Le Trophée

Nouvelle de science-fiction de Christian Léourier.

Mais que s’est-il passé ?

Avant de présenter la collection Une Heure Lumière à la manière plaisante d’un dépliant d’agence de voyage un peu étrange (et après une introduction regrettant que cette même collection n’ait pas fait naître chez les auteurs francophones de SF un attrait pour le roman court après sept années d’existence), le hors-série 2023 de la collection propose au lecteur une fort intéressante nouvelle qui voit une initiation tribale prendre une autre tournure.

Ilann, un homme au sang mêlé et sans clan, participe à la très traditionnelle chasse au matt, cette bête musclée au rostre proéminent (sorte de croisement entre le rhinocéros et le gnou) dans le défilé de Skarth. Ilann réussit à abattre le matt sur lequel il avait réussi à grimper. Cependant il ne reçoit pas le symbole de sa victoire et de son nouveau statut parmi les Haelites. Au lieu de cela, pour pouvoir obtenir la cordelette écarlate de la part de la Mère, il doit emmener la dépouille de sa victime à la Colline Sacrée à l’aide d’un traîneau. Mais peut-être ne fera-t-il pas le voyage retour à vide …

Cette nouvelle est à classer dans la catégorie « science fiction subtile ». Pas de batailles à coup de lasers, pas de hackers dans des villes pluvieuses, juste un voyage comme on pourrait en faire dans une œuvre se déroulant dans un environnement pré-industriel (si l’on ne tient pas compte de la faune). Il y a juste quelques petites allusions, sur une Venue, des gens qui ont un rapport différent à la modernité, une tradition pas partagée par tous, des descendants laissés sur ce qui doit donc être une autre planète. Et en fin de compte cela crée une tension chez le lecteur qui donne son sel à cette nouvelle. Alors certes, c’est un peu la foire aux néologismes au tout début, mais le format étant ce qu’il est …

Encore un hors-série du Bélial qui éveille la curiosité !

(échec et matt ! …8)

La millième nuit

Roman de science-fiction de Alastair Reynolds.

Sans Capitaine Cousteau.

D’Abigail Gentian sont issus 999 clones qui se retrouvent tous les deux cent mille ans pendant mille jours et nuits sur une planète pour rêver les expériences des autres et ainsi mettre à jour leur informations. Lors de la millième nuit doit être révélé le meilleur rêve (ou fil) et son auteur est alors en charge d’organiser la prochaine rencontre. Campion, un membre de la lignée, remarque une incohérence dans un fil présenté. Associé à son amante Purslane, il entreprend de vérifier son intuition. Mais est-il ce faisant en train de se mettre en travers du plus grand projet galactique ayant existé, allant bien au-delà des rivalités internes au clan ?

Pour un soi-disant tenant de la Hard-SF, l’auteur conte son histoire avec beaucoup de poésie et en cela la couverture reflète très bien le contenu. Le côté Hard-SF est plus à voir dans les caractéristiques du monde : les vaisseaux spatiaux par exemple, s’ils peuvent être construits en partie avec des composants organiques, ne peuvent que s’approcher de la vitesse de la lumière. Aussi les voyages sont extraordinairement longs dans toute la galaxie. Les clones étant virtuellement immortels, ce n’est pas un problème pour eux, mais les informations qu’ils se transmettent sont déjà périmées (nous aussi nous voyons des lumières du passé quand nous regardons les étoiles). C’est ce problème de l’unité de la galaxie, d’un temps partagé, qui est au cœur de ce court roman en plus de celui de l’humanité multiforme. Deux thèmes qui sont aussi présents dans Dune.

L’histoire développe les personnages aussi bien que ce type de format le permet, et l’auteur montre à plusieurs reprises son tour de main et son expérience dans des situations où il ne va pas au plus simple, toujours en accordant une attention particulière aux descriptions sensorielles (le retour de l’esprit dans le corps de la p. 93 par exemple, « le sentiment d’être comprimé dans une bouteille trop petite »). Et puis il y a de jolis rebondissements !

Un excellent roman, tout à fait digne de la collection.

(tous clones, tous différents … 8)