The Art of Yoan Lossel. Recueil d’oeuvres graphiques par Yoan Lossel.
Des thèmes antiques (gréco-romains, celtiques) ou ayant attrait au rêve ou au fantastique, une inclinaison pour la part sombre de la psyché humaine (les ruines), des évocations vaporeuses et l’usage de l’or, voici quelques éléments (parmi d’autres) présents chez les peintres préraphaélites (la confrérie artistique britannique du XIXe siècle) et les symbolistes. Peut-être ne sont-ils pas tous morts, ou l’un d’entre eux s’est réincarné à la fin du XXe siècle en Yoann Lossel. Ce n’est pas un copiste, à la manière de, mais bien un artiste empruntant la voie originale que lui propose l’utilisation du graphite allié à la feuille d’or et qui affiche ouvertement ses influences. Son admiration pour les courants précités, son humble hommage même, transparaît dans ses œuvres, avec en plus une petite adjonction d’influences Art Nouveau et Arts and Crafts (cadres, bijouterie).
Le livre retrace dix années de production, entre 2011 et 2021, à partir du moment où Y. Lossel trouve son mode d’expression le plus marquant (ses travaux d’illustration pour diverses éditions sont donc exclus, ce qui aurait été un beau moyen de comparaison). De manière très explicite dans le livre, la rencontre de l’artiste avec sa muse Psyché Ophiuchus en 2015 est un moment pivotal pour ce dernier et qui se matérialise dans le projet The Fall qui se trouve renommé The Rise.
Dans ce livre sont présentés une trentaine d’œuvres (y compris quelques collaborations), que l’on retrouve organisées (datées) en arborescence à la fin. Les textes qui accompagnent ces œuvres ne font pas de remplissage. En dehors de la qualité certaine des textes, ils ont le très grand avantage de faire mieux voir les œuvres, de propose des angles et des précisions (dans le processus créatif par exemple). L’on peut certes discuter de certaines analyses iconographiques, comme par exemple avec Eros et Thanatos où il nous semble qu’il faille voir aussi le motif d’Artémis et Orion (et donc pas un guerrier p. 31) en plus de celui de la Pietà. Mais hors quelques désaccords mineurs …
Et quand on veut se placer dans la lignée du bel objet manufacturé comme l’artiste, on accorde un soin tout particulier au rendu de l’objet livre. Les reproductions, entières ou partielles, sont de ce fait d’excellente qualité sur un très beau papier et la mise en page esthétiquement très satisfaisante pour l’œil (entrelacs Art Nouveau, reproduction des cadres). On aurait peut-être aimé encore plus d’œuvres dans le livre mais il semble que Y. Lossel ne produise pas beaucoup. Mais il y en aura sûrement d’autres, porteurs de plaisirs raffinés !
Essai d’histoire moderne par Enora Peronneau Saint-Jalmes.
L’image classique de l’Ancien Régime, finalement peu touchée par les apports de la science des dernières décennies et en premier lieu les travaux de F. Furet, reste dégradée. Avant 1789, tout y est barbarie, oppression, inégalité et injustice. Nous ne prétendons pas voir pu nous dégager entièrement de cette vision, notamment en matière de justice. Et si en plus c’est de crimes sexuels qu’il faut parler, nous en sommes restés à un mélange « absence de plaintes, honte et marginalisation des victimes » comme la norme en France (et sans doute partout ailleurs). La lecture du présent livre a radicalement changé notre point de vue. Grâce d’abord à son apport de connaissances (et notre capital de départ était fort maigre) mais aussi à la faveur d’une méthodologie équilibrée qui ne place pas au premier rang de ses préoccupation des considérations politiques (et donc de pouvoir).
Le premier chapitre s’intéresse au crime en lui-même : qu’est-ce qu ‘un viol à la fin de la période moderne en France ? C’est un crime royal, relevant donc de la justice royale agissant au niveau local (la justice seigneuriale doit se dessaisir), qui en cas d’appel est traité par les parlements. Dans ce livre, qui se base sur l’étude de 31 cas (pas tous jugés) et qui sont situés principalement dans l’Yonne actuelle (Sens et Auxerre), c’est le Parlement de Paris qui est compétent. Si des religieux sont inculpés, il y a une procédure conjointe avec les tribunaux ecclésiastiques de l’évêché (cas des « incestes spirituels », quand un religieux est un peu trop proche des paroissiennes ….). Ce crime est donc à catégoriser, à mettre dans son environnement et à faire constater (par différents moyens, dont l’expertise médicale à la demande de la victime ou du ministère public p. 93).
Puis l’auteur s’intéressent aux différents acteurs de l’information et de l’action en justice que sont le demandeur (il n’y a pas de statut de victime encore et le demandeur n’est pas forcément la victime, qui peut être mineure par exemple), le défendeur (accusé) et le témoin. E. Peronneau Saint-Jalmes détaille ensuite le devenir des plaintes en première instance et en appel (et comment les appels se concluent). Si la peine pour viol est la mort, cette dernière est rarement appliquée et les peines prononcées vont du blâme à la peine de galères à vie en passant par des bannissements plus ou moins longs et lointains (p. 95-100).
Le quatrième chapitre met en lumière l’environnement social des viols et des tentatives de viol. En général, victime et coupable se connaissent, vivent dans le même quartier ou dans les mêmes cercles. Honneur et déshonneur, en plus de la paix sociale, sont alors en question. Le chapitre suivant interroge les représentations collectives (dont la relation des crimes au travers de « canards sanglants », des feuillets sensationnalistes vendus par des marchands ambulants) avant de passer à l’évolution d’un crime social à un crime intime, une évolution où la morale bourgeoise en développement à la fin du XVIIIe siècle joue un très grand rôle.
Enfin, dans une troisième et dernière partie, E. Peronneau Saint-Jalmes analyse les trajectoire des victimes et des accusés présumés après le crime et après le procès entre stigmatisation (l’entêtant soupçon) et intégration des victimes (la plupart se marient) et le soutient aux accusés, les liens qu’ils peuvent encore avoir avec les victimes (comme d’autres actions en justice) et comment les crimes sont oubliés ou remémorés. Les notes (sans doute très réduites par rapport au mémoire universitaire qui est la base du livre), les annexes les bibliographies et un index renforcent un volume comprenant 300 pages de texte.
La qualité première du livre tient au fait qu’il balaie un très large spectre qui va du droit (un peu) au devenir des justiciables en passant par la pratique concrète de la justice, au procès certes secret et à la méthode arbitraire, mais qui n’est pas pour autant tyrannique, désintéressée de la vérité et de l’innocence ou encore détachée des nécessités sociales. Le relatif faible nombre de cas relativise les statistiques présentées dans le livre mais leur diversité (sur plusieurs décennies) permet tout de même d’avoir un large panorama, avec une grande diversité d’accusés mais majoritairement des victimes mineures (c’est à dire de moins de 25 ans) et deux hommes victimes de sodomie (mais pas de viol, qui n’existe que pour les victimes féminines). Ce qui étonne par contre, c’est la rapide conclusion des cas : en général en moins d’un ans (y compris en cas d’accord entre les parties).
L’auteur fait aussi bien ressortir le problème de la passivité de la victime (p. 208) : c’est à la fois une condition pour être victime mais aussi le nid du soupçon de collusion avec l’accusé (qui n’en serait alors plus un). Les conclusions de l’étude du devenir des victimes contredit (au XVIIIe siècle) l’idée d’une réprobation de ces dernières (mariages, enfants, peu de mobilité géographique donc maintient des réseaux de solidarité) et c’est sans doute la plus grande avancée de cet essai.
Il y a quelques termes juridiques à appréhender pour le profane, quelques problèmes de cohérence formelle, très peu de tournures maladroites (p. 206 par exemple, mais une très belle inscription dans le débat historiographique avec Vigarello et Ariès p. 145-146) donnant un très beau résultat, très clair sur le fonctionnement de la justice d’Ancien Régime, remuant des préjugés et remettant à leur place ceux qui prennent plaisir à gifler leur grand-mère.
(les crimes sexuels ne représentent que 2% des procédures judiciaires …8)
Témoignage autobiographique sur la vie de commando marine par Louis Saillans.
Des films documentaires sur les commandos marine sont légion (mais principalement axés sur la sélection), les livres de témoignage le sont un peu moins. Ces derniers ont pour avantage de pouvoir faire plus facilement le choix entre ce qui est dicible ou pas dans les événements qui sont rapportés (du point de vue du secret militaire en premier lieu) et de permettre au spectateur/lecteur d’avoir accès à une certaine intériorité. Ce livre rassemble les souvenirs et les réflexions qu’ont pu faire naître dix années intenses (et l’adjectif est faible) sous les armes.
L. Saillans (forcément un pseudonyme) a un parcours particulier : il a d’abord été élève-pilote dans l’Armée de l’Air puis a bifurqué vers les commandos Marine par goût de l’aventure. Il aurait été intéressant de savoir si cette formation aéronautique lui a été d’une quelconque aide dans sa carrière, mais le livre n’en dit rien. Passé la terrible sélection, il est affecté en unité avant de devenir chef de groupe cinq ans plus tard. De ses missions, l’ouvrage ne mentionne que celles en milieux arides (seulement le Mali ?) mais on peut se douter que ce ne fut pas toujours le cas.
Les quinze chapitres du livres sont agencés chronologiquement, avec les premières années sous l’uniforme, le changement de voie, le stage commando, les premières missions (assez court) puis on passe aux missions en tant que chef de groupe (la majeure partie du livre) entre capture de chef terroriste, appuis aux forces locales, saisie de caches d’armes (de vive force), recherche d’un soldat allié porté disparu et neutralisation de groupes djihadistes. Les problèmes moraux qui peuvent se faire jour ne sont pas absents, tant dans le groupe que dans le cadre de la coopérations avec d’autres forces, étatsuniennes par exemple (p. 108). On a aussi l’opportunité d’apercevoir quelques bribes de la vie de camp ou comment les changements dans la vie privée peuvent avoir un effet sur l’état d’esprit de l’auteur (devenir père). Le dernier chapitre est articulé autour de trois citations (Dostoievski, Platon et Héraclite) et touche aux thèmes de la discipline, de ce que signifie être chef (la responsabilité) et de ce qui est transposable dans la vie civile. L’épilogue rappelle les propos de l’introduction : il faut maintenant pour l’auteur continuer hors du champs de bataille le combat pour les valeurs qui l’y animaient déjà.
Sans savoir grand chose du processus d’écriture de ce livre, il faut saluer sa très grande lisibilité (mais qui est cohérente avec le niveau montré à l’oral dans les entretiens qui ont accompagné le lancement du livre). Pas de grande littérature, du direct, du factuel, quelques termes qui auraient pu être mieux choisis (les « complices » de J. Moulin, p. 188) mais avec de belles tournures. Au delà de la description au ras du sable (qui garde tout son intérêt), ce qui est plus intéressant encore ce sont les moments autour de l’action, la préparation de la mission (mais aussi le brouillard de la guerre) et ce qui se passe après le retour à la base. Les raisons de l’engagement djihadiste (p. 110) sont un peu simplistes, trop monofactoriels, et les citations du chapitre 15 font un peu statuts de réseaux sociaux (mais sont argumentées). Par contre, Clausewitz est assez mal cité p. 190 … Le mélange en cahier central entre les photographies professionnelles (produites vraisemblablement pour les forces armées) et la collection personnelle de l’auteur est très sympathique (sans pour autant éviter la discussion) et apporte un grand plus au livre. Un bon ouvrage dans ce type particulier, qui a bien su manœuvrer entre récit qui avance et gestion du nécessaire secret.
(même pour le meilleurs il y a toujours danger … 7,5)