No Fear of the Dark

Une sociologie du heavy metal
Essai de sociologie de Hartmut Rosa.

Si déjà on ne voit rien …

Même les stars de de la philosophie allemande contemporaine ont des jardins secrets et ont eu une jeunesse. Hartmut Rosa, théoricien de la résonance et professeur à Iéna, a eu une jeunesse rebelle, guidée par le heavy metal, une expérience dont il fait part dans ce livre de 180 pages. Si la partie « personnelle » est importante, la partie plus scientifique (ou théorisée) n’est pas mince et ce n’est pas à la nostalgie pour les fins de soirées alcoolisées ou les longues attentes devant les salles de concert que nous invite l’auteur.

Comme le livre ambitionne de toucher un large public, un petit point historique sur le genre débute le propos. Le lecteur moyen de H. Rosa n’est, dans l’esprit de l’auteur et de l’éditeur, pas trop versé dans ce genre musical … Il n’y a dans ce chapitre, pas si mal fait, de révélations renversantes pour celui a déjà porté un intérêt aux musiques amplifiées nées du rock à la fin des années 1960. Le second chapitre a une visée plus sociologique en s’intéressant aux auditeurs de heavy metal (à prendre, comme c’est le cas aussi dans ce livre et avec beaucoup d’à-propos, au sens très large). La parenté avec l’auditeur de musique classique est évidemment soulignée (p. 43), parenté qui va jusqu’à la conception passionnelle de la musique. Il y a là une conception centrale, une place à part accordée à la musique et à l’œuvre, qui va à l’encontre d’une culture de playlist (p. 47).

Le chapitre suivant veut explorer la place du heavy metal dans la vie de ses auditeurs et c’est là que rentrent dans le jeu les conceptions philosophiques de l’auteur. Sa thèse est que le metal est un point d’ancrage pour le fan dans un monde post-moderne fait de changements. Mais il n’y a pas immuabilité, il y a codéveloppement des groupes et des auditeurs (p. 66). Musique corporelle par essence, le concert et la rencontre entre artiste et fan y prend une très grande place, comme toute littérature afférente.

L’auteur passe ensuite à l’effet de la musique sur l’auditeur dans un quatrième chapitre, en partant d’une base phénoménologique pour arriver sur le constat de la superficialité et en même du plus terrible sérieux, en même temps, du metal. Le tout débouche sur un cinquième chapitre qui introduit le concept de résonance, déclinée en quatre éléments (p. 95), mais H. Rosa insiste surtout sur l’indisponibilité de la résonance : on ne pleure pas à tous les coups lors d’un solo d’anthologie.

L’auteur passe ensuite à la présentation épiphanique que l’on peut faire des débuts et des fins de concerts puis revient sur le sérieux du metal dans le septième chapitre. H. Rosa y détaille aussi l’héritage romantique du metal, esthétisation de la réponse aux Lumières (p. 61), avec qui il partage aussi un imaginaire (la fantasy, les anciens dieux etc.). H. Rosa finit tout de même ce chapitre avec T. Adorno et M. Horkheimer (p. 172). La conclusion du livre poursuit sur la lancée de l’Ecole de Francfort : comment le metal a triomphé de l’industrie musicale.

Il y a tout de même un petit côté « Monsieur le Professeur nous raconte sa jeunesse », qui en plus ne se cantonne pas à la jeunesse. Mais c’est assumé et la partie musique ne verse pas dans la pédanterie, à la recherche de références obscures. Le glossaire final est un plus, les notes de bas de page sont assez peu nombreuses, rendant ce livre d’un accès plutôt aisé mais permettant tout de même des découvertes. Par contre, notre sensation est qu’il n’est pas superbement bien écrit, pour tout dire assez plat. Nous n’avons pas pu comparer avec la version originale allemande, donc nous ne pourrons pas incriminer la traduction, même si certains passages nous ont fait douter de la précision de leur restitution (la veste à patch absente de la p. 128), ou encore au vu de ce que nous savons de l’auteur (à la p. 11, sur la religion dans l’environnement familial de l’auteur). Au niveau de la théorie, difficile de se faire une idée précise de la validité de son application au domaine musical et plus précisément du metal, principalement parce qu’il nous manque la version nue, de base. Mais l’approche ne s’est pas disqualifiée d’elle-même, aussi la porte reste ouverte à un approfondissement. Mais les rapprochements entre le métal et la religion et surtout son attrait pour la question des fins dernières sont des éléments qui nous resterons longtemps à l’esprit.

(le concert de metal, le dernier refuge du chant collectif p. 148 …7)

Archaeology of Sanctuaries and Ritual in Etruria

Actes d’un colloque d’étruscologie tenu en 2008 à Chicago dirigés par Nancy Thomson de Grummond et Ingrid Edlund-Berry.

De suite, cela a l’air un brin sec …

L’intérêt pour les sanctuaires étrusques, présent presque depuis les débuts de la discipline mais limité en nombre (le Lac des Idoles, sur le Mont Falterona dans les Apennins, est fouillé dès 1838) s’est doublé d’un intérêt bien plus récent pour les rituels (la religion vécue) qui pouvaient y prendre place. Il y a à la fois la volonté de dépasser le classique « on ne sait pas ce que c’est, mais c’est sûrement rituel », mais aussi la prise de conscience de plus en plus répandue dans les cercles de spécialistes que les Etrusques ne sont pas le réceptacle passif (ou malcomprenant) de la pensée et des pratiques grecques ou orientales. Il y a sans doute sortie de la vision péjorative des Etrusques qu’avait Winckelmann. Enfin, il y a la couche ethnologique, très présente en Amérique du Nord dans l’archéologie, qui s’ajoute à ces facteurs. Mais surtout, l’évolution des techniques de fouilles permet aujourd’hui des analyses qui n’étaient pas possible avant, du fait de la non-reconnaissance des artefacts ou des installations.

Passée l’introduction, les quatre premiers articles s’attachent à mettre en lumière certains aspects de quatre sanctuaires distincts : le sanctuaire du Champ de Foire à Orvieto (Campo della Fiera), celui de l’Ara della Regina à Tarquinia, Poggio Colla (dans la vallée du Mugello) et enfin Cetamura in Chianti (pays siennois). L’article sur le sanctuaire du Champ de Foire se veut une sorte de rapport d’étape, démontrant l’utilisation de cette zone au pied de la ville de l’époque archaïque jusqu’à celle de Constantin, y compris après 264 avant J.-C. quand la population est censée avoir été déportée à Bolsena après la prise de la ville par les Romains. Mais l’article échoue aussi (comme jusqu’à présent tous ceux que nous avons pu lire sur ce site) à nous convaincre que ce sanctuaire, certes d’importance, est le sanctuaire fédéral des Etrusques, le Fanum Voltumnae tant recherché. Certes il est situé sur le territoire d’Orvieto comme le laisse penser Tite-Live (sans précision cependant), près d’un important nœud routier. Mais rien pour l’instant ne nous semble permettre une telle attribution (richesse des offrandes que devrait être celle d’un sanctuaire de tout premier plan, inscription, bâtiments, offrande ou représentation spécifique etc.), autre que l’envie de le trouver.

L’article sur le sanctuaire tarquinien est une présentation actualisée, avec une meilleure compréhension des phases successives du complexe. Cependant, la partie sur le « coffre » qui forme la base (désaxée) de l’autel devant le temple principal et qui serait lié au culte du fondateur Tarchon est très intéressante. Le chapitre sur le sanctuaire de Poggio Colla se concentre sur les pratiques rituelles sur le site (en usage du VIIe au IIe siècle avant notre ère), comme par exemple le placement à l’envers d’éléments architecturaux, dans une sorte de « défondation », ayant probablement eu lieu lors de la fin de l’usage du temple archaïque.

Le sanctuaire de Cetamura a, quant à lui, comme particularité d’être fréquenté par des artisans dont les ateliers sont à proximité (comme présenté de manière synthétique dans l’article). Les offrandes sont en rapport, avec l’accent mis sur des clous. L’auteur détaille onze traces de rituels, dont l’un dans le four d’un potier, tentant une classification selon la taxonomie des rituels de M. Bonghi Jovino (propitiation, fondation, célébration, destruction).

Les trois articles suivants sont plus synthétiques et thématiques. Le premier d’entre eux a pour thème les statues de culte, avec une approche très axée sur la méthode et insistant sur la difficulté de définir la fonction cultuelle des statues retrouvées, autrement qu’en voulant absolument calquer le modèle grec et en voulant ignorer un possible aniconisme généralisé. L’iconographie étrusque semble cependant être très attentive à la représentation de statues touchées ou des actes de désacralisations.  Suit un article sur les terres cuites votives à Véies et à Tarquinia, notant des différences qui auraient pour cause le sexe des visiteurs mais aussi des différences très marquées dans les types d’offrandes. Le dernier article, enfin, pose quelques jalons dans l’étude de l’utilisation du vin en contexte rituel (la multiplication des analyses de contenants va augmenter le corpus dans les années à venir), tout en posant comme acquis son utilisation en milieu funéraire (d’où aussi une certaine ambiguïté).

La conclusion est suivie d’une bibliographie générale sur les sanctuaires étrusques, qui est appelée elle aussi à prendre de l’importance dans les décennies à venir.

Ce livre frustre un peu par sa petitesse (et à son prix inversement proportionnel …). Mais peut-être le lecteur attendait-il l’actualisation de l’ouvrage synthétique de G. Colonna paru en 1985 (Santuari d’Etruria) … Ce n’est définitivement pas le cas mais cela reste une belle fenêtre ouverte sur le sujet, avec une grande variété d’exemples (géographiquement, temporellement, typologiquement), qui s’adresse seulement à des spécialistes.

(l’étude de la base inscrite dite de Kanuta à Orvieto c’est tout de même quelque chose … 7)