Les Vainqueurs

Comment la France a gagné la Grande Guerre
Essai historique de Michel Goya.

Le soldat acteur et spectateur.

C‘est la saison, et c’est la saison depuis quatre ans. La Première Guerre Mondiale est d’actualité et chaque auteur a maintenant fait parvenir son texte à son éditeur, puisque l’an prochain, ce sera trop tard. Qui s’intéressera à un 110e anniversaire ? M. Goya ne fait pas partie des opportunistes qui ont préparé leur coup à partir de rien mais était déjà un spécialiste du conflit. Dans ce nouveau livre l’auteur souhaite se démarquer d’une historiographie, déjà ancienne (et qui d’une certaine manière pervertie les avancées de J. Keegan sur le ressenti des combattants), qui ne voit les soldats de la Première Guerre Mondiale que comme des victimes. Pour M. Goya, ils sont les vainqueurs du conflit comme le dit le titre, pas des citoyens contraints qui attendent l’obus dans une totale résignation. Les soldats au front font plus que tenir, ils réforment voire révolutionnent la manière de combattre en quatre ans. Qui peut imaginer en 1914, avec ses combattants en masses compactes, que l’armée française sera à deux doigts de créer des divisions blindées en 1918, tout en fournissant en armes la majorité des armées alliées ?

L’avant-propos est on ne peut plus clair, surtout dans ses dernières lignes : « ce n’est pas une étude sur les conditions de vie dans les tranchées, c’est une étude sur la manière dont on donne la mort » (p. 13). L’objectif de l’auteur est aussi de combler un manque dans l’historiographie, qui ne s’est pas assez intéressé aux tactiques et où les armées françaises sont trop absentes.

Le premier chapitre se place du côté allemand et détaille les problèmes stratégiques que rencontre l’état-major impérial au début de l’année 1918. La guerre à l’est est achevée et en février est signé un traité de paix avec les bolchéviques. Cela libère des moyens et des hommes pour les autres fronts, mais dans le même temps, les Etats-Unis ont rejoint le côté des Alliés et entreprennent de bâtir une armée en France. Pour changer les choses à l’ouest, il est décidé de faire porter la pression sur les troupes britanniques. Côté allié, après les efforts inutiles de 1917, on attend que le rapport de force s’inverse, en prenant garde à ne pas dégarnir le front principal au profit de l’Orient (contre l’empire ottoman ou en Macédoine). M. Goya décrit enfin les forces en présence, notamment les tendances dans la production d’armes.

Le chapitre suivant étudie les différentes doctrines en présence pour mettre fin au statut quo. Les offensives Nivelle avaient échoué en 1917, conduisant à la crise des « mutineries » et à l’arrivée aux affaires du général Pétain. Ce dernier souhaite consommer les réserves allemandes en augmentant le nombre d’attaques en différents points du front, en profitant de l’avantage logistique que possède la France avec sa flotte de camions (le service automobile comprend 88000 camions en 1918, contre 40000 en Allemagne). Ces attaques très préparées seront limitées, ne voulant pas prendre possession de la seconde ligne. L’objectif est double : secouer le front et faire remonter le moral de la troupe par de petits succès.

Mais il n’y a pas qu’à terre que l’on se bat. Les espaces fluides, mer et air, sont aussi des zones de combat (troisième chapitre). Là encore, l’auteur passe en revue les forces en présence, décrit les nouveautés du conflit (sous-marins, convois, direction du tir d’artillerie depuis les airs), le blocus de l’Allemagne, l’absence de batailles navales, l’entrée en scène poussive du bombardement aérien. Mais ce n’est pas de ce côté néanmoins que peut se faire la décision car la défense l’emporte toujours encore sur l’attaque, malgré la suprématie alliée dans ces domaines (p. 82).

L’armée française est grandement transformée depuis 1914. Des armes collectives, qui font le lien entre le fusil et le canon (p. 87), ont fait leur apparition dans les régiments d’infanterie. Les chars sont de plus en plus nombreux, de plus en plus fiables, et l’artillerie lourde, absente en 1914, rejoint en nombre l’artillerie lourde allemande début 1918. L’artillerie bénéficie du travail de la moitié de l’aviation, et cette même aviation voit ses avions atteindre des altitudes de 6000 mètres. Le manque de chevaux et le manque d’espaces pour le combat de cavalerie font que la cavalerie se motorise et se piétonise en grande partie. Enfin, de nombreux cavaliers sont transférés vers l’artillerie spéciale (les chars) et l’aviation où ils importent leurs traditions (p. 104).

Mais les Allemands prennent l’initiative de l’attaque le 21 mars, après deux mois de préparation et d’intoxication de l’ennemi. Trois vagues sont prévues, totalisant 86 divisions. Par endroit, cela représente une division par kilomètre de front (p. 111). La force d’attaque est plus importante que sa cible, la force expéditionnaire britannique. L’offensive n’est stoppée le 31 mars que grâce au forces françaises, transportés d’urgence pour sauver les Britanniques. L’alerte a été chaude et si les Allemands ont gagné du terrain, stratégiquement, c’est un échec. Au vu de la coordination nécessaire entre les armées que démontre l’offensive allemande, Foch obtient le commandement en chef. Les attaques allemandes continuent sur d’autres secteurs jusqu’en juin, obtenant presque des effets stratégiques (p. 158).

Le 18 juillet 1918, les Alliés lancent une attaque du côté de Soissons. Le succès est inespéré, avec un gain de terrain de 8 km, le record depuis 1915 (p. 193). Quand, au 15 septembre, les opérations prennent fin, tout le terrain perdu en 1918 par les Alliés a été regagné. Si la volonté allemande de négocier après un grand succès a été contrecarrée, rien n’est encore gagné. Mais dans l’empire austro-hongrois, tout vacille déjà.

L’été 1918 a été riche d’enseignements, mis à profit par les Français (p. 225). Au-dessus de chaque division volent entre 50 et 100 avions et la doctrine d’emploi des chars au sein de l’infanterie est fixée. On commence à faire des plans pour 1919 …

Le 27 septembre débute la campagne suivante (chapitre onze). Le succès allié est très grand, avec des effets stratégiques importants cette fois. Le moral allemand est en chute libre, dans la troupe comme au sommet. Le 29 septembre, le quartier général allemand considère qu’il faut demander un armistice, mais seulement aux Etats-Unis (p. 242). Le 3 novembre, Max de Bade devient chancelier.

C’est ce moment que choisit l’auteur pour nous transporter brièvement du côté de l’armée d’Orient (douzième chapitre). Une offensive est lancée le 15 septembre et la réussite est inespérée. La Bulgarie est défaite le 26, et la route vers la Bavière s’ouvre. Les armées françaises sont scindées en deux. L’une se dirige vers la Roumanie et l’autre part libérer Belgrade, ce qui est fait le 1er novembre.

Tout se précipite donc fin octobre et le 11 novembre, après négociations, un armistice est conclu. De nombreux généraux français se sentent frustrés de ne pas être allé prendre Berlin (ou du moins entrer en Allemagne), mais pour Foch, il faut avant tout sauver des vies (p. 265). La situation en Allemagne et en Europe centrale est chaotique et l’état-major planifie toujours des opérations (jusqu’en juin 1919), en démobilisant lentement.

En 1919, les armées françaises ne cessent pas pour autant de réfléchir et de se projeter dans l’avenir. Mais les ressources manquent et les plans de modernisation prennent du retard dés le début des années 20. Un repli physique et intellectuel se met en place, renforcé par le fait que les vainqueurs de 1918 vont rester vingt ans aux affaires et que la situation diplomatique redevient celle de 1880. Arrive 1940 … mais Bir Hakeim montre ce qu’il était possible de faire en 1939.

L’exposé de M. Goya est d’une lumineuse clarté, et il en faut pour guider le lecteur au travers du dédale des divisions et des lieux.  Il retrace l’année 1918, riche en retournement, d’une manière admirable en laissant aucun secteur inexploré. Il replace ainsi de manière synthétique ses travaux précédents sur l’innovation au sein de la période. C’est évidemment un travail sérieux, avec des notes en nombre suffisant, mais qui n’effraieront pas le lecteur non spécialiste (qui sera prié toutefois d’avoir des bases sur les Première Guerre Mondiale). Le texte est accompagné de plusieurs cartes (qui auraient mérité d’être encore plus nombreuses, surtout quand au cours du texte il est question d’autres parties du front) et la bibliographie indicative est bien sûr solide, diverses et à jour.  Une chronologie complète très utilement le livre. C‘est parfois un peu sec mais on ne peut pas dire que le thème encourage les envolées lyriques ou une écriture humoristique. Il y a juste une redite évitable p. 144 (le « prince impérial Kronprinz »), une confusion avec 1945 dans l’entrée des troupes françaises à Strasbourg dans la bibliographie (p. 327) et l’auteur aurait pu parler d’engins chenillés à la place de Caterpillars. Des broutilles qui montrent le niveau de l’ouvrage.

Les commémorations furent-elles à la hauteur de la victoire ?

(Pétain ne veut pas de divisions d’assaut, mais il y en a quand même p. 108 … 8)

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