L’œuvre complet.
Essai d’histoire de l’art de Sebastian Schütze.
Après de trop nombreuses années d’attente, nous avons enfin ouvert, l’envie aux lèvres et le cœur prêt à être abreuvé, ce livre de Sebastian Schütze (Université de Vienne) décrivant l’œuvre complet de Caravage. Et nous ne fûmes pas déçu.
Déjà, parce que la qualité des photographies est en relation avec le poids de ce livre grand format. Ensuite, parce que ce livre est le fruit de connaissances très approfondies, non seulement dans le domaine de la peinture italienne de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe, mais dans tout ce qui tourne autour : marché de l’art en Europe (aujourd’hui et à l’époque moderne), production musicale et littéraire, théologie, histoire de l’Eglise etc.
S. Schütze conduit le lecteur au travers de la carrière météoritique du grand peintre lombard (et des presque 300 pages du livre), de ses premières œuvres au sein de l’atelier du Cavalier d’Arpin à Rome (après un apprentissage chez Simone Peterzano dans sa ville natale de Milan), jusqu’à sa mort à Porto Ercole sur le Monte Argentino à l’âge de 38 ans.
Né en 1571 à Milan, sa carrière se lance en 1593 avec un autoportrait en Bacchus. Et il a vite fait de se faire remarquer par d’influents mécènes romains, parmi lesquels le cardinal Del Monte et on lui confie des commandes publiques. Mais Caravage ne vit pas une vie rangée et une bagarre qui finit avec la mort d’un adversaire l’oblige à fuir Rome en 1606. D’abord réfugié dans le Latium, protégé par les Colonna, il gagne ensuite Naples. Sur place, sa gloire l’a précédé et des commandes lui sont faites. Dans l’objectif d’obtenir le pardon du pape et de pouvoir retourner à Rome, Caravage part pour Malte où il est fait chevalier de l’Ordre de St. Jean. Mais tout ne se passe pas aussi bien que prévu et Caravage quitte La Valette pour la Sicile, où là encore on s’empresse pour lui proposer des contrats. Mais l’objectif, c’est toujours la Ville … Ayant appris que le pape pourrait lui avoir accordé son pardon, il embarque pour la côte romaine. Il meurt de maladie sur le Mont Argentario, après avoir retrouvé les toiles qu’il avait dû laisser derrière lui dans sa hâte. A la différence d’artistes majeurs, personne ne s’occupe de son legs et aucun de ses anciens mécènes ne commande une biographie. Il disparaît même en grande partie des radars de l’histoire de l’art, ses toiles étant souvent attribuées à des caravagesques, ceux qu’il a inspiré à travers toute l’Europe.
Ayant passé en revue la production de Caravage, l’auteur aborde dans un dernier chapitre son rayonnement, en insistant sur le fait que le maître n’avait pas vraiment d’atelier et que ceux qu’il a inspiré se sont forgés seuls une idée de sa peinture. Le catalogue des œuvres, les certaines et les attribuées (selon l’auteur toujours), clôt ce volume avec chaque fois un commentaire court mais efficace et une reproduction en format vignette (pour les autres chapitres, il y a évidemment pléthores d’illustrations de très grande qualité). Une bibliographie très fournie et un index contenteront aisément les assoiffés de renseignements complémentaires. La dernière image est un détail du dernier David et Goliath peint par Caravage : la tête coupée de Goliath, un autoportrait du maître, vraisemblablement un cadeau pénitentiel devant aplanir les difficultés de son retour à Rome.
La qualité, du texte comme des images, est bien sûr au rendez-vous, malgré quelques inattendues coquilles que l’on ne s’attend à retrouver dans une telle édition. L’auteur est sans conteste un spécialiste, et il attend un minimum de connaissances de son lecteur. Mais la lecture d’un tel livre est difficile à interrompre, tellement défilent devant les yeux un chef d’œuvre après l’autre. Et quand on sait qu’en plus tout n’a pas survécu …
(ah s’il avait eu la longévité d’un Titien … 8,5)