Manuel de culture gauloise par Jean-Louis Brunaux.
Si aujourd’hui certains d’entre eux sont réfractaires, les Gaulois de l’Antiquité sont surtout remuants. Du moins selon les Romains et les Grecs (et beaucoup d’autres), qui apprécièrent modérément leurs promenades armées jusque dans leurs sanctuaires. Un effet parfois envahissant d’une grande curiosité, un trait qui leur est déjà reconnu par les auteurs antiques. Cette caractéristique n’est pas la première que le grand public leur attribue de nos jours, et c’est ce que J.-L. Brunaux veut faire changer avec ce livre.
Le premier chapitre brosse rapidement l’histoire des Gaules, du rapport entre Celtes et Gaulois à la fin de l’Age du Bronze à la fin de l’indépendance au milieu du premier siècle avant notre ère, en passant par les mouvements de populations au sein des Gaules. Suit la géographie, caractérisée par de fréquents mouvements de populations (dont le plus célèbre est celui des Helvètes qui déclenche l’intervention de César en -58). L’Italie du Nord, la Grèce et l’Anatolie ne sont pas oubliées. L’organisation territoriale des cités est abordée en fin de chapitre, soulignant la faible urbanisation des Gaules mais aussi l’apparition tardive des places fortes (oppida).
L’auteur s’intéresse ensuite aux aspects sociaux, allant de la tribu à la cité, puis détaillant divers groupes (druides, guerriers, plèbe, esclaves) avant de considérer les formes politiques et les institutions rapportées par les sources (royauté, assemblées, magistratures). Quelques pages sont dévolues à la justice, aux finances et à la guerre. Le chapitre suivant commence par la guerre comme activité économique avant de présenter quelques points saillant de cette même économie gauloise (artisanat, commerce, mines).
Continuant sur le chemin allant du macro vers le micro, l’auteur explore ensuite la psyché gauloise, principalement ce que seraient les conceptions gauloises du temps et de l’espace. Le sixième chapitre veut aller plus avant en décrivant la religion gauloise, en tentant de déterminer ses principes sans aller dans les détails de chaque aspect local. Puis J.-L. Brunaux tente de parler langue et littérature gauloise, arts et loisirs avant d’achever ce manuel de manière assez abrupte (sans conclusion) avec quelques facettes de la vie privée (onomastique, habitat, famille, sexualité, soin du corps, éducation et costume).
Des annexes fournies complètent ce livre, avec quelques biographies de gaulois d’après nos sources, une chronologie, les cités connues, des cartes, un précis sur les sources, une bibliographie indicative et deux index. L’ouvrage est assez généreusement illustré dans le texte.
Mais toute cette prodigalité dans les annexes ne suffit hélas pas. Elle ne sauve pas ce livre de très nombreuses faiblesses. La première d’entre elles, c’est que c’est assez mal écrit. Tout n’y est vraiment pas clair, et c’est très frappant dans le chapitre historique. Confus, imprécis, le tout manque aussi de datation. Et la relecture n’a vraisemblablement pas eue lieu (des redites, des erreurs typographiques) …
Le second problème est celui des affirmations dont on peine à voir le soubassement. Certes, il est fait le choix ici de produire un livre grand public, avec conséquemment un appareil critique très léger. Mais l’auteur ne nous dit que très très rarement sur quoi il se base, pour par exemple autant mettre en avant les druides comme éléments rationnels (scientifiques) et rationalisateurs de la religion gauloise. En quoi est-ce un problème si les Gaulois ne sont pas entièrement rationnels (selon nos standards) ? L’irrationnalité des Grecs, que J.-L. Brunaux veut absolument voir comme les plus proches parents des Gaulois (même, très étrangement, linguistiquement p. 303) est quelque chose d’accepté depuis des décennies dans le monde universitaire. On peut encore voir cette volonté de grécisation dans d’autres domaine (fortification de la Heunebourg p. 25, comparaison avec Delphes p. 152), par une comparaison homérique très forcée (p. 306) ou par une propension à voir des bataillons sacrés à la thébaine dans toute la Gaule (p. 381). Quant à la lourde insistance sur le pythagorisme de la p. 385 …
L’auteur semble aussi avoir une conception mouvante de l’homme libre en Gaule, refuse les motifs communs indo-européens en bloc (limite infréquentables p. 24), et use de la proto-urbanisation nébuleuse (p. 45).
J.-L. Brunaux semble aussi avoir écrit son livre comme une sorte de collection de silos. Il y a de nombreuses redites, avec le problème additionnel que l’auteur peut se contredire. C’est le cas avec une tradition trévire aux pages 147, 155 et 410.
On en vient donc naturellement à devoir seulement donner crédit à l’auteur sur sa spécialité première, ce pourquoi il est devenu célèbre : la civilisation matérielle gauloise. Mais même sur les chars, nous sommes amenés à douter très fortement, pour la simple raison que la géographie gauloise ne permet pas le combat de char à l’égyptienne (p. 155). Et pourquoi les centaines de milliers de monnaies retrouvées par les archéologues ne serviraient à rien dans les échanges commerciaux (p. 200-201, d’autres zones géographiques semblent cependant y arriver) ?
L’auteur a-t-il voulu trop en faire, trop en dire, donnant ainsi ce sentiment d’inachevé ? Ce livre n’est pas sans atouts (le semi-nomadisme gaulois, le calendrier par exemple) mais les points négatifs l’emportent cette fois-ci …
(la guerre est-elle vraiment, comme à la p. 381, l’oubli de toutes les lois ? … 4)