Julio-Claudian Building Programs

A Quantitative Study in Political Management
Essai d’économie de la construction impériale romaine, de son management et de ses effets macroéconomiques par M.K et R.L. Thornton.

Très carré.

Quand Auguste a la gentillesse d’accepter que le principat lui soit redonné par le Sénat en 27 a.C., trois choses sont nécessaires en premier lieu pour stabiliser la nouvelle construction des pouvoirs à Rome : que ses habitants puissent boire, qu’ils puissent se nourrir et qu’ils puissent se distraire. La situation des infrastructures publiques de la tentaculaire ville ne s’est en effet pas améliorée avec les guerres civiles. Les aqueducs n’ont pas été entretenus ( l’État n’avait même pas l’autorité pour forcer les propriétaires privés sur les terrains desquels passaient ces mêmes aqueducs à accepter l’entretien ou ne pouvait pas mettre fin à des ponctions d’eau à fins privées), beaucoup de temples sont délabrés et les réserves en grain dans la Ville sont limitées à quelques jours. Auguste introduit deux nouveautés qui vont lui permettre, à lui et ses successeurs, de bâtir selon ses idées (c’est à dire pour soutenir le principat) et en exerçant son contrôle tout au long du projet. La première est que l’édile va récupérer une partie des attributions du censeur en ce qui concerne l’adjudication des travaux publics (l’édile avait déjà à charge l’entretien). Ceci a un double effet, puisque le censeur n’était en fonction que dix-huit mois tous les cinq ans et que Auguste va pouvoir placer quelqu’un de son entourage à un poste d’édile, une magistrature annuelle. La seconde innovation est que le Prince va financer les travaux sur ses propres fonds, et donc ne pas se compliquer la vie avec les votes de financement du Sénat. Ce qui est plus facile quand on est de loin la première fortune de son temps.

Faisant suite à une petite introduction détaillant les objectifs du livre, ses limites et les trois raisons principales de l’existence de programmes de constructions impériaux, l’ouvrage débute avec quelques considérations sur les coûts de main-d’œuvre dans la Rome julio-claudienne et explique la méthode d’indexation des différents édifices et travaux en Unités de Travail de Base, en se basant sur la Maison Carrée de Nîmes, le temple de période augustéenne le mieux conservé (soit 60 UTB). En comparant les m² au sol en fonction du type de travaux (construction, rénovation, pavement etc.), il est possible de comparer les projets entre eux en les factorisant. Les choses sont bien sûr arbitraires, mais une comparaison minimale est possible puisque de toutes façons, les coûts ne nous sont parvenus que de manière très parcellaire. Comme les datation des projets est elle aussi possible, une répartition des charges année par années est elle aussi possible, permettant de visualiser les variations.

Le chapitre suivant met en lumière les problèmes de gestion du personnel, entre travailleurs serviles et libres. Que se passe en cas de contraction de la demande ? Les employés aux grandes constructions publiques quittent-ils Rome ? Trouvent-ils à s’employer sur le marché privé ? Faut-il voir enfin un multiplicateur keynésien dans les programmes publics ?

Les auteurs, munis de leurs données indexées, veulent ensuite déterminer l’activité édificatrice de chaque prince de la dynastie. Si Auguste est un grand bâtisseur, l’activité marque grandement le pas avec Tibère, mais repart en force durant les quatre ans de règne de Caligula, que continue Claude. Les auteurs se concentrent plus en détail sur deux projets de Claude dont le premier est l’assèchement du lac Fucin entre 41 et 52 p.C. par le moyen d’un émissaire long de six kilomètres (un record qui tient jusqu’en 1871 et le tunnel du Fréjus). Une détermination du volume excavé (tunnel et puis) permet aux auteurs de déterminer le nombre de travailleurs employés et d’ébaucher une idée de l’organisation du travail et du chantier, à mettre en relation avec la construction contemporaine pas si éloignée des aqueducs Claudia et Anio Novus qui avaient besoin dans les portions éloignées de Rome du même type de compétences.

Le second projet de Claude est la construction du port d’Ostie (à ne pas confondre avec celui hexagonal de Trajan) devant permettre une meilleure gestion de l’approvisionnement en grain de Rome en provenance des provinces pourvoyeuses comme celle d’Egypte. Les travaux étaient déjà envisagés par César, avec en plus un canal entre Terracine et Ostie et le drainage des Marais pontins (ce que fera Néron). Là encore les auteurs décrivent le projet, avec ses deux môles, son phare (construit à partir de la submersion de l’immense navire qui a transporté l’obélisque qui est maintenant place Saint-Pierre), ses quais et entrepôts. De ce port il n’y aujourd’hui quasiment plus rien de visible, le littoral s’étant pas mal déplacé (des fouilles ont eu lieu dans les années 2000). Avec les données disponibles les auteurs calculent le nombre de voyages des paniers de terre nécessaires pour le creusement du port, avec aide animale ou sans, mais aussi replacent les travaux dans le cadre d’un ralentissement de l’activité édilitaire, un chantier pouvant peut-être amortir la baisse d’activité et ses conséquences sur l’emploi (et ses conséquences sur l’ordre public).

Le livre se poursuit de manière plus générale avec les projets de Claude et de Néron (la Domus Aurea, mais pas que) avant de passer à différentes réflexions, en commençant avec le multiplicateur keynésien, le changement de management mais surtout l’importance des hommes de confiance du Prince, et au premier rang desquels Agrippa. Ces derniers sont détaillés pour chaque membre de la dynastie, avec leur destinée. Si Tibère succède à Agrippa comme chargé des construction sous Auguste, Séjan va tenter de renverser ce même Tibère. Le choix des hommes est ici primordial et l’ordre équestre va revenir sur le devant de la scène avec le temps.

L’ouvrage est complété par une bibliographie qui a bien entendu vieilli (le livre est paru en 1989), un appendice sur l’indexation de types de construction pas vues dans le texte, une liste de tous les projets évalués, des précisions supplémentaires sur Ostie et le lac Fucin. Et enfin un index.

Si les versants ingéniérie et économie du livre sont bien maîtrisés, la partie histoire romaine pure n’est pas délaissée du tout. On pourra regretter des affirmations un peu étonnantes comme le fait que Rome ne serait pas situé sur un nœud de communication (et même dire que ce n’est pas le port qui a créé Rome mais l’inverse peut se discuter, selon comment on définit ce qu’est un port) avec le Tibre et le pont, ou encore que Mécène serait de basse extraction et sans charge de gestion (il administre toute l’Italie quand Octave est à Actium). Les auteurs restent prudents sur les effets macro-économiques des constructions impériales, émettant seulement des hypothèses sur l’inflation ou le marché du travail, et soulignant l’absence presque complète de mesures. L’analyse de l’action de chaque Prince dans le domaine édilitaire est faite avec doigté, avec des résultats étonnants, comme pour la frénésie de construction de Caligula ou les deux phases de Néron, sur lequel Trajan porta un regard appréciatif (quelques lignes visent à le défendre dans ce qui est maintenant un exercice de dépréciation un peu passé de mode, soulignant l’absence de sources favorables à Néron que Flavius Josèphe mentionne, p. 98). Des cartes supplémentaires et moins chaotiques du point de vue chronologique auraient été un plus, mais internet peut de ce côté là nous sauver la mise.

Un ouvrage court, correctement illustré, qui donne une très bonne idée des changements qui affectent la Ville au tournant de l’ère et de ce qu’ils impliquent de planification, de suivi et de gestion des ressources.

(Tibère décide juste de ne rien faire p. 47-48 … 8)

Varietates Fortunae

Religion et mythologie à Rome
Recueil d’articles sur la religion romaine dirigé par Dominique Briquel, Caroline Février et Charles Guittard.

Un arbre aux nombreux fruits.

Ouvrage d’hommage à Jaqueline Champeaux (professeur émérite de latin à Paris-Sorbonne), ce livre rassemble 22 articles répartis en trois thèmes : la religion des poètes, le rite et la langue et les dieux et la langue : à l’épreuve de l’histoire. Mais comme on va le voir, les intitulés de parties sont très généraux et reflètent difficilement la très grande diversité des articles.

Le livre démarre sur les chapeaux de roues avec deux articles sur des passages de Catulle et Properce, très littéraires. Celui sur la localisation du temple de Junon Sospita chez Ovide (très bien construit, mais sans carte) fait suite à un article sur le même auteur mais qui s’intéressait à sa mention du festival des Floralia. Une analyse du Contre Symmaque de Prudence ferme la marche, avec celle d’écrits de Claudien. Rude première partie pour celui qui n’est pas versé dans la poésie latine …

La seconde partie démarre avec un très bel article sur le rôle social et religieux de deux grandes catégories de femmes à Rome (et dans son imaginaire) : la matrone et la femme de mauvaise vie (meretrix). Puis vient un article sur les prières dans les écrits de Caton (de la linguistique), un article très intéressant sur la voix prophétique de Junon Moneta (son temple est sur le Capitole), puis un autre sur l’origine du mot Urbs chez Varron et son possible lien avec le sillon fondateur (un article à fort potentiel évocateur). Le contributeur suivant reste chez Varron (sur Marius et sa vie sous le signe de la Fortune), avant que le lecteur soit invité à reconsidérer le dieu Faunus. Les prières philosophiques grecques et latines sont l’objet de la section suivante, avant de laisser la place au sens du verbe procurare chez Tertullien et Arnobe pour clore cette partie.

La dernière partie commence avec un article préparatoire de D. Briquel sur Romulus et le feu dans l’eau (dont les idées complètes sur ce point se retrouvent ici). La décoration du Forum d’Auguste est analysée dans un optique Occident/Orient dans l’article suivant, avant de laisser la place au concept de divinité chez Pline l’Ancien. La multiplication des jours de fêtes sous le Principat (chez Tacite) est mise ensuite en lumière, avant de passer à Pline le Jeune, à sa vision de la religion et comment il comprend le christianisme naissant (vers 111-112 p.C.) avec ses problèmes d’ordre public au prisme du Scandale des Bacchanales (en 186 a.C.). Les prodiges chez Julien Obsequens et les guérisons miraculeuses chez Augustin ferment la marche. Le tout compte 340 pages de texte et quelques rares illustrations.

La description que nous venons de faire le montre clairement (et très très rapidement c’est limpide pour le lecteur) : ce livre n’a aucune envie d’aller vers le grand public. Et l’inverse est sûrement lui aussi vrai. Mais sa variété est un atout puisqu’elle permet de belles découvertes, personne n’étant en même temps spécialiste de la Rome archaïque et de la patristique. Et s’il est des moments un peu durs, où faire passer une petite sécheresse demande du temps et de l’application, d’autres articles sont de véritables petits bonbons. Un bon compromis au final, mais toujours à un très haut niveau.

(Junon Moneta, certes avertit, mais surtout pèse et donc assure la concorde civile p. 156-157 …7)

Archaeology of Sanctuaries and Ritual in Etruria

Actes d’un colloque d’étruscologie tenu en 2008 à Chicago dirigés par Nancy Thomson de Grummond et Ingrid Edlund-Berry.

De suite, cela a l’air un brin sec …

L’intérêt pour les sanctuaires étrusques, présent presque depuis les débuts de la discipline mais limité en nombre (le Lac des Idoles, sur le Mont Falterona dans les Apennins, est fouillé dès 1838) s’est doublé d’un intérêt bien plus récent pour les rituels (la religion vécue) qui pouvaient y prendre place. Il y a à la fois la volonté de dépasser le classique « on ne sait pas ce que c’est, mais c’est sûrement rituel », mais aussi la prise de conscience de plus en plus répandue dans les cercles de spécialistes que les Etrusques ne sont pas le réceptacle passif (ou malcomprenant) de la pensée et des pratiques grecques ou orientales. Il y a sans doute sortie de la vision péjorative des Etrusques qu’avait Winckelmann. Enfin, il y a la couche ethnologique, très présente en Amérique du Nord dans l’archéologie, qui s’ajoute à ces facteurs. Mais surtout, l’évolution des techniques de fouilles permet aujourd’hui des analyses qui n’étaient pas possible avant, du fait de la non-reconnaissance des artefacts ou des installations.

Passée l’introduction, les quatre premiers articles s’attachent à mettre en lumière certains aspects de quatre sanctuaires distincts : le sanctuaire du Champ de Foire à Orvieto (Campo della Fiera), celui de l’Ara della Regina à Tarquinia, Poggio Colla (dans la vallée du Mugello) et enfin Cetamura in Chianti (pays siennois). L’article sur le sanctuaire du Champ de Foire se veut une sorte de rapport d’étape, démontrant l’utilisation de cette zone au pied de la ville de l’époque archaïque jusqu’à celle de Constantin, y compris après 264 avant J.-C. quand la population est censée avoir été déportée à Bolsena après la prise de la ville par les Romains. Mais l’article échoue aussi (comme jusqu’à présent tous ceux que nous avons pu lire sur ce site) à nous convaincre que ce sanctuaire, certes d’importance, est le sanctuaire fédéral des Etrusques, le Fanum Voltumnae tant recherché. Certes il est situé sur le territoire d’Orvieto comme le laisse penser Tite-Live (sans précision cependant), près d’un important nœud routier. Mais rien pour l’instant ne nous semble permettre une telle attribution (richesse des offrandes que devrait être celle d’un sanctuaire de tout premier plan, inscription, bâtiments, offrande ou représentation spécifique etc.), autre que l’envie de le trouver.

L’article sur le sanctuaire tarquinien est une présentation actualisée, avec une meilleure compréhension des phases successives du complexe. Cependant, la partie sur le « coffre » qui forme la base (désaxée) de l’autel devant le temple principal et qui serait lié au culte du fondateur Tarchon est très intéressante. Le chapitre sur le sanctuaire de Poggio Colla se concentre sur les pratiques rituelles sur le site (en usage du VIIe au IIe siècle avant notre ère), comme par exemple le placement à l’envers d’éléments architecturaux, dans une sorte de « défondation », ayant probablement eu lieu lors de la fin de l’usage du temple archaïque.

Le sanctuaire de Cetamura a, quant à lui, comme particularité d’être fréquenté par des artisans dont les ateliers sont à proximité (comme présenté de manière synthétique dans l’article). Les offrandes sont en rapport, avec l’accent mis sur des clous. L’auteur détaille onze traces de rituels, dont l’un dans le four d’un potier, tentant une classification selon la taxonomie des rituels de M. Bonghi Jovino (propitiation, fondation, célébration, destruction).

Les trois articles suivants sont plus synthétiques et thématiques. Le premier d’entre eux a pour thème les statues de culte, avec une approche très axée sur la méthode et insistant sur la difficulté de définir la fonction cultuelle des statues retrouvées, autrement qu’en voulant absolument calquer le modèle grec et en voulant ignorer un possible aniconisme généralisé. L’iconographie étrusque semble cependant être très attentive à la représentation de statues touchées ou des actes de désacralisations.  Suit un article sur les terres cuites votives à Véies et à Tarquinia, notant des différences qui auraient pour cause le sexe des visiteurs mais aussi des différences très marquées dans les types d’offrandes. Le dernier article, enfin, pose quelques jalons dans l’étude de l’utilisation du vin en contexte rituel (la multiplication des analyses de contenants va augmenter le corpus dans les années à venir), tout en posant comme acquis son utilisation en milieu funéraire (d’où aussi une certaine ambiguïté).

La conclusion est suivie d’une bibliographie générale sur les sanctuaires étrusques, qui est appelée elle aussi à prendre de l’importance dans les décennies à venir.

Ce livre frustre un peu par sa petitesse (et à son prix inversement proportionnel …). Mais peut-être le lecteur attendait-il l’actualisation de l’ouvrage synthétique de G. Colonna paru en 1985 (Santuari d’Etruria) … Ce n’est définitivement pas le cas mais cela reste une belle fenêtre ouverte sur le sujet, avec une grande variété d’exemples (géographiquement, temporellement, typologiquement), qui s’adresse seulement à des spécialistes.

(l’étude de la base inscrite dite de Kanuta à Orvieto c’est tout de même quelque chose … 7)

Religious Architecture in Latium and Etruria c.900 – 500 B.C.

Essai d’archéologie centre-italienne de Charlotte Potts.

Même d’Orvieto on ne sait pas tout.

Le temple antique, tel que tout le monde le connaît avec ses colonnes, ses chapiteaux et son fronton, n’est pas sorti de terre avec la fondation des cités en Italie. Comme tous les autres types de bâtiments, les édifices cultuels évoluent au cours du temps, mais le temple italique, qu’il soit latial ou étrusque, semble apparaître très soudainement à la fin de l’époque archaïque, sans avertissement. Mais est-ce si différent en Grèce ?

L’objectif de C. Potts est d’explorer cette émergence au VIe siècle avant notre ère (la fin de l’époque archaïque) en Italie centrale et sur sa face tyrrhénienne. Après une chronologie, une liste des abréviations et deux cartes, l’introduction fait part au lecteur du cadre dans lequel l’auteur inscrit son étude, entre la volonté de bien différencier les éléments latins des éléments étrusques (et de ne plus confondre sous le vocable étrusque toutes les découvertes antérieures à la république romaine) et celle de faire bien comprendre au lecteur que la présence d’activités religieuses n’est pas si simple à détecter. Elle liste ensuite les éléments qu’il y aura à prendre en considération en Italie centrale : podiums, autels, dépôts votifs, inscriptions, exceptionnalité des artefacts, miniaturisation, reste végétaux ou fauniques, représentations figurées et lieux (p. 8).

Le premier chapitre décrit le passage des dépôts votifs aux bâtiments cultuels, appelées huttes sacrées. Ces dépôts votifs peuvent être dans des abris sous roches (mais que jusqu’au début du premier millénaire avant notre ère p. 13) des bois ou près de sources, lacs ou cours d’eau. Ces lieux propices aux rapports avec le divin ne semblent pas nécessiter d’abris dans un premier temps. Mais à partir du Xe siècle (avant notre ère, comme toutes les datations dans cet article), des structures liées à ces dépôts votifs commencent à apparaître. L’auteur détaille ce qu’il faut comprendre par huttes sacrées, commençant par leur présence chez les auteurs latins puis s’intéressant aux continuités topographiques, à leur lien avec les sépultures d’enfants ou la nature de leur lien avec les activités rituelles (en leur sein, non loin). Des découvertes archéologiques (principalement des urnes cinéraires) permettent d’envisager leur éventuelle décoration (p. 20-24). C. Potts renseigne évidemment le lecteur sur la localisation des huttes sacrées qui ont été retrouvées (très peu nombreuses) et ce que l’on peut en conclure, à savoir qu’il est très difficile de différencier une hutte sacrée d’une habitation et que donc il est difficile de présupposer une identité de fonction entre une hutte et un bâtiment cultuel postérieur sur le même emplacement. Une hutte retrouvée sous un temple n’est pas non plus forcément la plus grande du village, ni que les huttes sacrées potentielles fussent dans une position de centralité (p. 30).

La question de la continuité fonctionnelle étant réglée, C. Potts passe dans le chapitre suivant à l’architecture des premiers temples et sanctuaires. Après une rapide typologie, l’auteur brosse rapidement le tableau des théories les plus répandues sur le VIIe siècle centre-italique avant de plus développer sur les preuves d’une nouvelle manière architecturale de signifier la distinction. C. Potts distingue 25 exemples, dont le plus emblématique, et peut-être le plus ancien, est le temple dit de San Omobono sur le Forum Boarium à Rome (dédié à Mater Matuta). Les cas de la Regia (que seules les sources littéraires qualifient de ce nom p. 36) à Rome et le site de Poggio Civitate (exemple d’ambiguïté architecturale fin VIIe-début VIe, p. 37) sont aussi discutés. La question du podium en lui-même est discutée sous ses nombreux aspects (car il faut en premier lieu le distinguer de la terrasse par exemple, p. 42). Il y a une claire volonté, dans la construction d’un temple sur podium, de se démarquer de la pratique jusqu’alors en vigueur au VIe siècle et distinguer un bâtiment religieux de son environnement. Il y a donc monumentalisation (rareté, visibilité, durée, matériaux en grande quantité et qualité). De manière plus inattendue, la mode prend d’abord dans le Latium (mais sous influence étrusque ? les Tarquins pour faire mieux qu’à Tarquinia ? p. 45) avant que l’Etrurie ne participe ensuite au mouvement.

Et comme la monumentalisation est un phénomène qui nécessite l’emploi d’une couteuse décoration, C. Potts aborde ce sujet dans le quatrième chapitre. Première caractéristique de la décoration de ces bâtiments religieux d’un nouveau type, temple comme sanctuaire, le toit tuilé marque une différence flagrante avec les toits de joncs ou de chaumes de la période précédente. A ces tuiles sont ajoutées des décorations elles aussi en terre cuite (et qui le plus souvent protègent des intempéries des parties ligneuses). Mais ces décorations ne sont pas l’apanage exclusif des bâtiments religieux et des bâtiments civiques ou privés (il est question des Bachiades, liés aux Tarquins, p. 59) peuvent être dotés de ce type de décorations, surtout en Etrurie et ce jusque vers 510 (p. 57). De plus, et l’auteur nous le démontre à l’aide de son catalogue, l’usage de telles décoration est limitée en nombre et en motifs (liés à la production céramique). L’auteur avance plusieurs théories quant à cet usage parcimonieux (impératif religieux, choix politiques ou processus d’hellénisation, p. 59-61). A la fin VIe siècle, les décorations tectoriales sont considérés comme parfaitement adaptées à l’ornement de l’architecture religieuse, d’abord dans le Latium puis en Etrurie. Les thèmes reprennent ceux déjà en usage dans d’autres lieux.

Le cinquième chapitre s’écarte du temple en lui-même pour considérer son environnement immédiat avec les autels et les statues de culte. Il y a peu souvent un lien direct entre le temple et un ou des autels disposés alentour (dont la plupart sont retrouvés en contexte funéraire p. 67-68), et il peut arriver qu’il n’y ait pas de ligne de visibilité entre un autel et le temple (mais le sacrifice est-il seulement public ? semi-public ? ?) ou même qu’il soit en intérieur tout en utilisant du feu ou juste un puit destiné à des sacrifices liquides (p. 73). De plus, la monumentalisation des temples ne s’accompagne pas d’une monumentalisation des autels : certains sont de simples cercles de pierres encore au IVe siècle (p. 68). Ce que nous savons de la religion romaine de l’époque républicaine tardive ne semble pas pouvoir s’étendre aux pratiques archaïques, a fortiori en Etrurie. Il y a ainsi des disparités régionales et certains autels cachés aux regards peuvent avoir servi à la divination, surtout en Etrurie (p. 74).
Pour ce qui est des statues de culte, C. Potts souligne d’abord la difficulté qu’il y a à les identifier comme telles. Elle présente ensuite trois cas possibles (la Minerva Tritonia de Lavinium, la Vénus de Cannicella à Orvieto et la tête de Junon de Civita Castellana) avant de les discuter. Le grand problème reste qu’aucune base de statue n’a été retrouvée en Italie centrale à l’époque archaïque, pas plus que de niches (p. 79) alors pourtant que des acrotères représentants des héros ou des divinités sous forme anthropomorphiques sont communs à partir de la seconde moitié du VIe siècle. Ces statues de culte étaient-elles en bois (pour les Romains eux-mêmes il n’y a pas de statues avant le VIe p. 82) ? Est-on en présence d’aniconisme, très répandu en Méditerranée ? Ces questions font bien entendu partie du propos de l’auteur qui conclut à l’indépendance des trois éléments temple, autel et statue et à une absence de statues de culte dont aucune n’est mentionnée avant le Ve siècle. Conséquemment, le temple est un lieu de rituel mais pas forcément la maison d’un dieu. Le cas de San Omobono est cependant particulier ici, avec un lien clair entre le temple et l’autel.

Fort de cette conclusion, C. Potts postule donc dans le chapitre suivant que la monumentalisation n’a pas à voir avec l’environnement immédiats mais est à replacer dans une topographie plus large, à l’échelle de l’établissement qui accueille cette nouvelle forme. L’auteur compare donc les localisations de ces premiers temples archaïques dans le Latium (Rome, Satricum) et en Etrurie (Pyrgi, Véies et Vulci). Tous ces exemples montrent une volonté de se rendre accessible aux voyageurs et aux marchands, sans continuité fonctionnelle. L’époque archaïque inaugure une tradition (p. 88). Potts en profite pour critiquer le fait de classer les temples en urbain/extra-urbain/rural (p. 97-98).

Le dernier chapitre explore différents modèles d’explication de l’émergence de temples sur podium en Italie centrale (développement naturel, changements sociopolitiques et changement de fonction). Mais l’auteur met l’accent sur les contacts culturels et commerciaux en Méditerranée entre 750 et 500, mettant en rapport la monumentalisation des temples en Grèce continentale, en Asie mineure, à Naukratis en Egypte et en Grande Grèce. Pour C. Potts il faut voir dans la place des temples au sein des réseaux commerciaux une ritualisation des interactions et une ritualisation des échanges au même moment partout sur le pourtour méditerranéen (sans stimulus grec, p. 110), où le temple a pour but de mettre en confiance les marchands et les visiteurs en leur présentant un terrain favorable à la reconnaissance des ressemblances entre les divinités nationales (comme dans le cas d’Uni-Astre sur les tablettes d’or de Pyrgi). Des marchés sous protection divine en quelques sortes, où l’on peut se rassembler et interagir en paix, où la présence divine des huttes sacrées est mise au profit du commerce international (ce que la très courte conclusion rappelle).

L’appendice veut apporter une réponse aux lecteurs attentifs qui auront remarqué que le temple de Jupiter Optimus Maximus (construit à la fin du VIe siècle sur le Capitole) occupe une place congrue dans ce livre puis l’auteur présente son catalogue sur une vingtaine de pages avant de laisser la place à une bibliographie d’un très beau volume et un index. Le volume est complété par des planches d’illustration.

Si le livre est d’une grande densité et s’adresse à un public très averti, il se lit avec une très grande aisance. La critique y est toujours fine (remarquable p. 75-78 pour ce qui est des trois statues de culte) et très solidement documentée, avec des références qui sont à ce même niveau d’excellence. Il est de passages tout bonnement passionnant, comme celui sur les autels (sacrifices liquides, autels intérieurs) ou sur la topographie des sanctuaires et comment les visiteurs les approchent. Les tableaux permettent de très utiles comparaisons entre les sites et forment d’utiles résumés dans les chapitres. C’est de la très belle science et on l’aura compris, cet ouvrage est fondamental pour comprendre la naissance du temple italique sur podium, tout en donnant plein d’idées que l’on souhaiterait pouvoir creuser plus avant. Elle est peut-être juste un peu rapide pour dire que le Fanum Voltumnae peut maintenant être localisé.

C. Potts se positionne de manière originale avec un angle d’approche mettant à égalité Latium et Etrurie, ce qui permet de montrer certaines innovations latines, un peu moins dans l’ombre imposante de l’Etrurie et se détachant des Grecs comme agents civilisateurs ubiquitaires.

(Rome n’est pas forcément à cette période à la remorque de l’Etrurie et est même en avance sur le plan de la distinction humain/divin des bâtiments … 8,5)