Le désenchantement du monde

Essai de philosophie politique de Marcel Gauchet.

Lumineux, et loin d’Hélios.

Nous sommes des nains qui ont oublié de monter sur les épaules des géants. Si l’altitude de leurs prouesses nous est interdite, le secours de leur taille nous est offert. (p. 37)

Difficulté infinie de s’assurer de ce que l’on est quand votre identité cesse de vous être dite d’ailleurs par d’autres, et plus encore, étrangement, de se conformer à soi-même quand on est délié de l’obéissance aux dieux. (p. 326)

Marcel Gauchet a accru sa notoriété (mais pas forcément sa popularité) lors d’interventions dans le débat sur l’école ces dernières années. Cependant, ce thème n’est pas sa seule spécialité, puisqu’il était jusqu’il y a peu directeur d’études en philosophie politique à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (depuis 1989). Le présent ouvrage est son troisième livre, paru en 1985 (on y parle encore de l’occupation soviétique de la Pologne p. 12). Il a pour but d’expliquer la sortie de la religion des sociétés d’Europe occidentale, la « fonction du religieux » telle qu’elle fut et ce qu’il en reste (p. 11), une sortie qui n’est pas à confondre avec la fin des pratiques religieuses (comme l’auteur le rappelle à plusieurs reprises, dont à la page 312 dans le cas des Etats-Unis, et où la religion superstructure survit très bien à la fin de la religion infrastructure).

Pour ce faire, M. Gauchet organise son propos en deux parties principales, la première abordant l’origine, le sens et l’avenir du religieux (en quatre chapitres), et la seconde s’occupant plus spécifiquement du christianisme et son développement en Occident (en seulement deux chapitres). L’auteur a identifié deux écueils qu’il souhaite éviter pour conduire à bien cette étude : un écueil apologétique et un écueil athéiste (p. 14).

La première partie démarre donc avec l’analyse, forcément spéculative (« un abyme nous sépare de nos origines » p. 19), de ce qu’était la religion au néolithique, bien avant l’apparition de l’écriture. Pour l’auteur, la religion première est une externalité immodifiable, où la société s’oppose au politique (chaque membre de la société sait ce qu’il en est des dieux et le chef n’est qu’un passeur de la tradition) et le règne du passé pur (p. 50). Avant le basculement dans une religion où les hommes ont prise (très belle explication à la p. 28 avec la spatialisation divine, quand un dieu gouverne le monde au présent), la religion première est le choix de se fondre dans la Nature, c’est-à-dire la négation de la potentialité de l’outil (p. 52). De même, le glissement vers une religion de la transcendance (une divinité agissant dans le monde) est une réduction de l’altérité du fondement que l’auteur voit comme une conséquence de l’apparition de l’Etat (p. 64). Cette apparition, M. Gauchet la classe parmi les trois discontinuités majeures qui concourent à la sortie du religieux, avec l’apparition de divinités dites d’outre-monde et le mouvement interne du christianisme occidental (p. 65).  Et avec l’apparition de l’Etat, vient l’empire, qui agglomère à lui (avant l’Etat la guerre conduit à la destruction ou à l’expulsion de l’autre, pas à son absorption p. 78) et qui permet la duplication des registres d’expérience (la religion officielle et celle des soumis, pour faire vite, p. 81), rompant l’unicité de la société (mais aussi qui délégitime le passé, p. 252). L’auteur débouche au terme de cette réflexion sur la question de l’individualité et sur la période dite « axiale » théorisée par le philosophe allemand Karl Jaspers (entre 800 et 200 av. J.-C. et de la Chine à la Grèce) qui voit l’individu apparaître (p. 85).

M.Gauchet passe ensuite, dans un troisième chapitre au début nécessitant une attention de tous les instants (et pour tout dire difficile), à la dynamique de la transcendance. Il fait remarquer par exemple que le monarque de droit divin souligne l’absence du divin (p. 111) et que plus l’Etat organise la société, pour maintenir une hiérarchie principalement, plus il se délégitime et renforce ainsi l’égalitarisme (p. 113) qui se conjugue à l’autonomie religieuse de l’individu (né avec le monothéisme mais qui se renforce sensiblement avec le christianisme p. 127). Le chapitre suivant évoque la troisième composante de la refonte de l’expérience humaine : un nouveau rapport aux choses où l’Homme devient le maître de la Nature (qui donc est parallèle à la transformation du lien entre les personnes et la transformation de l’intelligence des choses, p. 132-133). Dans ce chapitre M. Gauchet souligne néanmoins que la Révolution néolithique ne porte pas l’Etat en son sein, mais juste sa potentialité. L’agriculture peut très bien être de juste subsistance, mais c’est le surplus qui entraîne pour lui la naissance de l’Etat (p. 141). De même, le monothéisme est pour M. Gauchet à lui seul insuffisant pour sortir de la religion (l’exemple de l’Islam p. 147). Ce qui produit la rupture, c’est l’investissement dans un autre monde contre celui-ci (p. 148), même si cet investissement (cette évasion) a aussi ses limites comme le montre le monachisme (p. 168, le choix du cénobitisme contre l’érémitisme).

La première partie s’achève avec des considérations sur le monde plein (tel qu’il l’est en Europe au XIIIe siècle), qui lance la conquête du temps puisque celle de l’espace est achevée (p. 177-178) et l’auteur conclut sur le fait que, de manière contrintuitive, c’est la « noria des êtres et l’universelle mobilité des choses » qui est le socle stable de notre civilisation (p. 181).

La seconde partie est d’un ton plus théologique que purement philosophique dans ses premières pages. M. Gauchet passe en revue la naissance du monothéisme, dans une société dominée (p. 2111-212), tout en distinguant très clairement les voyants des prophètes, soutiens de la religion mosaïque (p. 216-217). Ce développement conduit l’auteur à mettre en relief le grand changement qu’est le christianisme, combinant un messie inversé (Jésus, p. 231) à l’apport de Paul (p. 243). On ne suivra pas l’auteur sur sa vision d’Akhenaton, mais il faut dire que l’exposé sur la double nature de Jésus est plus que maîtrisé (comme conséquence logique du dogme de l’Incarnation, p. 249, ce qui a des conséquences sur le parallèle entre l’Eucharistie et l’Eglise, p. 267). Cette double nature emporte in fine que le chrétien bénéficie d’une indépendance individuelle hors le monde et qu’il est, en même temps, dépendant du monde au plan social et au plan sensible (p. 258-259). Ces deux principes sont en tension et l’auteur affine sa définition tout du long de cette partie, comme à la p. 327 par exemple (le chrétien n’est pas que peccamineux, il est aussi le siège d’un combat intérieur).

Au niveau politique, cette césure voit donc la contribution de l’Eglise à l’esprit de Liberté (p. 271, mais l’Egalité n’est pas en reste p. 296) comme elle marque la fin des rois-prêtres car il y a dorénavant rupture dans l’emboîtement Nature/Surnature (p. 275). Le roi de droit divin n’est plus le représentant d’une loi extérieure (ce qui est le cas dans la religion première) mais répond aux besoins du tenir-ensemble, il est représentation du fait même de l’Etat-Nation (p. 339).

Ce basculement religieux, du passé vers l’avenir, permet aussi l’émergence d’idéologies, puisque le futur est devenu modelable (p. 344-350). Néanmoins, pour M. Gauchet, « la manière dont nous travaillons à le générer exclut que nous le sachions. Et sans doute arrivons-nous justement au point critique où l’accumulation même des moyens de changement frappe d’inanité l’ambition prédictive des idéologies en faisant irrésistiblement ressortir l’inconnu principiel de l’avenir. Plus nous œuvrons délibérément pour lui, plus il nous devient ouvert » (p. 350).

La fin de l’ouvrage continue le cheminement historique, décortiquant la tentative hégémonique de l’Eglise qui tourne à son désavantage avec les affirmations princières (p. 296-301), pour arriver au tournant moderne, quand, avec la Réforme (p. 312), on peut enfin s’accommoder de la séparation des deux principes. Enfin, l’auteur aborde les grands changements induits par cette évolution (l’incertitude de l’avenir est la norme, laïcisation de l’histoire), avec les idéologies comme queue de comète de la religion infrastructurelle (p. 361), les conséquences sur l’éducation, sur la psyché (la difficulté d’être soi p. 406 : «  C’est quand les dieux s’éclipsent qu’il s’avère réellement que les hommes ne sont pas des dieux. » ) sur la politique devenu marché et sur la désymbolisation du monde (p. 386) qui appelle son administration. Des thèmes qui reviendront sous la plume de l’auteur et dont il élargit la liste en conclusion.

Lecteur, si tes yeux rencontrent cette phrase, tu auras compris que la lecture d’un tel livre laisse peu de place à d’autres activités en même temps. Mais cet ouvrage est excellemment écrit, et chaque mot est, comme il se doit dans ce domaine d’activité intellectuelle, très soigneusement et rigoureusement pesé. Et s’il faut parfois relire une phrase pour s’assurer de sa compréhension, ce livre est loin de tomber des mains. Son érudition est revigorante et son lien avec l’actualité n’arrive pas à être démenti (la laïcité qui naît dans le champ religieux p. 116), que cette actualité soir européenne ou mondiale.

L’auteur sait aussi être tonique, comme par exemple quand il s’attaque au marxisme néo-obscurantiste (p. 23) ou qu’il distribue des missiles méthodologiques (p.37). Mais si en de rares occasions l’auteur passe devant son propos, ce dernier est tout de même parmi ce qui peut se faire de mieux dans ce domaine d’études en France à l’heure actuelle.

Sûrement pas le dernier livre de M. Gauchet à figurer dans ces colonnes !

(ah on aurait aimé en savoir plus sur la conception byzantine du religieux p. 298 … mais le livre fait déjà plus de 400 pages de texte, sans illustrations … 8,5)

 

Meaning in the Visual Arts

Recueil d’articles d’histoire de l’art par Erwin Panofsky.

It has rightly been said that theory, if not received at the door of an empirical discipline, comes in through the chimney like a ghost and upset the furniture. But it is no less true that history, if not received at the door of a theoretical discipline dealing with the same set of phenomena, creeps into the cellar like a horde of mice and undermines the groundwork. p. 46

Intemporel.

Il est des livres que l’on regrette d’avoir lu si tard, quand on a repoussé une lecture d’année en année, alors qu’ils éclairent tant de choses vues et passées. Meaning in the Visual Arts de Erwin Panofsky appartient à cette catégorie et le rouge vient au front de celui qui aurait du lire un tel ouvrage il y a dix ans. E. Panofsky a été avec son ami Aby Warburg le grand théoricien de l’iconologie, méthode d’analyse de l’image, décrivant des signes pour les analyser ensuite à la lumière du contexte culturel et mental de l’œuvre. E. Panofsky est né à Hanovre en 1892, étudie à Fribourg, Berlin et Munich (sa thèse de  1914 porte sur la théorie de l’art d’Albrecht Dürer) avant d’enseigner à Hambourg. En 1933, radié de l’université par les lois raciales, il émigre aux Etats-Unis où il poursuit ses activités dans plusieurs centres d’enseignement de la côte Est.

Meaning in the Visual Arts est un ouvrage rassemblant sept articles de l’auteur (avec  une préface, une introduction et un épilogue), dont certains sont révisés après une première publication des décennies plus tôt et d’autres des courtes réponses (ou suites) à certains articles plus anciens (les deux contextes d’écriture sont visibles p. 333 et 338 en note, où Mayence fait suite à Mainz). La préface est très courte et consiste principalement en une bibliographie supplémentaire qui fait le point sur les évolutions scientifiques depuis les dates de première publication des articles (la première édition de Meaning in the Visual Arts date de 1955, et l’article le plus ancien repris dans le volume a été publié en 1921).

L’introduction a pour but de décrire l’histoire de l’art comme science humaine (l’auteur rappelle p. 35 que le moment où un objet devient œuvre d’art est difficile à définir) qui ne peut se limiter à l’esthétisme mais doit rendre compte de sa signification et contextualiser cette dernière au moyen d’une « re-création intuitive » (p. 38). Enfin, E. Panofsky explique sa vision de la relation entre sciences expérimentales et sciences humaines (p. 47-50).

Suit le premier article qui est une explication de la méthode iconologique appliqué à un objet artistique. Avant de l’appliquer à quelques œuvres (comme par exemple la Judith de Francesco Maffei p. 62), l’auteur détaille sa méthode en décrivant la description pré-iconographique, l’analyse iconographique et l’interprétation iconologique. E. Panofsky apporte un soin tout particulier à décrire l’enchaînement entre ces trois phases, leurs objets, les outils nécessaires et les principes correctifs (tableau récapitulatif p. 66). Particulièrement intéressant dans cet article est la description du changement d’état d’esprit vis-à-vis des œuvres antiques entre le Moyen-Âge et la Renaissance (une antiquité présente et étrangère pour l’homme médiéval, p. 77), sans pour autant que le paganisme fasse son retour. Aux XIIIe et XIVe siècles, on utilise des motifs classiques sans représenter des thèmes classiques et on utilise des motifs non classiques pour justement représenter ces thèmes classiques (p. 68).

L’article suivant s’attaque à l’histoire de la théorie des proportions humaines, en démarrant avec l’art égyptien (où un quadrillage sert à le construction de la figure, pas à son transfert p. 88), et en poursuivant avec l’art grec, les différentes branches de l’art médiéval (y compris byzantin) avant de naturellement, passer à la Renaissance (Léonard de Vinci et Léon Battista Alberti  p. 127-128). Une grande partie de l’article est consacré à Dürer qui a mené de véritables campagnes d’anthropométrie pour définir plusieurs types humains qu’il expose dans un livre paru en 1528. Il échoue par contre dans la théorisation des mouvements (p. 133). L’article se termine sur des considérations d’une très grande hauteur de vue sur le déclin de la théorie des proportions (qui passe du côté de la science) mise en rapport à la fin de la figure humaine (et des objets solides de manière générale p. 137), supplantée par la lumière et l’air dans un espace illimité.

Le troisième article est un peu en dehors du lot dans le sens où il est avant tout une biographie de l’abbé Suger de Saint-Denis (et ordonnateur de la basilique qui subsiste encore aujourd’hui, entre autres choses). Abbé de l’abbaye royale (et faisant prévaloir ses prérogatives, y compris au combat), il est aussi une sorte de ministre des affaires étrangères de son ami d’enfance, Louis VI. Nous sommes aussi entretenus de l’opposition qui a existé entre Suger et Bernard de Clairvaux (sur la réforme du monastère de Saint-Denis en premier lieu), ainsi que leur réconciliation. Mais si Saint-Denis cesse alors d’être une « synagogue de Satan » aux yeux de Bernard, elle reste « la forge de Vulcain » (comme le dit Bernard dans sa lettre de 1127, p. 155) tant l’influence dans les arts de Suger est immense. Mariant les doctrines chrétiennes et celles, néo-platoniciennes, de Plotin et Proclus (p. 159), Suger va insister sur la lumière pour donner naissance au style gothique (le chevet de l’abbatiale est ainsi plus céleste que terrestre dans les plans de Suger, que ce dernier discute dans sa justification écrite à la fin de sa vie, Liber de rebus in administratione sua gestis) et renouveler l’orfèvrerie sacrée où la perfection de la forme doit outrepasser la richesse des matériaux. Les vitraux deviennent allégoriques pour accompagner cette idée de l’ascension d’un monde matériel à un autre, immatériel (p. 159-166). Cette beauté ne laisse cependant pas insensible le grand et raide Bernard qui fait une description époustouflante de Saint –Denis (E. Panofsky ajoute que cette description ne peut que faire envie à tout historien de l’art p. 166), qui pourtant rejette cette voie comme trop matérielle, de raison humaine contre la raison divine et de sensualité combattant l’esprit. Et cette même beauté, Suger n’en est pas que l’ordonnateur et le théoricien, il en est en plus le maître d’œuvre, courant les bois (p. 177) pour trouver des fûts assez grand pour sa charpente à près de soixante ans !

L’article suivant nous envoie chez Le Titien. Il y est analysé son Allégorie de la Prudence, un triple portrait accompagné de trois têtes d’animaux. E. Panofsky explique tout d’abord les inscriptions, avant de donner un nom aux trois hommes portraiturés mais la majeure partie de l’article est consacrée aux têtes animales (lion, loup et chien), dont il fait remonter l’utilisation dans les productions humaines à Cerbère et à la chimère qui accompagne le dieu Sérapis (il y a de nombreuses reproductions de gravures dans le cahier d’illustration central). Enfin, E. Panofsky conclut avec la fonction de cette allégorie : commémorer les dispositions prises par Le Titien envers sa famille (et peut-être le couvercle de l’armoire  renfermant le testament du peintre s’aventure l’auteur, en toutes connaissances de cause p. 202).

Le cinquième article du recueil prend prétexte de la première page des Vies de Giorgio Vasari pour discuter de la vision qu’à la Renaissance italienne du style gothique, comparée à celle qui eut court au Nord des Alpes. La dépréciation du gothique, très forte  au XVIe en Italie à la différence de l’Empire, permet de manière paradoxale sa délimitation et in fine sa reconnaissance (p. 225). Même ses plus violents contempteurs finissent par admettre qu’un édifice gothique n’est pas si mal bâtit « compte tenu des connaissances de ces temps ténébreux » (comme par exemple, le même Vasari, p. 247). L’article est aussi l’occasion d’établir une liaison entre jardins anglais et gothisme (p. 218-219), le style gothique étant vu en Angleterre comme naturaliste, sans règles, né de l’observation des arbres  et donc approprié à des petits édifices dans des jardins. L’article est suivi par un excursus qui a pour but  de décrire deux façades dessinées par Domenico Beccafumi, qui propose la transformation d’un palais gothique à Sienne en quelque chose de moderne (en 1513).

L’antépénultième article du recueil revient les premiers amours de l’auteur : Albrecht Dürer. Il a pour but d’insister sur la place de passeur qui fut celle de l’artiste, entre l’Italie et le Nord des Alpes, à la fin du XVe siècle. Les œuvres qui ont inspiré le graveur et peintre de Nuremberg sont décrites, ainsi qu’est détaillée la manière dont elles ont pu être accessibles à l’artiste. Mais Dürer a aussi bénéficié des travaux d’érudits de son entourage qui lui ont traduit des œuvres (Ovide par exemple, p. 304). Mais Dürer, au contraire de ces érudits intéressés par la matière et non par la forme, fut l’un des rares septentrionaux à s’intéresser esthétiquement à l’héritage antique (p. 315), mais sans le copier directement (p. 329, mais aussi p. 305 sur le génie de Dürer). La différence de perception de l’art antique en Italie et en Allemagne est expliquée avec une très grande clarté p. 318-319. L’excursus qui suit cet article est centré sur l’influence qu’a eue A. Dürer sur le livre d’Apianus, Inscriptiones Sacrosanctae Vetustatis, paru en 1534.

Le septième article quitte la Germanie pour aller retrouver Poussin et analyser la célébrissime toile Et in Arcadia ego. E. Panofsky en profite pour différencier les deux types de primitivisme (p. 342) : le léger, celui de l’Âge d’Or et de la civilisation purgée de ses vices, et le lourd, une vie sans confort et pleine de peines, la civilisation sans la vertu. L’auteur considère ensuite l’Arcadie et sa signification dans l’Antiquité et à l’époque moderne, avant de passer à l’étude de la peinture (comparée à des productions similaires ou d’autres versions du même Poussin) pour finir sur une analyse grammaticale et son influence sur le spectateur. Entre deux versions, on passe ainsi du memento mori à la vision élégiaque (p. 359-361).  L’article se ferme sur la réception du thème dans l’Europe du XVIIIe et du XIXe siècle (p. 363-367), où l’interprétation se trouve guidée par celle faite par un biographe et ami de Poussin.

Enfin, le volume s’achève sur une note autobiographique. L’auteur, qui a eu la chance de pouvoir émigrer dès 1934 aux Etats-Unis et de pouvoir tout de suite y enseigner. Ce dernier compare les deux systèmes universitaires, décrit comment les Etats-Unis sont devenus une place forte de l’histoire de l’art et comment le fait de devoir enseigner en anglais lui a permis d’interroger ses propres concepts (p. 378) tout comme la différence de public a pu lui être bénéfique en terme de clarté du propos.

Ce livre a bien entendu vieilli. On y cite tout de même Frank Lloyd Wright comme un artiste contemporain (p. 168) ou Anthony Blunt (p. 34), quand il n’était pas connu comme espion soviétique mais comme spécialiste de Poussin. Mais son apport théorique a gardé son importance (bien sûr discutée par les successeurs de l’auteur) et l’étudiant en histoire de l’art y retrouvera beaucoup de choses que l’on a pu lui dire et qui n’ont peut-être pas toujours été rapportées à leur auteur. Les illustrations, dans le texte comme dans le cahier central, sont nécessaires à la compréhension du propos mais ne peuvent cacher que le lecteur aura tout intérêt à avoir une idée un minimum précise des périodes considérées tout comme des artistes en général, accompagné de quelques notions de philosophie. On est très très loin de la vulgarisation, malgré ce que l’auteur peut en dire dans la toute dernière partie. Si le niveau est haut, la langue est néanmoins claire et l’auteur ne laisse jamais la possibilité au lecteur de mal comprendre ses idées. Et celles-ci ne sont pas de celles que l’on oublie facilement !

(le serpent à tête de lion, loup et chien qui accompagne Sérapis fait parfois penser au diable de Tasmanie de la Warner dans les illustrations du cahier central … 8,5)