40 Years of Eternity

Souvenirs en photos et texte d’une tournée du groupe Laibach par Teodor Lorenčič.

Le voyage n’a pas encore pris fin.

Le début de carrière du groupe avant-gardiste Laibach dans la Slovénie dans les toutes premières années de la décennie 1980 est assez compliqué. En 1980, leur premier concert est interdit et leur participation à un festival à Zagreb en 1982 déclenche le scandale et son arrêt par la police. Le 21 décembre de la même année 1982, le chanteur Tomaž Hostnik se suicide. C’est dans ce contexte que s’organise pour avril 1983 une tournée du groupe (avec le groupe anglais Last Few Days) en Europe centrale et occidentale, avec quinze concerts donnés dans sept pays. Teodor Lorenčič est du voyage en tant que co-organisateur, photographe, remplaçant musicien occasionnel mais surtout possesseur d’une voiture. Les photos qu’il avait faites sur la tournée avaient été rangées dans une boîte et plus retrouvées. Mais en 2018, à la faveur d’un déménagement, la série refait surface et c’est l’occasion d’une exposition et d’une publication sous la forme de mémoires.

Ce sont des mémoires appuyées par les photographies comme le dit l’auteur lui-même et qui font la description d’une tournée d’un groupe d’à peine deux ans d’âge, composé de vingtenaires mais qui malgré les conditions technologiques de l’époque (ils n’ont encore enregistré aucun disque) et l’environnement politique (frontières, idéologies) attire un public et permet la tenue de concerts qui ne semblent pas être des bides. C’est pour le lecteur une plongée dans une ambiance qui a peu à voir avec les palaces et la tisane, avant le sida. Il y a des passages de frontières où les bagages sont fouillés mais où se remarque aussi une détente et en même temps la persistance, dans le Pacte de Varsovie, de différences et de stéréotypes nationaux : « Vous savez comment sont les Tchèques » ou encore « Si les Souabes vous ont contrôlé alors passez, on trouvera rien de plus ». Il est difficile à voir dans le récit quelle est l’influence de la nationalité yougoslave dans la facilité où les difficultés du voyage, mais le groupe anglais qui tourne avec eux ne semble pas être un poids supplémentaire.

Les photographies, toutes en noir et blanc, sont de deux ordres. Certaines comme à Berlin au Stade Olympique sont posées, d’autres sont prises sur le vif en extérieur (visite de villes) ou en intérieur. Celles des concerts pâtissent des conditions de lumières, compliquées. Mais il y a une certaine qualité, on peut constater que ce n’est pas fait au polaroïd et si les légendes sont parfois absentes, d’autres sont des révélations, comme la mention du portrait de Lénine dans le portrait de Marx (la fameuse statue à Chemnitz, p. 79). Dans la relation de la tournée sont insérés quelques textes postérieurs à 1983, comme de la poésie ou des paroles de chanson et les protagonistes sont décrits en début de volume (avec leurs pseudonymes !). On y apprend aussi la mauvaise interprétation du motif de la croix noire, qui n’aurait rien à voir avec Malévitch (mais nous ne sommes pas obligés de tout croire). La traduction du texte est par contre perfectible, cela donne un anglais parfois bizarre.

Un très bon voyage dans le temps, entre musique électronique, Yougoslavie finissante, le début de quatre décennies au moins de production artistique variée et une jeunesse aventureuse.

(mouvementée la Pologne sous Jaruzelski ! 8)