En terrain miné

Entretien épistolaire entre Elisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut.

C’est bizarrement sans Steven Seagal.

Ce livre, pas très gros, a fait un peu de bruit dans le landernau intellectuel français. Il rassemble une série de lettres que se sont envoyés E. de Fontenay et A. Finkielkraut, forme qui leur paraissait la plus adaptée (ou différente pour le moins) aux échanges qu’ils ont déjà depuis de très nombreuses années, plus posée et donnant plus de temps à la réflexion qu’une discussion in vivo.

Les deux auteurs ont bien entendu des lettres. E. de Fontenay est maître de conférences honoraire en philosophie, disciple entre autres de V. Jankélévitch, et A. Finkielkraut est académicien, ancien professeur au lycée et à Polytechnique. Chaque auteur a son style : A. Finkielkraut dégaine citation sur citation et E. de Fontenay est toujours très préoccupée de ce que l’échange soit une véritable discussion (p. 97), où chacun s’adresse à l’autre et non à un potentiel lecteur. Le pourquoi du livre apparaît même p. 191 : leur désaccord premier serait comment « concilier le courage et la prudence », alors que l’un est plus un héritier d’Auschwitz (A. Finkielkraut) et que l’autre est héritier de l’Appel du 18-Juin (E. de Fontenay, p. 225).

Les thèmes qu’ils abordent sont variés. L’amitié en premier lieu (avec en regard ce que certaines amitiés sont devenues au XXe siècle), mais aussi le positionnement politique d’A. Finkielkraut (est-il conservateur, réactionnaire, allié à l’ultra-droite, allié à quelqu’un ?), Israël et l’antisémitisme (le premier contact d’A. Finkielkraut avec l’antisémitisme est déroutant p. 183), le progressisme, l’identité, la France (l’Histoire mondiale de la France dirigée par P. Boucheron ne trouve pas grâce aux yeux des deux épistoliers, p. 208-2012 et 2017-223), le néo-féminisme, Renaud Camus, le judaïsme, l’Islam, et d’autres sujets encore. Aucune lettre n’a l’exclusivité d’une unique thématique et souvent plusieurs discussions s’entremêlent, sans pour autant rendre leurs lectures ardues.

La difficulté de la lecture tient au fait que les deux discoureurs ont en commun une bonne partie de leurs références, que le lecteur n’a pas forcément : M. Kundera, D. Diderot, M. Foucault, des écrivains des années 30 aux positionnements politiques changeants comme E. Berl, J.-P. Sartre, E. Burke, J. Michelet, R. Char, N. de Staël, P. Bonnard … Pour apprécier pleinement l’échange d’arguments et certains emportements, il faut les connaître un minimum, sans parler du fait d’être assez au point sur l’histoire du XXe siècle français. Nous n’avons pu repérer qu’une erreur, ou approximation, c’est quand François est qualifié de premier pape non-européen (p. 104).

Mais à la fin du livre, le mystère s’est à peine désépaissi. Avec tant de fougue argumentative (flamboyante d’un côté, acérée de l’autre), que l’amitié ne soit pas atteinte et ébranlée (comme ils auraient aimé que leurs arguments ébranlent l’autre), c’est encore difficilement concevable. Et pourtant il semble bien, comme le montre parfois le livre, qu’il y ait des points d’accord … et une vivante amitié !

(la Grande Révolution comme Seconde sortie d’Egypte p. 189, voilà qui est puissant …7,5)

Petit inventaire des citations malmenées

Manuel de rectificateur de citations de Paul Desalmand et Yves Stalloni.

Citons, six thons.

Le problème avec les citations sur Internet, c’est qu’on ne peut jamais vraiment savoir si elles sont authentiques.  Abraham Lincoln

Ce petit livre semble avoir bénéficié d’un joli petit plan médiatique de de lancement à la fin de l’année 2009. Il faut dire que la gent journalistique y est visée au premier chef, comme propagatrice éhontée de citations fausses, non ou mal sourcées. Ils ont donc dû être nombreux dans les rédactions à recevoir ce petit livre très aéré de 180 pages. Certains ont peut-être même eu peur en posant leurs yeux sur une couverture où les personnages historiques qui y sont représentés le sont très mal.

Dans ce livre sont présentées 72 citations, certaines plus connues que d’autres, abondamment utilisées dans la vie courante et surtout dans la sphère médiatique. Elles sont rangées de manière alphabétique, selon leur auteur présumé. A ces citations et surtout aux explications qui les suivent, sont ajoutés 23 encadrés, en lien avec les auteurs ou des emplois de citations qui ont conduit à des désagréments (une erreur dans une citation donnée comme sujet de dissertation dans un concours par exemple, p. 183).

A l’évidence, il n’y a plus grand monde qui citerait de manière juste et complète. Ce ne sont pas les grands esprits qui se rencontrent mais les beaux (Voltaire p. 176), et ce n’est pas la tête de l’élève qui doit ne pas être bien pleine mais bien faite, mais son précepteur (Montaigne p. 114). Les auteurs en profitent aussi pour (tenter de ?) rétablir la réputation du maréchal de La Palisse (p. 88) et rappeler que A. Malraux a toujours démenti avoir qualifié le XXIe siècle (de religieux ou de spiritualiste ou encore de tout autre chose, p. 103). On apprend donc des quantités de choses, sur des phrases que l’on a entendues et même pour certaines, apprises. « L’enfer c’est les autres » est particulièrement bien expliqué (p. 147-153).

Mais les auteurs ne vont pas toujours au fond des explications, nous laissant un peu sur notre faim (p. 37 par exemple, ou p. 136). En plus, les auteurs peuvent parfois avoir des petits problèmes de contextualisation : J. César voulait-il rétablir la royauté alors qu’il l’a justement refusé la couronne (p. 39) ? Qui peut dire, dans la période à laquelle il vécut, que Henry IV ne s’intéressait pas à la religion (p. 78) ? Les auteurs se laissent aussi aller à l’avis péremptoire, faisant ainsi ressortir un manque de recherche. C’est assez gênant p. 50 sur le sport dévoyé par l’argent, ou encore p. 118. Mais ce livre n’est pas qu’orgueil. P. Desalmand fait aussi part d’une erreur qu’il a précédemment écrite p. 81. De plus, on peut se poser la question de leur lecture d’ouvrages anglais, quand on voit le contresens fait avec le personnage de J. Watson, l’acolyte de S. Holmes, qui devient physicien au lieu de rester médecin (p. 55, en anglais physician et pas physicist). Un contresens dans un livre sur les contresens en somme …

Mais le point noir reste à venir. Dans un ouvrage qui pourfend les citations mal référencées, les auteurs citent … internet. Juste internet, sans aucune autre précision. Faites ce que je dis, pas ce que je fais … Ceci fait que l’on ressort de la lecture de ce livre de manière insatisfaite, voire très sérieusement mitigé. S’il y a ces imprécisions (c’est en série sur Les protocoles des Sages de Sion p. 164), que valent les mises au point ? Il est dur de vouloir être irréprochable.

(Albert Memmi, p. 55, il n’a juste pas de chance de se faire aligner ainsi ou c’est une vindicte personnelle ? 6,5)