Trilogie de fantasy par Henri Loevenbruck.
Tolkien avait chanté l’Angleterre en voulant la doter d’une mythologie, Henri Loevenbruck a lui choisi l’Irlande. En parcourant la carte de ce volume qui rassemble les trois volumes La Moïra (première partie du Cycle des loups, comprenant La louve et l’enfant, La Guerre des loups et La Nuit de la louve), l’analogie ne peut que s’imposer et la toile de fond du récit ne fait que renforcer cette constatation.
La situation est la suivante : l’île de Gaelia est un royaume divisé en plusieurs comtés. Le roi Eoghan règne au centre de l’île en Galatie et les autres comtes sont théoriquement ses vassaux mais bénéficient d’une autonomie assez large qui a pu dans les décennies précédentes aller jusqu’à la guerre : Albath Ruad en Sarre, Meriande Mor, le frère du roi, en Terre-Brune, Alvaro Bisagni en Bisagne et Feren en Harcourt. Ce dernier comté a pour religion officielle le christianisme, apporté sur l’île par son évêque, Thomas Aeditus. Les autres comtés n’ont pas encore été christianisés et continuent de vénérer la Moïra, le Destin, dont les premiers servants sont les druides. Hiérarchiquement, les druides sont supérieurs aux bardes et aux vates (des guérisseurs) mais un vate ou un barde peut devenir druide au terme d’un apprentissage. Les druides ont un sanctuaire principal, Saî-Mina, où se trouve le Conseil des Grands-Druide, lui-même avec l’Archidruide à sa tête.
Aléa n’est pas druide mais elle le même pouvoir qu’eux sur les éléments, ce qui ne devrait pas être, même en ayant comme elle arraché une bague du doigt d’un druide mourant. Comme c’est une orpheline de treize ans, en plus d’être défavorablement connue des autorités dans le comté le plus pauvre de l’île, elle a toute les chances d’être le jouet des puissances politiques qui se livrent une lutte féroce. Mais il n’y a pas que les Humains qui veulent imposer leur volonté aux autres : Maolmòrdha le druide renégat a envoyé les puissants Hérilims à ses trousses et les Tuathanns, les anciens habitants de l’île à la peau bleue, reviennent de leur exil souterrain pour reprendre leur bien de force. Et si les Soldats de la Flamme de l’évêque Aeditus mettent la main sur Aléa, son sort ne sera sans doute pas meilleur … Mais Aléa a la chance de rencontrer Mjolln le nain sur le chemin de la capitale, et il devient son ami avant que les deux ne se fasse rattraper par Phelim le druide. Les druides pourront-ils aider Aléa ou seront-ils effrayés par cette jeune fille qui maîtrise de plus en plus ses dons ? Et cette louve blanche, qui est souvent dans les parages d’Aléa, quel est son rôle ?
Voilà un roman (à la destination principale d’un public jeune ?) qui a très bien assimilé les canons du genre, avec une héroïne jeune qui subit un parcours initiatique, aidée par un magicien dans un monde au bord de la destruction (et donc prêt à une renaissance). Mais si l’auteur connaît les ficelles, ces dernières ont une petite tendance à devenir des cordes : les Hérilims sont des Nazgûls en essence et en actes, et l’adolescente est bien sûr très rebelle, rien ne l’impressionne. Elle était voleuse à l’étalage, on apprend qu’elle sait crocheter des serrures (p. 143) … Il est à noter que la fin du troisième livre joue de ces emprunts, avec des paroles historiques que l’on voit venir de loin (p. 583) ou un hommage à J.R.R. Tolkien (p. 716).
Le premier livre est celui qui à notre sens contient le plus de défauts, que l’auteur corrige (parfois très explicitement et sans doute suite à des critiques) dans les deux livres suivants, comme pour ce qui est du pouvoir des druides et donc de la magie (flagrant p. 198) ou de la justification a posteriori de la présence d’archives chez des druides qui condamnent l’écrit (p. 200). Mais tout n’est pas sans incohérence même dans le troisième livre (p. 699 par exemple, sur l’absence d’héritiers). Le principal problème reste que tout va un peu trop vite. Aléa grandit trop vite et une fois acté que ce n’est plus une enfant (une scène à mettre au crédit de l’auteur), elle voit ses capacités grandir en un rien de temps, soit à la même vitesse que les héros voyagent. De même, les Tuathanns sont absents depuis 400 ans de la surface de Gaelia et pourtant il se trouve encore quantité de gens qui parlent leur langue (p. 291).
Du point de vue du style, les passages psychologisants ne sont pas les plus réussis et mettent malheureusement en relief un art de dialoguiste encore inabouti qui rendent quelques moments quelque peu poussifs, voir même gnan-gnans (aaah ce psychologisme parfois …). A ces moments, il faut ajouter les paragraphes qui suivent les loups, dont on cherche parfois l’apport au récit alors que l’auteur aurait pu introduire beaucoup mieux le passage le plus important sur l’action des loups. H. Loevenbruck s’est renseigné avec passion sur ces canidés, mais cela s’est fait au détriment d’autres animaux (p. 179 et p. 364).
La fin est pas si mal dans la forme (avec un petit rappel du premier livre) mais assez obscure pour ce qui est du fond. L’auteur cherche-t-il à accréditer l’idée classique dans la critique intrachrétienne d’un détournement de l’Evangile (avec ici un panthéiste pardonnant) par l’existence même d’une Eglise qui s’oppose aux aspirations démocratiques du peuple de Gaelia et ontologiquement mauvaise (p. 710-711) ? Est-ce dans ce sens que la fin a été modifiée entre la parution du troisième livre et l’édition de cette intégrale ?
On achève la lecture des 775 pages de cette intégrale avec quelques regrets. Certes, la progression entre différents livres augmente le plaisir de la lecture mais on a tout de même un petit sentiment d’inachevé. Les moments de moins bien font un grand mal à cette histoire de facture classique et aux personnages solides (qui évite aussi le tourisme sans danger à la Eddings) mais qui aurait pu être encore meilleure.
(Les appendices ne sont pas indispensables, plus encore celui sur la politique de Gaelia … 5)