Pamphlet sur l’idéologie ahistorique dans les musées d’art par Didier Rykner.

L’amour de l’art chevillé au corps, D. Rykner n’est pas intéressé que par les cathédrales et monuments menacés par la ruine ou le saccage (volontaire et assumé). Il aime aussi les musées, ceux abritant de la peinture et de la sculpture, de préférence antérieures au XXe siècle. Que les musées, dont c’est la mission, ne montrent pas leur fond (voire même ne veulent plus en avoir), voilà qui l’insupporte. Mais qu’en plus, le peu qu’ils montrent, ils en fassent une mauvaise présentation, là …
Fouler au pied l’histoire de l’art c’est une nouvelle passion de beaucoup de musées en Occident pense l’auteur. Pour poser les bases, le livre commence par la définition d’un musée, ce que la définition par les professionnels en disaient jusqu’à présent et ce que certains acteurs aimeraient voir dans cette définition. Puis D. Rykner commence avec la première salle de son musée des horreurs : la recherche d’artistes femmes à tout prix par de nombreux musées, au mépris de la qualité. Le problème étant qu’avant le XXe siècle la femme artiste est une exception et donc que le stock d’œuvres d’exception est par essence limité. Donc la seule qualité est celle d’être femme (mais cela fonctionne aussi avec gay ou noir). Tout n’atteint pas le niveau d’Elisabeth Vigée-Lebrun … Cela a des répercussion sur le marché de l’art et des sommes insensées sont déboursées juste pour des œuvres médiocres (selon l’auteur), mais de femmes.
Il en est de même pour la recherche d’artistes noirs dans la peinture occidentale d’avant le XXe siècle, pour enfin « contrebalancer une histoire de l’art raciste », qui commence avec la blancheur des statues grecques et l’effacement délibéré de leur polychromie d’origine comme ode à la blanchité (même sur France Culture, p. 65-66). Si l’on part de là, effectivement, tout devient possible … Et comme on ne trouve pas de Noir, on se contentera de métis : Guillaume Guillon-Lethière, par exemple, a été second Prix de Rome et directeur de l’Académie de France à Rome (p. 69). Et si on n’a pas d’artistes, on se rabat sur des représentations, si possible d’esclaves (mais pas ceux qui le sont dans l’empire ottoman), avec glissement possible vers un anti-colonialisme un peu tardif. A chaque fois, l’auteur nous livre de nombreux exemples de faits que l’on tord pour les faire entrer dans des cases.
Les tentatives de réécriture de l’Histoire sont le sujet du quatrième chapitre, avec bien évidemment Colbert en bonne place, en compagnie de Lee et de Schoelcher. Oui, même Schoelcher … Puis D. Rykner passe à l’assignation artistique selon la couleur de peau, qui interdit ou autorise le traitement de tel ou tel sujet (mais sans exemple européen dans le livre). Les chapitres suivant s’éloignent du sujet principal mais restent dans le monde muséal pour s’intéresser aux musées sans œuvres, ceux sans véritable médiation, ceux qui veulent détruire l’ivoire d’éléphants morts il y a des siècles et ceux qui veulent faire disparaître des œuvres (vilain Picasso!). Enfin D. Rykner conclut son livre sur les restitutions d’artefacts aux pays africains, la laïcité malmenée et se fait plaisir (et nous avec) en détruisant une émission de radio prétendant expliquer le romantisme. La conclusion est pessimiste, mais pour l’auteur, le combat n’est pas encore perdu.
Et revoilà D. Rykner, dans son style habituel, plaisant, enlevé, caustique, plein de verve tout en étant fondé sur des faits et des analyses transparentes. Du journalisme très sérieux, engagé et déontologiquement irréprochable. Certains légitimes agacements sont même jouissifs pour le lecteur (Massacre à Anvers p. 160-170). Dans un style direct donnant naissance à des chapitres courts, le tout est accompagné de très nombreuses illustrations en couleurs, petites à cause du format poche, mais qui donnent une très bonne idée avant d’éventuellement aller chercher une reproduction plus grande. Elles sont sourcées comme il se doit. Et si quelques simplifications sont nécessaires (sur G. Floyd p. 142 par exemple), ainsi soit-il. L’on peut éventuellement voir dans les différents chapitres un côté disparate, c’est tout de même un tout voulant montrer les défis et les périls qui parcourent le monde des musées aujourd’hui et qui peuvent leur faire grand mal.
(le graal muséal nouveau mais introuvable, un portrait d’esclave réalisé par une artiste noire et lesbienne p. 77 … 8)