Philippe Caza Artbook

Recueil d’œuvres graphiques de Philippe Caza.

Cosmique !

La série s’agrandit. Après J. Howe et F. Magnin, voilà le troisième chez le même éditeur avec une ouverture sur la science-fiction. La formule ne change pas non plus, avec un entretien de l’artiste pour commencer, puis suivent différents thèmes ou médias. Avec P. Caza, qui a démarré sa carrière en 1971, il faut bien 210 pages pour aborder la surface de sa production.

Première étape, la bande dessinée. Au tout début des années 1970, P. Caza est l’un des premiers en France à se lancer dans la production d’une bande dessinée pour adultes, pour se sortir du domaine de la publicité. Il collabore à Pilote puis à Métal Hurlant, dans des styles différents, avec la sortie des histoires en album par la suite. Presque en parallèle, P. Caza illustre les couvertures de romans de science-fiction et de fantasy des éditions OPTA puis J’ai lu. Ce sont ces commandes qui font la majorité du livre, mais il y a aussi quelques affiches. Certaines œuvres sont rassemblées par thèmes : Lovecraft, les monstres ou encore l’écologie. Quelques pages sont dévolues à des œuvres à destination de la jeunesse (mais pour des raisons assez évidentes au lecteur, pas la spécialité de P. Caza), il est proposé quelques aperçus de travaux pour le jeu de rôle ou les jeux vidéos, avec parmi ceux-ci, un intéressant projet mort-né autour de J. Verne. Plus étonnant encore, les projets de films d’animation auxquels P. Caza a participé, avec l’animation faite à Pyongyang ! Enfin pour clore le volume, les projets relatifs à la musique, au théâtre ou encore à l’opéra, avant quelques petites œuvres personnelles en guise de conclusion.

Les commentaires de l’artiste accompagnent le lecteur dans ces plus de cinquante ans de carrière, avec un éventail de styles considérable. Si le nu féminin est un intangible, la figure de la licorne et les monstres reviennent très souvent. Les motifs d’entrelacs, organiques ou droits, sont une marque de fabrique de P. Caza comme les ocelles rouges, parfois en abondance comme sur son iconique et fascinant écran du maître de jeu de l’Appel de Chtulhu. Certains personnages, déjà marmoréens, ont pu devenir des statues.

De belles découvertes, avec une visite guidée par l’auteur riche en éléments de contexte et une plongée dans l’élaboration des œuvres avec ses inspirations, les limites, la construction et les techniques. Beau !

(tous ces romans qui nous sont inconnus par contre … 8,5)

Game of Rome

L’Antiquité vidéoludique
Essai de philosophie esthétique appliquée à la représentation de l’Antiquité dans les jeux vidéo par Laury-Nuria André.

Vous verrez du paysage.

Les versions vidéoludiques, étrangement proches des modalités de réécritures post-homériques, ne nous placeraient-elles pas, avatars du jeu, dans la même position de spectateur pris à parti, investi, happé dans l’espace fallacieux que celle d’Enée [voyant Andromaque invoquer le fantôme d’Hector dans l’Enéide de Virgile, III, 301-355], contraints que nous serions, entre fascination pour le double et nostalgie de l’Antique, à voir le vrai dans le faux et à reconnaître à tout prix l’Antique, même dans une version tout-à-fait autre ? p. 44

L’Antiquité a disparu mais est toujours là. Tout comme le Moyen-Age tout entier est convoqué avec un château fort conséquent et un chevalier en cotte de mailles, il suffit de peu pour faire débarquer l’Antiquité. Quelques colonnes, et pas ruinées . Et comme d’autres médias, et plus encore avec son développement dans les quatre dernières décennies, le jeu vidéo n’est pas exempt de ses représentations et de son utilisation.

Cette figure du désir et de l’absence dans les jeux vidéo est l’objet de ce livre qui aborde le problème par le versant de l’esthétique. Doté de cent pages de texte et des deux carnets d’illustrations en couleurs, il se veut explorer en quatre chapitres plusieurs aspects de la relation entre Antiquité (très grecque dans ses exemples) et le médium vidéoludique.

L’introït définit l’ambition de ce livre, entre altérité et copie, avant qu’au lecteur ne soit proposé une analyse du jeu Rise of the Argonauts du point de vue de la mimêsis vis à vis d’Apollonios de Rhodes (qui conte justement l’histoire des Argonautes). Le second chapitre se concentre sur les paysages et comment ils sont utilisés dans les jeux vidéo. Le premier est le paysage épique, la plaine entre plage et ville comme dans l’Iliade et le second est le paysage sacro-idyllique, souvent avec un temple en pleine nature. Le troisième paysage évoqué est celui de la ville-monde, typiquement Rome, qui accentue les effets de dégradations (couleurs passées, maison devenant rapidement une ruine dans une simulation urbanistique p. 54).

La troisième chapitre analyse ce que l’auteur appelle le « syndrome Acropole », à savoir la rencontre entre la stéréotypie et l’hyperbole, et le « symptôme ornement », qui est la fusion du vase et du paysage dans le jeu Apotheon. Enfin, le dernier chapitre traite de la nostalgie de l’antique au XXIe siècle à travers l’insularisation de la Delphes antique dans le jeu Rise of the Argonauts répondant à celle figurant chez Apollonios. Précédant une bibliographie indicative, la conclusion devient sur le frottement (la tribologie) entre sciences de l’antiquité et médium vidéoludique.

Le livre est peut-être court, sa lecture en est inversement compliquée. C’est bel et bien de la philosophie esthétique, mais une expression très obscure. Certes on retrouve le paysage troyen, celui qui est aussi attribué à Pise (voir ici) mais on subit une avalanche continue de concepts que l’auteur rapproche d’un nombre d’exemples finalement très limités qui conduisent à se demander quelle validité ont les conclusions proposées. C’est parfois lourdement orienté politiquement (p. 16-18 en notes), pas forcément toujours de bonne foi (fort utile ce mythe de la statuaire grecque monochrome que nous allons glorieusement combattre p. 16) et semble méconnaître que le choix des ancêtres ne se limite pas à l’époque contemporaine (p. 18). Quand à la condescendance envers les « petites villes de province » (p. 53) … Finalement, de bonnes choses mais la forme rend le propos peu discernable.

(le jeu vidéo n’est pas une mimêsis mais une empreinte, un type, à l’égal des réécritures tardives …6)