Das Geheimnis der Varusschlacht

Essai d’histoire romaine de Peter Oppitz.

Parfois, il faut savoir signifer.

Vercingétorix et Arminius n’ont pas uniquement en commun la lutte contre les Romains (et le fait d’avoir servi dans leur armée), qui s’achève dans un cachot à Rome pour l’un et victorieuse (avec des nuances) pour l’autre. Tous deux ont aussi été utilisés au XIXe siècle par la propagande de deux empires, un français et un allemand, et donc de fait tournant leur tête vers l’exemple romain. Au niveau de leurs faits d’armes respectifs, si la localisation de Gergovie et Alésia souffre d’assez peu de contestations (enfin, le sujet revient épisodiquement), le lieu de la bataille de la forêt de Teutoburg, qui vit plusieurs tribus germaniques mettre en déroute trois légions commandées par Varus, est encore sujet à caution (et certains ne situent même pas le combat dans l’actuelle Allemagne …). P. Oppitz s’oppose à l’hypothèse classique, qui est celle du grand T. Mommsen, et qui voit le combat se dérouler en pleine forêt auprès d’un lieu dénommé Kalkriese, avec une embuscade des tribus germaniques surprenant trois légions en ordre de marche. Pour l’auteur, non seulement les découvertes archéologiques infirment une telle localisation, mais surtout une autre lecture des sources permet d’élaborer un autre déroulement des faits.

L’auteur, P. Oppitz, n’est pas un professionnel de l’Histoire, il est plus un amateur éclairé ayant suivi des études d’ingénieur (ce qui se voit parfois, dès que l’on sort un peu de la romano-germanité, comme à la p. 89 quand il est question de la formation intellectuelles des Romains de l’Est de l’empire mais qui indique aussi ses sources au travers de plus de 200 notes). Le livre, paru en 2006, bénéficie d’une petite notoriété, tout à fait justifiée grâce aux arguments qui, s’ils ne convainquent pas tous, questionnent de manière très forte la thèse majoritaire. Pour ce faire, parmi les auteurs que sont Tacite, Florus, Velleius Paterculus et Dion Cassius, le dernier est explicitement écarté par P. Oppitz, qu’il juge trop éloigné dans le temps malgré un récit qui est le plus détaillé. Au travers de quinze chapitres, P. Oppitz détaille son analyse en commençant par le traumatisme que fut la perte de trois légions dont la numérotation ne fut jamais plus réattribuée, puis en passant du côté des barbares, chez qui les razzias entre tribus sont incessantes. L’auteur livre aussi une petite chronologie des avancées romaines en Germanie, entre 52 av. J.-C. et 9 ap. J.-C., qui amène au chapitre sur les camps et les castelets que les Romains installent sur les bords du Rhin à la fin du Ier siècle avant notre ère. Parmi ces installations, Xanten (Castra Vetera) commande l’affluence de la Lippe dans le Rhin (la Lippe permet d’atteindre la Weser et est donc un axe de pénétration dans un territoire sans route) et c’est à partir de Xanten que Drusus commence son exploration de la Germanie. Il fonde des installations militaires dont certaines sont reprises par Varus quand il est envoyé en tant que commandant en chef en 7 ap. J.-C. Sur la Lippe, au point où la rivière n’est bientôt plus navigable, est établi le port d’Aliso. La localisation de l’endroit est importante, puisque c’est ici que ce sont réfugiés une partie des rescapés de la bataille.

Avant que P. Oppitz ne s’intéresse à Varus, il dresse un portrait du jeune Arminius, devenu en 7 ap. J.C., à l’âge de 25 ans l’un des chefs de la tribu des Chérusques, trois ans après avoir été envoyé comme otage chez les Romains (suite à l’alliance contractée par son père, Segimer). Chez les Romains, il combat dans une unité de cavalerie et est élevé au rang de chevalier. Varus est bien plus âgé, puisqu’il a déjà 53 ans quand il est envoyé par Auguste en Germanie, après avoir donné satisfaction en Syrie et en Afrique du Nord. Le troisième portrait de la série est celui de Ségeste, le beau-père d’Arminius, qu’il n’apprécie que peu pour avoir enlevé sa fille (il avait un autre gendre en vue). Ségeste aurait prévenu Varus du danger que constituait Arminius au dernier repas avant le combat (p. 48).

Ce qui conduit l’auteur au cœur de sa théorie, ce qui s’est passé au camp d’été de Varus le 23 septembre de l’an 9, jour anniversaire de l’empereur Auguste (p. 51-74). En effet, P. Oppitz situe le combat entre les Romains et les Germains dans le camp romain, à la faveur d’une assemblée. Les officiers sont rassemblés auprès de Varus pour donner du lustre à la réunion et les trois légions sont réparties dans les différents camps et fortifications bordant la Lippe. Les officiers romains en fuite ou tués, les légions se débandent pour une bonne partie ou sont assaillies en nombre par les Germains dont le signal de la révolte est donné par la défaite du camp d’été. Ainsi ce ne sont ni des légions en ordre de bataille, ni des légions en marche qui sont battues par les Germains, mais des cohortes sans chefs qui sont successivement exterminées alors qu’elles cherchent à rejoindre Xanten ou dont les camps sont pris d’assaut. Le commandement décapité, les légionnaires romains (qui ne sont pas au premier chef animés par le patriotisme) préfèrent la fuite.

Enfin, l’auteur conclut son livre sur la proposition qu’il sait la plus bancale par manque de preuves archéologiques mais qui n’est pas impossible au vu de son analyse des textes : le camp d’été de Varus se situe à Paderborn. Il ne reste plus qu’à fouiller dans l’hypercentre de Paderborn …

Il semble que ce livre ne soit pas promis à la traduction. Mais pour ceux qui lisent l’allemand, c’est écrit de manière directe et structurée, avec un soupçon de suspense (ce qui peut se concevoir au vu de la proposition finale) et deux ou trois touches d’humour. C’est surtout très solidement sourcé, avec une bibliographie conséquente et qui verse peu dans la fantaisie. Avec méthode, l’amateur peut égaler le professionnel et faire réfléchir le lecteur, même sur des sujets qui semblent être balisés depuis des décennies.

(comme dans la série Rome, il faut là aussi aller chercher les aigles perdues …8)

Der Tell Halaf

und sein Ausgräber Max Freiherr von Oppenheim

Présentation des fouilles, de l’inventeur, des découvertes majeures et du musée de Tell Halaf par Nadja Colidis et Lutz Martin.

Chagrins de Khabour.

Tell Halaf a pour le moment pas mal de chance dans la chaos syrien actuel. A la grande différence de la cité antique de Palmyre, de la forteresse croisée du Krak des Chevaliers ou des murailles d’Alep, le site araméen, syro-hittite et assyrienne de Tell Halaf (un site occupé du 6e millénaire au VIIIe siècle avant J.-C.) est protégé par sa position, collé à la frontière turque (au sud-sud-ouest de la ville turque de Diyarbakir), dans une zone sous contrôle kurde (mais où il y a aussi, du moins au début du XXe siècle, des Arméniens et des Bédouins, p. 35). Découvert par Max von Oppenheim le 19 novembre 1899, il a été fouillé en 1899, entre 1911 et 1913 (nécessitant mille chameaux depuis Alep, soit 500 km et pendant vingt jours, pour le transport du matériel nécessaire à la fouille, dont douze wagonnets et un chemin de fer léger) et 1927.

Ce court livre (de moins de 80 pages et de doté de très nombreuses illustrations) est organisé en huit chapitres, plus une introduction et une bibliographie. Le premier chapitre aborde très rapidement les fouilles sur le site, en contextualisant un peu sa fouille (Karkemish, Babylone), et en décrivant brièvement les principaux éléments mis au jour : la muraille extérieure, la citadelle avec son Palais Nord-Est et le Temple-Palais, et le Palais Ouest. Au nord, le fleuve Khabour a érodé une partie de la ville. Il est aussi question dans ce chapitre des orthostates lithiques du Palais Ouest, des grands orthostates du Palais Nord-Est, de la grande statue funéraire féminine, de la salle de culte et de la statue d’oiseau de proie. Le chapitre s’achève avec une très très courte description des autres artefacts découverts à Tell Halaf. Le second chapitre détaille les sources historiques ayant attrait au site, dont beaucoup de textes épigraphiques trouvés in situ.

Le chapitre suivant est une mise en lumière du baron Max von Oppenheim, juriste, diplomate et donc, archéologue. Né à Cologne en 1860 et docteur en droit, il devient fonctionnaire en 1891, avant d’être attaché consulaire au Caire en 1896. Ayant découvert Tell Halaf en 1899, il doit attendre 1910 pour pouvoir commencer à y planifier des fouilles (qui sont vraisemblablement les mieux organisées et les plus méthodologiquement solides de son temps, p. 35), après une phase de financement et précédant une phase de publicité. Pendant la Première Guerre Mondiale, il réintègre la diplomatie pour servir à Constantinople. A partir de 1919, M . von Oppenheim commence à analyser ses découvertes, avant de revenir à Tell Halaf en 1927, de fonder une fondation et un musée privé (et à l’entrée gratuite à l’origine), devant l’échec de l’intégration de sa collection aux musées d’Etat (l’actuel Pergamon Museum, sur l’Île aux Musées de Berlin). Son dernier voyage en Syrie en 1939 est un échec à cause de la guerre. Il meurt en novembre 1946.

Le Tell-Halaf Museum est le sujet du quatrième chapitre de ce livre. Il est ouvert en juillet 1930 dans une ancienne halle d’usine, avec des subdivisions que l’on peut voir dans la couverture intérieure du livre. Les artefacts y sont mis en valeur (les orthostates et la porte de la trinité divine syro-hittite), avec des espaces de travail dans la maison attenante, ainsi que des magasins et la bibliothèque de M. von Oppenheim (une partie de ses 47 000 volumes sur le Moyen-Orient). Cependant, dans le chapitre suivant, est relaté la destruction de ce même musée par les bombardements de la fin 1943, alors que les œuvres allaient enfin être abritées au Pergamon Museum … Entre décembre 1943 et avril 1944, il est procédé à l’exploration des décombres pour sauver ce qui peut encore l’être (sans l’inventeur du site qui est à Dresde, où il perdra dans les bombardements de la ville presque l’entièreté de sa bibliothèque, p. 40). Les fragments restants sont entreposés au Pergamon Museum, d’où les Soviétiques les emportent comme prise de guerre, avant de les rendre à la RDA en 1958 (p. 55). Les trouvailles de Tell Halaf sont aujourd’hui encore en cours d’étude (un gros puzzle …) et sont pleinement intégrées au réagencement du musée (p. 61).

Enfin, l’ouvrage aborde le futur du site et de la collection, appelant à retourner fouiller en Syrie (paru en 2002, ce livre ne peut rendre compte des fouilles conduites à partir de 2006) où la devise de M. von Oppenheim « Tête haute, courage et humour » ne serait pas de trop à l’heure actuelle. Nous ne savons pas ce qui l’en est de l’état actuel du site (sous contrôle kurde il semblerait) ni si la mission germano-syrienne peut y travailler.

Le livre laisse sur sa faim, parce que les descriptions et les analyses sont bien trop courtes (surtout à celui qui sait qu’il y a encore tellement à dire !). Mais c’est un livre à la destination du grand public, de celui qui justement visite Berlin et est captivé par le Grand Autel de Pergame, auprès duquel les sculptures mutilées de Tell Halaf ont du mal à rivaliser. Les illustrations sont abondantes et font prendre conscience de la perte subie par la Science et de quelle tristesse fut la fin de vie de M. von Oppenheim. Ce dernier n’est cependant pas sans postérité, puisque non seulement il eut des disciples qui purent éditer ses découvertes après 1945, mais que sa fondation est toujours active et poursuit les buts qu’il lui a assignés. Le texte (allemand) est facilement compréhensible, très informatif et renvoyant très souvent aux illustrations.

Un dixième peut être de la surface de la ville a été fouillé par M. von Oppenheim, il devrait donc rester des choses à y découvrir, si le destin ne s’acharne pas trop sur la ville …

(voir ce que l’orthostate de l’homme-sphinx de 1899 est devenu p.63-66, après la dégradation de 1911 et le bombardement de 1943, quelle tristesse … 7,5)