Daesh, paroles de déserteurs

Recueil de témoignages édités par Thomas Dandois et François-Xavier Trégan.

Entrée gratuite, sortie payante.

Il existait jusqu’à présent des ouvrages sur les revenants français de Daesh. Certains étaient peut-être même des repentis, mais sûrement pas tous. Avec ce livre, notre image est complétée puisqu’il fait le choix de s’intéresser aux recrues locales (des Syriens et un Jordanien) de l’Etat Islamique (EI) qui ont fait le choix de la désertion.

Mais il n’y a pas que le fait d’avoir été membre, volontairement ou non, de l’EI qui relie ces gens (les adultes interrogés étaient tous volontaires, les deux enfants étaient des enfants soldats arrachés à leur famille). Ils ont aussi tous été exfiltrés par une organisation basée dans le sud de la Turquie et dont l’assèchement en ressources humaines est l’angle d’attaque contre l’EI. Et c’est visiblement une activité dangereuse. Mais comme cette organisation est conduite par des anciens habitants de Raqqa, cela a pour conséquence limitatrice que les témoignages recueillis par les deux auteurs sont ceux de gens provenant majoritairement de cette région ou de Deir ez-Zor tout en ayant l’avantage que ces mêmes témoins ont habités dans la région de la capitale syrienne de l’EI.

Mais les auteurs ne sont pas non plus dupes des gens qu’ils rencontrent, comme ils le soulignent dans le préambule : ils sont très déçus par l’EI, mais n’ont pas forcément renoncé au salafisme ou au jihadisme (p.13). Le préambule permet de présenter les méthodes utilisées, l’intérêt des témoignages croisés qui permettent des recoupements et certaines conditions d’entretien (un soir d’attentat p. 14).

Les six premiers chapitres permettent d’esquisser un portrait de l’organisation qui exfiltre les déserteurs de l’EI appelée Thuwwar Raqqa. On y apprend, dans la mesure où cela ne pose pas de problème sécuritaire, comment fonctionne cette organisation, les dangers encourus, sa naissance et ses évolutions. Thuwwar Raqqa rassemble aussi des documents sur l’EI, tant sur son ordre de bataille que sur ses ramifications plus civiles. Que sur ce point l’organisation fasse des appels du pied à l’endroit de services de renseignement (contre financement) paraît évident, et il est difficile pour le lecteur de prendre pour argent comptant tout ce qui est décrit. Toujours est-il que les deux auteurs (dont au moins un est arabophone) sont impressionnés. Le dernier chapitre de cette partie donne un avant-goût des témoignages, avec parfois des informations que l’on ne retrouvera pas forcément dans ces mêmes témoignages.

La seconde partie rassemble les témoignages, un par chapitre et onze en tout. Le premier est celui d’un dénommé Abou Ali. Jordanien mais ayant étudié en Syrie, il passe assez facilement la frontière pour rejoindre l’EI. Il est envoyé en formation théologique, où dès le premier jour on lui demande s’il veut participer à une mission suicide. Il ne peut faire confiance, tellement on peut vite passer de vie à trépas. Il dit avoir été choqué par le peu d’ouverture d’esprit des gens sur place … Après la formation théologique, trois semaines de formation militaire et direction le front. Brancardier puis gardien de prison, il déserte depuis Alep.

Le second témoignage est celui d’Abou Oussama. Il rejoint l’EI parce que ce sont eux qui ont rétabli l’ordre à Raqqa et qu’il est attiré par le Jihad. Puis suivent Abou Hozeifa (il est resté quatre ans et demi) qui a été le chef d’un check-point, Abou Maria un cuisinier aux premières loges de la corruption des émirs. Kaswara avait encore 14 ans quand il est devenu un agent de la sécurité intérieure de l’EI. Il a égorgé et fait égorger mais est parti après avoir subi un viol. L’instituteur Abou Fourat n’a pas été membre de l’EI mais s’est enfui et il a peut-être connu Moussa et Youssef, deux enfants soldats, eux aussi interrogés par les auteurs. Leur oncle apporte fait aussi le récit, très pessimiste, de comment les enfants sont attirés et formatés par Daesh, ce que confirme Abou Ahmad dans le chapitre suivant. Abou al-Abbas a quant à lui été chanteur pour l’EI et dans le dernier témoignage Rayan raconte comment, étudiant, il s’est retrouvé dans Al-Qaida puis l’EI parce qu’il avait été refusé par d’autres groupes rebelles. Une très courte postface veut mettre en garde le lecteur : la fin de l’emprise territoriale de l’EI n’est de loin pas la fin de l’organisation.

La forme du livre est dérangeante d’une certaine manière. Ce ne sont pas des témoignages bruts mis en forme mais des témoignages réécrits, sans indications. Ils sont très travaillés, peut-être même trop, et ne permettent pas de pouvoir retrouver les formulations originales, encore moins les questions des deux auteurs. Et des questions il y en a sûrement eu, comme presque chaque témoignage s’achève sur une exhortation à ne pas se joindre à l’EI. Les entretiens ont peut-être décousus mais il y avait sans doute moyen de plus respecter les paroles d’origine.

Dans leur insincérité, les témoignages sont intéressants, montrant bien la prise en main de la société syrienne par l’EI et son utilisation des enfants, comme d’autres totalitarismes avant eux (p. 167 entre autres). Les témoignages donnent une idée assez précise de l’attrait qu’a pu avoir ou que peut encore avoir cette organisation, avec des parcours divers qui amènent à s’engager, forcé ou non. Pour beaucoup de témoins adultes néanmoins, l’idée de départ n’était pas si mauvaise mais les jihadistes de l’EI ont tout gâché, surtout en invitant des combattants étrangers. Tous n’excluent pas de ne pas retourner combattre, en Birmanie par exemple (p. 104).

(le terreau est toujours là … 6)

Barkouf

Livret d’Eugène Scribe et Henry Boisseaux sur une musique de Jacques Offenbach.
Production de l’Opéra du Rhin.

La petite maison dans la librairie.

A Lahore, être caïmacan n’est pas une sinécure. Les dix derniers dans l’année écoulée ont été défenestrés par la population. Le Grand Mogol, qui a pour principe d’empaler d’abord et de poser des questions ensuite, a décidé de reprendre les choses en main et va donc faire une visite à la ville. Maïma la fleuriste orpheline et Balkis la vendeuse d’oranges préparent sa venue. Bababeck le grand vizir se prépare aussi, avec l’aide de son eunuque Kaliboul : c’est peut-être enfin le moment de devenir caïmacan ! La remuante population lahoraise s’échauffe à nouveau, dont le gredin Xailoum qu’aime Balkis. Arrive le Grand Mogol. Maïma reconnaît dans sa suite son ancien amant et le chien qui l’a protégé après la mort de son père. Saëb, l’ancien amant, est en revanche promis à la fille de Bababeck, la dénommée Périzade.  Quand Saëb reconnait Maïma, il veut se délier de ses engagements mais se sait contraint. Le Grand Mogol ne nomme pas Bababeck à la tête de la ville mais le chien de sa suite, Barkouf. Le grand vizir doit prendre ses ordres de lui mais n’arrive pas à l’approcher. Maïma, forte de leur ancienne connaissance, se propose d’être son interprète. Ceci lui permet de manœuvrer le grand vizir et en premier lieu d’empêcher le mariage entre Saëb et Périzade. De plus, sous le règne de Barkouf, les impôts diminuent et le trésor de la ville se vide au profit de la population. Bababeck, excédé, complote la mort de Barkouf. Mais Maïma demande aux conjurés de boire le vin empoisonné en premier … Pendant qu’il réfléchit, les Tartares attaquent la ville, profitant de la complicité du grand vizir. Saëb et Barkouf, aidés de la population, partent défendre la ville. Les Tartares sont vaincus mais Barkouf ne survit pas. Revient le Grand Mogol, qui nomme Saëb caïmacan. Ce dernier épouse enfin Maïma.

Comme toujours avec Mariame Clément, une attention soutenue a été portée au plateau. Dans le premier acte, il est dominé par l’orange (un acidulé proche de son Platée de 2010) et le blanc avec portrait du Grand Mogol et tribune. La tribune se retourne pour l’air dudit Mogol, mais dans une version très disco. Les deux actes suivants prennent place dans un magasin d’archives où les affidés de Bababeck essaient de maintenir les choses en place (de manière transparente, maintenir en place la tradition), avec au milieu une niche qui grandit démesurément entre le second et le dernier acte. Les costumes avaient une petite saveur d’Extrême Orient (Singapour ?), avec un arrière-goût de Bordurie pour les militaires (par les moustaches de Plekszy-Gladz !). L’inventive mise en scène a été un délice de presque tous les instants. Le tableau avec la liberté guidant le peuple était cependant trop forcé, comme les conspirateurs dotés de masques d’hommes politiques actuels (déclenchant des mouvements dans la salle). Le public aurait par exemple aussi compris des masques de Napoléon III pensons-nous, même 157 ans après la première et seule production au monde.

Côté chant, le chœur était un peu endormi au début de la pièce, mais la montée en rythme ne s’est pas faite attendre. Maïma était magnifique, Balkis d’une très grande présence scénique, Bababeck cabotin en diable, fourbe et veule à souhait. Saëb était peut-être un peu en retrait mais pas moindre en qualité. Musicalement, tout a été rondement mené, dans une partition très offenbachienne, très oratorienne.

(Périzade a la moustache, pas le général … 8,5)

Gormenghast I : Titus d’Enfer

Roman fantasy de Mervyn Peake.

Un éclair après l’autre !

Il n’y a que le château de Gormenghast. Autour, rien, ou si peu de choses. Il y a bien ces Brillants Sculpteurs, dans leurs huttes, et un de peu de bois, de collines et de lacs. Mais par rapport au château de Gormenghast, montagne devenu château ou l’inverse, avec ses souterrains sans fin, ses couloirs innombrables, ses chambres insoupçonnées, ses terrasses oubliées de tous … Dans ce château tout entier tourné sur lui-même règne Lord Tombal, le 76e comte d’Enfer. La vie du comte, réglé par un immémorial rituel d’airain, est troublée dans sa mélancolie par la naissance de son héritier Titus. Sa mère, l’imposante comtesse Gertrude n’est intéressée que par les oiseaux et les chats. Elle ne souhaite voir son fils qu’à partir de sa sixième année de vie et Titus est donc confié à la nurse Nanny Glu. L’aînée des d’Enfer, Lady Fuchsia, a du mal à encaisser de n’être plus la seule enfant du couple.

La domesticité et les autres habitants du château sentent aussi souffler le vent du changement, même ceux qui ne sortent pas de leur lieu de travail retiré comme le conservateur de la galerie de sculptures. Si la nurse Nanny Glu est inoffensive en plus d‘être complexée et pleurnicharde, le chef Lenflure et le premier valet Clacrosse sont autrement plus dangereux et ennemis. Finelame, commis de cuisine, parvient à trouver le moyen de s’échapper des sous-sols où il était à la merci du sadique Lenflure. Son ambition, sa volonté et son intelligence peuvent lui permettre une ascension sociale au château, ce dont il ne va pas s’abstenir. Mais à quel prix …

Ce livre n’est pas qu’un très très bon roman, c’est aussi un très long poème naturaliste et absurde. Tout est ciselé, les descriptions sont d’une affolante justesse, conduisant à une œuvre baroque et jubilatoire. Ce qui choque le plus, c’est la présence souveraine et impressionnante des couleurs. L’auteur est peintre et illustrateur, il ne peut pas le cacher : son don pour l’observation et la retranscription chromatique est sublimé dans ce roman. Le lecteur est amené à participer au récit, que ce soit par les rares interpellations du lecteur par le narrateur (p. 455 par exemple) ou par la volonté de rapprocher le monde de Gormenghast du notre : on parle d’Arabie (p. 348), on fait référence au christianisme (p. 93 par exemple). Le niveau technologique du monde est cependant assez indéterminé.

Et la traduction est en plus de tout premier ordre, avec comme morceau de bravoure le poème p. 166-168 et des formules vieillies mais délicieuses (p. 219 par exemple, ou l’emploi du mot « vesces » p. 531 pour des plantes fourragères). Le niveau de langue est stratosphérique.

Pour lecteur, en plus du côté esthétique, c’est comme la traversée d’un asile de fous que l’on observerait en train de jouer une pièce, comme Sade mettant en scène les internés de Charenton. Tous sont affectés de problèmes mentaux, même Finelame que l’on peut penser exempt au premier abord. C’est peut-être même lui le Sade metteur en scène. La violence est souvent présente, tantôt ouverte, tantôt affleurante entre les personnages (le lecteur peut se demander s’il a bien lu au tout début avant de rencontrer Lenflure pour la première fois). Le façonnage des personnages est au niveau du reste.

Le huis clos est renforcé par le fait que le comte est enfermé doublement : à la fois, il est le château (donc on découvre néanmoins certaines particularités en fin de volume), mais en plus il est le point focal de rites qu’il doit accomplir chaque jour sous la supervision de Grisamer, le Maître du rituel. C’est l’intemporalité qui est mise en danger avec la naissance de Titus et une simple brise peut maintenant apporter la tempête sur Gormenghast. Une tempête précédée d’une désespérance très profonde à la fin du livre.

Un livre magnifique, qui a la très grande chance d’avoir une suite.

(mais il n’y a pas que la haine comme sentiment dans ce livre …8,5/9)

Faire une nation

Les Italiens et l’unité (XIXe-XXIe siècle)
Essai d’histoire du Risorgimento de Elena Musiani.

Toujours le théâtre !

Même si pour l’Italie contemporaine, le Risorgimento a perdu sa centralité au profit de la Seconde Guerre Mondiale et la naissance de la République, la période qui conduit à l’unité italienne marque encore la toponymie de la péninsule. Quelle localité n’a pas sa place Cavour, son cours Victor-Emmanuel II ou une statue de Garibaldi ? Mais E. Musiani (qui enseigne à Bologne) ne se contente pas d’actualiser une histoire du Risorgimento (qu’elle n’est bien évidemment pas la première à faire), elle ausculte aussi comment, dès le lendemain de la création du royaume d’Italie, les évènements qui ont conduit à l’unification sont perçus, tant au niveau de la vie politique et des institutions que dans les arts.

Comme beaucoup de choses au XIXe siècle, le point de départ de l’unification italienne est la Grande Révolution française de 1789. Avec ce bouleversement arrivent en Italie d’abord de nouvelles idées, puis des armées. Le Nord de l’Italie étant sous domination autrichienne, c’est naturellement un théâtre d’opérations pour la jeune république. Bientôt naissent des républiques sœurs et dans le centre et le sud de la péninsule, l’agitation augmente. Avec la présence française, un changement dans la composition des élites dirigeantes s’opère, mariant aristocratie libérale et une bourgeoisie qui a pu profiter de la nationalisation des biens du clergé.

Les restaurations de 1815 ne font pas revenir l’Italie en 1788. De nombreuses principautés n’existent plus, et la conscience de la possibilité d’une union des Italien se fait jour. Le Code Civil reste en vigueur dans de nombreuses contrées. Sa forme n’est pas arrêtée : certains voient le Pape en monarque constitutionnel (la place du catholicisme dans le processus d’unification est majeure p. 65), d’autres imaginent une fédération de princes, et peu imaginent le roi de Sardaigne comme souverain d’une Italie unifiée (malgré de nombreux intellectuels qui se tourne vers la maison de Savoie vue comme plus libérale que d’autres maisons régnantes). L’influence de J. Murat dans la naissance d’une idée politique de l’Italie est de ce point de vue assez inattendue, surtout quant à ses liens avec la société secrète de la Charbonnerie (p. 38 et p. 67). E. Musiani ne peut passer à côté de G. Mazzini, la figure principale du romantisme italien et inspirateur de nombreuses révoltes dans la péninsule (sa vision démocratique et non violente est d’un grand intérêt, p. 98). Un sous-chapitre entier lui est consacré.

Mais 1848 montre l’échec de Mazzini et du modèle des sociétés secrètes formant des conjurations pour renverser les autocraties, chacun dans sa petite ville (comme au Moyen-Âge, p. 77). Et c’est la couronne de Sardaigne qui reprend le flambeau, sous la direction stratégique de Cavour. A Rome et à Venise, le printemps des peuples prend la forme de république à orientation démocratique mais qui ne durent pas. L’Autriche est encore très puissante dans la plaine du Pô et peu de puissances européennes souhaitent la fin de la suzeraineté papale sur Rome, où la France intervient. Mais la France n’est pas insensible à l’idée d’une Italie venant enfoncer un coin dans le flan sud de la monarchie danubienne et Napoléon III va s’engager, avec certaines conditions, en faveur d’une unification italienne sous direction sardo-piémontaise. L’action conjointe des troupes françaises, des volontaires garibaldiens (Garibaldi a été un général de la république romaine) et des troupes piémontaises permet, en plusieurs étapes, d’unir presque toute la péninsule en 1860. Rome étant, condition française, encore indépendante, la nouvelle capitale est transportée à Florence.

Mais quand est proclamé en 1861 le royaume d’Italie, la forme politique a pris beaucoup d’avance sur la réalité sociologique du nouveau pays. Il reste à faire les Italiens. Se pose la question de la langue (seuls 2% des Italiens parlent l’italien, p. 173 même si Manzoni invente la langue nationale au sens du XIXe siècle p. 66), de l’unification économique et administrative. Dans de nombreux cas, on se contente d’envoyer des fonctionnaires piémontais dans le Mezzogiorno, ce qui va avoir des conséquences fâcheuses. Il y a à la fois continuité et fondation : Victor-Emmanuel ne change pas de numéro, il n’y a pas de Constitution, différents systèmes légaux cohabitent encore, la langue italienne est toujours aussi peu parlée qu’en 1815 et le suffrage reste censitaire (p. 165). A la faveur de la guerre franco-allemande en 1870, Rome est annexée au royaume et en devient naturellement sa capitale.

Sitôt après la fin du Risorgimento se met en place son mythe, partagé entre ceux qui se tournent vers les Savoie, les Garibaldiens ou encore Mazzini. Mais la fin du XIXe siècle voit une agrégation de ces différents courants, dans une volonté politique de créer une religion patriotique. On mémorialise, puis on monumentalise (p. 23). Un Autel de la Patrie est donc construit à Rome (concours en 1880), seulement associé et non pas dédié à Victor-Emmanuel comme dans le projet initial. L’Autel inauguré en 1911 mais Mazzini, Garibaldi (et, plus étonnant en 1932, sa femme p. 228) et Cavour ne sont pas oubliés. Initiatives privées et projets communaux se conjuguent. Mais d’un autre côté, la fixation d’une fête nationale continue d’être problématique jusqu’en 1945 (p. 208). Chaque courant politique a bien sûr une vision préférentielle du Risorgimento (p. 206), et les Fascistes sont eux-mêmes influencés par Mazzini, mais une fois au pouvoir, ces mêmes Fascistes s’emploient à séparer les héros de la pensée libérale qui les a animés (exit Cavour, p. 226). En 1947, la toute jeune république s’appuient une nouvelle fois sur le Risorgimento pour asseoir sa légitimité.

Du côté des historiens italiens, les combats ont été âpres comme le montre le septième chapitre du livre. Un très court chapitre se penchent ensuite sur le Risorgimento dans l’opéra, la littérature et le cinéma. Un épilogue clôt le livre et une chronologie, de courtes biographies, une bibliographie, les notes et un index des noms le complètent.

Le fait de ne pas se limiter aux guerres d’indépendance mais au contraire d’élargir jusqu’au XXIe siècle est le grand intérêt de ce livre. Les parties sur l’art aurait cependant mérité un plus grand développement et celle sur les débats historiographiques à réserver à un public déjà averti. Pour qui a le modèle français de construction d’un pays, voilà un modèle très différent et le livre le montre de très belle manière. Mais à la différence de l’Allemagne, pleinement comparable jusqu’en 1860 (toujours contre l’Autriche), l’Italie ne se contente pas d’une fédération mais veut rejoindre l’exemple français (et disons-le latin) de pays centralisé.

Si le livre est d’une grande clarté et se lit avec beaucoup de plaisir (il y a des rebondissements), la traduction n’est hélas pas parfaite. Passons sur l’analyse à notre sens incomplète du mot même de Risorgimento (p. 15). Mais le mot italien Campidoglio doit être traduit en français (Capitole, p. 204) ! On peut aussi contester la qualification de réactionnaires pour les Fascistes (p. 231), puisqu’ils sont, comme les Bolchéviques, très clairement révolutionnaires. La question de la fin de l’expansion ou de la complétude de l’Italie n’est pas abordée dans son côté balkanique mais est limitée aux visions africo-méditerranéennes mussoliniennes, quand l’Empire concurrence la Nation dans les années 30.

Un livre plein de pistes, un clef de plus pour la compréhension du temps long italien.

(les critiques p. 233 des célébrations du 100e anniversaire de la proclamation de l’unité furent exactement l’inverse de celles du 50e …7,5)