The Children of Ash and Elm

A History of the Vikings
Manuel de vikingologie par Neil Price, traduit sous le titre Les Enfants du frêne et de l’orme. Une histoire des Vikings.

Bien plus que des bouts de mêtal en tas.

Hervath, Hjorvath, Hrani, Agantyr !
Je vous réveille tous sous les racines des arbres,
avec casque et cotte de maille, avec épée aiguë,
avec bouclier et harnais, avec lance rougie.
Vous, fils d’Arngrim, violente race,
avez grandement changé depuis l’amoncellement de la terre.
Le Réveil d’Agantyr, cité p. 234

Après avoir produit un des livres les plus excitants dans les études nordiques des dernières décennies, le même auteur décide de produire un manuel sur les Vikings. Comment résister ? Nous n’avons pas pu.

Et grand bien nous fit. Le sujet est certes beaucoup moins resserré que dans The Viking Way mais la sensibilité de l’auteur, sa distance scientifique vis-à-vis de son sujet et la qualité de sa plume sont toujours là. Et s’il y a moins de passages romancés (de petites saynètes apparaissent ci et là) et qu’un seul dessin de Ƿórhallur Ƿráinsson, c’est pour laisser de la place à tout ce qui doit être dit entre le VIe siècle (les conséquences au Nord de la fin de l’Empire romain en Occident) et le XVe siècle (la fin de la colonie groenlandaise). Et ceux qui ont espéré que tout démarre avec la mise à sac du monastère de Lindisfarne (en 793 p. C.) devront attendre 200 pages et la seconde partie de l’ouvrage. Chez N. Price, il y a d’abord une mise en place qui a pour but premier de permettre au lecteur de se faire une juste image des sociétés norroises au VIIIe siècle et de bien être clair sur le fait les Vikings ne sont pas des démons sortis de l’Enfer et que tout le monde sait qui sont ses voisins.

Commençant avec une introduction générale mais très loin d’être bateau (ou drakkar ?) sur les sources et les intentions de l’auteur, N. Price attaque directement avec le but de l’archéologie cognitive : que pensent les gens qui ont produit les objets que l’on retrouve en terre ? Pour cela, il part de la mythologie nordique pour esquisser le paysage mental des Norrois d’avant la christianisation (et éventuellement de quelques restes après). Comme dans The Viking Way, l’auteur ne se limite pas à un tableau simpliste de dieux mais évoque tous les types d’êtres invisibles avec qui les hommes partagent la Terre (Midgard), mais aussi tout ce qui constitue un humain pour un Norrois (hamr, hugr, hamingja et fylgja).

Puis N. Price entame sa progression chronologique avec le Ve siècle, celui qui voit l’effacement de Rome (une puissance connue en Scandinavie et pas si éloignée si l’on prend pour point de départ le limes en Frise) et les mouvements de populations germaniques. L’éruption du volcan Ilopango au Nicaragua en 536 et 539/540 a de dramatiques suites en Scandinavie de par les conséquences des rejets dans l’atmosphère des deux irruptions sur une agriculture très extensive (sur peut-être 80 ans, avec des différences régionales marquées p. 77). Les structures sociales en sont modifiées et le mythe du long hiver (Fimbulwinter) comme annonciateur du Ragnarǫk y puise peut-être même son origine. La moitié de la population de Scandinavie peut avoir péri.

De ce cataclysme naît la culture de la halle, avec ses bancs, son foyer central et le siège du maître des lieux, le tout destiné à la réception de visiteurs et de poètes (p. 95). C’est « la civilisation, la lumière, la renommée, l’honneur, la mémoire, l’histoire et la joie. Au delà de ses portes, comme dans Beowulf, et dans ce dernier défonçant ces mêmes portes, sont les monstres du chaos et de la nuit » (p. 96). La plus grande de ces halles atteint les 80 mètres de long (à Borg dans les Lofoten), soit un bâtiment aussi long que la cathédrale de Trondheim achevée au XIVe siècle.

L’auteur continue son exploration de la structure sociale du monde scandinave entre la chute de Rome et le VIIIe siècle dans un troisième chapitre qui traite de la ferme comme unité de base (et de tout ce qui fait sa vie quotidienne comme la nourriture), du mariage et de la polygynie, des liens politiques et d’amitié. De manière étonnante, l’habillement (jamais avec des poches p. 135) est bien moins connu que l’on ne le croit, comme ont pu le montrer des découvertes récentes de figurations métalliques (p. 126-132).

Mais il est un fait qu’il ne faut pas oublier, et qui, s’il est bien présent dans les sagas, l’est beaucoup plus rarement dans les ouvrages de vulgarisation, c’est qu’économiquement, tout cela repose sur l’esclavage, à un niveau élevé et pour une grande variété de fonctions. Mais après tout, c’est aussi l’objectif des raids de Vikings par la suite …

Après avoir dans tout un chapitre et de manière très vaste abordé la question du genre dans la société norroise (Odin le queer p. 173, un grand paradoxe), N. Price propose une nouvelle brique dans sa construction avec l’organisation politique des différentes entités scandinaves, entre roitelets et assemblées législatives et judiciaires, ce qui conduit à la question de l’alphabétisation (pas négligeable p. 192) mais aussi à celle des bateaux et des changements de types dans les mers septentrionales. La voile fait son apparition vers 750 en Baltique et le dessin évolue dans le sens d’une meilleure tenue à la mer, pour pouvoir affronter les océans. Le septième chapitre explore ensuite un autre versant des nouvelles élites nées au Ve-VIe siècles, celle de la fonction sacrée (avec certaines fusions entre halle et temple (p. 211), mais aussi plus généralement comment les populations norroises rencontrent les autres habitants invisibles de la Terre. Sacrifices, magie, mises en scène, les moyens sont innombrables. Tout comme les modes d’inhumations (du moins ceux visibles p. 226) que N. Price détaille du simple trous dans le sol au grand style qui classe son homme : le bateau-tombe. Mais ce grand homme peut aussi être une femme, comme à Oseberg. L’auteur détaille aussi les difficultés de la crémation, qui nécessite des personnes spécialisées (p. 230) et où seule une partie, voire une toute petite partie, de ce qu’il reste du corps est enseveli (p. 231-232).

Puis, à ce point du livre, après 270 pages de ce qui pourrait être une introduction s’il l’on a mauvais esprit, arrive pour le lecteur le premier chapitre sur le phénomène viking (pour commencer cette seconde partie). Et tout semble plutôt commencer dans la Baltique vers 750, avant de toucher la Mer du Nord dans le cadre de changements politiques et commerciaux locaux (les marchés en Europe et en Scandinavie) mais aussi avec des incitations personnelles comme la gloire, la richesse, l’acquisition de partenaires sexuels et les ordres des Rois de la Mer (saekonungr p. 300 : un chef, une armée, pas de terres, des pirates donc), sans plan d’ensemble (p. 333).

Mais avec le temps, les forces commencent à collaborer entre elles, comme coalescent les pouvoirs politiques en Scandinavie même. Ce se sont plus des raids de quelques jours avec un seul bateau, ce sont plusieurs équipages, qui finissent par rester plus longtemps parce qu’ils ne sont pas chassés (mais toute expédition n’est pas un succès non plus …). En 865 débute la conquête et la colonisation de l’Angleterre par la « Grande Armée Païenne » (qui se déplace avec femmes et enfants). La Francie (coût astronomique des rançons p.351), l’Irlande puis jusqu’en Méditerranée et à Madère (p. 377), Ladoga, Kiev, Alexandrie et Constantinople de l’autre, mais N. Price n’oublie évidemment pas les Feroés, l’Islande (où les hommes sont scandinaves mais beaucoup de femmes irlandaises, p. 380-381), le Groenland et l’énigmatique Vinland (avec souvent les mêmes gens à l’Est comme à l’Ouest). Parallèlement naissent des royaumes au Nord et la christianisation progresse (les petits marteaux de Thor en pendentifs semblent être une réaction à la croix).

En 1408 est célébré le dernier mariage connu au Groenland. La colonie locale a presque disparu et c’est ainsi que pour l’auteur prend fin la période viking (relation ahurissante du 600e anniversaire avec un descendant p. 501-502).

Que ce manuel fera date est l’évidence même. Tout y est : érudition historique, articulation entre les différents types de sources, qualité littéraire très au dessus du lot, facilité de lecture. Alors certes, la présentation des références n’étanche pas la soif de précision du spécialiste mais cette présentation des références/notes s’étend sur 60 pages et est aussi bien écrit que le reste. Les illustrations, assez nombreuses pour ce type de production, sont intelligemment choisies. Mais surtout ce livre est l’incarnation de ce que doit montrer l’archéologie : les gens derrière l’artefact. Et c’est tout particulièrement le cas, dans un mode presque émotionnel, avec des objets simples, comme ces moufles d’enfants reliés par un fil trouvés en Islande (p. 135-136), mais sans jamais oublier que l’auteur est un scientifique.

Au moins une gemme par page, un éblouissement continu.

The Vikings were back the following year, and they knew what they liked : isolated, undefended, but very rich monastic houses. (p. 282)

(et qui donc était conseiller historique de la série télévisée Vikings ? …9)

Game of Rome

L’Antiquité vidéoludique
Essai de philosophie esthétique appliquée à la représentation de l’Antiquité dans les jeux vidéo par Laury-Nuria André.

Vous verrez du paysage.

Les versions vidéoludiques, étrangement proches des modalités de réécritures post-homériques, ne nous placeraient-elles pas, avatars du jeu, dans la même position de spectateur pris à parti, investi, happé dans l’espace fallacieux que celle d’Enée [voyant Andromaque invoquer le fantôme d’Hector dans l’Enéide de Virgile, III, 301-355], contraints que nous serions, entre fascination pour le double et nostalgie de l’Antique, à voir le vrai dans le faux et à reconnaître à tout prix l’Antique, même dans une version tout-à-fait autre ? p. 44

L’Antiquité a disparu mais est toujours là. Tout comme le Moyen-Age tout entier est convoqué avec un château fort conséquent et un chevalier en cotte de mailles, il suffit de peu pour faire débarquer l’Antiquité. Quelques colonnes, et pas ruinées . Et comme d’autres médias, et plus encore avec son développement dans les quatre dernières décennies, le jeu vidéo n’est pas exempt de ses représentations et de son utilisation.

Cette figure du désir et de l’absence dans les jeux vidéo est l’objet de ce livre qui aborde le problème par le versant de l’esthétique. Doté de cent pages de texte et des deux carnets d’illustrations en couleurs, il se veut explorer en quatre chapitres plusieurs aspects de la relation entre Antiquité (très grecque dans ses exemples) et le médium vidéoludique.

L’introït définit l’ambition de ce livre, entre altérité et copie, avant qu’au lecteur ne soit proposé une analyse du jeu Rise of the Argonauts du point de vue de la mimêsis vis à vis d’Apollonios de Rhodes (qui conte justement l’histoire des Argonautes). Le second chapitre se concentre sur les paysages et comment ils sont utilisés dans les jeux vidéo. Le premier est le paysage épique, la plaine entre plage et ville comme dans l’Iliade et le second est le paysage sacro-idyllique, souvent avec un temple en pleine nature. Le troisième paysage évoqué est celui de la ville-monde, typiquement Rome, qui accentue les effets de dégradations (couleurs passées, maison devenant rapidement une ruine dans une simulation urbanistique p. 54).

La troisième chapitre analyse ce que l’auteur appelle le « syndrome Acropole », à savoir la rencontre entre la stéréotypie et l’hyperbole, et le « symptôme ornement », qui est la fusion du vase et du paysage dans le jeu Apotheon. Enfin, le dernier chapitre traite de la nostalgie de l’antique au XXIe siècle à travers l’insularisation de la Delphes antique dans le jeu Rise of the Argonauts répondant à celle figurant chez Apollonios. Précédant une bibliographie indicative, la conclusion devient sur le frottement (la tribologie) entre sciences de l’antiquité et médium vidéoludique.

Le livre est peut-être court, sa lecture en est inversement compliquée. C’est bel et bien de la philosophie esthétique, mais une expression très obscure. Certes on retrouve le paysage troyen, celui qui est aussi attribué à Pise (voir ici) mais on subit une avalanche continue de concepts que l’auteur rapproche d’un nombre d’exemples finalement très limités qui conduisent à se demander quelle validité ont les conclusions proposées. C’est parfois lourdement orienté politiquement (p. 16-18 en notes), pas forcément toujours de bonne foi (fort utile ce mythe de la statuaire grecque monochrome que nous allons glorieusement combattre p. 16) et semble méconnaître que le choix des ancêtres ne se limite pas à l’époque contemporaine (p. 18). Quand à la condescendance envers les « petites villes de province » (p. 53) … Finalement, de bonnes choses mais la forme rend le propos peu discernable.

(le jeu vidéo n’est pas une mimêsis mais une empreinte, un type, à l’égal des réécritures tardives …6)

A la recherche d’une mythologie indo-européenne

Recueil d’articles sur la mythologie indo-européenne et son versant romain par Dominique Briquel.

Bien plus excitant que la couverture !

Comme D. Briquel le rappelle souvent, il n’y a pas de mythologie romaine comme il y a, par exemple, une mythologie grecque. Chez ces habitants du Nord-Latium (et peut-être même chez tous les Latins), la mythologie, d’où d’ordinaire les simples mortels sont exclus, s’est légendarisée et a pris divers traits dans l’histoire ancienne de l’Urbs. Les schémas mythologiques indo-européens se retrouvent, pour ainsi dire, non chez Hésiode mais chez Thucydide. Ne s’étant pas arrêté à la figure de Romulus et ses actions, l’auteur s’interroge depuis six décennies sur ce que les Romains ont conservé du fond commun mythologique indo-européen et ce livre en présente un aspect en reproduisant 21 articles (dont certains inédits) écrits entre 1976 et 2021. Reprenant la méthode dumézilienne, il n’hésite pas pour autant à amender le grand comparatiste qu’il a personnellement connu.

Ces articles se répartissent en trois thèmes, à chaque fois précédés d’une présentation. Le premier est celui du combat des dieux, commandant la mise en place du monde et son devenir. Il y est bien entendu question du Ragnarök (comparé au Mahabharata et au mythe de Prométhée) mais aussi de la place qu’occupe le sanctuaire de Saturne en lien avec le sanctuaire de Jupiter sur le Capitole ainsi que les adversaires de Zeus lors de sa montée sur le trône des dieux. On peut aussi lire les premières ébauches de thèmes qui deviendront des livres par la suite : la naissance de la république romaine comme avènement d’un monde parfait, mais aussi la prise de Rome par les Gaulois (390 a.C. selon la tradition) comme retranscription de la bataille finale des dieux.

Le second thème est celui du feu dans l’eau, apanage royal et signe de son pouvoir. D. Briquel y compare comment sont contés la prise de Babylone par Cyrus le Grand et la conquête de Veies (en 396 a.C. selon la tradition), ce qu’il faut comprendre de la punition de l’Hellespont par Xerxès au prisme du feu dans l’eau mais aussi comment il faut voir les Vieux de la Mer et Poséidon dans une optique indo-européenne. Un autre article détaille le lien qui unit le roi de Rome Tarquin l’Ancien à Vulcain (un dieu pas uniquement lié à Romulus donc), avant de commenter le devenir des biens des Tarquins après leur exil avec la création de la république. Pour clore cette partie, l’auteur se penche sur une possible influence indo-européenne dans la Bible avec le combat de Jacob contre Dieu et le passage du fleuve Yabboq (Genèse 32, 23-32).

Le dernier thème s’intéresse à diverses divinités et héros, dans le but de clarifier la personnalité de Quirinus (le troisième membre de la triade précapitoline avec Jupiter et Mars et dieu de la troisième fonction patronant les citoyens) mais aussi de Hermès, dieu paradoxal et pas toujours aimable mais qui n’endosse pas pour autant le destin de Loki, autre figure divine/démoniaque truqueuse. D. Briquel porte aussi la lumière dans la fin de l’ouvrage sur certaines caractéristiques calendaires à Rome et leurs significations avant de passer à l’étude de deux visions du féminin à Rome, celle associant la matrone idéale Lucrèce et Junon faisant face à celle liant la jeune Clélie et Diane. Enfin, le volume s’achève en livrant au lecteur quelques remarques comparatives sur le mythe de Hercule et Cacus, situé sur le site de la future Rome. Avec une bibliographie très robuste s’achève ce recueil de 460 pages de texte qui avait commencé avec une courte préface de John Scheid et une introduction.

Pour nous qui avons une connaissance très limitée des textes de l’Inde védique, il y a toujours à découvrir dans les comparaisons de D. Briquel. Mais dans ce livre, ces découvertes ont aussi concerné la place de Prométhée, dont les actions en tant que participant à une bataille divine au côté de Zeus nous avait échappé. Il y a bien évidemment des redites, mais que nous avons remarqué uniquement parce que nous lisons en un temps resserré plusieurs articles unis par une thématique mais qui ont été écrits à des années ou des décennies d’écart. Les trop nombreuses erreurs typographiques ont par contre un peu moins d’excuses, surtout au vu du prix du livre.

Plusieurs points saillent dans ce contenu dense, plaisant à lire et bien entendu plus que solidement documenté. Le premier est dans la première partie l’importance du passage entre la monarchie dite varunienne et celle mitréenne, entre Cronos et Zeus ou Saturne et Jupiter (p. 75 par exemple), c’est-à-dire le passage de la force brute et aveugle à la souveraineté aidée de la Loi, qui comme les mythes de premier sacrifice (parfois en lien avec un mythe de razzia de bovidés) marquent le début de la civilisation. Le second est l’article sur Xerxès, une explication que nous aurions aimé connaître plus tôt. Ces aspects de maîtrise des eaux comme marque du souverain (et pas uniquement le souverain perse ou en Perse) sont pourtant fondamentaux dans la compréhension de nombreux épisodes de l’histoire grecque (mais aussi romaine ou même germanique comme l’explore le présent livre). Le parallèle entre l’Or du Rhin de la légende germanique et le blé des Tarquins nous a aussi surpris (et marqué). Moins surprenantes, les pages sur la Diane « hors cité », le Rex nemorensis (p. 413-413) mais aussi les trois types de feu (connus pour l’Inde mais moins facilement identifiables à Rome, p. 452-453) et le paradoxe qu’est Hermès nous ont aussi particulièrement plus.

Encore de bons moments comparatistes, où l’on peut suivre au long cours la pensée d’un grand savant.

(l’Or du Rhin, c’est une question de pouvoir, pas d’avarice …8,5)

Return to the Interactive Past

The Interplay of Video Games and Histories
Recueil d’articles sur les relations entre les sciences historiques et les jeux vidéo dirigé par Csilla Ariese et alii.

Aucun souvenir ?

L’étude des interactions entre sciences historiques et jeux vidéo est assez récente. D’une part parce que les jeux vidéo n’existent que depuis une cinquantaine d’années et qu’il n’y a que peut-être seulement depuis deux décennies que ces mêmes jeux vidéo sont considérés comme une production culturelle digne d’intérêt (et légitime, surtout au vu du poids commercial actuel en conséquence de la plus grande part d’adultes qui jouent). La ludologie elle-même est assez jeune en tant que discipline (autre que les théoriciens comme J. Huizinga et son Homo Ludens paru en 1938), conséquence de la part grandissante des loisirs dans la vie des Occidentaux après 1945.

Dans ce second recueil consacré au sujet paru en 2021 (le premier nous semblait moins intéressant), les relations entre sciences historiques et jeux vidéo sont analysées selon différents angles. La première partie est ainsi consacrée à la narration dans et sur les jeux vidéo avec des articles sur la recherche historique conduisant à la création d’un jeu, sur les souvenirs d’anciens combattants intégrés à la visite virtuelle d’une fabrique écossaise de « coquelicots du souvenir » (portés traditionnellement en novembre dans le Commonwealth en souvenir de la Première Guerre Mondiale ), le décorticage façon stratigraphie d’un jeu vidéo du tout début des années 80 et l’interprétation archivistique par les joueurs de Morrowind d’une bataille fondatrice dans ce jeu (mais sujette à des informations contradictoires au sujet de laquelle des passionnés proposent des analyses). La seconde partie passe à la représentation dans les jeux vidéo avec des articles sur l’intersectionnalité, l’Antiquité dans les jeux de combat (y compris les plus obscurs), la décolonisation des jeux vidéo et la cartographie (toujours utile dans les vastes mondes de jeux de rôle mais ici avec un angle très théorique). La dernière partie est plus orientée pédagogie, avec l’exemple du jeu vidéo comme participant de la recherche scientifique, l’emploi du jeu vidéo dans une classe de primaire (sur le monde anglo-saxon) mais aussi sur sa conception à l’université mais aussi les apports de l’histoire environnementale dans les jeux vidéo. L’ouvrage s’achève sur des témoignages de joueurs.

Diversité des approches et des thèmes on l’a vu, et donc aussi de la qualité des contributions. Parmi ceux qui nous ont le plus plu figurent ceux sur l’Antiquité dans les jeux de combat et sur les débats archivistiques autour de Morrowind. On peut sentir une assez dommageable influence « nord-américaine » dans plusieurs articles rattachables aux sciences sociales, vraisemblablement en partie due aux recherches sur l’esclavage et la Compagnie néerlandaise des Indes Occidentales que font une partie des contributeurs, ce qui sensibilise beaucoup dans les dernières décennies aux questions post-coloniales. A tel point qu’il est question des Malouines comme un conflit colonial en 1982 (p. 40), ce qui peut faire bondir et pas seulement à Londres. D’où aussi les questions de représentations …

Chichement mais judicieusement illustré, avec des bibliographies peut-être un peu trop récentes quant aux ouvrages théoriques et doté d’une couverture très évocatrice, voilà un livre qui nécessite d’avoir eu une manette en main pendant quelques heures pour en apprécier un minimum les apports. Pour un public doublement averti donc.

(la simulation économique, un genre plus joué qu’on ne le croit ? … 6)

Constantinople : Archaeology of a Byzantine Megapolis

Rapport final de prospection archéologique pluriannuelle constantinopolitaine par Ken Dark.

Fatih Camii, la même chose mais différent.

Une ancienne capitale impériale recèle toujours de grandes quantités de restes de bâtiments disparus et Istamboul ne fait pas exception à cette règle. Ken Dark et Ferudun Özgümüş (et leur équipe avec eux) ont donc parcouru les rues et les places de l’ancienne Constantinople à la recherche d’artefacts romains et byzantins pour documenter leurs trouvailles et ainsi augmenter la connaissance urbanistique de la Seconde Rome. Jusque-là les archéologues, du cru comme étrangers, s’étaient attelés à l’étude de monuments bien précis mais pas à toute une aire urbaine. Leurs campagnes de prospections, entre 1999 et 2004, sont une première pour Constantinople. Le centre ancien, à l’intérieur des murs de Constantin étant le mieux connu et ayant déjà été parcouru par bouts, le projet s’est donné pour limites la zone entre les murs, entre celui de Constantin (IVe siècle) et celui de Théodose II (Ve siècle). La zone n’est pas petite mais contient encore aujourd’hui, bizarrement, quelques champs (le projet a donc effectué la toute première prospection agreste constantinopolitaine !).

L’auteur propose tout d’abord au lecteur une introduction dans son premier chapitre portant sur les différentes phases de l’archéologie du tissu urbain à Constantinople (et l’importance du terrassement dans le tissu urbain). Ensuite est présenté le projet dont le présent livre est le rapport final : son histoire, son organisation et les méthodes employées (le problème de la datation des artefacts et de la caractérisation des activités humaines laissant des traces y est bien sûr abordé). Le troisième chapitre est le premier de l’étude proprement dite, avec la partie sud de l’espace intermural. Cette partie méridionale est elle-même réparties en deux rues principales, nord et sud. Cette dernière reliaient la Porte Dorée de Constantin à la Porte Dorée de Théodose, dans ce que l’auteur pense être une extension du Mese, la voie monumentale du centre de Constantinople. La monumentalisation y est très prononcée, entre églises et constructions impériales (p. 46) et doit impressionner le visiteur. Le chapitre suivant poursuit assez logiquement l’analyse avec la partie nord de la zone étudiée par le projet, y compris dans le très connu monastère de Saint Sauveur in Chora.

K. Dark porte ensuite une attention plus prononcée sur deux lieux importants de la Constantinople byzantine dans les deux chapitres finaux de son livre. Le cinquième chapitre passe en revue les découvertes faites au palais de Blachernes, collée à la Corne d’Or et donnant sur les fortifications de la ville. Le palais de Blachernes a pour origine l’église de la Vierge de Blachernes, important lieu de pèlerinage hors les murs abritant entre autres reliques la ceinture de la Vierge. Cet établissement religieux est intégré dans les défenses de la ville et un complexe impérial est bâti à coté. Ce palais est est le principal palais impérial dans les 500 dernières années de la période byzantine. Et malgré sa réputation, tout est très loin d’être clair dans l’organisation des lieux et ce à quoi pouvaitt ressembler les différents édifices de la zone. L’auteur tente d’apporter son aide sans pouvoir définitivement trancher la question à l’aide d’artefacts non encore publiés et d’analyses détaillées. Le second lieu scruté plus en détail dans ce livre, au même niveau symbolique, est l’église des Saints-Apôtres. D’abord mausolée de Constantin, une église lui est adjoint par son fils Constance II et cette église devient le lieu d’inhumation des empereurs jusqu’au XIe siècle (et son symbolisme s’exporte jusqu’à Paris …). L’église est détruite en 1461 (elle était déjà partiellement ruinée) pour permettre la construction sur le site de Fatih Camii, la mosquée du conquérant, dans laquelle Mehmet fera construire sa tombe (et se désignant ainsi comme successeur des empereurs). L’auteur entreprend de retrouver les traces encore visibles des églises sous la mosquée et sur la terrasse afin de prouver la reprise du plan et des fondations (p. 94) par les constructeurs ottomans. Un puits sacré byzantin y est même encore en usage aujourd’hui (p. 96,le seul autre cas connu dans une mosquée à Istamboul étant Sainte Sophie).

Le dernier chapitre est une prise de hauteur, une systématisation des découvertes faites lors des prospections. L’auteur y analyse la densité possible du bâtit à partir des résultats de la prospection dans la zone considérée, concluant à de fortes disparités entre rues animées et cimetières. La présence de citernes, le type de construction collective le plus commun à Constantinople, n’est pas forcément antérieur à une densification d’une zone. Les citernes à ciel ouvert, dont certaines sont juste gigantesques, devaient avoir une fonction agricole (p. 103). Les établissements religieux de tous types sont bien plus structurants dans ce qui devient une sorte de seconde Jérusalem.

Le volume est complété par deux appendices sur la première phase de la construction de Fatih Camii et sur l’église de Zoodochos Pege, avant de laisser place au catalogue des découvertes faites dans le cadre du projet, aux cartes localisant ces découvertes, à une bibliographie massive et un index.

Fatalement c’est aride comme lecture et demande une très grosse base de connaissance en byzantinologie. Méthodologiquement, c’est très intéressant et la manière dont l’auteur se confronte au problème d’un site « trop connu » par les sources littéraires (biais de confirmation) est fort intéressant. C’est aussi de la prospection urbaine que l’on ne peut bien évidemment pas faire partout. Les participants au projet passent dans toutes les rues, parlent aux habitants, sont conduits à des artefacts ou ne peuvent voir ces derniers qu’en coup de vent dans des conditions pas faciles. L’aspect légal et de conservation revêt aussi une grande importance dans le livre. Ce dernier rappelle aussi que de nombreuses églises constantinopolitaines ont été construites après 1453. Pour le côté formel, une relecture supplémentaire aurait fait le plus grand bien à l’ouvrage et l’absence de cartes de situation (ou de schémas) au début des chapitres descriptif se fait cruellement ressentir. Quelques photos dans le texte auraient grandement aidées à la compréhension des descriptions.

Le titre du livre est légèrement mensonger (nous aurions eu quelque chose de vraiment plus gros entre les mains) mais apporte beaucoup au lecteur déjà intéressé qui y trouvera des apports méthodologiques de première importance.

(le bain byzantin de Sofular Hamamı est toujours en usage en 2013 p. 50 … 6,5)

Women and Weapons in the Viking World

Amazons of the North
Essai d’archéologie viking de Leszek Gardeła.

Beau décor pour un jeté de hache !

L’analyse génomique de la tombe Bj 581 de Birka (Suède) en 2017 avait jeté un pavé dans la mare des études nordiques. Découverte en 1878, la tombe abritait un guerrier au vu du matériel recueilli. Le guerrier est devenu une femme après analyse des restes ostéologiques … Mais la tombe est-elle pour autant celle d’une guerrière ? L. Gardeła éclaire les différents contextes et les liens possibles entre femmes et armes à l’époque viking, entre le VIIIe et le XIe siècles. Loin des emballements rapides …

Classiquement avec ce type d’ouvrage, l’introduction aborde les problèmes méthodologiques et théoriques afin de bien délimiter le sujet, entre diversité des pratiques funéraires scandinaves, artefacts polysémiques, idéal guerrier et la question sexe/genre dans le monde viking. L’auteur enchaîne sur l’historiographie. De manière assez surprenante l’existence possible de guerrières viking remonte au tout début du XXe siècle, avec la fouille de Nordre Kjølen en Norvège, que les fouilleurs analysent comme la tombe d’une skjoldmø, une « jeune femme au bouclier » prenant part au combat (p. 22), que l’on retrouve dans certaines sagas mais aussi chez des historiens comme Saxo Grammaticus et Jean Skylitzès. Leur analyse est reprise par de nombreux scientifiques.

Les textes en question font l’objet d’une longue analyse dans le troisième chapitre. L. Gardeła commence avec la Gesta Danorum de Saxo Grammaticus avant de passer à la Saga des Islandais (une œuvre plutôt réaliste) puis aux sagas légendaires qui mettent en scènes des femmes prenant les armes (souvent peu de temps et en l’absence d’hommes p. 93) ou même combattent. Il y aussi un cas périphérique chez les Anglo-Saxons. Tout ceci mène aux indices livrés par les tombes contenant des armes et qui peuvent contenir un défunt de sexe féminin. A tout seigneur tout honneur, l’auteur commence ce chapitre avec la maintenant célèbre tombe de Birka, Bj. 581 (qui peut de plus aussi montrer un lien fort avec le monde centre-européen). Commençant par la Suède (quatre sépultures), l’auteur embraye avec la Norvège (au moins dix cas) puis s’intéresse au Danemark (trois exemples). A chaque fois, la tombe et son contenu sont détaillés, accompagné d’illustrations et souvent d’une vue d’artiste (très plaisante mais qui ne valent peut-être pas celles faites par Ƿórhallur Ƿráinsson dans The Viking Way).

Une fois la description faite, L. Gardeła interprète son corpus, arme après arme. La présence d’une hache, par exemple, ne permet pas de définir le guerrier. Les types retrouvés peuvent tout à fait être des outils aux nombreux emplois (de cuisine, pour couper du bois) ou servir dan le cadre de rituels. Il est à noter que certaines tombes contiennent des armes miniatures (et pas que des haches), que l’auteur analyse aussi, tout comme leur positionnement dans la tombe. L’auteur s’intéresse dans le reste du chapitre aux épées (emblématiques s’il en est), aux lances, aux boucliers, aux arcs et flèches et enfin aux équipements de monte.

Le sixième chapitre est iconographique (on avait déjà eu quelques éléments de ce type dans les chapitres précédents). Il est d’abord question des broches dites « valkyrie », que l’auteur réinterprète comme des représentations de Sigurd et Brynhildr. Mais il n’oublie pas les petites statuettes et appliques, la tapisserie d’Oseberg et les stèles.

Le chapitre suivant s’aventure hors de Scandinavie pour trouver d’autres exemples de femmes combattantes, que ce soit chez les Sarmates mais aussi des cas de travestissement éventuellement combattant dans les Provinces Unies du début de l’époque moderne (p. 127), les guerrières de la garde royale du Dahomey ou encore les femmes au front lors des deux guerres mondiales (Russie, Serbie, Pologne) mais sans oublier (avec quelques dommageables imprécisions, p. 133) les engagements non combattants. Le dernier chapitre est la conclusion de l’ouvrage (qui contient 130 pages de texte). Cette conclusion est très prudente, l’auteur n’est visiblement pas encore convaincu de l’existence de guerrières viking même s’il est gagné à l’idée que la mentalité scandinave de la période ne s’y oppose pas et permet peut-être à des femmes de poursuivre un idéal guerrier sans forcément être sur le champ de bataille. Aucune des femmes inhumées ne semble avoir souffert de traumatismes que l’on pourrait attribuer au combat, ce qui serait un argument de poids dans la reconnaissance de l’existence de guerrières (qui de toutes façons seraient en nombre extrêmement réduit).

Historiographiquement et méthodologiquement très solide, l’auteur rappelle plusieurs fois sa ligne de conduite basée sur la prudence (p. 92), surtout à l’aide d’un argument simple qui naît des apports du premier chapitre : le matériel des tombes est un choix fait par ceux qui inhument, pas par le défunt. Les artefacts ne sont donc pas forcément des possessions du défunt mais reflètent comment le voient ceux qui inhument (p. 9, avec un très bon diagramme des objets funéraires). Une autre caractéristique de l’ouvrage est son utilisation d’exemples non-scandinaves et le plus souvent polonais (le nom de l’auteur est un indice …), ce qui donne des ouvertures plus inhabituelles et pas moins pertinentes (les armes miniatures chez les femmes aztèques pour l’accouchement par exemple p. 127). Il reste quelques défauts, le premier étant une écriture assez peu plaisante (même s’il est difficile de faire du beau dans les descriptions de fouilles et les inventaires) et qui peut ralentir le rythme. La tentative littéraire de la conclusion, peut être en référence à The Viking Way (l’auteur semble être très lié à N. Price, peut-être son élève), est très maladroite. Nous n’avons pas pu non plus nous expliquer comment un homme de 35/40 ans peut avoir une mère de 40 ans (double inhumation à Gerdrup p. 69-70, mais un article de 2021 sur cette tombe par O. T. Kastholm et A. Margaryan ne fait pas mieux) …

Un ouvrage qui calme les auteurs de conclusions hâtives et rappelle certains fondamentaux, dans l’équilibre et le réalisme mais pas sans exclure la possibilité de l’existence d’une incarnation de femmes combattantes en lien avec des figures mythologiques dans le Nord médiéval.

(ainsi ces belles broches trilobées sont d’origine carolingienne p. 103-104 …8)

Pisa etrusca

Anatomia di une città scomparsa
Essai d’étruscologie de Stefano Bruni.

Cachée, plus cachée.

Pise, une ville antique sans antiquités. p. 7

Pise, c’est l’oubliée de l’étruscologie. Très rarement sur les cartes, ou alors remplacée par la colonie romaine de Luni, et absente des grands manuels de la discipline. Il est vrai que la cité étrusque la plus au nord sur la côte tyrrhénienne cumule les handicaps : comme souvent en Toscane une occupation urbaine continue jusqu’à nos jours, pas de tombes peintes comme à Tarquinia, pas de nécropole romantique comme à Cerveteri ou de murailles pittoresques comme à Rosselle. Les découvertes archéologiques des siècles passés n’ont pas non plus mis au jour de trésors et à peine quelques découvertes fortuites ont été faites avant le XXe siècle. Seule la mise en place d’une administration patrimoniale et la conduite de fouilles de sauvetage permirent de petit à petit se faire une idée de la ville située aujourd’hui bien plus loin de la mer qu’au Ve siècle avant notre ère, à la confluence de l’Arno et de l’Auser (aujourd’hui appelé Serchio, au cours détourné à partir du VIe siècle ap. J.-C. et ne se jetant plus dans l’Arno). Et c’est seulement avec ces découvertes que l’on passe d’une Pise vue comme ligure à une Pise étrusque.

Et c’est aussi l’objet de la première partie du présent livre, écrit par Stefano Bruni en 1998 alors qu’il est encore archéologue auprès de la Surintendance archéologique à Pise et en charge des fouilles urbaines. La seconde partie avance quelques pistes pour la reconstruction du paysage antique de la bouche de l’Arno, avec quelques intéressantes remarques sur ce qu’est un « paysage troyen » (p. 53), qualificatif que semble donner quelques sources grecques à la ville. La transition se fait naturellement avec l’étude des différents mythes de fondation, qu’il soit troyen, grec (en lien avec la Pise d’Elide, près d’Olympie), étrusque (Tarchon y est le fondateur, comme à Tarquinia) ou encore, de manière assez étrange, hyperboréenne ou sicule (p. 65).

La troisième partie a pour but de poser les bases de l’occupation de la région pisane à l’Age du Bronze et à l’Age du Fer. Si les premières hauteurs entre Pise et Lucques sont occupées dès le Paléolithique, c’est aussi le cas des dunes entre Pise et Livourne. L’emplacement de la ville actuelle reçoit un premier peuplement à l’époque du Bronze et l’Age du Fer voit vraisemblablement l’émergence de familles aristocratiques et les premières nécropoles. S. Bruni passe ensuite à la période archaïque et passe en revue la ville (enfin ce que l’on peut en voir, c’est-à-dire pas tant de choses que cela), les nécropoles, le port de San Piero a Grado et l’organisation territoriale. L’auteur fait aussi part de ses espoirs quant aux découvertes futures qui permettraient peut-être d’en savoir plus. S. Bruni enchaîne sur la période classique (aux vestiges retrouvés moindres, surtout à cause des fondations des maisons-tours de la période médiévale qui vont venir détruire ces niveaux, p. 209) avant de passer à la période romaine. Cette dernière partie évoque le renouveau monumental de la ville, la question des murailles de la ville (passage très intéressant sur pourquoi ce n’est pas forcément une nécessité p. 231), les effets de l’alliance avec Rome et les rapports conflictuels avec les Ligures, quelques mots sur la production artisanale locale et enfin, pour finir, l’intégration de Pise dans le système romain qui se fait au Ier siècle av. J.-C. Le livre s’achève sur une bibliographie conséquente, une liste des sources antiques et divers index. Il n’y a pas vraiment de notes (des références dans le texte) et les renvois se font dans la bibliographie. Un système pour le moins … moyen. Le cahier central d’illustrations est impraticable.

Avec cet ouvrage, on sent de manière brute que le manque de sources ne permet pas toutes les audaces. Le seul passage où l’auteur se laisse aller à quelques conjectures est même très clairement indiqué avec l’emploi du mot fantaisie (p. 191). C’est donc sérieux du début à la fin, avec un auteur au plus près des sources archéologiques mais qui fait plus que se défendre avec les textes. On aurait par contre quelques sérieuses remontrances à faire aux cartes, trop sommaires. Celle des p. 46-47 est à la fois trop détaillée (toutes les rues de la ville actuelle) et incomplète pour permettre une compréhension. On cherche même dans ce cas le lien avec le texte.

Mais ce livre, avec ses tous petits défauts et un italien pas toujours facile, parvient néanmoins à faire renaître devant le lecteur une ville très particulière au sein de la confédération étrusque. Une ville entourée d’eau (Ravenne, Spina, Venise), à l’origine toponymique inconnue, aux pratiques funéraires toutes en retenue (difficile même de savoir si le défunt est un guerrier p. 143, des lois somptuaires ?) alors que la ville affiche sa richesse, bien insérée dans les réseaux de la côte, mais aussi vers Bologne et la Sicile et plus loin, le monde ionique (p. 138). Productrice de cippes (leur emploi incroyable autour du tumulus de la via San Jacopo p. 150-151, déjà évoqué ici), construisant au besoin des cénotaphes, Pise use aussi de cratères pour recueillir les cendres de ses défunts, parfois en marbre. Et le marbre est bien plus travaillé que dans les autres cités tyrrhéniennes, avec une stylistique en lien avec Marseille et l’Ionie (p. 167). Cité tournée vers la mer, elle fonde des colonies (Gênes) et entretien des comptoirs jusqu’en Espagne (Lattes, p. 194). Il y a un caractère pisan indéniable pour l’auteur, très différent de celui de sa voisine Volterra, et que sans vraiment le définir, ce dernier donne au lecteur d’admirer.

(de temps en temps, une petite submersion … 6,5)

Die etruskische Religion

Sakrale Stätten, Götter, Kulte, Rituale
Essai d’histoire de la religion étrusque par Ambros Joseph Pfiffig.

Les livres aussi vieillissent.

Dans le haut de la liste de ces livres que l’on se promettait enfin de lire (les classiques, les reconnus, ceux que l’on a promis de lire), figurait le présent livre en excellente place. Et juste à côté de lui, par ailleurs, son jumeau terrifiant Die Etruskische Sprache par le même auteur … Mais à un moment il passe de l’autre côté du parapet et fait partie de la catégorie des « lus ». Et ce ne fut pas sans combat …

La lecture n’en est pas aisée parce que c’est lourdement écrit et qu’en plus de s’adresser à des amateurs du domaine, il faut à ces derniers de très solides bases en philologie. C’était à prévoir de la part du grand spécialiste de la Momie de Zagreb (le plus long texte étrusque connu) et des Tables Eugubines (les sept tablettes de bronze décrivant divers rituels et rédigées en langue ombrienne), moine prémontré qui a enseigné à Vienne et Pérouse. Il a malheureusement été plus question après sa mort en 1998 de son intérêt trop marqué pour les jeunes garçons en divers lieux qui lui a valu une interdiction d’enseigner par l’Eglise et de la prison (en 1958 déjà).

L’ouvrage s’organise en quatre grandes parties. La première partie pose le cadre général de l’Etrurie antique avec sa géographie, son peuplement (et il est encore en 1975 question du thème obligatoire de l’origine), son organisation politique et son histoire. On peut à cette occasion faire quelques remarques sur les choix de l’auteur. Déjà, le lien entre culture étrusque et culture de Villanova n’a pas cours chez l’auteur et donc les éventuelles manifestations religieuses de cette culture qui apparait à la fin du second millénaire avant notre ère ne sont pas traitées. De manière générale, la chronologie est datée (p. 2-4). Ensuite, le tableau géographique de l’Etrurie semble très déconnecté de l’archéologie (absence de Pise) et la carte est anachronique (voire problématique, p. 3).

La seconde traite de la religion étrusque dans ses principales caractéristiques au travers de différents thèmes. Il y a en premier lieu les sources de nos connaissances, entre des documents dont la datation s’étale sur plusieurs siècles et l’étude d’une religion sans dogme fixé par écrit (comme toutes les religions antiques). Puis l’auteur passe à l’organisation du panthéon étrusque (qui use des foudres, les dieux voilés, absence de triade divine en Etrurie à la différence de la triade capitoline romaine p. 34) avant de détailler ce que les Romains appellent la « discipline étrusque » (les livres rituels révélés). A. Pfiffig poursuit ensuite son étude avec différentes sacralités. Tout d’abord celle de personnes (prêtres), puis de lieux (sanctuaires), de temps (très bon passage p. 92-93) et pour finir, des objets (le lituus).

Dans cette même partie, A. Pfiffig va plus dans le détail sur certains thèmes : rituels et sacrifices dans la Momie de Zagreb, espace sacré (templum), l’haruspicine, la brontoscopie, les prodiges (le monstre est un avertissement p. 139), la divination augurale (interprétation du vol des oiseaux), les oracles, la fin prévue de la civilisation étrusque (par elle-même), la mort et l’au-delà (bon passage sur l’Ile des Morts p. 168-172), l’éthique et la relation entre sexe et religion (l’auteur réfute l’existence d’un culte à Hermaphrodite p. 228 à base d’arguments grecs …). Ce qu’il en ressort, c’est avant tout un ton peu prudent, jusqu’au péremptoire (l’auteur bâtit une théorie sur un nom dont on a aucune occurrence, comme *λαυχυμνα p. 46). Et comme l’auteur, par formation, est très proche du texte, on finit par plus en savoir sur les Romains de la fin de la République et du Principat que sur ce que pensait les Etrusques, et l’ajout de références étymologiques crétoises ou mycéniennes n’apporte pas grand-chose (p. 77), si ce n’est vouloir ainsi apporter de l’eau au moulin de l’auteur dans sa vision des éléments féminins du panthéon comme héritiers d’une Grande Mère « mégalithique » (p. 77, surtout Menrva/Minerve et Turan/Vénus, mais aussi p. 216 sur l’origine pré-indoeuropéenne de la place de la femme). L’utilisation par les Etrusques d’un calendrier corinthien (lié au Corinthien Démarate venu en Etrurie etc.) est une idée assez baroque, puisqu’elle signifie qu’ils ne seraient pas assez dégourdis pour avoir le leur (p. 92) … La remarque sur le changement onomastique chez les femmes qu’induit l’octroi de la citoyenneté romaine en zone étrusque est par contre d’une grande justesse, en plus d’être rarement écrit ailleurs (p. 215, sur l’abandon du prénom féminin, cas unique au niveau méditerranéen, pour le gentilice féminisé et anonymisant avec la romanisation).

Et dans cette partie encore, l’archéologie peut avoir entre temps infirmé certaines vues (Murlo est encore un sanctuaire dans ce livre, alors qu’il est aujourd’hui sûr que le site est une résidence aristocratique p. 34, ou encore les Elogia Tarquiniensa p. 42, objet d’une analyse magistrale l’année même de la sortie de ce livre). Sur le Fanum Voltumnae, l’auteur reste (à raison selon nous) plus prudent en rappelant avec beaucoup d’arguments et de justesse le flou des sources quant à sa localisation (p. 69-71). L’absence dans ce livre de la mention de lacs sacrés, comme celui du Mont Falterona, est bien plus embarrassante.

La troisième partie décrit les différentes divinités étrusques connues, en commençant par les divinités célestes. Suivent les divinités guérisseuses, accompagnatrices (lases et génies comme Achvizr, peut-être la Libido divinisée), les divinités et démons aquatiques, les dieux liés à la Nature et à la naissance, à la guerre, à la Terre et à l’au-delà. Le panthéon est complété par des demi-dieux et des héros. Cette partie se conclut sur les épithètes et la religiosité personnelle. Les sources iconographiques (typiquement les miroirs) sont ici sous-employées, à l’inverse de ce que N. Thomson De Grummond a pu faire (voire ici mais avec des notices beaucoup plus courtes, avec notamment une autre analyse du dieu Mariš, qui est le fils de Menrva et Hercle, c’est-à-dire d’Hercule et Athéna !). Malgré cette importante limite (et peut-être des contradictions, comme avec Aplu p. 251), l’analyse est très complète avec de très nombreuses et intéressantes réflexions, en avertissement contre tout jugement hâtif sur l’incompréhension des Etrusques de la mythologie grecque (p. 288) et en avançant l’idée d’un étiquetage avec des labels grécisants de réalités purement étrusques : Calu et Thanr seraient alors « relookés » (à une période imprécise) en Aita et Phersipnei, Hadès et Perséphone, mais toujours avec une symbolique locale. Le lien cultuel fort probable entre Fufluns (Dionysos) et Cath (divinité solaire) est lui aussi du plus grand intérêt (p. 293).

La dernière et quatrième partie traite quelques questions annexes, de manière assez rapide. A. Pfiffig évoque l’éventuelle présence du chamanisme, du fétichisme (au sens vaudou), du bétylisme (pierres sacrées) et de l’influence grecque dans la religion étrusque (orphisme et pythagorisme). Le livre s’achève sur les possibles persistances des croyances étrusques après le Ve siècle de notre ère (p. 383-389), comme par exemple dans les croyances populaires toscanes. Sur ce dernier point, nous restons dubitatifs et ne pouvons exclure que l’étude ethnographiques qui est à l’origine de tout cela (faite par Ch. Leland, parue en 1892) soit une belle arnaque. Pour compléter le volume, une table récapitulative des divinités et des illustrations, la bibliographie, et un index.

Un livre massif, fondamental sur le sujet (sans être de loin le seul), mais qui a du mal à retenir le lecteur, même réceptif. Au niveau de la philologie, il est difficilement surpassable mais il semble qu’il se soit beaucoup limité à ce plan et que l’iconographie ne vient qu’en appoint (l’iconotypologie des foudres est même inutile, p. 131-133). Nous craignons que ce soit l’inverse de la répartition numérique dans le corpus des sources. Peut-être trop éthéré, pas assez proche du croyant, voir purement spéculatif par endroits, mais sûrement pas sans qualités.

(le indogermanisch, ca a bien vieilli …6)

Königinnen der Merowinger

Adelsgräber aus den Kirchen von Köln, Saint-Denis, Chelles und Frankfurt am Main
Catalogue de l’exposition du même nom sous la direction de Patrick Périn et Egon Wamers.

Reine un jour, reine toujours.

Il n’y eu visiblement en 1959 pas le même engouement qu’en 1922 quand H. Carter mis au jour une petite tombe dans la Vallée des Rois thébaine. Pourtant fut découverte cette même année la plus ancienne sépulture royale française (plus précisément franque), en la basilique de Saint-Denis. Peut-être un tout petit peu moins d’or entassé … et une image beaucoup moins positive (la barbarie, les « Ages Sombres », les rois fainéants etc.). Le sarcophage est intact et renferme les restes de la reine Arégonde en plus de plusieurs artefacts trahissant son rang royal. Les sépultures comparables et de cette période qui nous sont parvenues sont peu nombreuses : celle de Wisigarde à Cologne, de Balthilde à Chelles et d’une fillette de très haut rang à Francfort-sur-le-Main. Elles furent toutes mises en miroir dans l’exposition de 2012 et conséquemment ce catalogue.

Le livre ouvre sur une partie introductive centrée sur la place des femmes de haute noblesse dans la société franque, entre polygamie royale (exorbitante du droit commun et combattue par l’Eglise) et sainteté (comme nous allons le voir), mais aussi quelques données biographiques sur les reines franques évoquées dans ce catalogue. Il y a aussi quelques généralités sur le matériel retrouvé dans les tombes (la question de l’origine assez étonnante du grenat des bijoux cloisonnés se trouve plus loin dans le livre p. 110-111) et leur origine, puis quelques explications sur les sépultures auprès ou dans les églises au Haut Moyen-Age. L’église n’est pas toujours préexistante et les Mérovingiens semble aimer les ruines romaines comme lieu de sépulture (quitte à prendre un bain pour une église, p. 63) ou construire une halle sur la tombe dans le cimetière.

 Suit la première figure considérée, la reine Wisigarde (c. 510 – c. 538), épouse de Théodebert Ier. Sa tombe a été (de manière extrêmement probable) retrouvée à Cologne, sous l’actuelle cathédrale en 1959 (elle aussi). Dans la tombe voisine et exactement contemporaine se trouve un garçon, dont l’analyse génétique (mitochondriale) montre l’absence de lien familiaux avec Wisigarde. Dans la tombe de cette dernière, on ne dénombre pas moins d’une centaine d’objets, de la fibule cloisonnée, aux anneaux et bracelets en passant par une sphère en cristal de roche, un couteau à manche en or, des bouteilles en verre, des gants et un coffre. Une telle richesse accompagnant la défunte a pu faire douter certains scientifiques du christianisme de la personne inhumée. Cela semble néanmoins être le cas, la présence d’offrandes variées (y compris de la nourriture) n’étant pas absente d’autres tombes contemporaines et chrétiennes (p. 69). Il y a après tout des monnaies dans la tombe du pape Jean-Paul II …

Le chapitre suivant est consacré à la reine Arégonde (née vers 514 et morte entre 571 et 582, p. 116), dont le sarcophage a été retrouvé à Saint-Denis sous la basilique du même nom. Le sarcophage, loin d’être esseulé (l’analyse ADN a détecté quinze individus ayant des liens familiaux avec Arégonde et ensevelis à proximité), contient un mobilier très riche et varié dont les pièces centrales sont une épingle ouvragée et une bague portant le nom de la reine. L’analyse de la dépouille conclut à une légère infirmité de la reine, à cause d’une poliomyélite contractée entre quatre et cinq ans, à de l’arthrose (la reine est morte soixantenaire) et à un accouchement difficile au vu de l’émail dentaire (Chilpéric Ier en 534, p. 106 ?).

La reine Balthilde (c. 625-680) est la troisième reine considérée. Elle a été inhumée dans le couvent qu’elle a fondé à Chelles-sur-Marne mais sa sépulture d’origine n’est plus identifiable. Par contre, du fait de sa sainteté, le contenu de la tombe, cendres comme artefacts, ont été conservés comme reliques (translatio en 833). Arrivée encore enfant (vers 641) comme esclave ou otage à la cour franque depuis l’Angleterre, elle épouse vers 649 le roi Clovis II. En 657, elle est co-régente au nom de son fils mineur Clothaire III, assistée entre autres par l’évêque Eloi de Noyon, celui que la chanson a rendu populaire pour une histoire de vêtement et orfèvre de grand talent. Elle fonde de nombreux monastères dans la mouvance irlando-franque (règle de Saint Colomban), dont celui masculin de Corbie et celui de Chelles (en 658/659, sur le site d’une chapelle fondée par la reine Clotilde, l’épouse de Clovis Ier) où elle se retire à la majorité de Clothaire III en 665. Des possessions de la sainte ont été conservés une tunique portant des broderies reproduisant des bijoux (sans doute ceux qu’elle portait en tant que reine avant 665, p. 131-136), un manteau en soie, une fibule dorée, une ceinture et différents galons tissés. Une mèche de cheveux nous est aussi parvenue avec un long bandeau de soie enroulé autour permettant de reconstituer la coiffure de la reine. Enfin, parmi les reliques, des restes de plantes sauvages (le fond du sarcophage ?) et de l’encens.

A la description des reliques de Chelles fait suite un article sur le sceau en or découvert en Angleterre en 1998 et qui a toutes les chances d’avoir appartenu à Balthilde (aux liens forts et persistants tout au long de sa vie avec l’île). C’est un sceau monté sur un axe, avec sur une face un portrait féminin en buste et l’inscription +BALdEhILDIS et sur l’autre face un couple nu, ayant vraisemblablement une relation intime surplombés d’une croix. Un autre article détaille les liens entre Balthilde et Saint Eloi, évêque, orfèvre de la cour mais aussi chargé du trésor royal et de la frappe des monnaies.

La dernière partie du catalogue est consacré à la tombe d’enfant découverte en 1992 dans l’église des Saints-Bartholomée-et-Charlemagne de Francfort-sur-le-Main. Cette église avait été construite sur la basilique du Saint-Sauveur (855) due à Louis le Germanique et desservant le palais de Louis le Pieux à proximité immédiate, mais la tombe était abritée par un bâtiment rectangulaire (memoria ?), une chapelle étant située plus à l’ouest. La tombe est celle d’une fillette âgée de quatre ou cinq ans, datée des débuts du VIIIe siècle, et appartenant à la haute noblesse franque (qui administre le domaine royal sur les bords du Main ?). Inhumés avec la fillette, des victuailles et des tasses en verre, des tissus (dont une couverture tissée avec une croix en or), mais surtout la défunte porte de nombreux bijoux de tous types, un olfactoriolum autour du cou (une boîte diffusant du parfum), un bracelet romain et un objet trapézoïdal en ivoire.  Le plus étrange étant la présence à la droite de la fillette d’une autre sépulture contemporaine, celle d’un garçon du même âge, crématisé dans une peau d’ours accompagnée de divers os d’ours et de griffes. On peut imaginer que, enfants de familles amies et décédés des mêmes causes, il a été décidé d’une inhumation conjointe mais selon deux rites radicalement différents, l’un chrétien et l’autre païen. Toujours est-il que la tombe de la fillette se retrouve en plein dans l’axe de la nef de l’église Saint-Sauveur 150 ans plus tard, démontrant sans doute une persistance mémorielle et une considération spéciale.

Cure rafraichissante et régénérative pour celui qui n’a pas entendu parler des Mérovingiens depuis trop d’années, ce livre ravira aussi le profane par ses très nombreuses illustrations (de tous types) et sa clarté, qui ne se fait pas au détriment de son exigence méthodologique. On notera aussi la présence de nombreuses cartes. La qualité des pièces d’orfèvrerie présentées reste ahurissante, mais ce qui va sans doute nous rester le plus en mémoire ce sont les liens culturels très forts avec Constantinople dans les cours franques. Le ton est donné pour les bijoux et l’habillement en grande partie du côté du Bosphore, mais cela s’étend aussi aux pratiques funéraires (refaire chez soi l’église des Saints-Apôtres de Constantinople, exemple de mausolée impérial, avec l’actuelle église Sainte-Geneviève à Paris). Entre Romains …

Toujours et encore (et comme nous en parlons depuis des années), les soi-disants « Ages Sombres » gagnent en luminosité.

(Arégonde fait importer ses chaussures de la Rome byzantine p. 115 … 8)

Le dossier Vercingétorix

Essai d’historiographie, d’archéologie et d‘histoire sur Vercingétorix et les Gaulois par Christian Goudineau.

Clef en main.

Que savent les « Gaulois réfractaires » de la Gaule, des Gaulois et de Vercingétorix ? A priori très peu de choses si l’on considère que toute référence aux Gaulois a disparu du programme d’histoire du secondaire depuis très longtemps et que sa présence au primaire est à la fois lointaine et congrue. Il ne reste qu’Astérix pour rappeler au grand public que Rome et Athènes ne furent pas les seuls endroits habités de l’Antiquité (avec les limitations que cela engendre mais aussi le formidable impact de la série). Il doit rester quelques latinistes, espèce elle aussi appelée à disparaître, qui lisent du César dans le texte … « Nos ancêtres les Gaulois », ce n’est plus que pour (mal) se moquer de la colonisation sous la Troisième République.

C. Goudineau a pourtant essayé, avec les moyens qui étaient les siens (puissance intellectuelle, diversité des médias, oralité détonante) de renverser la barre et faire un peu mieux connaître ceux qui ont habité la France avant qu’elle en porte le nom. Avec peu d’effets pour l’instant … Dans ce livre, il se concentre plus précisément sur la figure de Vercingétorix, le général en chef du soulèvement gaulois de 52 avant notre ère, un personnage actif neuf mois en tout et pour tout (au niveau de l’horizon de nos sources). Mais ici, pas de livraison d’un portrait « clef en main ». L’auteur nous convie dans son atelier et l’on est en conversation à bâtons rompus avec lui. Avant de parler de ce que l’on sait de l’infortuné Arverne, il y a d’abord sa généalogie de héros. En premier lieu le pré-romantisme d’Ossian (J. Mcpherson), puis l’étude des langues celtiques, la Révolution qui définit la noblesse comme des envahisseurs francs (et donc allemands) en pays gallo-romains, l’éclosion du druidisme. Puis viennent les historiens professionnels de la fin de la première moitié du XIXe siècle. On peut débattre du fait de compter Napoléon III parmi les professionnels, mais son livre (et l’équipe qu’il dirige pour son écriture) sur J. César et la Guerre des Gaules fait beaucoup pour l’archéologie gauloise (p. 133), avec de nombreuses études suscitées localement mais aussi celles payées par la cassette personnelle de l’empereur. Au premier rang de ces dernières, les fouilles d’Alésia. La Troisième République reprend le flambeau, en rajoutant dans l’incandescence nationaliste (Vercingétorix le premier Français p. 144) et contre l’Allemagne impérialiste et franque, avec des parallèles explicites entre 1870 et la Guerre des Gaules, mais aussi anti-romaine jusqu’à la haine antipape, comme c’est dans l’air du temps à ce moment-là. L’idéologie est donc bien présente, la science polluée par l’actualité, mais le niveau d’exigence méthodologique monte aussi (cherché justement dans les universités allemandes). Parallèlement, certains auteurs, comme avant 1870, continuent de voir en Vercingétorix un préchrétien.

Mais ce qui change sous la Troisième République, c’est l’irruption des vignettes d’illustration sur Vercingétorix dans les manuels scolaires (en plus de la production artistique, déjà présente auparavant, mais qui reste limitée) qui impriment dans la tête des écoliers des motifs pour toute leur vie. Et si l’on ajoute le Tour de France de deux enfants en plus du Lavisse, on parle de millions de lecteurs.

Puis en 1905 est créée  la chaire d’Antiquités Nationales au Collège de France pour Camille Jullian. Il y met à bas l’image de demi-barbares qui n’aiment que la bagarre. Ils sont après tout comme les patriciens romains qui eux aussi peuvent conduire des guerres privées grâce à leur clientèle (autrement dit, leur clan). La guerre de 14-18 voit l’utilisation de Vercingétorix comme prédécesseur des Poilus, avec sa fougue, ses moustaches et son esprit de résistance (poème Les Morts debout de J. Toutain, cité p. 218-221, et publié au Puy-en-Velay en 1918). Suivent les monuments aux morts où le Gaulois est parfois représenté. La destinée politique de Vercingétorix et des Gaulois avec lui ne s’interrompt pas avec l’après-guerre, dans différentes parties du spectre politique, et l’on y puise ce que l’on veut y trouver (le gouvernement Pétain ne se réfugie-t-il pas en pays arverne p. 249 ?). Mais dans les manuels, les Gaulois restent des sauvages heureusement colonisés par Rome.

La Seconde Guerre Mondiale voit aussi l’utilisation de Vercingétorix, que ce soit à Vichy comme dans la Résistance. Mais avec les années 70, la figure politique puis historique de Vercingétorix disparaît peu à peu. Pour C. Goudineau, c’est un retour à 1860, quand la protohistoire n’existait pas (p. 263).

La seconde partie propose au lecteur la documentation disponible sur Vercingétorix, tout d’abord en présentant les huit auteurs latins et grecs qui parlent de lui, de J. César à Orose. Puis suivent les données archéologiques avec les monnaies portant son nom (imitées des statères macédoniens, avec portrait d’Apollon et des motifs classiques celtes, cheval, esse, croissant et plus inhabituel, amphore). Les fouilles archéologiques donnent aussi de très nombreuses indications de contexte : les cités, les Arvernes en particulier, mais aussi sur l’aspect physique probable de Vercingétorix, son armement, ce qu’il mangeait et buvait, ce en quoi il pouvait croire. Toutes ces parties sont présentées sous la forme de dialogues avec des spécialistes de la question.

Tous les éléments ainsi rassemblés, C. Goudineau propose sur 71 pages (tout de même !) une petite biographie de Vercingétorix, où l’année 52 av. J.-C. prend bien sûr une très grande place (avec entrelardage d’entretiens).

L’ouvrage s’achève sur une conclusion lumineuse mais plutôt pessimiste (terrible puissance de l’écrit, difficulté d’effacer l’étiquette de barbarie) et suit une courte bibliographie.

Être au Collège de France donne des obligations mais aussi quelques libertés. C. Goudineau n’oublie pas les premières et se sent à l’aise avec les secondes, n’étant jamais hors de la rigueur méthodologique mais en donnant en même temps, brut de décoffrage, son sentiment. C’est l’une des forces de ce livre, il se lit comme on entend l’auteur parler (p. 101 par exemple, ou encore la « fin nulle de la Guerre des Gaules » p. 454), même s’il est décédé en 2018. Il y a très peu de reproches à faire à la partie historiographique (peut-être de ne pas mentionner l’origine troyenne et donc « archéoromaine » des Francs p. 21), et encore moins à la seconde partie (une erreur sur l’article de la Constitution qui donne les pleins pouvoirs au Président p. 397). Avec un tel auteur, c’est une information après l’autre avec à la fois des rappels bienvenus (les Gaulois peuvent tenir des archives p. 431) mais aussi des fruits de la réflexion philologique, comme par exemple le fait que les évènements relatés dans la Guerre des Gaules ont toutes les chances d’êtres objectifs à cause des nombreux témoins défavorables à César présents sur place (et qui ont aussi pu écrire) mais c’est leur interprétation qui est à but propagandiste (p. 455). Il y a malheureusement de très nombreuses coquilles …

Un livre qui aurait mérité encore plus d’illustrations (surtout des cartes) mais captivant. Même si le propos est scientifique, la météore Vercingétorix ne peut s’empêcher de faire venir l’émotion au lecteur. Si M. Bloch ne s’était pas limité à son alternance entre le baptême de Clovis et la Fête de la Fédération, il aurait peut-être inclus la reddition de Vercingétorix.

(Alésia, notre premier Diên Biên Phû p. 445 … 8)