Le piège de Lovecraft

Le livre qui rend fou.
Roman fantastico-horrifique de Arnaud Delalande.

Un peu de géométrie non-euclidienne ?

Au Québec, David Arnold Millow est étudiant en littérature. Il est membre d’un cercle d’apprentis écrivains et les membres se lisent leurs productions. Mais un groupe concurrent, des rôlistes, leur pique le membre le plus prometteur du groupe, le dénommé Spencer. Ce dernier se retire petit à petit du campus mais fait emprunter pour son usage des recueils de Lovecraft et des livres ésotériques. Intrigué, le héros essaie de reprendre contact. Mais une fois sa piste retrouvée, l’ancienne ferme délabrée au bord de la forêt est moins tranquille que prévue. David ressort du lieu un brin secoué, mais sans avoir vu trace de Spencer. C’est lui qui prend l’initiative : il revient sur le campus et tire sur des étudiants, au hasard. Une étudiante avec qui David était en train de parler et qui s’était amourachée de Spencer est tuée devant ses yeux. David est convaincu que tous ces éléments sont reliés entre eux : ce qu’il a vu dans la grange, le massacre du campus, Lovecraft et son Necronomicon et bien sûr le groupe de rôlistes sur internet appelé le Cercle de Cthulhu. Ce même cercle qu’avaient rejoint non seulement Spencer mais aussi Deborah, l’étudiante tuée sur le campus … Son doctorat en cours sur les œuvres imaginaires en littérature lui permettra-t-il démêler ce terrible écheveau ?

Faire du Lovecraft sans tomber dans la caricature ou la servilité n’a rien de facile. La lecture des collaborations posthumes de Auguste Derleth avec H.P. Lovecraft est là pour en convaincre. Alors oui, l’auteur coche beaucoup des cases qu’il y a à cocher : la géographie lovecraftienne est là (Arkham), la Nouvelle Angleterre sous la forme de la Nouvelle France, les maisons à colonnettes (du genre de celles de Providence ou Dunwich), un récit à la première personne, un narrateur avec une profession intellectuelle et une ascendance, des cultistes … Mais A. Delalande ne fait pas que décalquer ces éléments au XXIe siècle, il y a tout de même de sa sauce. Le massacre sur le campus saute aux yeux comme marque de la contemporanéité et de nombreux clins d’œil veulent aussi faire prendre conscience au lecteur que l’on est plus en 1920 : les jeux de mots dans les titres des chapitres (World of Lovecraft p. 74), les titres de nouvelles du Maître de Providence qui surgissent au détour d’un paragraphe (« Anne-Lise était ma couleur tombée du ciel » par exemple p. 68), mais aussi le passage mi narratif mi informatif sur la postérité de Lovecraft p. 7, sur la carrière de Stephen King (p. 246) ou sur les différents Necronomicon p. 116-118. L’auteur, dans son roman, se base sur des analyses de critiques contemporains. Mais là où se situe la différence, c’est au niveau de la relation au corps : A. Delalande est bien plus gore et ne se limite pas à la sidération devant les étendues cosmiques et à la folie comme protection devant l’envers du décor. Du côté de la folie, les choses sont très bien amenées, sans platitudes et sans que l’on puisse se dire que le narrateur est mythomane. On peut croire en sa paranoïa. De même, il y a un jeu avec le lecteur qui se dévoile avec beaucoup de finesse et d’humour, jusque dans les remerciements.

A. Delalande a néanmoins du mal à stabiliser le statut de son narrateur. Il est tour à tour étudiant, professeur, doctorant ou professeur émérite (p. 216, p. 243). Pourtant l’aventure ne s’étale pas sur des décennies …

C’est donc à un jeu avec des éléments lovecraftiens, authentiques ou renouvelés, que nous invite A. Delalande. Un jeu qui semble dangereux, destiné en premier lieu aux connaisseurs, mais que l’auteur déploie avec une grande maîtrise.

(Werner Heisenberg s’appelle Heiselberg p. 114 … dommage … 7)

Strade degli Etruschi

Vie e mezzi di communicazione nell’antica Etruria.
Recueil d’articles sur les voies et les moyens de transport en Etrurie, dirigé par Mauro Cristofani.

Quand faire juste des routes est trop simple.

Trente-trois ans après sa parution, ce livre volumineux et pesant continue de faire autorité. Produit à l’occasion des travaux autoroutiers de l’A1 (le tracé reliant Naples à Milan est achevé en 1988, pour des travaux débutés en 1956), il a pour but de démontrer la permanence des tracés et la filiation entre l’ingénierie étrusco-romaine et l’italienne du milieu du XXe siècle. Mais si le livre rappelle plusieurs fois qui l’a commissionné, il n’est pas qu’une ode à l’autoroute du soleil et ses six chapitres ambitionnent de faire entrevoir au lecteur quelques richesses insoupçonnées.

M. Cristofani, après une rapide présentation du volume, se charge de l’entame avec un article sur les itinéraires terrestres et maritimes. Il est d’abord rappelé l’étendue des territoires contrôlés par les Etrusques au moment de leur plus grande extension et leur thalassocratie. Puis on passe aux liens entre les différents centres, pour passer ensuite aux reprises de routes déjà existantes par le réseau romain. De très riches illustrations complètent l’article (comme pour tous les articles de ce volume), avec ici en plus des cartes, peu précises, mais donnant une bonne idée des axes de communication, tant sur terre que sur mer.

Le second article, signé du même auteur, passe très rapidement en revue les types de véhicules en usage en Etrurie préromaine. Là encore, de nombreuses illustrations font suite à l’article, montrant différents artefacts ou des reconstructions de navires. Une légende nous pose ici problème (p. 68), disant voir une apothéose sur un parement de char en bronze alors qu’il nous semble plus être la représentation d’un épisode légendaire ou mythologique (un char de chevaux ailés, comme ceux de l’Ara della Regina à Tarquinia) comme sur le second parement du même char (p. 70-71).

L’article suivant, écrit par Paola Moscati, est consacré aux routes qui parcourent le territoire des Falisques, ce peuple allié des Etrusques, ethniquement latin mais très profondément étrucisé. Les différentes voies sont commentées, qu’elles soient archéologiquement avérées dans leur tracé ou à l’état de conjectures, avec peu d’éléments concrets. Deux cartes aident heureusement à les situer, et les photos montrent à voir des réalisations de l’art hydrologique étrusque. L’article est suivi d’illustrations d’artefacts de différents types produit en territoire falisque.

L’article suivant (écrit par Giuliana Nardi) ramène le lecteur en terrain plus connu, sur le territoire de la cité de Caere. Le centre urbain est bien entendu relié à ses trois ports et à ses voisines Tarquinia et Véies, mais l’auteur préfère se concentrer sur le réseau viaire dans la périphérie de l’habitat, comprenant notamment les routes menant ou traversant les nécropoles et le système de drainage qui souvent l’accompagne (dont quelques voies taillées dans le roc). Malheureusement, les deux cartes (p. 164-165) qui accompagnent cet article sont très difficilement lisibles. Du coup, impossible de replacer sur les cartes les ponts, les portes et autres éléments dont parle l’auteur. De même, dans les photos qui font compagnie à l’article, souvent la légende souhaite porter l’attention du lecteur sur un élément qu’il aurait été bon d’indiquer sur l’illustration (certaines sont étrangement nébuleuses par ailleurs p. 212).

Le dernier article effectue un retour vers les moyens de transport avec pour thème le char d’Ischia di Castro, découvert en 1967 par une équipe archéologique belge. L’article replace la tombe dans son environnement avant de détailler les mesures de conservation dont a bénéficié le char, découvert avec des éléments ligneux. Sa décoration de bronze est elle aussi analysée, et bien entendu comparée au char de Monteleone de Spolète. C’est un article assez court, avec de nombreuses vues de détail et qui s’achève sur une note technique.

La qualité des cartes est hélas le point noir de ce livre, à la lecture parfois sèche (il faut connaître intimement le territoire falisque …). Ces cartes posent plus de questions qu’elles n’aident à en résoudre, ce qui n’est pas négatif en soit, sauf si l’on doit s’échiner à comprendre ce que l’auteur a voulu dire et ne pas vouloir se cantonner à ses propres réflexions. La carte de la p. 44 comporte deux fois la cité de Populonia, signe tout de même d’une attention moindre.

Le livre a bien entendu vieilli, pour la simple raison que l’archéologie du transport n’a pas chômé depuis 1985. On peut citer dans le domaine maritime la fouille très importante du navire vraisemblablement étrusque de la presqu’île de Giens en 1998. Pour la partie terrestre, l’étude de J. H. Crouwel pose de très solides bases (ici). Mais pour les voies, il ne semble pas qu’il y ait eu une mise à jour depuis …

(ce modelé de la tête du temple A de Pyrgi p. 152 … 7)