Le mythe du grand silence

Auschwitz, les Français, la mémoire
Essai d’histoire culturelle de François Azouvi.

Découvrir ce que l’on sait déjà, le retour.

Jamais l’Histoire n’avait tant ressemblé à l’Ancien Testament ! Albert Béguin, le 24 août 1945 dans Témoignage Chrétien, cité p. 54

Nous avons, il semble, pris la trilogie par le milieu en lisant Français, on ne vous a rien caché. La Résistance, Vichy, notre mémoire de F. Azouvi. Si rien ne manquait à la lecture de ce livre pour permettre sa compréhension, l’auteur avait changé d’avis sur le « Syndrome de Vichy » après l’écriture du Mythe du Grand Silence. Il reste que les deux sujets ne sont pas liés que chronologiquement, ils sont aussi liés dans la manière dont ils sont perçus à partir des années 1970 : la « découverte » de ce qui était connu de quasi tous mais où ces mêmes personnes veulent se persuader que c’est un scandale nouveau. Ce nouveau paradigme, français et occidental, qui voit la victime supplanter le héros entre 1945 et les années 1970, se met en place de manière très progressive et, bien sûr, avec de multiples facteurs.

F. Azouvi commence donc son analyse en 1944 avec la manière dont l’opinion publique apprend de manière libre, avec la reparution des journaux, la génocide des Juifs. Entre l’été 1944 et le début de l’année 1945, de nombreux articles parlent du sujet dans des journaux tant nationaux que locaux, confessionnels ou militants. Les déportés font clairement partie des « catégories d’absents » (W. d’Ormesson cité p. 25) et les photos de charnier ne sont pas absentes. Assez rapidement, une production littéraire apparaît, basée sur ce qui est su à la fin de la guerre. La souffrance spécifique des Juifs est donc connue des Français, mais elle prend place au sein d’un paysage de résistants fusillés et déportés et de victimes des combats. Il y a la volonté chez certains auteurs (y compris le grand rabbin de France p. 69) d’héroïser le déporté juif pour le placer au même niveau que le résistant déporté pour ses actes et pas pour ce qu’il est. Cette approche « franco-judaïque », être victime parce que Français, est aussi une manière de ne pas donner rétrospectivement raison aux Nazis (p. 41). D’autres enfin, plutôt catholiques, tentent de christologiser les victimes de l’Holocauste (le terme qui justement marque cette « annexion » chrétienne). Au sortir de la guerre, les élites intellectuelles françaises ne peuvent ignorer le sort des Juifs français et européens, un événement qui intègre les manuels scolaires dès la fin des années 40 (p. 64).

Le second chapitre explore l’entrée du génocide dans le monde de la fiction, tant romanesque que filmée. Les témoignages, nombreux dans les années 40, se raréfient dans les années 1950. De nombreux romans paraissent en France, essayant de rendre l’expérience concentrationnaire, vécue ou nom. Le Prix Goncourt récompense des romans qui abordent le génocide de près ou de loin en 1953, 1955, 1956, 1957 et 1959 (p. 121) ! Déjà en 1952 était publié un roman se plaçant du côté du bourreau avec Robert Merle: La mort est mon métier. Paru en 1950, le Journal d’Anne Frank est adapté au théâtre en 1957 et au cinéma en 1960. Les chiffres de vente du livre sont très important. Dès décembre 1945, le cinéma s’empare du sujet et une étape de plus est franchie en 1948, quand sort le film polonais La Dernière Etape, filmé à Auschwitz même. La décennie 1950 ne voit pas cette production s’assécher, tout comme la suivante.

La seconde partie du livre est consacrée par F. Azouvi à la place du génocide dans l’espace public. Au début des années 60 , deux évènements occupent l’espace public : le procès d’A. Eichmann à Jérusalem en 1961 (un consensus) et le succès polémique de la pièce de théâtre Le Vicaire (de R. Hochhuth) à partir de 1963. Le scandale du Vicaire, qui attaque frontalement Pie XII et son action durant la Deuxième Guerre Mondiale, prend justement place pendant le Concile Vatican II, moment de redéfinition des liens entre le catholicisme et le judaïsme. En fin de processus (en 1965), l’accusation de déicide à l’encontre des Juifs est retiré du Canon et disparaît de la liturgie pascale. Le lien entre le projet de réforme et le génocide est clairement fait par le cardinal Béa en 1963 (p. 196). En 1963 aussi, en même temps que sous l’influence de H. Arendt se trouve interrogée la « passivité » et la « collaboration »des Juifs, le génocide se trouve une métonymie : Auschwitz (p. 209).

Enfin, dans une dernière partie, F. Azouvi détaille à partir des années 1970 le changement de pied gouvernemental vis à vis du génocide, en même temps que s’impose la thèse du refoulé psychanalytique (p. 377, en France comme aux Etats-Unis) et que le génocide perd son horizon d’universalité (p. 329). En 1972 est révélé que le président Pompidou (en total décalage avec l’opinion publique p. 296) a gracié Paul Touvier, ancien milicien, en même temps qu’il demandait l’extradition de Klaus Barbie (ancien chef de la Gestapo à Lyon) à la Bolivie. Ce changement de pied se matérialise dans une politique judiciaire, bien dynamisée (souvent contre son gré) par S. Wiesenthal et les époux Klarsfeld. Le « consensus antitotalitaire » est fort, il y a une demande de compte générationnelle (pour qui sont-ils morts ? Pour Dieu, la France, rien ? p. 220), mais la libéralisation des médias permet aussi l’arrivée à lumière non seulement du révisionnisme mais aussi du négationnisme (p.317).

En 1987 a enfin lieu le procès Barbie. Celui qui a torturé J. Moulin est jugé pour la déportation des enfants d’Izieux. Pour l’auteur c’est la fin d’un processus de reconnaissance et de mémorisation du génocide en France (p. 382). L’Église catholique a fait acte de repentance en 1986, la même année où le maire de Paris J. Chrirac parle déjà de la responsabilité de la France au Vél d’Hiv’, annonçant le discours de 1995. En 1989, une plainte est déposée contre René Bousquet (ancien secrétaire général de la police de Vichy), un intime du président F. Mitterrand, que ce dernier ne peut plus protéger.

L’épilogue, enfin, aborde le devoir de mémoire et ses difficultés (Ricoeur et Todorov, Auschwitz comme tentation d’innocence p. 333) mais aussi l’attraction victimaire, chez les descendants ou d’autres groupes, mais également suscitant la mythomanie (fausse confession parue en 1995, p. 400).

Ouvrage très dense, documenté de manière très large, ce livre bénéficie en plus de l’usage d’une langue claire et légère. Ne s’interdisant pas des structures de chapitres complexes, il se lit avec un grand plaisir de lecture qui touche quand même à la dévoration. Mais sans se départir de sa scientificité, l’auteur laisse paraître un agacement face au phénomène de redécouverte, alors qu’à tout moment les informations sont là, distillées d’une infinie de façons, pour qui les cherche et enseignées de manière très précoce. Il y a bien sûr certains faits saillants, que nous ne pouvons tous citer ici, qui montrent que la réinvention de l’eau tiède est assez répandue. En 1947 par exemple est publié le premier livre consacré à la Résistance juive, distinguant ainsi héros et victimes, dans une claire échelle de valeurs (p. 69). Mais aussi qu’en 1953 est construit le premier monument commémoratif à Paris, avant Yad Vashem à Jérusalem. Un livre d’histoire des mentalités comme il y en a peu, un indispensable pour ceux qui veulent interroger les liens entre Histoire et Mémoire.

(les années 1970, c’est la mémoire chacun chez soi p. 329 … 8,5)

Mots & fourneaux

La cuisine de A à Z
Dictionnaire de la table française par Tristan Hordé.

On ne nous ramassera pas à la cuiller ensuite.

Qui dit cuisine qui se diversifie et gagne en complexité (tout n’est pas bouilli) dit nouveaux mots pour décrire de nouveaux ingrédients, de nouveaux outils, de nouvelles manières de travailler et de présenter le résultat de la préparation. Pour se limiter, l’auteur propose ici des mots apparus en français depuis le XIe siècle et relatifs à l’alimentation (hors boissons, sauf exceptions en passant), à la cuisine et à la table. Ouvrage conséquent, il s’apprécie en tranches fines.

Comme c’est un dictionnaire, il n’y a pas vraiment d’histoire, hormis celle très déconstruite de la culture comestible avec quelques rappels toujours utiles, comme sur le fait que le petit déjeuner sucré est une invention récente pour une majorité de la population ou sur la place fondamentale de l’œuf dans l’alimentation humaine et les changements dans ce qui était considéré comme la viande la plus noble (le bœuf n’obtient une place proéminente qu’au XVIIe siècle, p. 515). Il y a donc beaucoup à apprendre dans ce dictionnaire (très étonnant article « Bol p. 75), dont des noms de recettes particulières (à la maréchale p. 313 par exemple, avec des truffes et des pointes d’asperges panées) ou plus intéressants encore, ce que des vendeurs de rue pouvaient crier afin de se faire identifier (pour les oranges p. 366).

Malgré ses attraits et sa diversité, le dictionnaire contient beaucoup d’articles qui nous semblent incomplets ou avec des erreurs. Ainsi l’article « Kebab » ne parle pas de viande grillée (p. 283), celui sur les lentilles se trompe complètement sur Esaü qui reviendrait des champs (alors qu’il est justement un chasseur ne cultivant rien, p. 297) et qu’à la p. 343 on retrouve Mossoul en Afghanistan. Sous « végétarisme », le refus de la viande dans l’Antiquité est aussi très incomplet, sans prendre en compte la dimension religieuse et ce qu’implique de refuser la viande du sacrifice (p. 511-512, comme le montre ici J. Scheid).

On peut aussi observer un biais prescriptif plus que descriptif dans certains articles. C’est le cas pour « Brandade » où la définition portugaise devient « abusive » (p. 88). L’article sur la « Carbonara » ne mentionne pas non plus que l’adjonction de crème en France (mais pas que) se démarque très nettement de la recette italienne d’origine (p. 106). Et nous arrêterons notre liste ici …

De manière générale, le verbe emprunter est utilisé de manière trop libérale dans les étymologies. Le lecteur a très vite la furieuse impression que le grec est totalement antérieur au latin (et qu’il n’y a donc aucune racine commune aux deux langues), et que le français ne fait qu’emprunter à ce dernier (ce qui nous semble très difficilement défendable). De ce fait, tout ce qui a attrait aux mots régionaux devient sujet à caution, avec une interrogation sur l’emploi contemporain de ces mots (p. 59 par exemple sur l’emploi du terme « roussette » pour désigner un beignet en Alsace).

A boire et à manger donc.

(les horaires des repas ont fluctué dans tous les sens p. 435 …6)

Urban Legends

Civic Identity and the Classical Past in Northern Italy. 1250-1350.
Essai d’histoire médiévale nord-italienne de Carrie Beneš.

Comme l’épigraphe de ce chapitre le suggère, ces traductions sont à but légal, moral ou historique comme pour l’amusement. Elles cherchent à rendre le passé classique plus accessible parce qu’il était pertinent pour le vécu concret, non parce qu’il était drôle ou intrinsèquement supérieur. p. 156

Une légende faite sienne.

Dans le panier de crabes de la politique italienne du Moyen-Age central, où tous types de pouvoirs féodaux se confrontent, on ne se contente pas des mercenaires, des statuts et privilèges octroyés par l’empereur ou le pape, des assassinats et des alliances de revers mais on veut aussi s’affirmer et démontrer son bon droit et sa prééminence au travers de fondateurs illustres et, surtout, anciens. Mais pour présenter aux autres un récit cohérent et intimidant, il faut avoir les ressources intellectuelles pour élaborer ce dernier. Et donc avoir sous la main ou à proximité des spécialistes de l’histoire ancienne, c’est-à-dire romaine, avec des artistes ou des poètes pour la mise en forme.

Parmi tous ces pouvoirs, l’auteur a fait le choix de se limiter à quelques communes (dont l’émergence est souvent récente) du nord de l’Italie : Padoue, Sienne, Gênes et Pérouse. Mais avant cela, il y a une introduction présentant l’objet de l’ouvrage puis un premier chapitre ayant pour objet la redécouverte du passé romain en Italie. Ainsi, au tout début du XIVe siècle, un auteur florentin qualifie sa ville de « fille et créature de Rome », une ville qui monte pendant que sa génitrice décline (p. 15). Dante parlait à l’identique de la même Florence (mariant Fiesole, Troie et Rome).  Il illustrait les trois manières possibles pour une ville de se rapprocher de l’Urbs, référence ultime même sans la papauté déplacée à Avignon : directement fondée par Rome, fondée parallèlement à Rome (par un Troyen par exemple) ou être d’une fondation plus ancienne que la Ville Eternelle.

C’est bien sûr ce qui se passe aussi pour nos quatre exemples à venir : Padoue est fondée par Antênor, Gênes par le prince troyen Janus, Pérouse par le Troyen (ou le Grec) Eulistes et Sienne par les deux fils jumeaux de Rémus. Parmi les villes qui se disent fondées par des Grecs (malgré le fort penchant pour Troie des sources romaines), on peut compter Pise, fondée par Pélops. Un auteur pisan raconte même que les Pisans aidèrent les Achéens devant Troie (p. 19). Milan prétend aussi antidater Rome, sous le nom de Subria. De manière générale, de nombreuses villes revendiquent être la première ville fondée en Italie (un parallèle avec la ville biblique de Caïn, en Genèse 4, 17) : Fiesole, Ravenne, Gênes au travers d’un autre Janus … A ces histoires sont associées des lieux ou des monuments, comme à Rimini, où l’on remplace au XVe siècle une stèle plus ancienne commémorant le discours de Jules César après le passage du Rubicon (p. 24). A chaque fois, il y a un but double à ces fondations mythique : un regain de gloire municipale mais aussi un véhicule pour l’unité des bourgeois renvoyés à une origine commune (p. 35).

Le second chapitre inaugure la partie des études particulières avec la ville de Padoue. Ces études sont toujours conduites selon le même schéma : une carte ouvre le chapitre, puis suis une contextualisation (naissance de la commune, autres seigneuries d’importance aux frontières, développement de la ville, fonctionnement etc.), comment la commune adopte officiellement l’histoire fondatrice et quelles sont les manifestations physiques que cela engendre, avec quelles intentions et quels moyens. Dans le cas de Padoue, on fait appel à Virgile et Tite -Live pour les sources (p. 44) et cela se matérialise dans la reconstruction de la tombe d’Antênor à côté de la cathédrale en 1283 après avoir fait graver sur une porte de la ville un poème sur Antênor dès 1210. Un cercle préhumaniste est à l’origine de la rénovation de la tombe, comprenant une très forte représentation de professions juridiques.

A Gênes (troisième chapitre), c’est le célébrissime Jacques de Voragine, archevêque, qui prend les choses en main. Il agrège trois différentes histoires (se basant sur Isidore de Séville, Paul Diacre, Solinus, Jacopo Doria etc.), chacune ayant un Janus comme héros, pour les fondre en une seule (p. 76) : un Janus vient de Terre Sainte régner en Italie à partir de Gênes juste après le Déluge, un second Janus vient de Troie et un dernier d’Epire et sera divinisé par les Romains. Ainsi, l’un fonde, l’autre agrandit et embellit et le dernier est vénéré des Romains (sous la république, ce qui n’est pas sans importance). Toutes les cases sont cochées. Aux textes s’ajoute une monumentalisation dans la cathédrale de Gênes.

Le chapitre suivant s’attaque à Sienne. Cette dernière a la particularité de mettre en scène deux jumeaux allaités par une louve, ce qui peut paraître un honteux plagiat mais qui ne l’est pourtant pas, puisque l’emblème de Rome à ce moment-là est le lion (ce que l’auteur ne semble pas dire dans ce livre). Mais ces deux enfants ne sont pas Romulus et Rémus mais Aschius et Senius, fils de Rémus. On retrouve ainsi la louve en sculpture sur la Porte Romaine et sur le Palais Public (la mairie) mais aussi divers loups vivants logés dans ce même palais. Des peintures dans le palais reprennent ce motif, tout comme le SPQR romain.

Pour ce qui est de Pérouse, le besoin d’un aqueduc (parmi d’autres projets édilitaires) permet de faire construire entre la cathédrale et le palais public (deux bâtiments mis au goût du jour à la toute fin du XIIIe siècle) une fontaine monumentale. C’est là qu’intervient Eulistes, un roi étrusque, mentionné dans le commentaire de l’Enéide par Servius (p. 121). La nouvelle fontaine, bâtie en 1278 sur la place principale de Pérouse, lui rend hommage en le plaçant parmi les douze statues qui la scandent. Les Pisano père et fils sont responsable de la partie artistique du projet. La littérature vient ensuite, avec la commande par la commune à Boniface de Vérone d’un poème sur le fondateur, suivie d’une version en prose une fois l’œuvre acceptée.

Le dernier chapitre du livre explore plus en profondeur la relation entre connaissance du monde classique et service de la commune. Plusieurs types de personnes sont impliquées dans l’utilisation des sources antiques pour célébrer des fondateurs et utiliser leur aura. Il y a ainsi ceux qui commanditent et ceux qui exécutent, ceux qui maîtrisent le latin et ceux qui n’ont pas cette éducation, le tout dans des réseaux de toutes sortes (familiaux, professionnels, religieux, de patronage) qui voient circuler les idées dans toute l’Italie et au-delà. L’élite éduquée, celles de ceux passés par les universités parle avec la bourgeoisie des guildes, riche mais ne pouvant lire que des traductions, tout en étant dans le même bain de traditions orales que toute la population de la commune. Un processus bidirectionnel (p. 154) se met donc en place, permettant la participation de chacun aux rituels communaux, promouvant une identité civique.

La conclusion revient sur le concept de conscience historique : les Italiens du XIIIe siècle ont bien à l’esprit que l’histoire de Rome est la leur. Difficile de l’oublier, tant les pierres le rappelaient à tout bout de champs. Les communes, qui doivent gérer leurs affaires dans un monde très concurrentiel, cherchent des modèles et ceux de la Rome républicaine ont montré leur efficacité.

L’ouvrage est complété par un répertoire biographique très utile (tous les gens cités ne sont pas connus et leurs liens connus que des spécialistes), les notes (du très sérieux), la bibliographie et un index.

Ouvrage très intéressant et creusant admirablement ses exemples, on ne peut que regretter qu’il ne prenne que ces quatre exemples et qu’il n’élargisse pas à d’autres types de pouvoir (cela existe ailleurs). On sent que c’est pleinement dans les cordes de l’auteur, quand on voit comment, en plus des innombrables exemples ne touchant pas aux quatre cités, sont traités les cas de réfutations de prétentions par des cités rivales. Comme celui-ci le dit très clairement (p. 4), l’appropriation du passé antique par les cités-Etat italiennes atteste d’un intérêt bien plus large pour l’Antiquité qu’il est généralement perçu pour cette période. Et cet intérêt classicisant dans un environnement municipal complète le christianisme avec intelligence (p. 164). Mais parmi cette excellence et cette maîtrise de tous les instants (y compris au niveau de la forme), apparaît étrangement l’étonnante remarque que les républiques médiévales ne sont pas démocratiques au sens du XXIe siècle (p. 152) … Qui n’a jamais prétendu que république et démocratie sont des synonymes ?

Quelques graphiques des réseaux auraient été un plus, avec l’accumulation de noms et la bougeotte qui caractérise certains artistes et les exils d’autres. Mais le livre se dévore.

(Pise dans le Sud de la Toscane p. 19 ? …8)

Les petites phrases qui ont fait la grande histoire

Recueil de citations de Olivier Calon.

Problème de vexillologie.

Chaque personne passée par l’école primaire en France a sans-doute entendu, au détour d’une leçon d’histoire, une de ces phrases qui ne s’entendent qu’à ce moment-là mais qui fondent un socle sur lequel s’appuie une bonne partie des références culturelles communes du pays. « Souviens-toi du vase de Soissons » est sans doute l’unique fois que la ville de Soissons doit être évoquée dans une classe de toute la scolarité obligatoire (tout en étant moins drôle que le « Vous ne m’avez pas crue, vous m’aurez cuite ! » de Jeanne d’Arc). Si, parmi les citations et phrases du présent livre, cette parole attribuée à Clovis est très connue, il en est qui sont plus confidentielles.

La sélection se concentre uniquement sur la France, démarrant avec Clovis et s’achevant avec  Emmanuel Macron, distribuant les citations de manière inégale au gré des siècles. Le découpage en périodes permet des changements typographiques pas désagréables, mais faire démarrer la période contemporaine en 1970 ne repose sur rien.  Mais arrivé à ce point du livre, le lecteur averti a déjà compris que l’auteur est journaliste, pas historien (ni sans doute ancien étudiant en histoire). Parler de Royaume de Bourgogne au Bas Moyen-Age, ça pique (p. 47), mais pas autant que César empereur (p. 51). Qualifier Jacques Cœur de dernier croisé français au milieu du XVe siècle est aussi une erreur, puisque (souvenez-vous), il y a des croisades jusqu’au XVIIe siècle. Mais quand on parle d’Algériens en 1830 (p. 162), on frise l’anachronisme. Le bilan de la Campagne de France en 1940 aurait mérité plus de clarté, pour expliquer le décalage entre le discours de P. Pétain et l’armistice ainsi que l’influence de ce même décalage sur le nombre de prisonniers de guerre français (p. 225). Le lecteur cherchera longtemps ce que veut dire l’auteur quand il parle des « arcanes de l’armée » p. 192. L’Inquisition bénéficie toujours et encore du même traitement (p. 25) …

Chaque phrase est expliqué sur deux pages, avec souvent une pastille qui offre un approfondissement ou un contre-champ, la plupart du temps très appréciable. Le format bride donc la possibilité d’expliquer précisément et clairement certaines phrases, mais apporte aussi des satisfactions. Un livre moyen, pour autant très lisible, pas exempt d’avis de l’auteur dans leur crudité.

(pour les derniers choix, nous jugerons de leur historicité dans plusieurs décennies … 6)