Chroniques martiennes

Il écoutait la terre sombre se recueillir dans l’attente du soleil, des pluies encore à venir. L’oreille collée au sol, il entendait le pas lointain des années futures et imaginait les graines semées du matin surgissant en pousses vertes, prenant possession du ciel, déployant une branche après l’autre, jusqu’à que Mars ne soit qu’une forêt l’après-midi, un verger resplendissant. (p. 124)

Recueil de nouvelles de science-fiction de Ray Bradbury.

Des canaux et presque des canoës.

D’abord, quelques mots sur le fait de classer ce recueil de nouvelles dans le genre science-fiction. L’auteur semblait refuser cette classification (dans ce même volume notamment), arguant que son œuvre était intemporelle et qu’il n’utilisait pas la technique comme explication du monde. D’un certain côté on peut lui donner raison, car l’intemporalité (ou la multitemporalité) est le fil directeur de ce livre, même si on ne peut mettre de côté que tout ceci se passe néanmoins sur une autre planète et que l’on y vient avec des fusées (même si on ne sait rien de ces fusées ni qui sont en vérité les Martiens).

Les Chroniques martiennes décrivent certains évènements qui se passent sur Mars entre janvier 20130 et octobre 2057. Le livre est introduit par quelques pages de R. Bradbury qui revient sur son livre en 1997, soit exactement cinquante ans après la première parution de ses nouvelles aux Etats-Unis. L’auteur y parle très clairement de créer une mythologie (tout en appréciant de toujours être invité à l’Institut de technologie de Californie). Suivent 28 nouvelles de longueurs très variables, dont la série débute avec le départ de la première fusée pour Mars à partir de l’Ohio puis l’arrivée sur Mars des premières expéditions, avant les premiers colons. La plupart des Martiens disparaissent en très grande partie (même si on en rencontre de temps en temps), et les colons se multiplient. Une fois les premières vagues passées, arrivent les premiers religieux (le très bon Les ballons de feu) mais aussi les minorités raciales, les minorités intellectuelles puis, enfin, les personnes âgées. Puis advient la guerre sur Terre et les colons retournent massivement sur la Terre. Ne restent que quelques rares individus qui assistent à un cataclysme sur Terre, voient les constructions terrienne tomber en ruine, tout comme revient l’expédition envoyée vers Jupiter. Enfin, une petite fusée familiale atterrit sur Mars, dans une dernière page d’une très grande beauté.

Le début du livre est troublant, presque angoissant, dans une ambiance crépusculaire, tant sur Terre que sur Mars, avec ce pressentiment de la fin (cette crépuscularité est instrumentalisée dans l’excellente nouvelle Usher II). L’intemporalité revendiquée par R. Bradbury apparaît cependant très vite au travers du parallèle que l’on peut très aisément faire entre ces chroniques et  l’histoire du continent nord-américain. Ces références sont d’abord implicites, avant d’être explicites (p. 104). Les conflits avec les locaux, l’arrivée des Pères pèlerins (le père Peregrine, référence plus que transparente, p. 144), la colonisation du Far West (p. 185) et son utilisation très préventive des armes, mais aussi le conservatisme moral (Usher II toujours). Le tout forme une critique assez acerbe de la société étatsunienne dans laquelle il vit, et surtout de son versant technophile, avec une peur nucléaire très présente (les dernières nouvelles datent de 1949, année de l’explosion de la première bombe nucléaire soviétique). Il n’y a rien à jeter dans ces nouvelles, dont certaines servent de transitions, écrites de manière magnifique, sur un mode très souvent poétique (pour lequel il faut aussi remercier le traducteur). Aux deux nouvelles déjà mentionnées, il faut ajouter à celles qui nous ont le plus plu Viendront de douces pluies (qui conte la destruction d’une maison entièrement domotisée), Pique-nique dans un million d’années (la nouvelle finale), Rencontre nocturne (entre un Martien et un Terrien) et Tout là-haut dans le ciel (sur les Noirs étatsuniens dans le Vieux Sud qui partent pour Mars). On remarquera aussi l’annonce de Fahrenheit 451, qui paraît en 1953 (p. 210 et 214) avec les livres que l’on brule sur Terre (dans la nouvelle Usher II, qui est un hymne adressé à Edgar Allan Poe et au fantastique).

Ce recueil est-il inférieur à Fahrenheit 451 (chroniqué sur Casalibri en 2009) ? Il ne nous semble pas. Il n’a certes ni l’unicité, ni le côté dystopique, ni encore la puissance de l’hommage à la littérature, mais ce recueil a pour lui la poésie, une pointe d’humour de temps à autre (Les villes muettes), la multiplicité des narrateurs, et malgré tout, un petit peu plus d’optimisme.

(Viendront de douces pluies, sous son vernis humoristique, recèle de glaçantes pépites … 8,5)

Der Tell Halaf

und sein Ausgräber Max Freiherr von Oppenheim

Présentation des fouilles, de l’inventeur, des découvertes majeures et du musée de Tell Halaf par Nadja Colidis et Lutz Martin.

Chagrins de Khabour.

Tell Halaf a pour le moment pas mal de chance dans la chaos syrien actuel. A la grande différence de la cité antique de Palmyre, de la forteresse croisée du Krak des Chevaliers ou des murailles d’Alep, le site araméen, syro-hittite et assyrienne de Tell Halaf (un site occupé du 6e millénaire au VIIIe siècle avant J.-C.) est protégé par sa position, collé à la frontière turque (au sud-sud-ouest de la ville turque de Diyarbakir), dans une zone sous contrôle kurde (mais où il y a aussi, du moins au début du XXe siècle, des Arméniens et des Bédouins, p. 35). Découvert par Max von Oppenheim le 19 novembre 1899, il a été fouillé en 1899, entre 1911 et 1913 (nécessitant mille chameaux depuis Alep, soit 500 km et pendant vingt jours, pour le transport du matériel nécessaire à la fouille, dont douze wagonnets et un chemin de fer léger) et 1927.

Ce court livre (de moins de 80 pages et de doté de très nombreuses illustrations) est organisé en huit chapitres, plus une introduction et une bibliographie. Le premier chapitre aborde très rapidement les fouilles sur le site, en contextualisant un peu sa fouille (Karkemish, Babylone), et en décrivant brièvement les principaux éléments mis au jour : la muraille extérieure, la citadelle avec son Palais Nord-Est et le Temple-Palais, et le Palais Ouest. Au nord, le fleuve Khabour a érodé une partie de la ville. Il est aussi question dans ce chapitre des orthostates lithiques du Palais Ouest, des grands orthostates du Palais Nord-Est, de la grande statue funéraire féminine, de la salle de culte et de la statue d’oiseau de proie. Le chapitre s’achève avec une très très courte description des autres artefacts découverts à Tell Halaf. Le second chapitre détaille les sources historiques ayant attrait au site, dont beaucoup de textes épigraphiques trouvés in situ.

Le chapitre suivant est une mise en lumière du baron Max von Oppenheim, juriste, diplomate et donc, archéologue. Né à Cologne en 1860 et docteur en droit, il devient fonctionnaire en 1891, avant d’être attaché consulaire au Caire en 1896. Ayant découvert Tell Halaf en 1899, il doit attendre 1910 pour pouvoir commencer à y planifier des fouilles (qui sont vraisemblablement les mieux organisées et les plus méthodologiquement solides de son temps, p. 35), après une phase de financement et précédant une phase de publicité. Pendant la Première Guerre Mondiale, il réintègre la diplomatie pour servir à Constantinople. A partir de 1919, M . von Oppenheim commence à analyser ses découvertes, avant de revenir à Tell Halaf en 1927, de fonder une fondation et un musée privé (et à l’entrée gratuite à l’origine), devant l’échec de l’intégration de sa collection aux musées d’Etat (l’actuel Pergamon Museum, sur l’Île aux Musées de Berlin). Son dernier voyage en Syrie en 1939 est un échec à cause de la guerre. Il meurt en novembre 1946.

Le Tell-Halaf Museum est le sujet du quatrième chapitre de ce livre. Il est ouvert en juillet 1930 dans une ancienne halle d’usine, avec des subdivisions que l’on peut voir dans la couverture intérieure du livre. Les artefacts y sont mis en valeur (les orthostates et la porte de la trinité divine syro-hittite), avec des espaces de travail dans la maison attenante, ainsi que des magasins et la bibliothèque de M. von Oppenheim (une partie de ses 47 000 volumes sur le Moyen-Orient). Cependant, dans le chapitre suivant, est relaté la destruction de ce même musée par les bombardements de la fin 1943, alors que les œuvres allaient enfin être abritées au Pergamon Museum … Entre décembre 1943 et avril 1944, il est procédé à l’exploration des décombres pour sauver ce qui peut encore l’être (sans l’inventeur du site qui est à Dresde, où il perdra dans les bombardements de la ville presque l’entièreté de sa bibliothèque, p. 40). Les fragments restants sont entreposés au Pergamon Museum, d’où les Soviétiques les emportent comme prise de guerre, avant de les rendre à la RDA en 1958 (p. 55). Les trouvailles de Tell Halaf sont aujourd’hui encore en cours d’étude (un gros puzzle …) et sont pleinement intégrées au réagencement du musée (p. 61).

Enfin, l’ouvrage aborde le futur du site et de la collection, appelant à retourner fouiller en Syrie (paru en 2002, ce livre ne peut rendre compte des fouilles conduites à partir de 2006) où la devise de M. von Oppenheim « Tête haute, courage et humour » ne serait pas de trop à l’heure actuelle. Nous ne savons pas ce qui l’en est de l’état actuel du site (sous contrôle kurde il semblerait) ni si la mission germano-syrienne peut y travailler.

Le livre laisse sur sa faim, parce que les descriptions et les analyses sont bien trop courtes (surtout à celui qui sait qu’il y a encore tellement à dire !). Mais c’est un livre à la destination du grand public, de celui qui justement visite Berlin et est captivé par le Grand Autel de Pergame, auprès duquel les sculptures mutilées de Tell Halaf ont du mal à rivaliser. Les illustrations sont abondantes et font prendre conscience de la perte subie par la Science et de quelle tristesse fut la fin de vie de M. von Oppenheim. Ce dernier n’est cependant pas sans postérité, puisque non seulement il eut des disciples qui purent éditer ses découvertes après 1945, mais que sa fondation est toujours active et poursuit les buts qu’il lui a assignés. Le texte (allemand) est facilement compréhensible, très informatif et renvoyant très souvent aux illustrations.

Un dixième peut être de la surface de la ville a été fouillé par M. von Oppenheim, il devrait donc rester des choses à y découvrir, si le destin ne s’acharne pas trop sur la ville …

(voir ce que l’orthostate de l’homme-sphinx de 1899 est devenu p.63-66, après la dégradation de 1911 et le bombardement de 1943, quelle tristesse … 7,5)

Les testicules de Hitler

Tout sur la vie sexuelle du Führer.

Balayage de tout le spectre des rumeurs ayant attrait à la vie privée d’A. Hitler par Alain Libert et Victor Drossart.

Il semblerait que ce soit exactement le même livre, mais avec deux autres auteurs … Mais toujours chez le même éditeur.

Avouons que le titre peut faire se soulever quelques sourcils, surtout si le lecteur a déjà une petite idée de tout ce qui a déjà pu être écrit sur un tel sujet, avec toujours en toile de fond la volonté d’expliquer l’essence même du Mal à l’aide d’explications physiques ou psychologiques (des afflictions qui une fois traitées auraient changé la face du monde). Nos deux auteurs (au penchant historien et tournés vers le second conflit mondial) traitent tout le spectre du sujet, sans entrer dans les détails. Et on va en lever, du sourcil …

La première partie est consacrée à toutes les liaisons féminines, avérées ou non, que l’on prête à A. Hitler. Eva Braun est bien évidemment en bonne place mais l’auteur de cette partie évoque aussi, entre autres, sa nièce Geli Raubal, Henriette Hoffman ou Leni Riefenstahl. La seconde partie (dont le titre reprend d’ailleurs un bon mot contre Jules César) explore les relations homosexuelles qui auraient été celles d’A. Hitler, que ce soit R. Hess ou Julius Schreck son chauffeur. La troisième partie passe ensuite aux rumeurs sur l’impuissance, avant que la dernière partie achève le sujet avec les perversions (sado-masochisme, coprophilie, zoophilie) ou le soutien qu’il a obtenu au début de son ascension auprès d’influentes grand-mères …

De manière assez surprenante, les deux auteurs ne semblent pas croire plus que cela à leur sujet (assez étonnant p. 203, où les psycho-historiens sont à juste titre critiqués). L’appareil critique est quasi inexistant et les auteurs semblent ignorer les pratiques scientifiques les plus basiques quand ils citent des ouvrages (par exemple p. 25, où le traducteur se retrouve co-auteur). La seconde partie est néanmoins meilleure que la première (p. 109), avec un auteur visiblement différent (mais aux mêmes références que le premier). Si l’on sent que les auteurs ont eu des lectures, ces dernières ont été limitées par une connaissance plus que parcellaire de la langue allemande (p. 72). Tout ce livre repose sur des on-dit, et c’est la foire aux suppositions que l’on aligne comme des saucisses. Du point de vue formel, le livre est bourré d’erreurs typographiques (y compris dans les titres …) ou de noms propres mal orthographiés. Ce livre de 220 pages avec des illustrations monochromes dans un cahier central n’a visiblement pas été relu. Quant à la bibliographie, son absence n’est pas réellement une surprise après ce qui vient d’être dit.

Au moins, on a appris qu’aucune partie du monde (ainsi que hélas peu de spécialités scientifiques) ont été épargnées par ce genre de recherches …

(les Wandervogel, un mouvement homo-érotique (p. 123), ha … 3)