Tracing the Indo-Europeans

New evidence from archaeology and historical linguistics
Recueil d’articles de paléolinguistique et d’archéologie sous la direction de Birgit Annette Olsen, Thomas Olander et Kristian Kristiansen.

On y fait des yeux grands comme cela !

Les études indo-européennes sont en plein renouvellement après une éclipse de plusieurs décennies, due en premier lieu à ce que les Nazis avaient fait de ce champ d’études mais aussi grâce aux développements à très grande vitesse de la recherche génétique depuis quinze ans. A tel point que la linguistique et l’archéologie peuvent maintenant créer des points de contact autres que théoriques (la question de l’origine géographique des indo-européens étant débattue depuis le XIXe siècle).

Deux thèses sont en présence. La première postule que les Indo-européens (c’est-à-dire ceux qui parlent cette protolangue qui donnera naissance à diverses branches, elles-mêmes amenant aux langues que l’on connaît) sont les mêmes qui ont introduit l’agriculture en Europe à la fin du cinquième millénaire avant notre ère. C. Renfrew en est le représentant le plus connu, avec plusieurs actualisations de ses positionstout au long de sa carrière. La seconde théorie dissocie l’agriculture des Indo-européens, ces derniers formant une vague postérieure (avec des arguments se basant sur le vocabulaire lié au chariot par exemple). Les chercheurs qui ont participé à ce livre se rattachent à la seconde théorie.

L’introduction propose tout d’abord une rapide mise au point historiographique (dont l’étude sur le tueur de dragon dans la poésie indo-européenne de C. Watkins p. 3) avant de présenter les différents chapitres. Le second chapitre, très pédagogique, revient sur le concept de langues indo-européennes, les différentes branches, la question de l’origine et les différentes méthodes qui permettent d’avancer dans cette question épineuse afin, grâce à des comparaisons entre branches, d’établir une chronologie. Pour T. Olander dans cet article, il est clair que si l’agriculture arrive vers 7000-6500 av. J.-C. en Europe, les Indo-européens ne s’y étendent qu’à partir de 4500 au plus tôt (p. 28).

Le chapitre suivant se concentre sur le vocabulaire en comparant celui du proto-indo-européen avec le proto-ouralique (dont sont issues notamment les langues finno-ougriennes) et le nostratique (qui serait ce qui unit les familles de langues eurasiatiques, dont les deux premières). Article très technique, il permet de distinguer comment proto-indo-européens et proto-ouraliens voient la nature par exemple, le nombres de lexèmes y renvoyant étant bien plus nombreux en proto-ouralien (p. 54).

Le quatrième chapitre passe ensuite à la culture qui semble avoir servi de support dans la diffusion indo-européenne dans le nord de l’Europe, la culture de la Céramique à décor cordé, entre 3600 et 2400 a. C. S’il y a mouvement de populations (et il n’est évidemment pas besoin de hordes innombrables), il y a aussi acculturation des populations déjà présentes, en utilisant des réseaux et des voies de communication déjà en usage (p. 88).

Le chapitre suivant quitte le Nord pour l’Est et rend compte de fouilles dans ce qui semble être le point de départ des Indo-européens, au sein de la culture Yamnaya, dans l’actuelle Russie, à Krasnosamarskoïe. Pour les fouilleurs, il s’agit sur ce site des restes de rituels d’initiation de jeunes hommes où des chiens et des loups sont sacrifiés, préparés et consommés (au milieu de l’hiver). Grâce à des parallèles indo-européens (védiques, celtes etc., en plus de l’extrême rareté de la consommation de chien dans toutes les cultures européennes), les fouilleurs concluent qu’étaient constitués des groupes de jeunes gens partant pour l’aventure avant de revenir adultes et qui devaient être « comme des chiens » (p. 112). Entre 1900 et 1700 a.C., toute la région devaient y envoyer ses jeunes au vu du nombre d’animaux concernés.

Le septième chapitre est un peu plus inattendu puisqu’il se propose de démontrer que le yoga n’est pas qu’une exclusivité du sous-continent indien mais qu’il fut aussi pratiqué (avec sa mythologie solaire p. 124) dans le Nord de l’Europe au premier millénaire avant notre ère. L’auteur se base sur une série de figurines retrouvées à Grevensvaenge au Danemark (à la fin du XVIIIe siècle) mais aussi sur une interprétation alternative du fameux chaudron de Gundestrup. Les gestes et les postures font d’eux non plus des acrobates ou des joueurs évitant un taureau (comme chez les Minoens) mais des yogis, des « enfants de la lumière » (p. 139), liant corps et esprit grâce à des pratiques corporelles.

La section suivante revient du côté de la linguistique pure et dure avec des comparaisons portant sur les liens familiaux (cognats et agnats) dans les différentes branches indo-européennes. Les conclusions réaffirment, entre autres, la patrilinéarité et la patrilocalité des indo-européens, l’omniprésence du suffixe *-ter pour décrire les liens interfamiliaux, l’exogamie des mariages et l’importance de l’oncle maternel pour le fils (p. 159-160).

Le dernier chapitre fait un peu pièce rapportée, puisqu’il étudie l’usage des chevaux dans les funérailles de dirigeants, mais sur une aire géographique très large. Mettant l’emphase sur la notion anthropologique d’aristocratie (des ancêtres encore vivants p. 166) et leur lien primordial avec le cheval chez les Indo-Européens mais pas que (sauf apparemment chez les Hittites p. 174), l’auteur passe ensuite en revue quelques cas, insistant cependant sur le tombe royale 47 de Salamine de Chypre. Le lien de cet article avec tous les autres dans ce livre semble tout de même plus ténu.

L’ouvrage sait être aride par moments. Il faut par exemple connaître les abréviations des cultures néolithiques de l’Europe septentrionale et suivre très attentivement ce que les vocabulaires comparés ont à nous apprendre. Comme déjà remarqué à propos d’un autre livre (voir ici), les Danois semblent tellement immergés dans la culture scientifique anglo-saxonne que quand ils souhaitent prendre un exemple de langue pour décrire son ascendance, ce n’est pas le danois qui est utilisé mais l’anglais (p. 7). Mais les contributions sont toutes de très grande qualité, faites par des spécialistes reconnus, et de manière générale la lecture en est agréable en plus d’être très instructive. Il y a un aspect toujours émerveillant à voir comment des racines se transforment, comment les mots se combinent, comment ils survivent et ce que l’on peut ainsi apprendre des mots et des concepts qu’ils désignent en usant de comparaisons. La veuve (vidua en latin, vidhàvā en védique, widow en anglais) est ainsi celle qui « est allouée » au frère du décédé (p. 155) démontrant un usage répandu du lévirat. Si l’article sur le yoga intrigue un peu, l’article sur l’initiation hivernale est très convaincant.

Toujours embêtant, les citations dans le texte sans notes infrapaginales permettent des citations pas très traçables, mais ce livre est une série de plaisirs, avec des questions ouvertes par les auteurs qui trouveront, nous l’espérons, des réponses dans les temps qui viennent et qui enflamment les esprits par les perspectives évoquées.

(Cerbère est présent aussi chez les Amérindiens p. 104 … 8)

Exploring Celtic Origins

New Ways Forward in Archaeology, Linguistics, and Genetics
Essai d’archéologie celtique sous la direction de Barry Cunliffe et John Koch.

On ne pousse pas à la roue !

B. Cunliffe propose depuis quelques années, et livre après livres une thèse sur la construction du monde celtique et de sa langue qui concurrence la théorie traditionnelle, qui voit l’Europe centrale comme foyer civilisationnel principal (Hallstatt-La Tène). Pour l’auteur, l’Atlantique joue un rôle prépondérant dans le développement de la culture celtique, du Portugal jusqu’aux Orcades. La pluridisciplinarité n’est pas un vain mot dans le travail de B. Cunliffe et ce livre ne fait pas exception. Il marque une étape supplémentaire dans le développement de la théorie dite « Celtic from the West » et fait participer des archéologues, des linguistes et des généticiens.

Dans un premier article B. Cunliffe présente le contexte en rappelant le travail accompli depuis des siècles sur l’origine des celtes puis présentant brièvement comment l’hypothèse principale est venue à la vie (p. 13). L’éditeur postule ainsi plusieurs phases dans le développement de la langue celtique entre 5000 avant J.-C. et nos jours, entre séparation du protoceltique de l’indo-européen (5000 – 2700 a.C.), expansion (2700 – 1700 a.C.), consolidation (1700 – 900 a.C.) et enfin dislocation et isolation (900 a.C. – aujourd’hui, p. 14-15).

Le second article, signé du second éditeur, présente l’avancée des recherches dans le projet. Il centre son propos sur l’aspect linguistique, rappelant que si l’on parlait grec à Mycènes (le linéaire B, souvenez-vous), rien n’empêche que l’on parle celte avant Hallstatt (p. 21). J. Koch va ensuite plus dans le détail avec la Celtique ibérique, il est vrai souvent oubliée. Pour lui, une arrivée du celtique par le Nord des Pyrénées est impossible, tant archéologiquement que linguistiquement (p. 29) et en 1400 a.C., il n’y a déjà plus d’intercompréhension entre les langues indo-européennes (p. 21). Enfin, dans une dernière partie, J. Koch rappelle les différences de perceptions temporelles des trois disciplines du projet. Si les linguistes s’appuient encore sur des ouvrages du XIXe siècle, l’archéologie a beaucoup évolué dans les dernières décennies et en matière de génétique, des travaux vieux de dix ans font partie de l’historiographie (p. 33) …

Dans l’article suivant, J. Koch et F. Fernandez se concentrent sur les celtes d’Ibérie, en cherchant à concilier les Indo-Européens de l’Est et les Celtes de l’Ouest. Le nœud du problème peut, selon eux, être résolu par l’étude de la culture dite des gobelets tronconiques ou gobelets à entonnoir, en plus des études toponymiques, en lien avec l’influence phénicienne de Tartessos. L’article suivant continue sur la même voie en s’intéressant à la diffusion de cette culture du gobelet à entonnoir dans toute l’Europe, de l’Espagne á l’Irlande, sa rencontre avec la culture de la céramique rubanée. L’article donne aussi beaucoup de renseignements sur les changements à l’Âge du Bronze sur la façade atlantique (changement dans les pratiques funéraires, dépôts métalliques, activités festives, sacrifices d’objets comme les chaudrons).

P. Bray signe l’article suivant et plonge le lecteur dans les délices de l’archéometallurgie, par son versant chimique mais aussi ses implications sociolinguistiques. Après quelques lignes historiographiques et quelques principes méthodologiques, l’auteur aborde les effets de la massification des données dans son domaine. Certains projets retiennent son attention, avant d’aller plus avant dans une méthode de détection de la provenance d’un métal par l’analyse de ses impuretés (p. 133-135). Le Chalcolithique et les différentes phases de l’Âge du Bronze sont synthétiquement passés en revue, en accord avec la première partie du propos.

Le sixième chapitre (avec neuf auteurs …) permet au lecteur de toucher du doigt l’actualité de la recherche en biologie génétique avec une étude sur l’archéogénétique des origines celtes. Après un court moment historiographique, un portait génétique des îles britanniques est dressé, avec ses correspondances européennes (p. 158-159), distinguant entre apports masculins et féminins. Certaines phases de changements peuvent être ainsi distinguées, n’invalidant pas deux vagues migratoires en Europe, l’une néolithique et agricole, l’autre, plus tardive, indo-européenne, par deux voies différentes.

Le dernier chapitre résume de manière admirable le livre et explique la difficulté pour chacune des parties de ce projet de comprendre l’autre et de confronter ses découvertes.

Ce livre n’apporte pas de réponses définitives mais décrit les développements récents sur une question ancienne. Il permet non seulement de s’interroger sur les Celtes et les Indo-Européens, mais aussi, en creux sur les autres peuples non indo-européens qui ont habités ou habitent encore ce continent. Pour les auteurs, si les Basques ne sont pas inclus dans la Celtique c’est à cause des conditions de navigation dans le Golfe de Biscaye qui les font sauter comme étape sur le chemin du Nord. De même, entre autres questions, on peut voir les Etrusques comme un peuple néolithique préglaciaire (comme les Samis) ou comme le résultat de la migration néolithique non touchée par une seconde vague indo-européenne ou arrivés avec elle. Les développements contemporains de l’archéogénétique ringardisent les études du génome étrusque (ou supposé tel à Murlo) conduites il y a plus de vingt ans.

Ces mouvements de populations ne sont pas sans conséquences majeures. Ainsi la population du néolithique est remplacée à 90% par les arrivants indo-européens des steppes en Grande-Bretagne et en Irlande (p. 60, nuancé p. 180). Mais le mouvement des cuivres entre l’Espagne et le Royaume-Uni, la refonte des objets (sa rapidité et les objets concernés en premier p. 137-138), la remise en question d’un passage direct du cuivre au bronze (p. 140, avec la cassitérite p. 143) entre autres, tout cette passion jaillissant à jets continus peut faire oublier des passages très arides et trop détaillés pour un lecteur pas déjà très informé sur le sujet.

Vivement la prochaine étape !

(cette place insoupçonnée de l’arc dans la péninsule ibérique p. 55-59 … 7)