Recueil de nouvelles d’horreur fantastique de Nicolas Fructus et Thomas Day.
Faire le pari de produire du Lovecraft sans Lovecraft et en plus de richement illustrer le résultat, ce pari, Nicolas Fructus (auteur de deux nouvelles du recueil et illustrateur) et Thomas Day (auteur d’une nouvelle) l’ont tenté. Est-il pour autant réussi ?
Le livre se présente sous la forme d’un grand format, à la couverture embossée. A l’intérieur sont rassemblées trois nouvelles, sensiblement d’égale longueur, contenant chacune une illustration dépliable. Entre chaque nouvelle, elle-même illustrée dans un style différent mais liée aux autres par une typographie commune, sont rassemblées des illustrations complémentaires (architecturales, « animales ») sur plusieurs pages.
La première nouvelle donne son nom au volume et Nicolas Fructus en est son auteur. Evidemment, c’est aussi le lieu de l’action, où Björn passe au travers d’un cercle de pierre et se retrouve confronté très vite à la disparition d’enfants dans son village. D’autres phénomènes inexplicables conduisent Björn à s’intéresser à certains amoncèlements de pierres qui vont le conduire à un voyage souterrain. Cette nouvelle, prenant place à une époque difficilement cernable (Moyen-Âge ? Epoque moderne ? Antiquité ?), bénéficie d’un twist final très plaisant et pouvant laisser le lecteur interloqué.
La seconde nouvelle est signé Thomas Day et transporte le lecteur au XXIe siècle, à Forbach en Lorraine. Un jeune homme franco-brésilien prénommé Matteo arrive dans cette cité (même sans élément fantastique, ce lieu évoque l’effroi, ce qui est rudement bien trouvé pour une nouvelle d’inspiration lovecraftienne) pour régler la succession de son grand-père, retrouvé mort dans l’observatoire de son manoir. Il vient avec sa petite-amie Lin mais les choses ne vont pas aussi vite que prévu. La lecture d’une lettre retrouvée cachetée dans le coffre du défunt va conduire Lin à s’aventurer dans l’immense propriété pour retrouver Matteo dont la disparition nocturne, dans l’observatoire, ne peut être qualifiée que d’inquiétante. N’utilisant pas la narration à la première personne mais une succession de scènes remontant le temps, T. Day écrit ici une nouvelle au versant sensuel affirmé, dans la ligne de ses autres productions. La violence n’y est pas que mentale, dans un univers qui s’autorise quelques écarts avec le canon lovecraftien mais qui par sa localisation moins imaginaire et parlant peut être plus au lecteur francophone de par son inscription temporelle, permet à l’histoire d’obtenir une épaisseur (et une poisseur) plus que convenable.
Enfin, N. Fructus revient pour la troisième et dernière nouvelle. Elle met en scène Homan, un journaliste peut-être, qui au milieu des années 1930 interroge Mme Maréchal, la veuve d’un ingénieur actif dans la construction de routes en Amérique du Sud. Homan remarque sur une photo dans la demeure de la veuve la présence d’un poulpe géant et parvient à mettre la main sur une série de plaques photographiques de l’ingénieur après le décès de la veuve. C’est le début d’une enquête basée sur ces photos qui montrent des créatures plus étranges les unes que les autres. Mais Maréchal semble être le seul à pouvoir les voir, les autres témoins disparaissant sans laisser de trace. En traitement, l’ingénieur est autorisé par son médecin à courir le monde pour photographier, ce qui lui permet de rencontrer d’autres personnes pouvant voir ces créatures des failles. Mais ces personnes singulières commencent elles aussi à mourir … Si l’on revient à une narration à la première personne, la fin sonne étrangement aux oreilles du lecteur engagé de H.P. Lovecraft. Il manque ce sentiment d’inéluctabilité, de destinée grise et sans espoir où le personnage principal n’attend pas la mort mais quelque chose de bien pire. L’accumulation de scène ne semble pas être une gradation mais plus un inventaire à la Prévert, et l’on s’approche dangereusement des limites du fantastique avec l’incohérence.
De ce fait, la troisième histoire nous semble la plus faible. Même si l’on se rapproche le plus du contexte lovecraftien, il manque des éléments. Certes, le poulpe géant est transparent, mais il est aussi assez mal utilisé comme clin d’œil. De manière général, le recueil joue avec les codes lovecraftiens, qu’ils soient symboliques (l’écrivain éternel, les Grands Anciens, les espaces périphériques) temporels (la contemporanéité de Forbach, les années 30 de la dernière nouvelle), spatiaux (les espaces non-euclidiens) ou de narration (narration à la première personne ou justement son non-emploi qui contribue à la constitution d’une histoire à rebours d’un même lieu maudit). D’un côté on n’a donc une inspiration qui jamais ne tombe dans la servilité et de l’autre côté, il manque certains éléments, peut-être même caricaturaux (aller, allons jusqu’au sans doute !), qui font le goût rhodinésien, intensément lovecraftien. Où sont les géométries non-euclidiennes, l’ichor, les irisés, les horreurs éthiques, purement mentales ? Les archaïsmes voulus et travaillés du Maître de Providence, arrivé au bout de la lecture, il nous a semblé, pour le meilleur ou pour le pire, qu’ils auraient pu avoir une place. Si infime soit-elle.
Etait-ce trop trop physique et pas assez métaphysique ? Le diamant était incontestablement là, mais il n’a pas été poli au maximum de ses possibilités au niveau du texte, mais l’écrin des illustrations est très loin d’en abaisser les reflets.
(représenter de l’architecture perverse, ça reste difficile tout de même …6,5/7)
Une réflexion sur « Gotland »