Wielstadt I : Les ombres de Wielstadt

Roman fantasy de Pierre Pevel.

Un plus grand trésor.

Retour chez Pierre Pevel, qui avec les Lames du Cardinal nous avait déjà proposé une relecture fantasy des Trois Mousquetaires. Dans les Ombres de Wielstadt, nous restons dans la première moitié du XVIIe siècle mais le cadre géographique change. En lieu de Royaume de France, le lecteur est cette fois-ci embarqué vers le Saint Empire Romain de la Nation Germanique. Ce dernier est géologiquement différent de celui qui fut de notre monde. Suite à de dantesques crues du Rhin, la mer a envahi la basse vallée dudit fleuve, quelque part en aval de Cologne, formant la Rheinsee. A l’embouchure du Rhin et sise sur ses bras, sorte de Rotterdam westphalienne, se trouve la ville de Wielstadt. Puissante ville marchande, très peuplée, elle a pour particularité d’être défendue par le dernier dragon d’Occident. Toute armée mettant le siège devant la ville ayant été jusqu’à présent détruite par le dragon, la ville est à l’abri des guerres qui ensanglantent l’Europe. Le conflit qui a démarré en 1618, deux ans avant les faits relatés, ne fait pas exception. Mais si la guerre ne vient pas jusqu’aux murs de la ville, elle peut tout de même affecter ses habitants, de toutes confessions, alors que la bataille de la Montagne Blanche, en Bohême, vient de voir la défaite des princes protestants en révolte contre l’Empereur.

Le Chevalier Kantz revient justement dans la ville, de retour d’une mission pour l’Ordre du Temple ressorti de la clandestinité (dans laquelle il était entré en 1312). Mais le repos est de très courte durée puisque la prévôté fait appel à lui pour l’assister une fois de plus et profiter ainsi de ses connaissances démonologiques et kabbalistiques. Un tapissier et toute sa famille ont été horriblement massacrés et il y a fort à parier que l’aide d’un chasseur de démons ne saurait être de trop.

On peut penser que le héros est un autre Salomon Kane, l’un des héros de R. Howard. Ils ont en commun l’escrime et la foi. Mais Kantz n’est pas fou ni puritain et a une vie sociale bien plus développée que Kane. Magicien, il est aussi bien plus subtil et moins indestructible que Kane. Kantz a la quarantaine, commence à avoir des pépins physiques. Côté écriture, P. Pevel est très fort pour poser les ambiances en faisant appel à toute la palette des sens, particulièrement pour faire sentir l’hiver au lecteur. L’auteur, à la différence de ce qui se passait dans les Lames où cela faisait partie du cahier des charges, ne feuilletonne pas ses fins de chapitres. Par contre c’est cru, tirant sur le gore. S’il faut trouver un petit point négatif (autre que l’erreur sur l’habillement protestant de la p. 218), il est des moments où le narrateur tombe dans le « catholicisme pour les nuls » (p. 56 de l’intégrale), mais peut-être a-t-il fait le choix de s’adapter au lectorat … L’auteur s’amuse, souvent une bonne base pour que le lecteur y trouve aussi son compte.

Vivement la suite de la trilogie !

(dommage que la couverture ne m’ait pas du tout encouragé à lire ce livre plus tôt … 8)

Les Dialogues de Maître Eckhart avec sœur Catherine de Strasbourg

Conversation rhéno-mystique attribuée à Maître Eckhart, éditée par Gérard Pfister et Marie-Anne Vannier.

Elle ne dévie pas de sa route Catherine.

Dans le bouillonnement religieux rhénan, nous avions déjà vu dans ces lignes deux intéressants petits textes, Le Livre des neuf rochers et L’Ami de Dieu de l’Oberland. Voici le troisième, attribué par les éditeurs du XIXe siècle au célèbre Maître Eckhart mais plus vraisemblablement produit par quelqu’un de son entourage ou influencé par lui. Le texte prend la forme d’une conversation, sur un temps assez long, entre une femme dénommée Catherine (Sœur Catherine, sans aucune autre information biographique autre que son lien avec Strasbourg) et son directeur de conscience, en qui il faudrait voir Maître Eckhart. Cet échange est entrecoupé par des interventions d’un autre personnage qui semble lui-aussi conseiller Catherine, non nommé, mais en qui il faudrait voir quelqu’un de très avancé dans les voies mystiques, possiblement l’Ami de Dieu. Nourri par les apports de l’Ami de Dieu, Catherine renverse le rapport d’enseignement entre elle et son confesseur au cours de la conversation, à tel point que l’homme d’église doit constater que Catherine la devance sur la voie de la fusion avec Dieu. Suivent quelques points de vues, sur le purgatoire par exemple.

Ce petit texte a pour ambition de présenter dans un premier lieu les trois voies mystiques. La première est appelée purgative (pénitentielle, étalonnée sur les sept péchés capitaux), la seconde est dénommée illuminative (« Conserve une bouche véridique, un corps pur et une âme pleine d’amour » p.44) et enfin la dernière est qualifiée d’unitive (prendre la croix du Christ) et Catherine passe par les trois. Le second objectif semble aussi de vouloir montrer que tout le monde, homme comme femme, laïc ou clerc, peut s’engager dans une telle démarche religieuse et y rencontrer la divinité. Il faut peut-être voire là les tendances égalitaires (mais pas égalitaristes) qui serpentent dans les mouvements religieux du Moyen-Age tardif, qui sans forcément déboucher sur le protestantisme à l’époque moderne (ah, la tentation téléologique qui nous guette …), prennent de nombreuses formes, au sein de fraternités citadines (à objectif religieux ou social) ou du hussitisme au début du XVe siècle. L’aspect personnel de cette même démarche, non pas indépendante de l’Eglise mais en autonomie, en est la conséquence.

Un ouvrage direct qui se lit avec facilité mais qui pose au lecteur d’intéressantes questions, de tous ordres.

(elle le bouscule avec forces rudesses la Catherine … 8)