Roman de fantasy de Marc Torres.
Mais on ne contemple jamais la mer, juste l’abîme de ses propres doutes, et le Capitaine n’insista pas. p. 35
La cité sans aiguilles appelle. Elle appelle à elle le Guerrier, l’Horloger et l’Ecrivain. Ils ne se connaissent pas, ont des vies différentes et viennent de contrées différentes. Et ils ne savent pas non plus où se trouve cette cité qu’ils doivent rejoindre. Quant au pourquoi … Les histoires racontent que là-bas règne le Roi Blanc et qu’il aima la belle Elvira. Une fois qu’ils se seront rencontrés, le Guerrier, l’Ecrivain et l’Horloger se raconteront leur histoire et chemineront ensemble, en transportant leurs blessures mais aussi leurs espoirs. La cité est-elle le but de leur voyage ?
La réponse se trouve bien entendu à la fin de ce roman de 230 pages, qui a pour caractéristique première d’appartenir au genre de la fantasy que de manière lâche. La magie ne se voit pas, mais elle affleure sous la surface et de temps à autre effectue une petite résurgence. Le monde lui-même est très proche du notre, avec un Orient visiblement asiatique et la mention de l’Afrique (p. 25), sans que l’on puisse dire pour autant où se situe l’action. Toujours est-il que l’on y combat à l’épée. On a donc pas une énième copie tolkinienne (clairement pas de volonté de la part de M. Torres de créer un monde complet, voire même exactement l’inverse) mais un roman de fantasy (pas si classique donc) qui se fait le support de questionnements sur les thèmes du Temps, de l’apprentissage, des signes/des mots et de l’amour fou. Mais ce n’est pas que M. Torres refuse tout lien avec les racines du genre : le personnage de Guillaume est tout de même très merlinoïde (et il y a donc un Arthur quelque part …). Pour lier le tout, M. Torres use d’un discours assez philosophique, qui prend une forme très aphoristique. Il est possible de voir une ou deux piques anti-chrétiennes (p. 174, où le Verbe n’est pas le créateur du monde), mais sans possibilité d’en être sûr.
Les trois héros ne sont désignés que par des fonctions, mais cela ne leur est pas propre et ce n’est pas non plus le cas de tous les personnages du roman. Aussi nous ne pensons pas que ce soient des archétypes, du moins pas à l’intention du lecteur (parfois pris à témoin, p. 57). Ce même lecteur doit cependant se méfier : il est l’objet de jeux de la part de l’auteur (p. 94 par exemple), de fausses pistes tant scénaristiques que langagières. Cela déclenche de petites relectures, mais surtout pas mal de sourires.
L’auteur montre aussi ses grandes capacités d’écriture dans la construction du roman. Les flashbacks des chapitres six et sept sont particulièrement bien amenés, tout comme les changements de narrateurs et les dialogues. La fin n’est pas d’une originalité folle, sans pour autant être plan-plan. Si le niveau de langue n’atteint pas les sommets d’Alain Damasio, c’est tout de même très ciselé et conséquemment, très plaisant à lire. Sans être la première production de M. Torres, pour un premier roman, c’est une réussite éclatante.
Avec La cité sans aiguilles, on ne les voit donc pas tourner !
(tiens, un nocher aveugle p. 143 … 8)