Königinnen der Merowinger

Adelsgräber aus den Kirchen von Köln, Saint-Denis, Chelles und Frankfurt am Main
Catalogue de l’exposition du même nom sous la direction de Patrick Périn et Egon Wamers.

Reine un jour, reine toujours.

Il n’y eu visiblement en 1959 pas le même engouement qu’en 1922 quand H. Carter mis au jour une petite tombe dans la Vallée des Rois thébaine. Pourtant fut découverte cette même année la plus ancienne sépulture royale française (plus précisément franque), en la basilique de Saint-Denis. Peut-être un tout petit peu moins d’or entassé … et une image beaucoup moins positive (la barbarie, les « Ages Sombres », les rois fainéants etc.). Le sarcophage est intact et renferme les restes de la reine Arégonde en plus de plusieurs artefacts trahissant son rang royal. Les sépultures comparables et de cette période qui nous sont parvenues sont peu nombreuses : celle de Wisigarde à Cologne, de Balthilde à Chelles et d’une fillette de très haut rang à Francfort-sur-le-Main. Elles furent toutes mises en miroir dans l’exposition de 2012 et conséquemment ce catalogue.

Le livre ouvre sur une partie introductive centrée sur la place des femmes de haute noblesse dans la société franque, entre polygamie royale (exorbitante du droit commun et combattue par l’Eglise) et sainteté (comme nous allons le voir), mais aussi quelques données biographiques sur les reines franques évoquées dans ce catalogue. Il y a aussi quelques généralités sur le matériel retrouvé dans les tombes (la question de l’origine assez étonnante du grenat des bijoux cloisonnés se trouve plus loin dans le livre p. 110-111) et leur origine, puis quelques explications sur les sépultures auprès ou dans les églises au Haut Moyen-Age. L’église n’est pas toujours préexistante et les Mérovingiens semble aimer les ruines romaines comme lieu de sépulture (quitte à prendre un bain pour une église, p. 63) ou construire une halle sur la tombe dans le cimetière.

 Suit la première figure considérée, la reine Wisigarde (c. 510 – c. 538), épouse de Théodebert Ier. Sa tombe a été (de manière extrêmement probable) retrouvée à Cologne, sous l’actuelle cathédrale en 1959 (elle aussi). Dans la tombe voisine et exactement contemporaine se trouve un garçon, dont l’analyse génétique (mitochondriale) montre l’absence de lien familiaux avec Wisigarde. Dans la tombe de cette dernière, on ne dénombre pas moins d’une centaine d’objets, de la fibule cloisonnée, aux anneaux et bracelets en passant par une sphère en cristal de roche, un couteau à manche en or, des bouteilles en verre, des gants et un coffre. Une telle richesse accompagnant la défunte a pu faire douter certains scientifiques du christianisme de la personne inhumée. Cela semble néanmoins être le cas, la présence d’offrandes variées (y compris de la nourriture) n’étant pas absente d’autres tombes contemporaines et chrétiennes (p. 69). Il y a après tout des monnaies dans la tombe du pape Jean-Paul II …

Le chapitre suivant est consacré à la reine Arégonde (née vers 514 et morte entre 571 et 582, p. 116), dont le sarcophage a été retrouvé à Saint-Denis sous la basilique du même nom. Le sarcophage, loin d’être esseulé (l’analyse ADN a détecté quinze individus ayant des liens familiaux avec Arégonde et ensevelis à proximité), contient un mobilier très riche et varié dont les pièces centrales sont une épingle ouvragée et une bague portant le nom de la reine. L’analyse de la dépouille conclut à une légère infirmité de la reine, à cause d’une poliomyélite contractée entre quatre et cinq ans, à de l’arthrose (la reine est morte soixantenaire) et à un accouchement difficile au vu de l’émail dentaire (Chilpéric Ier en 534, p. 106 ?).

La reine Balthilde (c. 625-680) est la troisième reine considérée. Elle a été inhumée dans le couvent qu’elle a fondé à Chelles-sur-Marne mais sa sépulture d’origine n’est plus identifiable. Par contre, du fait de sa sainteté, le contenu de la tombe, cendres comme artefacts, ont été conservés comme reliques (translatio en 833). Arrivée encore enfant (vers 641) comme esclave ou otage à la cour franque depuis l’Angleterre, elle épouse vers 649 le roi Clovis II. En 657, elle est co-régente au nom de son fils mineur Clothaire III, assistée entre autres par l’évêque Eloi de Noyon, celui que la chanson a rendu populaire pour une histoire de vêtement et orfèvre de grand talent. Elle fonde de nombreux monastères dans la mouvance irlando-franque (règle de Saint Colomban), dont celui masculin de Corbie et celui de Chelles (en 658/659, sur le site d’une chapelle fondée par la reine Clotilde, l’épouse de Clovis Ier) où elle se retire à la majorité de Clothaire III en 665. Des possessions de la sainte ont été conservés une tunique portant des broderies reproduisant des bijoux (sans doute ceux qu’elle portait en tant que reine avant 665, p. 131-136), un manteau en soie, une fibule dorée, une ceinture et différents galons tissés. Une mèche de cheveux nous est aussi parvenue avec un long bandeau de soie enroulé autour permettant de reconstituer la coiffure de la reine. Enfin, parmi les reliques, des restes de plantes sauvages (le fond du sarcophage ?) et de l’encens.

A la description des reliques de Chelles fait suite un article sur le sceau en or découvert en Angleterre en 1998 et qui a toutes les chances d’avoir appartenu à Balthilde (aux liens forts et persistants tout au long de sa vie avec l’île). C’est un sceau monté sur un axe, avec sur une face un portrait féminin en buste et l’inscription +BALdEhILDIS et sur l’autre face un couple nu, ayant vraisemblablement une relation intime surplombés d’une croix. Un autre article détaille les liens entre Balthilde et Saint Eloi, évêque, orfèvre de la cour mais aussi chargé du trésor royal et de la frappe des monnaies.

La dernière partie du catalogue est consacré à la tombe d’enfant découverte en 1992 dans l’église des Saints-Bartholomée-et-Charlemagne de Francfort-sur-le-Main. Cette église avait été construite sur la basilique du Saint-Sauveur (855) due à Louis le Germanique et desservant le palais de Louis le Pieux à proximité immédiate, mais la tombe était abritée par un bâtiment rectangulaire (memoria ?), une chapelle étant située plus à l’ouest. La tombe est celle d’une fillette âgée de quatre ou cinq ans, datée des débuts du VIIIe siècle, et appartenant à la haute noblesse franque (qui administre le domaine royal sur les bords du Main ?). Inhumés avec la fillette, des victuailles et des tasses en verre, des tissus (dont une couverture tissée avec une croix en or), mais surtout la défunte porte de nombreux bijoux de tous types, un olfactoriolum autour du cou (une boîte diffusant du parfum), un bracelet romain et un objet trapézoïdal en ivoire.  Le plus étrange étant la présence à la droite de la fillette d’une autre sépulture contemporaine, celle d’un garçon du même âge, crématisé dans une peau d’ours accompagnée de divers os d’ours et de griffes. On peut imaginer que, enfants de familles amies et décédés des mêmes causes, il a été décidé d’une inhumation conjointe mais selon deux rites radicalement différents, l’un chrétien et l’autre païen. Toujours est-il que la tombe de la fillette se retrouve en plein dans l’axe de la nef de l’église Saint-Sauveur 150 ans plus tard, démontrant sans doute une persistance mémorielle et une considération spéciale.

Cure rafraichissante et régénérative pour celui qui n’a pas entendu parler des Mérovingiens depuis trop d’années, ce livre ravira aussi le profane par ses très nombreuses illustrations (de tous types) et sa clarté, qui ne se fait pas au détriment de son exigence méthodologique. On notera aussi la présence de nombreuses cartes. La qualité des pièces d’orfèvrerie présentées reste ahurissante, mais ce qui va sans doute nous rester le plus en mémoire ce sont les liens culturels très forts avec Constantinople dans les cours franques. Le ton est donné pour les bijoux et l’habillement en grande partie du côté du Bosphore, mais cela s’étend aussi aux pratiques funéraires (refaire chez soi l’église des Saints-Apôtres de Constantinople, exemple de mausolée impérial, avec l’actuelle église Sainte-Geneviève à Paris). Entre Romains …

Toujours et encore (et comme nous en parlons depuis des années), les soi-disants « Ages Sombres » gagnent en luminosité.

(Arégonde fait importer ses chaussures de la Rome byzantine p. 115 … 8)

Le dossier Vercingétorix

Essai d’historiographie, d’archéologie et d‘histoire sur Vercingétorix et les Gaulois par Christian Goudineau.

Clef en main.

Que savent les « Gaulois réfractaires » de la Gaule, des Gaulois et de Vercingétorix ? A priori très peu de choses si l’on considère que toute référence aux Gaulois a disparu du programme d’histoire du secondaire depuis très longtemps et que sa présence au primaire est à la fois lointaine et congrue. Il ne reste qu’Astérix pour rappeler au grand public que Rome et Athènes ne furent pas les seuls endroits habités de l’Antiquité (avec les limitations que cela engendre mais aussi le formidable impact de la série). Il doit rester quelques latinistes, espèce elle aussi appelée à disparaître, qui lisent du César dans le texte … « Nos ancêtres les Gaulois », ce n’est plus que pour (mal) se moquer de la colonisation sous la Troisième République.

C. Goudineau a pourtant essayé, avec les moyens qui étaient les siens (puissance intellectuelle, diversité des médias, oralité détonante) de renverser la barre et faire un peu mieux connaître ceux qui ont habité la France avant qu’elle en porte le nom. Avec peu d’effets pour l’instant … Dans ce livre, il se concentre plus précisément sur la figure de Vercingétorix, le général en chef du soulèvement gaulois de 52 avant notre ère, un personnage actif neuf mois en tout et pour tout (au niveau de l’horizon de nos sources). Mais ici, pas de livraison d’un portrait « clef en main ». L’auteur nous convie dans son atelier et l’on est en conversation à bâtons rompus avec lui. Avant de parler de ce que l’on sait de l’infortuné Arverne, il y a d’abord sa généalogie de héros. En premier lieu le pré-romantisme d’Ossian (J. Mcpherson), puis l’étude des langues celtiques, la Révolution qui définit la noblesse comme des envahisseurs francs (et donc allemands) en pays gallo-romains, l’éclosion du druidisme. Puis viennent les historiens professionnels de la fin de la première moitié du XIXe siècle. On peut débattre du fait de compter Napoléon III parmi les professionnels, mais son livre (et l’équipe qu’il dirige pour son écriture) sur J. César et la Guerre des Gaules fait beaucoup pour l’archéologie gauloise (p. 133), avec de nombreuses études suscitées localement mais aussi celles payées par la cassette personnelle de l’empereur. Au premier rang de ces dernières, les fouilles d’Alésia. La Troisième République reprend le flambeau, en rajoutant dans l’incandescence nationaliste (Vercingétorix le premier Français p. 144) et contre l’Allemagne impérialiste et franque, avec des parallèles explicites entre 1870 et la Guerre des Gaules, mais aussi anti-romaine jusqu’à la haine antipape, comme c’est dans l’air du temps à ce moment-là. L’idéologie est donc bien présente, la science polluée par l’actualité, mais le niveau d’exigence méthodologique monte aussi (cherché justement dans les universités allemandes). Parallèlement, certains auteurs, comme avant 1870, continuent de voir en Vercingétorix un préchrétien.

Mais ce qui change sous la Troisième République, c’est l’irruption des vignettes d’illustration sur Vercingétorix dans les manuels scolaires (en plus de la production artistique, déjà présente auparavant, mais qui reste limitée) qui impriment dans la tête des écoliers des motifs pour toute leur vie. Et si l’on ajoute le Tour de France de deux enfants en plus du Lavisse, on parle de millions de lecteurs.

Puis en 1905 est créée  la chaire d’Antiquités Nationales au Collège de France pour Camille Jullian. Il y met à bas l’image de demi-barbares qui n’aiment que la bagarre. Ils sont après tout comme les patriciens romains qui eux aussi peuvent conduire des guerres privées grâce à leur clientèle (autrement dit, leur clan). La guerre de 14-18 voit l’utilisation de Vercingétorix comme prédécesseur des Poilus, avec sa fougue, ses moustaches et son esprit de résistance (poème Les Morts debout de J. Toutain, cité p. 218-221, et publié au Puy-en-Velay en 1918). Suivent les monuments aux morts où le Gaulois est parfois représenté. La destinée politique de Vercingétorix et des Gaulois avec lui ne s’interrompt pas avec l’après-guerre, dans différentes parties du spectre politique, et l’on y puise ce que l’on veut y trouver (le gouvernement Pétain ne se réfugie-t-il pas en pays arverne p. 249 ?). Mais dans les manuels, les Gaulois restent des sauvages heureusement colonisés par Rome.

La Seconde Guerre Mondiale voit aussi l’utilisation de Vercingétorix, que ce soit à Vichy comme dans la Résistance. Mais avec les années 70, la figure politique puis historique de Vercingétorix disparaît peu à peu. Pour C. Goudineau, c’est un retour à 1860, quand la protohistoire n’existait pas (p. 263).

La seconde partie propose au lecteur la documentation disponible sur Vercingétorix, tout d’abord en présentant les huit auteurs latins et grecs qui parlent de lui, de J. César à Orose. Puis suivent les données archéologiques avec les monnaies portant son nom (imitées des statères macédoniens, avec portrait d’Apollon et des motifs classiques celtes, cheval, esse, croissant et plus inhabituel, amphore). Les fouilles archéologiques donnent aussi de très nombreuses indications de contexte : les cités, les Arvernes en particulier, mais aussi sur l’aspect physique probable de Vercingétorix, son armement, ce qu’il mangeait et buvait, ce en quoi il pouvait croire. Toutes ces parties sont présentées sous la forme de dialogues avec des spécialistes de la question.

Tous les éléments ainsi rassemblés, C. Goudineau propose sur 71 pages (tout de même !) une petite biographie de Vercingétorix, où l’année 52 av. J.-C. prend bien sûr une très grande place (avec entrelardage d’entretiens).

L’ouvrage s’achève sur une conclusion lumineuse mais plutôt pessimiste (terrible puissance de l’écrit, difficulté d’effacer l’étiquette de barbarie) et suit une courte bibliographie.

Être au Collège de France donne des obligations mais aussi quelques libertés. C. Goudineau n’oublie pas les premières et se sent à l’aise avec les secondes, n’étant jamais hors de la rigueur méthodologique mais en donnant en même temps, brut de décoffrage, son sentiment. C’est l’une des forces de ce livre, il se lit comme on entend l’auteur parler (p. 101 par exemple, ou encore la « fin nulle de la Guerre des Gaules » p. 454), même s’il est décédé en 2018. Il y a très peu de reproches à faire à la partie historiographique (peut-être de ne pas mentionner l’origine troyenne et donc « archéoromaine » des Francs p. 21), et encore moins à la seconde partie (une erreur sur l’article de la Constitution qui donne les pleins pouvoirs au Président p. 397). Avec un tel auteur, c’est une information après l’autre avec à la fois des rappels bienvenus (les Gaulois peuvent tenir des archives p. 431) mais aussi des fruits de la réflexion philologique, comme par exemple le fait que les évènements relatés dans la Guerre des Gaules ont toutes les chances d’êtres objectifs à cause des nombreux témoins défavorables à César présents sur place (et qui ont aussi pu écrire) mais c’est leur interprétation qui est à but propagandiste (p. 455). Il y a malheureusement de très nombreuses coquilles …

Un livre qui aurait mérité encore plus d’illustrations (surtout des cartes) mais captivant. Même si le propos est scientifique, la météore Vercingétorix ne peut s’empêcher de faire venir l’émotion au lecteur. Si M. Bloch ne s’était pas limité à son alternance entre le baptême de Clovis et la Fête de la Fédération, il aurait peut-être inclus la reddition de Vercingétorix.

(Alésia, notre premier Diên Biên Phû p. 445 … 8)

Dante

Biographie de Dante Alighieri par Alessandro Barbero.
Existe en français sous le même titre.

Le poète stellaire à hauteur d’yeux.

Tu proverai sì come come sa di sale

lo pane altrui, e come è duro calle

lo scendere e ‘l salire per l’altrui scale.

Tu sauras comme a saveur de sel 

le pain d’autrui, et comme est dur chemin

la descente et la montée des escaliers d’autrui.

(Paradis, XVII, 20)

 

Les personnages marquants de l’Histoire ne flottent pas dans leur temporalité. Socrate l’Athénien était avant tout un citoyen, servant sa cité comme hoplite (dans la Guerre du Péloponnèse), avant d’être philosophe. Dante lui aussi ne s’est pas limité à être un poète et a combattu, comme cavalier, à la bataille de Campaldino de 1289 (et vraisemblablement pas que celle-là), sous haubert et épée à la main, en première ligne même. De même, ces personnages marquants ne sont pas nés vieux. Chez Dante, ce point est particulièrement important, puisque l’un des évènements les plus importants de sa vie intérieure a eu lieu alors qu’il avait neuf ans, quand il vit Béatrice dei Portinari (huit ans, plus ou moins une voisine) pour la première fois et en tomba amoureux (la deuxième fois neuf ans plus tard, il rêve d’elle nue la nuit suivante p.76). Et la Divine Comédie sans Béatrice …

Le livre commence avec cette susdite bataille de Campaldino qui oppose les Guelfes florentins aux Gibelins arétins. Dante y est cavalier, parce que ses revenus le lui permettent (mais pas adoubé, p. 16). Mais plus encore, il est en première ligne pour recevoir la charge des Arétins, avec d’autres cavaliers désignés par les capitaines de sextiers (les quartiers de Florence). Les Florentins sont victorieux. Après cette entrée en matière violente mais qui a le mérite de poser le décor et de donner le ton du livre, A. Barbero s’attache à définir l’environnement familial de Dante, à commencer par son trisaïeul Cacciaguida (né à la fin du XIe siècle), qui semble avoir été chevalier. Puis l’auteur passe à ses ascendants plus directs et comment la famille se gagne un nom de famille (et pas seulement un prénom et un patronyme au sens strict) grâce à son élévation dans la hiérarchie sociale florentine, sans pour autant atteindre les cercles les plus restreints, dit des magnats. Dante est le premier de sa famille à pouvoir vivre de rentes, dans un idéal aristocratique, fruit de l’activité de changeurs de ses ancêtres. Mais Dante n’a pas attendu d’être majeur (et en possession de son patrimoine) pour participer à la vie littéraire florentine. Il échange très jeune des sonnets avec d’autres apprentis poètes et c’est ainsi qu’il se constitue un réseau parmi les cercles dirigeants de la ville (peut-être la plus riche d’Italie, forte de 100 000 habitants). Sa fratrie n’est pas oubliée, comme ses cousins, oncles et tantes. Son éducation se fait auprès de Brunetto Latini, avant d’aller quelques temps à Bologne pour parfaire ses dons (ou pas, puisque qu’il semble que cela ne lui a pas trop plu sur place).

Comme tout homme qui ne se destine pas à la prêtrise ou au monastère, Dante se marie (pour l’auteur en 1292, à l’âge de 28 ans, mais les avis sur la date du mariage sont très divergents parmi les spécialistes) avec Gemma di Manetto Donati. C’est un mariage au-dessus de sa condition qui lui donnera trois fils (Pietro, Giovanni et Iacopo, des prénoms qui ne sont pas dans la tradition familiale) et une fille prénommée Antonia mais qui prendra l’habit sous le nom de … Béatrice.

En matière de politique, là encore rien d’anachronique chez Dante. Comme beaucoup d’hommes florentins (du moins ceux qui n’en sont pas exclus par idéologie ou statut par le gouvernement dit populaire), Dante participe au gouvernement de la ville au travers de sa participation à de multiples conseils et assemblées. Mais un engagement plus poussé lui permet de devenir l’un des douze prieurs (la fonction suprême à Florence) de l’année en 1300. Comme dans toute l’Italie mais pas que, la politique est un sport dangereux et Dante est exilé en 1301 à la faveur de la prise de pouvoir par les Guelfes Noirs (il est du parti des Blancs). C’est le début de vingt ans d’exil. Il ne reverra plus l’intérieur de la ville.

Dans les premiers temps, il milite et combat pour le retour des Bancs au pouvoir. Mais après quelques années, lassé par la compagnie des autres exilés (certains Florentins sont en exil depuis plus de 30 ans !) ou pessimiste sur les chances de succès, il se détache du parti Blanc et cherche la protection de seigneurs à Forli, Pise, Vérone (chez des seigneurs dans les montagnes, puisqu’il est peu en sûreté dans les cités des plaines p. 206), auprès de l’empereur Henry VII venu se faire couronner à Rome, voyage peut-être à Paris, pour finalement s’établir à Ravenne en 1318. A chaque fois il met à leur service sa grandissante gloire littéraire (il est connu dans toute l’Italie à sa mort) mais surtout ses compétences en matière d’écriture politique. Il meurt en 1321, non sans avoir réussi à mettre à l’abris du besoin ses enfants grâce à ses appuis bolognais et ravennates.

Comme nous venons de le voir, cet ouvrage n’a pas pour but de montrer le génie de Dante ni comment il a écrit son œuvre et quelles furent ses sources. A. Barbero veut replacer, comme historien, le Florentin dans son temps et son espace. Et il réussit particulièrement bien, apportant le regard, acéré et parfois avec humour, un peu extérieur de celui qui est certes médiéviste, mais pas spécialiste ni de Dante ni de la Toscane (étonnante diplomatie des reines et comtesses p. 234). Ce qui lui permet aussi avec maîtrise de faire part au lecteur des controverses historiographiques, et ainsi d’expliquer les choix faits. Et cette biographie n’est pas une hagiographie, ne cherchant pas à ajouter une pierre à la statue de l’inventeur de la littérature italienne (et de l’autofiction ?). Dante a-t-il cherché, loin d’un idéal de pureté et de dédain princier, le pardon de Florence pour pouvoir rentrer ? C’est fort possible (p. 202-205, avec une de ses chansons sur ce thème déjà connue du public en 1310). A-t-il fait de l’abus de bien social en tant que prieur ? L’Enfer (chants XXI-XXIII) peut être un aveu, avec des démons tourmenteurs des corrompus qui le poursuivent. De plus, Dante peut varier dans ses choix idéologiques, ou pour le moins dans ses écrits (p. 231).

Et puis il est des choses qui restent traditionnelles en Italie, même avec les siècles qui passent. Ainsi le campanilisme n’est pas mort quand il s’agit de savoir où Dante a séjourné dans ses années d’exil, facilité par le manque de documents (p. 249). Et il peut, comme au XXIe siècle, avoir beaucoup voyagé (p. 252).

Un très bon livre qui se lit avec avidité, une excellente commémoration pour le 700e anniversaire de la mort du poète.

(deux de ses fils commentent son œuvre …8,5)