritairement incroyables, au premier sens du terme. Certains éléments du scénario (à trous), et ce parmi les plus centraux, se voient arriver de très loin. Le livre est de plus marqué par un nombre très important d’illogismes, qui mettent à mal l’histoire et se trouvent mis à nu dans certains dialogues bâclés. Il n’est certes pas impossible que certains de ces illogismes et incohérences soient ceux de F. Herbert (en reprise de ce qui se passe déjà dans la Maison des Mères, comme cette histoire de tableau de Van Gogh p. 255) mais cela fait tout de même vraiment beaucoup.

Dans cette fange, il y a néanmoins (comme dans les autres livres du duo) quelques pépites au scintillement un peu falot. Il y a par exemple p. 311 un intéressant parallèle inversé avec l’enfance d’Héraklès avec ce qui se passe dans le berceau du ghola Léto II. Mais est-ce dans l’esprit de la série ?

Cette première partie est donc, comme nous le craignons, une déception. Trop d’incohérences, trop de pages, trop de gholas sans justification un peu assise et à la vie antérieure trop présente, trop d’action, trop de fils blancs cousus, trop de Mentats (pour bien peu d’intelligence). Et en plus, la quatrième de couverture vend la mèche … Nous lirons, malheureusement, la seconde partie dans le même esprit. Ou pas, si nous retrouvons les notes d’une première lecture …

(faut-il voir une référence à I. Asimov p. 169 ? … 4)

Dune

Exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers
Recueil d’articles sur une approche scientifico-culturelle du cycle de Dune, sous la direction de Roland Lehoucq.

Ce poignard est une insulte québecoise.

La sortie d’une nouvelle adaptation filmée du roman de F. Herbert a bien entendu fait éclore de nombreux projets éditoriaux, comme nous avons déjà pu le voir plus haut dans ces lignes avec le Mook. Et ce livre a justement beaucoup à voir avec ce dernier (paru après lui). Déjà (au-delà des thèmes analogues) des dix auteurs présents ici, cinq ont contribué aussi au Mook. Mais surtout, les articles de ces mêmes cinq auteurs semblent être les versions longues de ce qu’ils ont écrit dans le Mook. Certains passages sont mêmes identiques. Il y a donc clairement des chevauchements, mais cela n’entame en rien l’intérêt de ce livre qui offre des points de vue et des informations qu’il ne nous semble pas avoir lus ailleurs.

Comme Dune est un cycle prenant place principalement sur la planète Arrakis, c’est avec l’astrophysique que le tour d’horizon commence. Avec les indications données par F. Herbert, il est possible d’estimer quelles devraient être les relations des principales planètes avec leur étoile, les conditions au sol et les possibilités d’existence de tels corps célestes. Qui dit planètes dit aussi distances à parcourir, la solidité de l’Empire reposant en premier lieu sur des temps de voyages très réduits. L’on passe ainsi naturellement à la question très épineuse du voyage spatial à très grandes distances, que F. Herbert a résolu en faisant contracter l’espace aux Navigateurs de la Guilde.

Le lecteur est ensuite amené sur la surface d’Arrakis pour d’abord parler biologie (et F. Herbert semble très au fait des derniers développements des années 1960, p. 63), c’est-à-dire du Ver et de son rapport à la planète, puis ensuite de l’épice en s’interrogeant sur ses caractéristiques et sa composition probable. Peut-être est-elle, dans une certaine mesure, reproductible sur Terre ?

La question de l’énergie est-elle aussi divisée en deux articles. Le premier aborde la question de manière générale en la passant au tamis du trilemme sécurité/équité/durabilité puis l’on passe à un cas plus pratique avec le distille, concentré de recyclage circulaire mais qui nécessite lui-aussi une source d’énergie. Produit purement local, il permet aussi dans un article très théorique qui lui fait suite de s’interroger comment est pensée l’innovation sur la planète désertique.

 Après l’environnement et la technologie qui en est la conséquence, le lecteur est ensuite envoyé vers les habitants d’Arrakis. Il est d’abord considéré l’exotisme de la planète (et de l’univers lui-même, sa capacité d’émerveillement) au travers du langage puis ce sont les femmes du Bene Gesserit vues en tant que cyborgs qui sont mises en lumière (un article fort stimulant, cependant trop politique et limité au premier roman). Reprenant de l’altitude, le livre passe dans l’article suivant à la géopolitique de l’Imperium et quitte à ce moment-là le monde physique pour le monde des idées et dans un premier temps la question des religions dans le monde de Dune et les syncrétismes modelés par F. Herbert (très belle mise en ordre). Le rapport entre la science et la prescience prend la suite, avant de passer à la Mémoire Seconde du Bene Gesserit vue comme une possession (par les ancêtres, sur un modèle africain).

Le dernier article fait office de conclusion en faisant ressortir différents éléments historiques (Empire ottoman et T.E. Lawrence par exemple), politiques (les Kennedy comme pouvoir charismatique et familial) et romanesques (la Beat Generation) qui forment en un savant mélange un cycle romanesque intemporel.

Après la lecture de ce livre, le lecteur sera convaincu que, contrairement aux apparences, F. Herbert a écrit un roman de Hard-SF, ou qui du moins ne peut se limiter à son aspect féodal dans l’espace. Le lecteur en sera convaincu aussi parce que les auteurs savent de quoi ils parlent, de première main. Certes, on peut discuter de certains arguments (très injuste sur T.E. Lawrence p. 215), de certaines affirmations (certains problèmes de logique dans le chapitre sur les cyborgs, la pédophilie de V. Harkonnen qui devient de l’homosexualité p. 322 ou encore une Baie des Cochons très simpliste p. 325) qui même parfois sont en contradiction avec ce que dit le roman (Mohiam est bien la mère de Jessica p. 199, Ix faisant des machines pensantes p. 256). Très solidement sourcé, le livre est aussi très dynamique avec des chapitres courts, rythmés et bien entendu bourrés d’informations. L’origine de l’adjectif « butlérien », faisant référence à Samuel Butler, auteur en 1863 d’une théorie de l’évolution des machines conduisant à l’extinction de l’humanité, ne nous était par exemple pas connue (p. 141). On pourra regretter, mais tout en sachant que cela s’éloignerait du but du livre, un article replaçant Dune parmi la production de F. Herbert. Il n’y en a qu’une ébauche p. 283 et ce serait sans doute une excellente idée pour un éventuel second tome, de même qu’une comparaison de la prise de pouvoir de Paul Atréides avec la Grande Révolution Française.

(étonnante cette idée de grumeaux narratifs p. 172 … 8)

Cyberpunk’s not dead

Laboratoire d’un futur entre technocapitalisme et post-humanité
Essai de littérature sur le sous-genre cyberpunk par Yannick Rumpala.

Ecran et yeux bioniques d’occasion.

En parallèle de la démocratisation de l’ordinateur personnel, les années 1980 voient l’émergence d’un nouveau sous-genre dans la science-fiction : le cyberpunk. Un univers cyberpunk n’intègre pas que les développements de l’informatique mais ce doit aussi d’intégrer des mégacorporations toutes puissantes, une quasi-disparition des autorités publiques, une population survivant majoritairement de petits boulots ou délinquante (pour le lecteur), une prolifération des machines et des prothèses, une disparition de la Nature et des villes tentaculaires et interchangeables. Il est à noter que la question de la ville n’est pas l’unique apanage du cyberpunk, puisque la fantasy urbaine apparaît aussi au même moment.

L’introduction démarre sur les chapeaux de roue en interrogeant la pertinence du genre en 2021. N’est-ce pas de la SF déjà dépassée puisqu’elle décrit un monde qui a beaucoup de choses en commun avec le nôtre ? En plus de présenter les différents chapitres qui suivent, cette introduction aborde aussi la naissance du genre. Forment suite six chapitres centrés chacun sur une thématique canonique du genre.

Le premier chapitre débute donc avec l’extension formidable de la technosphère qui marque profondément les univers cyberpunks, avec en premier lieu l’omniprésence informatique. C’est « coder ou être codé », accompagné d’une surveillance de tous les instants (même si nous trouvons le commentaire sur les lois de la robotique d’I. Asimov très partial p. 62).

Le chapitre suivant s’aventure du côté de l’économie. Le Japon, comme souvent au début des années 80, est ici le point de départ pour ce qui est du devenir économique des univers cyberpunks. Il y a là un capitalisme ultra-raeganien allié à une structure à la japonaise avec d’immenses conglomérats (zaibatsu). Etrangement, les marques omniprésentes dans le monde réel chez Gibson sont absentes du cyberespace (p. 185). L’information y est une ressource et les plus riches habitent de manière très séparée du reste de la population …

Le chapitre suivant s’intéresse au décor de tout univers de cyberpunk : la ville. Tentaculaires, monde (mais avec une inspiration asiatique), dangereuse, la ville cyberpunk est elle-même un cyborg. Et tant que l’on est chez les cyborgs … Le corps est le thème du chapitre suivant, entre extension, connexion, marchandisation, post-biologie et post-humanité. Suit le chapitre sur la société, marquée par la précarité (mais aussi l’inventivité), la violence, le crime (mise en parallèle avec le crime victorien et les gangs new-yorkais de la fin du XIXe siècle, p. 164) mais surtout la résignation. Est-ce le reflet d’une peur du déclassement qui prend naissance dans les sociétés occidentales dans les années 1980 ? Le dernier chapitre s’intéresse au cyberespace, nouveau milieu qui imprègne tout dans les univers cyberpunks. Son côté addictif est très tôt noté dans les œuvres, tout comme son absence de frontières. Mais cette absence de bornes ne signifie pas absence de conflits et de dangers physiques …

La conclusion est articulée sur le fait de savoir si le cyberpunk est un genre dystopique (avec plusieurs angles d’attaque), ou si la fermeture de l’horizon qui le caractérise et les difficultés de vivre dans de tels mondes ne sont pas finalement à relativiser à l’aune de certaines expériences humaines (le XIXe siècle n’est pas partout une sinécure). Ce n’est clairement pas de la fiction émancipatrice (p. 171) …

Ce livre réussit pleinement à faire comprendre que le cyberpunk est à la fois une anthropologie de la technique et une esthétique du changement technique. W. Gibson dit qu’il écrit sur le présent (et le cyberpunk n’est pas une utopie qui a déraillée comme 1984, p. 200-201). Il est en plus un voyage intérieur, à l’opposé d’un autre sous-genre en vogue au même moment, le space-opéra, qui met l’accent sur le voyage stellaire (p. 182). Il n’est pas d’une lecture trop enthousiasmante, avec peut-être un peu trop de citations dans le texte et des présentations trop lourdes des auteurs de ces mêmes citations (mais le titre est accrocheur !).  Mais avec sa structure solide, ce livre balaie avec une grande efficacité le sujet choisi, même si la conclusion semble être la partie du livre la plus riche en analyses et la moins dans la description. Il ressort aussi dans le sous-genre une centralité fondamentale de William Gibson (la Trilogie de la Conurb) et il aurait été bon d’avoir une bibliographie peut-être plus complète du sous-genre pour mieux prendre en compte l’entourage.

Une très bonne analyse, tout à fait dans la lignée des autres numéros de la série.

(dans le cyberpunk, il n’y a pas déshumanisation par le totalitarisme mais par l’anomie et/ou la richesse p. 209-210 …6)

Les monades urbaines

Roman de science-fiction de Robert Silverberg.

Quel est le rapport de cette couverture avec la choucroute ?

Mille étages, 3 000 m de hauteur, 885 000 habitants. Après l’effondrement, l’essentiel des habitants de la Terre s’est rassemblé dans ce type de bâtiments imposants appelés monades, laissant l’agriculture à quelques petites communes fortement robotisées qui alimentent ces mêmes monades. Des points de civilisation dans des déserts entretenus par des robots jardiniers, où personne ne va n’y ne désire aller. Grace à cette organisation, l’Humanité compte 75 milliards d’habitants sur Terre au XXIVe siècle. Pour faire tenir autant de personnes en un espace restreint, une organisation socio-spatiale est impérative. Chaque tour est donc divisée en plusieurs villes de manière verticale, peuplées selon les occupations des habitants. Au sommet, dans Louisville pour ce qui concerne la monade 116 qui est le cadre du roman, vit l’élite dirigeante de la tour.

Soi-disant débarrassée des tabous d’avant l’ère urbmonadale, la monade est dominée par la religion de la reproduction, entre liberté sexuelle obligatoire et drogues. Etrangement, le mariage existe toujours. Et quand la population devient trop importante, une partie de cette dernière est envoyée peupler une nouvelle monade.

C’est dans cet environnement que prennent place plusieurs arcs narratifs, avec des personnages liés entre eux d’une manière ou de l’autre. On suit ainsi (dans de nombreuses saynètes) Charles Mattern le socio-computeur, le musicien Dillon Chrimes, l’ambitieux administrateur Siegmund Kluver et sa magnifique femme Mamelon, les jumeaux Micael et Micaela Statler ou encore l’historien Jason Quevedo. La fiction d’un bonheur intemporel qui serait celui de la monade ne survit pas aux toutes premières pages du roman, quand Charles Mattern reçoit un visiteur venu de Vénus pour étudier la société urbmonadale. Déjà le doute s’insinue dans l’esprit du socio-computeur. Mais qui fait acte de rébellion dans un espace fermé (sans extériorité, c’est à dire une monade au sens de Leibniz) est éliminé séance tenante …

Ce roman est à juste titre un grand classique de la science-fiction urbaine. Il doit beaucoup à son époque de production (première publication en 1971), avec son approche littéralement très « sex, drugs and rock n’roll ». R. Silverberg accole même Mick Jagger à Bach et Wagner (p. 104). Il est critique à la fois de la surpopulation (explicite p. 267 et son corollaire la sururbanisation) qui ne peut que déboucher sur un système au mieux dirigiste, au pire totalitaire (p. 137, reconditionnement mental p. 80) couplé à un certain jeunisme (les soixante-huitards ?) que voit peut-être poindre l’auteur. A la page 182, il est même question de parler politique dans un monde qui en semble dépourvu, parce qu’il s’est privé de temps (un contre-exemple p. 187 ?). R. Silverberg intègre aussi dans son monde le problème de la gestion des sols arables, à un moment où le Club de Rome n’a même pas encore publié son rapport sur les limites de la croissance (1972). En allant plus loin dans cette direction, faut-il voir aussi dans ce roman une aversion pour le littéralisme évangélique (croissez et multipliez) ?

La critique antitotalitaire nous semble cependant rester au premier plan. Malgré la monade, malgré la pression sociale de tous les instants, le bonheur est lui-même obligatoire et l’Homme reste l’Homme : il n’y a pas eu de modification génétique après l’effondrement et la construction des monades, comme le montrent aussi les habitants des communes agricoles. La part animale de l’Homme, tout comme sa curiosité, n’ont pas été effacés par la satisfaction assurée de tous les besoins primaires. Les habitants doivent donc survivre, « se déguiser un peu mieux » (p. 177).

Ces thèmes, que l’on peut estimer trop nombreux pour un seul roman, sont admirablement agencés par R. Silverberg pour donner naissance à cette dystopie. Avec très peu de temps morts, une très belle économie de moyens, des articulations fines et des dialogues efficaces, l’auteur est parvenu à donner naissance à un monde où affleure l’explosion.

Ce roman est resté le classique qu’il était déjà au moment de la première publication française en 1974.

(mais pourquoi s’appelle-t-il Siegmund ? …8,5)

Scarlett et Novak

Nouvelle d’anticipation d’Alain Damasio.

The Enemy Within.

Novak se fait courser. Pourquoi ? Il ne le sait. Pour le tabasser ? Le violer ? Son ordiphone l’aide dans sa fuite, le renseigne sur ses poursuivants, lui indique sa fréquence cardiaque, mais lui demande aussi s’il veut partager son nouveau record de vitesse avec ses amis. Est-ce vraiment le moment ? Ou ses poursuivants en veulent-ils à son ordiphone et à son assistante à la voix veloutée, nantie du nom de Scarlett ? Il doit la protéger.

Cette très courte nouvelle d’Alain Damasio (50 pages avec beaucoup de mise en page) est à ranger dans ses œuvres d’anticipation, de très courte anticipation. Elle partage quelques caractéristiques avec nombre de ses autres écrits et s’en démarque par d’autres. Première grosse différence, le texte est moins ciselé. Mais ce ne signifie pas pour autant que ce n’est pas aussi bien écrit que ses autres écrits aux temps de maturation plus long. Pas de formules marquantes cette fois-ci. Au rayon des ressemblances, on retrouvera un monde proche des Furtifs, entre méga-corporations, hyperconnexion, bagues de données et privatisation de la ville. La paternité, thème central des Furtifs, est évoquée dans le poème en fin de volume (Une vie passée à caresser une vitre). Comme souvent encore, la forme rejoint le fond avec un tournage de pages frénétique qui rend très bien l’idée de course.

Quelques habiles références parsèment le texte, renvoyant à d’autres œuvres sur le même thème (Scarlett, pour la voix du film Her sorti en 2013), interloquant le lecteur (pourquoi un personnage s’appelle-t-il donc Davor Suker ?) en cherchant même sa confusion, ou encore faisant référence au premier lieu de publication de la nouvelle (01Darknet pour le site internet 01net, mais avec des modifications dans la version papier, comme à la p. 14).

Un bonbon très agréable, qui veut montrer que la réversibilité n’est pas impossible.

(est-ce que les locuteurs d’une même langue ne peuvent même plus se comprendre à cause de l’envahissante béquille technologique ? … 8)