Roman de science-fiction de Philipp Dick. Paru en français sous le titre Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
Ah la belle année 2019 !
Les androïdes n’ont pas le droit de venir sur Terre en 2019. S’ils y parviennent, cela veut dire qu’ils ont tué leurs propriétaires sur Mars. Huit d’entre eux viennent d’arriver à San Francisco où la police met sur le coup ses chasseurs de prime. La ville, suite à un apocalypse nucléaire mondial, n’est plus aussi peuplée qu’au XXe siècle. Une bonne partie de sa population a, comme partout, émigré hors de la Terre, laissant de grandes parties de la ville à peine habités. Ainsi les androïdes peuvent se cacher au sein de la population comme loin d’elle. Comme le premier chasseur de prime va le remarquer en y laissant presque sa vie, ces androïdes en fuite sont d’un modèle nouveau, beaucoup plus dangereux et presque indétectables avec les moyens actuellement à disposition. Rick Deckard, chasseur de prime de la police de San Francisco, hérite du dossier, moins les deux fuyards déjà « retirés » de la circulation. A peine est-il mis sur la piste que l’un des androïdes cherche à l’éliminer. Pourra-t-il compter sur l’aide de la corporation conceptrice des androïdes recherchés, l’Association Rosen ? Et si oui, sera-t-elle sincère ?
Cette œuvre est une sorte de carrefour de la SF et de l’œuvre de Philip Dick. Il y a à la fois la longue traîne de l’atome, débutée dans les années 40, et celle des robots, même si ici les robots ont quitté la bienveillance asimovienne pour retourner à la figure du golem. Plus récent chez Dick, l’aspect drogue est très caractéristique des années 1960 (mais on la voit déjà très présente chez A. Huxley trente ans avant…). Ce qui semble en germe dans ce roman, c’est le questionnement sur la religion qui va prendre une très grande importance chez l’auteur dans la suite de sa carrière (et Dune est sorti un an avant, en 1965).
S’il est de premier abord difficile de se défaire des images du film de 1982, le livre raconte une histoire que l’on ne peut pas dire totalement différente. Si tout ce qui tourne autour de la disparition des animaux, de leurs transformation en marqueur de statut social, n’apparaît pas dans le film, le contraste ville surpeuplée/immeubles abandonnés est bien présent. Le monde est finissant (sans pluie mais avec de la poussière), chacun se raccroche à ce qu’il peut. Et il n’y a pas de lumière au bout du tunnel, avec des personnages dont aucun n’est finalement sympathique, naviguant tous entre les ambiguïtés. Le retour à l’état de nature, sans la Nature, mais partout ses ersatz.
Comme on s’y attendait, c’est très bien écrit. Stylistiquement, ce n’est pas foudroyant, mais tout se tient admirablement et le lecteur prend grand plaisir à se faire balader par l’auteur. Il est extrêmement agréable d’essayer de cerner les personnages, dans leurs revirements ou leurs comportement de monades. Faut juste être prêt à la confrontation avec l’argot étatsunien des années 1960 et son hybridation néologique.
(ah cette vieille légende sur Mozart et la fosse commune p. 77 … 8,5)
Essai historique et historiographique sur la Grande Révolution de François Furet.
Les vérités alternatives, déjà.
Juste après la Seconde Guerre Mondiale, la révolution de 1789 est la référence la plus utilisée dans le débat public en France au XXIe siècle. Est-il beaucoup d’autres pays où un homme politique du XVIIIe siècle est encore un modèle ? En France c’est pourtant le cas avec Robespierre. F. Furet est des modernistes qui ont animé le débat historique dans la seconde moitié du XXe siècle sur cette (courte) période. Il détonne dans le paysage historiographique parce que sans être anti-révolutionnaire, il n’est pas pour autant de la veine communiste (courant dominant à l’Université après-guerre). Le communisme, il a rompu avec lui en 1959 et donc est une cible toute désignée pour des chercheurs comme A. Soboul et ses épigones auxquels il conteste l’idée d’une révolution bolchevique déjà programmée dans les évènements se déroulant entre 1789 et 1793.
Le livre est composée de quatre parties, à rebours de la chronologie. La première partie est une synthèse sur l’historiographie de la Révolution de 1789. F. Furet y considère 1789 du point de vue d’un mythe des origines, dont l’histoire qui en est faite a pour but de maintenir chez beaucoup d’auteurs l’unité et la pureté (le texte date de 1977), mais il consacre aussi de nombreuses pages aux combats de la fin du XIXe siècle entre républicains et royalistes, attaque les marxistes en démontrant la pluralité de vues du même Marx sur la Révolution et détaille la place singulière qu’occupe Tocqueville et son ouvrage L’Ancien Régime et la Révolution en tant que premier intellectuel a avoir pensé la continuité entre monarchie et république. Autre jalon historiographique d’importance pour l’auteur, l’archiviste Augustin Cochin veut lui comprendre le jacobinisme, mais sans s’en réclamer. Au début du XXe siècle, et plus encore après la Première Guerre Mondiale (à laquelle il n’a pas survécu), c’est s’attirer beaucoup de critiques. A. Cochin a aussi étudié les cahiers de doléances du début de l’année 1789, conduisant à casser le grand mouvement téléologique de la Révolution (et qui nous semble encore enseigné aujourd’hui …).
Pour F. Furet, et c’est l’objet du quatrième chapitre de la synthèse, le fait décisif permettant le Révolution est la vacance du pouvoir qu’il fait remonter à 1787. Les bureaux de Versailles n’ont plus les choses en main, les classes dirigeantes sont divisées (Assemblée des Notables), et pour couronner le tout, des élections ont lieu pour les Etats Généraux en lieu et places des traditionnelles désignations au sein des différents groupes considérés. De tout ceci ne sort pas un pouvoir bureaucratique mais celui du verbe, lui même en proie au soupçon. Le complotisme nourrit cette période saturée de politique, conduisant à des vagues d’épuration au sein des Assemblées (jusqu’à la Terreur) et ceux qui pensent arrêter la Révolution (à leur profit en général) sont successivement balayés. Ce qui amène l’auteur au jacobinisme et à Robespierre, aux oligarchies militantes (p. 122) et à la disparition progressive du peuple des décisions politiques qui aboutit à Thermidor. Ici s’achève pour F. Furet la révolution, quand la légalité remplace la légitimité.
Dans la seconde partie du livre sont rassemblés trois articles qui à partir du début des années 1970 ont conduit à la rédaction de la synthèse. Le premier de ces articles est une réponse à la critique soboulienne qui a été fait du manuel co-écrit avec D. Richet et paru en 1965-1966. C’est l’occasion, dans un style assez offensif et jubilatoire, de retourner la pareille. L’auteur y discute de méthodologie mais combat aussi sur le plan des faits : existe-t-il encore, par exemple, une féodalité en 1789 ? Peut-on parler d’aristocratie ou de classes dominantes ? Dans un second article, F. Furet discute en profondeur de la vision de Tocqueville développée dans son livre paru en 1856 sur l’Ancien Régime. La différence entre aristocratie et noblesse est justement déjà un sujet traité par l’auteur normand. Enfin un troisième et dernier article, faisant monter l’ensemble du livre à 310 pages, est consacré à Augustin Cochin, archiviste et historien, que l’environnement familial bourgeois n’a pas préparé à devenir un théoricien du jacobinisme. F. Furet décrit les influences de A. Cochin (Durkheim), son cheminement et les difficultés qu’il rencontre. Il discute ensuite les idées de A. Cochin sur les « sociétés de pensée » qui donneront naissance aux clubs jacobins et comment ceux-ci vont se figurer être le porte-voix du Peuple où l’opinion devient action (p. 291).
Ce livre est d’un format intéressant, avec finalement des redites assez peu nombreuses dans ce cheminement intellectuel sur plusieurs années. Au niveau des idées, au-delà d’une présentation impeccable des faits, on sent une affinité avec le courant que représente aujourd’hui M. Gauchet, dans la recherche de l’Un par les révolutionnaires à la suite du roi ou sur la prise de conscience que l’Homme peut agir sur le monde (p. 44). La description de la paralysie et de l’aventurisme au sommet de l’État est remarquable (p. 172-174, l’absolutisme détruisant la société à ordres), tout comme la perpétuelle épuration des révolutionnaires nourrie au complotisme le plus effréné, jusqu’à la séparation de la société et de la politique qu’a été Thermidor (p. 119). Il faut aussi sortir du lot la description des trois types de noblesses qui auraient pu se former au XVIIIe siècle (anglaise, prussienne et polonaise, p. 179) mais surtout que la révolution a peut-être déjà eu lieu en 1787, avec la prise de pouvoirs des « patriotes » dans les sociétés de pensée (p. 287-295). La politique, élevée au rang de religion, n’encourage pas au compromis, à l’intérieur comme à l’extérieur et l’auteur est clairement un partisan de la guerre comme conséquence de la radicalisation que l’inverse.
Il va sans dire qu’une connaissance superficielle de la période n’aide pas beaucoup à la lecture de ce livre, mais le plan où ce situe l’analyse est assez élevée, une connaissance au jour le jour dans les moindres recoins idéologiques n’est pas requise. Toujours intéressant, parfois jouissif et le plus souvent agréable à lire, un bon appel à remise à niveau !
(au XVIIIe siècle triomphe l’idée des libertés germaniques comme fondement de la France contre l’héritage romano-byzantin p. 61 … 8)
Essai de philosophie et d’histoire politique de Marcel Gauchet.
Les nuages s’amoncèlent.
Il faut qu’il y ait quelque chose de pourri au royaume du libre-échange pour que les marchands en soient arrivés à confier le soin de leur prospérité à la soldatesque. p. 265
Gros changement de rythme avec le second tome de la série. Si le premier volume considérait quatre siècles d’évolution, celui-ci réduit son éclairage à une trentaine d’années, à cheval sur le XIXe et le XXe siècle (ce qui est plutôt la fin du « long XIXe siècle » qui avait démarré en 1789). Après plusieurs épisodes révolutionnaires en Europe et aux Amériques, le libéralisme s’est imposé dans de nombreux Etats européens au milieu du XIXe siècle. Malgré ses succès politiques et économiques, il est lui aussi atteint par la crise dans un contexte d’interconnexion au niveau mondial jamais égalé avant que la Première Guerre Mondiale ne vienne tout remettre en question. C’est ce qu’analyse M. Gauchet dans ce livre de 370 pages à la très grande densité.
L’auteur ouvre le bal avec F. Nietzsche, le destructeur d’idoles. Ses écrits sont ici analysés sous l’angle de la clairvoyance de celui qui dès les années 1870 voit arriver la crise des années 1900 et qui parmi les premiers pousse la Religion de l’Histoire sur la voie de la création d’un dépassement voulu de l’Homme (le Surhomme, détaché du libéralisme et du socialisme trop chrétiens p. 47). Le second chapitre continue la progression chronologique avec les causes et les effets de l’émergence de la social-démocratie. La libéralisme, de part son individualisation, engendre la création de nouveaux groupements (un parti ouvrier, des syndicats) qui ont pour but de rétablir un équilibre des forces parce que le libéralisme ne peut assurer l’égalité de tous. La société se détache de l’État grâce au libéralisme, condition d’un marché libre (p. 102). Progressivement, pour M. Gauchet, on passe de l’Ordre à l’Organisation. Le chapitre suivant revient sur la question du devenir, très présent dans le premier tome. La crise du progrès vient en partie de la prise de conscience que la société moderne entraîne la mort du passé vivant (autrement dit la tradition, p. 135). Parallèlement naît la prévision dont H.G. Wells est la figure la plus brillante, tant pour ses écrits de fiction que ses essais (p. 151-153).
La quatrième chapitre quitte les œuvres de l’esprit pour explorer en profondeur la trahison des parlements. Qui est représenté par les représentants ? Les candidats se professionnalisent, mais les unités de vues ne sont pas évidentes dans une société parcourues par les regroupements divers (sans contrôle, dilution du pouvoir, intérêt général introuvable, absence ressentie de limites aux préoccupations de l’État, p. 183-195). De solution, le parlement comme mode de gouvernement passe à problème. A cela il faut ajouter l’essor de l’administration conséquence de la prise en compte des nouveaux besoins de la société et de la mondialisation qui prend la forme d’impérialisme ayant pour but d’approcher l’égalité interne au prix des inégalités à l’extérieur (sixième chapitre). Mais c’est aussi une sorte de poursuite de l’universel … Le dernier chapitre enfin est consacré à la résurgence du droit naturel avec la naissance du concept de Droits de l’Homme qui va de paire avec la prise en compte non plus seulement du père de famille mais des femmes et des enfants (p. 344). L’ouvrage s’achève sur une conclusion récapitulant les trois crises du libéralisme de la fin du XIXe siècle, suivie des notes.
Avec un livre d’une telle densité, le train ne repasse pas. Pas de circonvolutions, pas de temps à perdre, M. Gauchet embarque le lecteur dans une marche forcée à travers les crises du libéralisme, qui est aussi un temps de changements profonds des modes de vie. Si grâce au chemin de fer et au télégraphe l’État peut atteindre chaque citoyen en France à la fin du XIXe siècle, les changements technologiques marquent aussi l’irrémédiabilité du passé : les partis monarchistes, si puissants encore en 1871, disparaissent entre 1885 et la fin des années 1890 (p. 141). Tout comme l’anarchisme, vaincu par l’apparition progressive d’un Etat protecteur des individus (l’association de individus libres ne pouvant seul faire naître une société p. 351). L’auteur, toujours pertinent, se dépasse quand il aborde le terrain de l’impérialisme. Le marxisme devra beaucoup de son succès au XXe siècle à l’anti-impérialisme (p. 268).
Livre exigeant, mais qui sait rendre l’investissement que l’on peut y mettre.
(il n’y a plus d’empire, parce qu’il n’y a plus de lieu pour la barbarie p. 282-286 … 7,5)
Essai historique sur les crimes de masse perpétrés entre Berlin et Moscou de 1933 à 1948 par Timothy Snyder.
Les corbeaux sur les plaines.
Hitler meant to undo all the work of Stalin. Socialism in one country would be supplanted by socialism for the German race. p. 163
En France il y eut Oradour pour symboliser l’éradication de tout un village par la Wehrmacht, les fosses ardéatines en Italie. Mais ce qui est exceptionnel à l’Ouest de l’Europe, et qui plus est en temps de guerre, est de la plus grande banalité dans ce qui est aujourd’hui la Pologne, les pays baltes, l’Ukraine et la Biélorussie entre 1941 et 1945. Mais l’anéantissement de villages ou l’exécution d’une balle dans la nuque de centaines de personnes ne se produit pas qu’en même temps (et non aux marges) que les combats qui opposent les armées soviétiques aux armées allemandes, ils sont parties intégrantes de politiques poursuivies par l’Allemagne nazie et l’URSS, avec des intensité diverses et des cibles semblables ou différentes, entre 1932 et 1948. Le malheur de ces « terres de sang » qui voient le meurtre de 14 millions de personnes (hors victimes de guerre) ? La double occupation, voire la triple, par les deux totalitarismes européens les plus meurtriers du XXe siècle.
Le livre ouvre sur l’Ukraine affamée du début des années 1930 (il y a bien sûr une introduction avant cela). Lénine, pour pouvoir exporter la révolution hors de Russie, avait fait la NEP, conséquence des distributions de terres aux paysans. Mais Staline considère que la pause dans l’avancée de l’URSS vers le communisme a assez duré. Pour le bâtir dans un seul pays (c’est tout ce qu’il reste), il faut plus d’ouvriers (les porteurs de l’Histoire) et donc il faut enfin industrialiser ce dernier élève de la classe européenne. Pour cela, il faut acheter des machines à l’étranger, donc avoir des devises, donc exporter. Qu’exporter, si ce n’est des produits agricoles en grandes quantités et le plus vite possible ? Pour y arriver, la collectivisation des moyens de production agricole est évidemment le meilleur moyen. Ordre est donné de le faire au plus vite, en réquisitionnant tout. L’Ukraine, plus gros producteur agricole d’URSS et bénéficiaire de la politique des nationalités de Lénine, est aux premières loges des demandes du Kremlin et de la concurrence des communistes locaux pour dépasser ces demandes. Et comme en plus la météorologie s’en mêle et fait chuter le rendement … La famine, instrument de contrainte du Politburo de Moscou, ravage les campagnes ukrainiennes et cause 3,3 millions de morts. A cela il faut ajouter les exécutions par le NKVD (la dékoulakisation définie par le stalinisme en parallèle p. 79), les condamnations au goulag ou les déportations vers la Sibérie ou le Kazakhstan où rien n’attend les déportés. Quand le goulag est plein, on exécute (p. 104).
Puis en 1937-1938, la répression reprend après quatre ans d’accalmie. J. Staline a complètement la main sur le Politburo du PCUS et commence une série de procès à grand spectacle pour purger le Parti. La répression ne se limite pas aux cercles dirigeants et aux administrations mais atteint des populations entières. Inquiet d’une possible alliance militaire nippo-polonaise, il est procédé à la déportation de Coréens résidents en URSS vers le Kazakhstan comme à l’élimination de citoyens soviétique ethniquement polonais (plus de 100 000 victimes) pour saper un éventuel soutien à une attaque, malgré le pacte de non-agression signé en 1932 et l’incapacité pour la Pologne d’être un danger pour ses voisins dans les années 1930. De son côté l’Allemagne, nazie depuis 1933, use peu du crime de masse. Les camps de concentration n’ont pas cet objectif et les exécutions sont en dessous des trois centaines avant 1939.
Mais la politique allemande change en 1939 et si c’est l’URSS qui extermine en masse avant 1939, l’Allemagne se met au niveau en 1939. L’invasion de la Pologne est marquée, dès le premier jour, par des exécutions de prisonniers de guerre et de civils, bientôt suivis par des tueries de masse visant les Juifs (d’abord sous couvert de lutte contre les partisans, comme certains soldats polonais, puis nommément). Les élites polonaises sont particulièrement ciblées dans ce qui doit être un territoire prêt à être colonisé. Quand les Soviétiques entrent eux aussi en Pologne pour rejoindre leur côté de la ligne Molotov-Ribbentrop, le NKVD est lui engagé dans l’élimination de toute personne susceptible d’opposer une résistance ou de la diriger. D’où, comme avec les Allemands, des massacres d’officiers (mais avec une organisation bien plus professionnelle, fruit de deux décennies d’expérience p. 77-78) comme c’est le cas à Katyn, mais pas que. De chaque côté de la ligne Molotov-Ribbentrop, les populations sont surveillées, classées et les éléments indésirables sont éliminés, déportés ou regroupés (des ghettos pour les Juifs où ils sont affamés et exploités).
L’étape suivante commence en juin 1941. L’invasion allemande de l’URSS (enfin, des territoires que l’URSS venait d’acquérir pour commencer) lance véritablement l’extermination systématique des Juifs à l’aide d’unités dédiées sur toute la ligne de front, aidées par des supplétifs locaux, volontaires ou non. Mais les armées allemandes n’atteignent pas Moscou, ni ne font tomber Léningrad, ni n’atteignent le Caucase. En 1942, l’échec est visible. Et plutôt que de continuer à faire mourir de faim des prisonniers de guerre soviétique (il en meure chaque jour plus que de prisonniers américains et britanniques pendant toute la guerre p. 181-182), et de prévoir l’élimination par la faim ou déportation du tiers des Slaves habitant la région, l’Allemagne se voit contrainte de faire travailler ces populations pour remplacer sa force de travail qui est au front. Mais pas les Juifs. Eux continuent de mourir en masse, puisque leur élimination est le dernier objectif atteignable par les Nazis. Si ceux qui se trouvent à l’Est de la ligne Molotov-Ribbentrop sont tués majoritairement par balle, ceux à l’Ouest de ladite ligne sont envoyés dans des usines de la mort (gardés par d’anciens prisonniers de guerre soviétiques ayant survécu) pour y être asphyxiés à l’aide de gaz d’échappement puis à l’aide de monoxyde de carbone produit à partir de granulés (comme le furent les handicapés en Allemagne entre 1939 et 1941, avec les mêmes « médecins », les massacres hors d’Allemagne permettant ceux dedans, p. 256-257). Auschwitz est le dernier créé de ces camps d’extermination, mais aussi le plus connu parce que ses survivants ont été les plus nombreux (et de nombreuses victimes provenant de l’Ouest, alors qu’aucun de ces camps n’est découvert par une armée occidentale). Ceux du camp de Treblinka dépassent à peine la centaine.
En parallèle de la mise à mort industrielle, la guerre de partisans et la contre insurrection font aussi de nombreuses victimes, surtout par l’impossible neutralité entre forces allemandes, supplétifs locaux, Armée de l’Intérieur polonaise, partisans soviétiques (dirigés ou non par Moscou, qui par ailleurs se moque complètement des victimes civiles p. 238-239) et nationalistes ukrainiens. Rejoindre un groupe ou un autre est une affaire de chance, le plus souvent une question de survie. Système nazi et système soviétique se confondent en Biélorussie, ce n’est plus que de l’exploitation violente. Le bilan pour la Biélorussie à la fin de la guerre, c’est 50 % de la population déportée ou liquidée (p. 249-251). Et il y a des soulèvements, celui du ghetto de Varsovie (de avril à mai 1943, soutenu modérément par la résistance polonaise) et celle de Varsovie (entre août et octobre 1944) alors que les troupes soviétiques sont proches de la ville. Ils sont réprimés très durement, avec à chaque fois des dizaines de milliers de victimes, surtout non combattantes.
La fin de la guerre ne signifie pas la fin des exactions. La puissance soviétique remodèle à sa façon ses conquêtes, en éliminant des individus ayant fait preuve de trop d’autonomie et en simplifiant l’enchevêtrement ethnique local. Les Allemands sont expulsés vers l’Ouest (pas toujours avec douceur), mais ce ne sont pas les seuls à devoir se trouver sans ménagement un autre toit. Les Polonais de l’Est sont envoyés dans l’Ouest, puisque c’est toute la Pologne qui est décalée. Mais des Polonais sont aussi chassés d’Ukraine, par les nationalistes ukrainiens comme les communistes (chacun d’eux souhaite un Etat-nation homogène mais pas la même direction). Avec la paix venue, la spécificité juive passe cependant mal en URSS et un antisémitisme officiel stalinien se fait jour, qui pourtant ne mène pas aux crimes de masse de la Grande Terreur (p. 350-351).
La dernière partie est une mise en perspective de tout ce qui précède. De simples comparaisons permettent ainsi d’approcher une compréhension des tourments que connurent ces territoires et la signification politique des morts, hier comme aujourd’hui. (p. 385) Un Juif né en Pologne, citoyen soviétique depuis quelques mois quand il est exécuté, est-il un mort soviétique ?
L’index est précédé de 80 pages de bibliographie et de notes.
Le livre, à la grande différence de Black Earth du même auteur, ne démarre pas par les soubassements philosophiques ou théoriques d’un phénomène, mais directement par la famine orchestrée par l’URSS en Ukraine. Le lecteur est ainsi, sans préparation, littéralement jeté dans une piscine d’eau froide. Rien ne lui est épargné, tant les statistiques que les témoignages de victimes ou d’exécuteurs. De ce point de vue, le Livre noir du communisme, avec ses millions de victimes supplémentaires, était bien plus facile à lire du fait de sa déréalisation. Ici il n’est pas question des camps de concentration en Allemagne où l’on a des films faits par les troupes étatsuniennes, mais bien de meurtres de masse, cachés ou non. Devant tant de faits peu plaisants, devant la répétition des atrocités, le talent d’écriture de T. Snyder est éclatant et permet de ne pas reposer le livre aussi facilement que si cela avait l’intérêt d’une liste de courses. Et si quelqu’un croyait encore à la Wehrmacht innocente de tout crime, ce croyance ne dépasse pas la p. 172. Il est difficile de trouver un défaut à ce livre. Il y a des cartes, une très bonne contextualisation, un bon mélange entre faits et analyse et une conclusion qui offre de bonnes perspectives tant historiographiques que politiques, y compris des plus actuelles. Un classique.
In fine, le but de l’auteur est de ne pas se faire dicter l’histoire des terres de sang par Hitler et Staline (p. XVIII).
(une journée de la fin 1941 fait plus de victimes que tous les pogroms russes impériaux additionnés p. 227 … 8,5)
All resistance to fascism was by definition led by communists ; if it was not led by communists, then it was not resistance p. 355.
Un régiment hanovrien fait face aux Britanniques, dans le Nord de la France durant la Première Guerre Mondiale. Commandant une des trois sections de sa compagnie, le Lieutenant Sturm convie régulièrement dans son abris de tranchée les autres chef de sections, les lieutenants Döhring et Hugershoff. Döhring était juriste dans le civil. Hugershoff le peintre a été rattrapé par la guerre alors qu’il se rendait à Rome et Sturm, le plus jeune, avait étudié la zoologie avant de s’engager. C’est ce dernier, par ses écrits, qui permet aux deux autres une fuite hors du temps. Et les temps sont assez crépusculaires, entre travaux de retranchements, tir au fusil à lunette sur les sentinelles anglaises et tirs de mitrailleuses. Aussi Sturm fait la lecture de ses écrits, des portraits qu’il jette et qui sont discutés par les auditeurs à l’aide de références littéraires. Puis revient la guerre, avec fracas.
Roman court, il est bien dans la lignée d’Orages d’acier même s’il est écrit trois ans plus tard (en 1923), et que le succès n’advient qu’en 1927. Si la guerre est omniprésente, certains thèmes qui seront plus centraux dans la suite de l’œuvre de Ernst Jünger sont déjà esquissés. Parmi ceux-ci le travail, la technologie, le changement de monde qu’est la guerre et les changements nés de l’industrialisation chez l’individu, surtout du point de vue moral (p. 35). Pour Sturm, qui d’une certaine manière est un dandy décadent qui est devenu officier de troupes d’assaut, le soldat dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale a fait montre de bien plus de courage que le héros homérique (p. 56).
C’est très bien écrit, avec une influence perceptible de Huysmans, et, s’il est de nombreuses réflexions, le style n’est pas délaissé. Particulièrement remarquable est le jeu entre le personnage Sturm et l’auteur aux p. 49 et 50, quand Sturm dit qu’il ne peut encore rien écrire sur la guerre parce qu’il manque de recul, mais que dans cinq ans, peut-être …
Rythmé, contrasté, où la froideur est parfois un masque.
Essai sur l’incendie de Notre-Dame de Paris et sa restauration par Didier Rykner.
Va falloir faire vite.
Un bon révélateur de la place de la France dans le paysage mental mondial a été l’incendie qui a touché la cathédrale Notre-Dame le 15 avril 2019 à Paris. L’émotion a été forte dans quantité d’endroits de par le monde, les messages de sympathies affluèrent, suivis par les dons, parfois très importants, pour la future restauration. Et restauration il y aura annonce le Président de la République, et peut-être même un peu plus. C’est de ce plus que ne veut pas l’auteur, en plus de nombreuses choses que ce livre lui permet de détailler.
Mais tout commence par l’incendie, le 15 avril 2019 à 18h18. Le feu couvait sans doute depuis des heures, mais l’alarme ne se déclenche qu’avec l’apparition des flammes dans la charpente de la nef. Pour plusieurs raisons, la localisation du départ de feu n’est pas rapide et les pompiers ne sont appelés qu’une demi-heure plus tard. La fumée est déjà visible par ceux qui regardent en direction du toit de plomb de la cathédrale. La charpente de la nef brûle, et à 19h50, la flèche s’effondre. Quand les pompiers ont réussi à éteindre l’incendie, la charpente n’est plus, tout comme le toit bien évidemment. Mais les rosaces ont survécu, comme de nombreuses œuvres d’art en contrebas.
Le second chapitre, qui fait suite au récit heure par heure du sinistre, est plus technique. La question est de savoir où a démarré l’incendie et pourquoi, avec comme première difficulté que le rapport d’enquête n’a pas encore été publié, quatre ans après. C’est anormalement long, même si la piste criminelle ou terroriste est écartée. Le chapitre aborde aussi les manquements possibles à la sécurité du chantier qui était en cours, ainsi que la législation que l’auteur juge pas au niveau, au vu des différents feux ayant affectés des monuments historiques dans les dernières années en France. Le dernier en date, le 11 juin 2024, a eu lieu au Château de Versailles. Et là encore, un chantier.
Une fois l’incendie éteint et alors que l’inventaire des dégâts est en cours, débute le débat sur la restauration. Certains observateurs ou politiciens parlent eux de reconstruction, ce qui n’est pas du tout la même chose, et qui vise in fine à une transformation parfois radicale du monument. Certains architectes se prennent à rêver d’être choisis pour ériger une nouvelle flèche comme geste architectural (alors que cette dernière est présente sur la cathédrale dès le début du XIIIe siècle). Si le Président de la République, le gouvernement et d’autres y pensent très fortement, jusqu’à organiser un concours, au grand soulagement de l’auteur (mais surtout en conformité avec la loi et les accords internationaux) la décision de l’Etat propriétaire est la restauration, c’est à dire refaire dans le dernier état connu en mariant donc le Moyen-Age et la réfection de Viollet-Le-Duc au XIXe siècle. La charpente aussi doit être refaite en bois, un choix non seulement matériellement possible, mais aussi pas si mauvaise en cas d’incendie si des mesures d’accompagnement sont prévues.
L’auteur analyse ensuite la loi spéciale votée pour la restauration de Notre Dame, passant de la méfiance à une sorte de satisfaction, surtout parce que les dérogations qu’elle permettait n’ont pas été utilisées. Puis D. Rykner évoque dans un sixième chapitre les étapes du chantier de restauration, des statues aux peintures en passant par les questions de statiques. Le chantier est l’occasion de programmes scientifiques d’importance. Puis l’auteur avance dans des thématiques qu’il considère comme plus problématiques. La première est celle des abords, du square attenant, selon lui saccagé, mais il met aussi en lumière l’absence d’un vrai musée et l’arrêt des fouilles archéologiques alors qu’au moins la moitié du jubé médiéval du chœur (démonté et enseveli au XVIIIe siècle p. 221 et dont la très haute qualité d’exécution est connue) n’a pas été fouillé à cause du délai imposé pour la réouverture de la cathédrale. Un dernier chapitre fait un état des lieux de la protection des monuments historiques en France et particulièrement des cathédrales, quatre ans après le sinistre, puis propose des moyens d’amélioration (avec des pistes de financement). Il reste beaucoup à faire, tel est le mot de conclusion.
Dans un livre très enlevé, personnel et richement illustré (en couleur), D. Rykner est égal à lui-même, à ce qu’il montre dans son travail quotidien à La Tribune de l’Art : ténacité, sérieux, vivacité de plume, avis tranchés mais argumentés (p. 48, p. 106 par exemple). Il n’est pas ami avec tout le monde et cela lui est égal, au premier rang pour D. Rykner il y a l’information du public et la défense du patrimoine. Il est donc ami avec S. Bern, avoine une grande partie des architectes français connus mais donne une vison plus nuancée du général Georgelin, en charge de la restauration, que ce que d’autres médias ont pu faire. Qui est surpris quand il démontre que la municipalité parisienne ment continuellement, tout en dépensant beaucoup d’argent dans des projets ineptes ce qu’elle devrait consacrer à la préservation et la mise en valeur de son patrimoine ?
Un travail journalistique modèle qui ravira tout lecteur intéressé.
(la voûte gothique est justement faite pour permettre au bâti de résister au feux de charpentes p. 34 … 8)
Des origines à Auguste Manuel d’histoire romaine sous la direction de François Hinard.
Durera aussi longtemps que la louve.
Il faut parfois rafraîchir ses connaissances. Autant le faire avec ce qui se fait de mieux comme manuel d’histoire romaine francophone en relisant le fameux Hinard. Publié pour la première fois en 2000, il en est actuellement à sa dixième réédition, et comme à l’évidence les ventes étaient appréciables en grand format, la version de poche n’est sortie qu’en 2023. La seconde partie avait aussi pris son temps avec une parution en 2021 (en poche en 2023).
La répartition entre les deux volumes est sans aucune surprise : le second volume s’attache à l’Empire (à partir de 27 av. J.C.) et donc le premier volume additionne les rois et la République. Au sein de ces deux périodes, les quatre auteurs, tous enseignants à la Sorbonne au tournant du millénaire, se répartissent de manière chronologique les chapitres. D. Briquel ouvre le bal avec la période allant de la fondation mythique au IVe siècle, puis G. Brizzi couvre l’expansion romaine jusqu’aux guerres puniques, avant que F. Hinard ne poursuive jusqu’aux guerres civiles du Ier siècle. J.-M. Roddaz ferme la marche pour l’embrasement final à l’échelle de la Méditerranée et au-delà.
L’impression de tour de force à la première lecture est toujours là. En à peine plus de 900 pages, soit environ 1,2 page par année, le lecteur est embarqué avec entrain dans une histoire dont les conséquences sont encore sensible d’une quantité de manières dans notre monde actuel. Et avec une hauteur de vue qui n’est comparable, sur une période plus resserrée, qu’au manuel de J. Heurgon Rome et la Méditerranée occidentale jusqu’aux guerres puniques. La bibliographie elle-même est un monument (malgré sa non actualité), et les cartes et illustrations sont au niveau de l’ensemble. Ce qui cette fois-ci nous a par contresauté aux yeux, c’est le style particulier des auteurs. J.-M. Roddaz semble, par exemple, aimer les remarques pince sans rire comme à la p. 857 : « Une chose est claire au moins : une fois qu’Antoine eut quitté Alexandrie à la fin de l’hiver de 40, il demeura quatre ans sans voir Cléopâtre. On a connu des amoureux plus impatients. »Si la coordination a été de haute volée, il n’y a pas eu de nivellement du style. Parfois, cela confine à la beauté et à la concision des auteurs antiques, comme à la p. 819 : « […] un groupe de nobles [envisagea] de tuer le tyran à défaut de penser à supprimer les causes de la tyrannie. »
Ce livre se dévore, il est très compliqué de le reposer.
(Octave n’apparaît pas comme quelqu’un de sympathique dans ce livre … 8,5/9)
Essai sur la corruption des instances nationales et internationales du football par Romain Molina.
La couverture de la joie de vivre.
Romain Molina n’est pas un journaliste sportif qui se concentre sur les transferts de joueurs de football ou sur les crises saisonnières dans les clubs. Mais comme justement il aime profondément le sport, et plus particulièrement le football et le basket, il pratique un journalisme engagé dans la mise en lumière de ses coulisses criminelles. Ainsi après de nombreux articles dans des journaux anglais ou norvégien, de nombreuses vidéos sur une plate-forme bien connue, sort enfin le livre qui connecte toutes les enquêtes.
Et le tableau brossé n’est, comme attendu, pas des plus attrayants. Le livre commence avec les portraits des condamnés du FIFAgate, les procès nés de l’enquête du FBI sur la délinquance financière à la CONCACAF (qui rassemble les fédérations de football de la Caraïbe et de l’Amérique du Nord). Comme justement, beaucoup des détournements de fonds passent par des institutions financières étasuniennes, le FBI est compétent et a les moyens, aidés par d’autres, de traîner du monde devant les tribunaux. Mais si des présidents de fédérations ont été condamnés, le système a-t-il été mis à bas ? Pour R. Molina, la réponse est négative, et les Etats-Unis portent la responsabilité de ne pas être allé au bout et d’avoir échoué à contraindre la FIFA à mettre fin à sa corruption endémique.
Dans les chapitres suivants, l’auteur continue sa galerie de portraits avec Alimzan Tokhtakhounoff, gangster russo-ouzbek très proche des présidents du premier chapitre, puis avec Christopher Steele, un ancien du MI6 britannique, spécialiste de la Russie et de son monde hors-la-loi (et donc de Londongrad, les oligarques habitants la capitale britanniques), avant de passer à Jean-Marie Weber. J.-M. Weber est l’ancien bras droit de Horst Dassler (le président d’Adidas, lui-même très lié à la FIFA), qui gère ISL, l’entreprise qui a la charge de la commercialisation des droits télévisuels et commerciaux de la FIFA et du CIO (sources de commissions en nombre).
Les enquêteurs du FBI éprouvent des difficultés à pénétrer les cercles dirigeants de la CONCACAF, jusqu’à qu’ils puissent amener Chuck Blazer, son secrétaire général, à collaborer et à enregistrer la réunion en mai 2011 qui voit la distribution d’enveloppes brunes aux présidents de fédérations dans le but de les convaincre de voter pour le Qatarien Mohamed Bin Hammam (qui souhaitait se présenter contre Sepp Blatter). Puis l’auteur montre les autres facettes de la prédation au sein de la CONCACAF. Pourquoi en effet se contenter de détournements de fonds si on peut aussi violer des mineures (membres des équipes de jeunes féminines ou des arbitres) et les offrir aux gens de la FIFA qui viennent contrôler ? C’est ce qui se passe par exemple à Haïti, où une bonne partie de l’équipe dirigeante de la fédération a érigé la pratique en système.
Le livre s’achève sur d’autres affaires footballistiques, du rapport Garcia sur les attributions des coupes du monde 2018 et 2022 à la démission du président de la FFF, mais aussi du devenir de certains protagonistes de l’enquête étasunienne sur la CONCACAF. Certains sont aujourd’hui en termes très cordiaux avec la FIFA …
La lecture ne donne pas, c’est sûr, une confiance folle dans les dirigeants du football mondial. Et ce n’est que le premier tome … Dans la forme, c’est un livre de journaliste, avec de rares références et une écriture rapide qui a laissé passer quelques coquilles, des répétitions dommageables, voire des facilités d’écriture (qui dérapent, comme le Britannique qui d’un coup ne naît plus à Aden mais au large d’Aden). Pour celui qui a dans les dernières années suivi les travaux et les galères de R. Molina, c’est beaucoup de rappels et une mise en forme de communications plus courtes, mais pour le lecteur non préparé, c’est sûrement un bain d’eau glacée. Et l’auteur le rappelle plusieurs fois, ce n’est pas parce que l’on parle principalement de la Caraïbe que cela ne se passe pas ailleurs, ni dans d’autres sports (le patinage artistique français à Salt Lake City en 2002 est mentionné p. 128-129), et la fin du livre le montre. Un travail déprimant mais salutaire, qui pourrait juste être un poil mieux écrit pour devenir un livre où les pages se tournent toutes seules.
How the West Gets Him Wrong.
Essai de politologie russe de Mark Galeotti.
Une tête qui invite à la rigolade.
Même après 25 années au pouvoir, Vladimir Poutine est encore assez peu connu dans le reste de l’Europe et en Occident. Pourtant certains ont tenté, avant 2022, de dresser son portrait. M. Eltchaninoff s’y était par exemple essayé en 2015, après V. Fédorovski une année plus tôt (dans le monde francophone). M. Galeotti n’est lui ni ancien diplomate soviétique ni agrégé de philosophie. Il est historien, spécialiste en premier lieu de la criminalité dans l’URSS finissante, avant de d’élargir son champ de compétences, d’occuper plusieurs postes dans l’enseignement supérieur et la recherche dans divers pays et de conseiller le gouvernement britannique. Il a aussi des activités de journaliste, d’auteur pour l’éditeur Osprey (bien connu des amateurs d’histoire militaire) et pour les jeux de rôle HeroQuest et Cyberpunk 2020.
Le cas qui nous intéresse ici ne fait pas partie de ses plus hauts faits d’arme scientifiques. C’est un livre écrit rapidement qui veut surtout faire comprendre à un public intéressé mais de loin pas spécialiste (et qui ne veut pas le devenir) qui est V. Poutine, peu après l’annexion de la Crimée et d’une partie de l’Est ukrainien en 2014-2015. Pour ce faire, pas de notes infrapaginales (l’auteur s’en excuse) et une structure simple en onze chapitres qui détaillent l’affirmation du titre. Aussi après avoir fait un sort au mythe du joueur d’échec (des règles fixes, un début de partie à égalité) qui se révèle être un judoka (opportuniste), M. Galeotti s’attaque au passé tchékiste du président russe, qui a principalement fait la chasse à l’opposant, loin de l’aristocratie des « rezidentura », les poste du Premier Directorat Principal du KGB à l’étranger capitaliste. Au chapitre suivant, l’auteur discute la volonté de V. Poutine de faire ressusciter l’URSS ou l’empire. Ni l’un ni l’autre ne sont l’objectif, par manque d’idéologie ou de volonté de remettre un Romanov sur le trône. La restauration du rang de la Russie, c’est autre chose. Pour cela, il y a d’étranges choix faits dans l’histoire russe, comme la Seconde Guerre Mondiale sans le communisme (p. 47-48). Le but premier, c’est de retrouver l’intérêt des Etats-Unis. Redevenir la grande puissance de la Guerre Froide mais sans être l’URSS. Ce qui donne plein de politiciens souhaitant être comme Poutine, mais pas faire de leur pays une autre Russie (p. 52), un pays qui a perdu son empire, comme la Grande-Bretagne et la France.
La quatrième correction que souhaite apporter M. Galeotti concerne la relation de V. Poutine à l’argent, qui n’est plus du tout celle des années 1990. Aujourd’hui, du fait de sa position, les millions rentrent tous seuls. Mais ils seraient en grand danger sans la présidence. La retraite alors serait un moment dangereux, se mettre à la merci du successeur … Autre point de discussion en Occident est le rapport de V. Poutine à l’eurasisme, ou toute autre philosophie politique. Sur ce point, l’auteur est en désaccord avec T. Snyder, qui pense justement que I. Ilyine est une source majeure d’inspiration pour V. Poutine (dans The Road to Unfreedom). Pour M.Galeotti, la Russie ce n’est pas le Mordor, pas la Corée du Nord avec des balalaïkas (p. 76) et son supposé conservatisme social s’arrête à la compétence. E. Nabioulllina dirige la banque centrale russe depuis 2013 … Autre trait saillant chez V. Poutine, c’est son aversion au risque. Peu de réactions impulsives, des nominations à des postes importants d’hommes de confiance (des gardes du corps, au moins trois), et des actions au succès garanti pour ne jamais apparaître comme perdant. Jusqu’en 2022, c’était pas si mal et sa popularité (septième chapitre) était très haute. Enfin du moins c’est ce que les sondages relatent, mais comme il n’y a aucun concurrent …
Pour ses proches, V. Poutine est d’une grande fidélité. Des amis peuvent être en difficultés, il y a de grandes chances que le Kremlin agisse. Les autres auront moins de chance, voir s’ils ont trahi, auront de gros problèmes. Un adversaire ça va, il pourra continuer sa vie, un traître non, comme le signale le chapitre suivant. Les deux derniers chapitres traitent de l’avenir, tel qu’il se présente en 2019. Tout d’abord, la conscience du peuple russe que tout ne se décide pas au Kremlin et ensuite la question de l’abandon du pouvoir. En 2019, l’auteur n’exclue pas la possibilité après 2024. Cette même année, le même Galeotti, dans ses entretiens radiophoniques ou ses conférences, ne voit pas comment cela pourrait être possible avec la guerre en Ukraine.
Court et direct, le livre atteint son but sans aucun problème. Le texte est truffé de cet humour anglais toujours appréciable, même si le tout est très oral. Conséquence de cette oralité, il y a parfois de l’argot un brin obscur. Cela n’a pas du être un très long processus d’écriture, sans doute juste un résumé des questions que l’on doit poser à l’auteur à chaque conférence grand public. De loin pas une biographie ni même le récit d’une carrière politique, mais qui a l’avantage de traiter de choses on ne peut plus actuelles. Pour qui ne cherche qu’une mise au point plaisante et informée, c’est un excellent livre.
(comment la candidature de Sotchi pour les JO a émergé, tout un poème p. 136 …8)
A Time of Many Faces
Essai d’ostéologie viking par Caroline Ahlström Arcini.
Drôle de lapin.
Les Vikings sont bien partis de quelque part pour se rendre à Constantinople, Palerme ou au Groenland. En Scandinavie, ils vivèrent et moururent. Certains des cimetières ont été fouillés, et c’est ceux contenant des squelettes non crématisés qui ont intéressé C. Ahlström. Car C. Ahlström a un secret (assez mal gardé) : elle est ostéologue, archéologue spécialisée dans l’étude des os humains. Dans ce livre, son but est de dégager une description des Scandinaves restés sur place à partir du matériel ostéologique et d’ainsi mieux décrire leurs conditions de vie.
Aussi dans un premier temps C. Ahlström décrit les huit cimetières datés de la période viking (milieu VIIIe – milieu XIe siècles) qui forment la base de son étude. Ils se situent au Sud de la Suède (Lund, Vannhög et Fjälkinge en Scanie), sur l’île de Gotland (Kopparsvik, Slite, Fröjel) et dans a province d’Uppland (la célèbre Birka et Skämsta). A chaque fois l’auteur indique les répartitions par âge et sexe des squelettes retrouvés et présente quelques tombes ressortant du lot. Une vue d’ensemble des huit site montre qu’aucun groupe ne semble exclu, même si certains site montrent de grosses disparités (p. 37), mais comme on déjà pu le faire voir d’autres sites d’inhumation.
Avec un tel élargissement des horizons géographiques, le commerce au long-cours, les raids ou encore pour d’autres raisons, les individus peuvent se déplacer et s’installer ailleurs, de leur plein gré ou non. Une analyse du strontium dans l’émail dentaire permet de savoir si l’individu considéré est un local ou pas en fonction des valeurs médianes locales qui sont fonction de la géologie (comparaison avec des animaux locaux). L’auteur utilise 405 analyses au strontium, faite dans tout le pourtour de la Baltique pour ensuite dégager des tendances (p. 46). Ainsi au cimetière de Lund-Trinité, 75 % des squelettes considérés ne sont pas des gens ayant grandi à Lund. Cela monte même à 88 % à Birka, grand centre commercial. La proportion est de 30 % à Slite, moindre mais tout de même significatif. Tous ces individus ne sont pas venus de leur plein gré, mais leur statut ne transparaît pas dans leur localisation dans les cimetières ou en fonction du matériel enseveli avec eux. La Scanie semble avoir beaucoup de contacts avec les populations slaves de l’actuelle côte allemande, tandis que Gotland compte une forte population en provenance de l’actuelle Lettonie.
Le chapitre suivant a pour objectif de préciser l’état de santé général de la population. Pour l’auteur, il est comparable à celui de la Scandinavie au début du XXe siècle, avec une taille moyenne de 172 cm pour les hommes, bien plus que la moyenne continentale. Le bilan dentaire est plus contrasté, avec de nombreux cas d’individus âgés (plus de 60 ans) avec peu de dents restantes. De nombreuses caries ont été relevées, dues au miel certes, mais surtout attribuables à une alimentation riche en féculents. Les dents, les seuls moyens de découpe avec le couteau, sont très sollicitées et le sable généré par les meules à main (servant à faire la farine) accentue l’abrasion et causent même des mini fractures. Il en résulte des usures très fortes, pouvant déboucher sur des inflammations de la mâchoire. Si l’arthrose est répandue, C. Ahlström n’a const,até que très peu de signes de violences, à rebours de ce que l’image du viking peut véhiculer et bien moins que celles constatées aux XIIe-XVe siècles. Chose rare, mais néanmoins significative d’une forte intégration des individus différents de la norme, trois squelettes de nains ont été retrouvés (Skämsta et Kopparsvik). Aucun dispositif funéraire ne les distingue des autres tombes. Il en est de même des individus atteints de la lèpre.
Le chapitre suivant s’intéresse aux tailles de dents, un possible marqueur d’identité. La technique en elle même peut se retrouver sur tous les continents, mais en Europe, elle se concentre en Scandinavie. Les porteurs de ce genre de marques (écoincement, taille de demi-lune de la partie inférieure ou encore création de bandes obliques ou horizontales pouvant recevoir des inserts colorés) sont de tous types : hommes et femmes, grands et petits etc. La pratique ne semble donc pas limitée à des pirates (7 tombes sur les 132 porteurs de dents taillées contiennent aussi une arme), mais pour l’auteur l’île de Gotland lui semble liée (80 % des cas) sans pouvoir prétendre à une exclusivité dans le monde scandinave.
Le livre s’achève sur un dernier court chapitre ayant pour but de présenter quelques idées sur la question d’une spécialisation des cimetières et sur l’éventuelle l’influence du christianisme dans l’attention accordée aux enfants (aucun changement selon C. Ahlström). Passé la conclusion récapitulative, un tableau des mesures de strontium et une bibliographie indicative complète ce volume de 90 pages de texte aux nombreuses illustrations.
Première constatation, comme dans beaucoup des livres d’archéologie que nous avons pu lire ces derniers temps : le livre est à peine âgé de six ans, il semble produit il y a cinquante ans tant les possibilités offertes par les analyses génomiques ont tout chamboulé. L’auteur annonce même de prochaines analyses mais les manques sont criants, puisque l’on ne sait pas en 2018 si les deux nains de Skämsta sont apparentés (même si c’est hautement probable) ou la relations entre deux individus enterrés ensemble (p. 26-28). Ceci ne diminue pas l’apport des mesures de strontium (avec une méthodologie très bien expliquée), avec des proportions de non-locaux importantes même hors des ports et des lieux de commerce. Cette partie nécessite encore des développements pour pouvoir voir avec bien plus de précision la composition de la population de la Scandinavie, avec une répartition chronologique plus fine.
Les passages sur les modifications dentaires et sur la santé dentaire nous ont semblé les plus aboutis et ils rachètent largement les petites imprécisions, par exemple sur l’organisation des royaumes carolingiens (p. 40), les légendes de photographies incomplètes (p. 33) ou que le défunt décide de son inhumation (p. 49). C’est peut-être un peu court, mais appréciable de part la visibilité donnée à une science auxiliaire rarement portée sur le devant de la scène.
(on ne sait toujours pas pourquoi certains individus sont inhumés sur le ventre … 7)