Histoire romaine I

Des origines à Auguste
Manuel d’histoire romaine sous la direction de François Hinard.

Durera aussi longtemps que la louve.

Il faut parfois rafraîchir ses connaissances. Autant le faire avec ce qui se fait de mieux comme manuel d’histoire romaine francophone en relisant le fameux Hinard. Publié pour la première fois en 2000, il en est actuellement à sa dixième réédition, et comme à l’évidence les ventes étaient appréciables en grand format, la version de poche n’est sortie qu’en 2023. La seconde partie avait aussi pris son temps avec une parution en 2021 (en poche en 2023).

La répartition entre les deux volumes est sans aucune surprise : le second volume s’attache à l’Empire (à partir de 27 av. J.C.) et donc le premier volume additionne les rois et la République. Au sein de ces deux périodes, les quatre auteurs, tous enseignants à la Sorbonne au tournant du millénaire, se répartissent de manière chronologique les chapitres. D. Briquel ouvre le bal avec la période allant de la fondation mythique au IVe siècle, puis G. Brizzi couvre l’expansion romaine jusqu’aux guerres puniques, avant que F. Hinard ne poursuive jusqu’aux guerres civiles du Ier siècle. J.-M. Roddaz ferme la marche pour l’embrasement final à l’échelle de la Méditerranée et au-delà.

L’impression de tour de force à la première lecture est toujours là. En à peine plus de 900 pages, soit environ 1,2 page par année, le lecteur est embarqué avec entrain dans une histoire dont les conséquences sont encore sensible d’une quantité de manières dans notre monde actuel. Et avec une hauteur de vue qui n’est comparable, sur une période plus resserrée, qu’au manuel de J. Heurgon Rome et la Méditerranée occidentale jusqu’aux guerres puniques. La bibliographie elle-même est un monument (malgré sa non actualité), et les cartes et illustrations sont au niveau de l’ensemble. Ce qui cette fois-ci nous a par contre sauté aux yeux, c’est le style particulier des auteurs. J.-M. Roddaz semble, par exemple, aimer les remarques pince sans rire comme à la p. 857 : «  Une chose est claire au moins : une fois qu’Antoine eut quitté Alexandrie à la fin de l’hiver de 40, il demeura quatre ans sans voir Cléopâtre. On a connu des amoureux plus impatients. »Si la coordination a été de haute volée, il n’y a pas eu de nivellement du style. Parfois, cela confine à la beauté et à la concision des auteurs antiques, comme à la p. 819 : « […] un groupe de nobles [envisagea] de tuer le tyran à défaut de penser à supprimer les causes de la tyrannie. »

Ce livre se dévore, il est très compliqué de le reposer.

(Octave n’apparaît pas comme quelqu’un de sympathique dans ce livre … 8,5/9)

La condition humaine

Roman d’André Malraux.

On peut y aller les yeux fermés !

L’approche de la faillite apporte aux groupes financiers une conscience intense de la nation à laquelle ils appartiennent. p. 213

Petit retour vers les classiques de la littérature française à la faveur de l’été, avec aussi une double première : c’est le premier Goncourt et le premier roman écrit par un ministre qui atterrit sur ces pages.

L’action se situe en 1927 à Shanghai. C’est une période de troubles incessants pour la Chine, pays morcelé en plusieurs territoires sous la coupe de seigneurs de la guerre. Parmi les forces concurrentes, le jeune parti communiste chinois fait alliance avec le Kuomintang de Tchang Kaï-Chek à Shanghai pour libérer la ville. Parmi ces communistes figurent Kyo, May, Katow, Hemmelrich et Tchen. Ces derniers ont un besoin criant d’armes pour mener à bien leur soulèvement. Ils mettent la main sur la cargaison d’un bateau ancré dans le port. L’insurrection démarre le lendemain, et les groupes communistes prennent possession de l’ensemble de la ville. Les Européens des concessions internationales observent ces changements avec intérêt ou crainte. Parmi ceux-ci se trouve Ferral, un ancien ministre français qui dirige un important groupe industriel et qui va manœuvrer en faveur du Kuomintang pour essayer de sauver ses actifs. Le Kuomintang entre dans la ville et demande bien vite la remise des armes par les communistes. Kyo va demander des instructions dans la ville de Han Kéou mais revient avec l’interdiction d’un nouveau soulèvement ? Certains communistes, dont Tchen, veulent passer outre et préparent un attentat contre Tchang Kaï-Chek, qui échoue.

La répression s’abat sur les communistes, qui sont traqués partout dans la ville. Malgré les avertissements, Kyo est pris par la police nationaliste, et malgré une intercession du baron Clappique sur les insistances de son père Gisors, ne peut être libéré. Des permanences communistes sont prises d’assaut. Si Katow est fait prisonnier lors de l’un de ces derniers, Hemmelrich peut s’échapper. Tchen tente un attentat suicide. Kyo, sachant que la torture attend les captifs, se suicide mais Katow offre sa pilule de cyanure à deux compagnons. D’autres communistes ou personnages liés à eux arrivent à échapper à la répression et Ferral rentre en France où il échoue à sauver le Consortium qu’il dirige.

Le roman exprime une sympathie assez claire pour les communistes que l’on suit, mais cette sympathie n’est pas pour autant sans limite. En contrepoint, la critique du capitalisme financier et colonial finissant est-elle aussi très fine, et elle se fait sans tout calquer sur le personnage de Ferral, dont la volonté de contrôle se trouve in fine mise en échec. La personne de l’auteur est visible de deux manières dans ce roman. La première, c’est que l’on sent très clairement que l’expérience personnelle d’A. Malraux sert de soubassement, avec sa connaissance de l’Indochine mais aussi sa proximité avec la Chine (il refuse, au contraire d’un ami, d’aller en Chine participer à la guerre civile). La seconde, c’est que ce roman annonce d’une certaine façon ses engagements futurs, non plus intellectuels, mais physiques, en faveur des Républicains en Espagne et dans la Résistance (plus comme figure de proue que comme commandant opérationnel, et avec énormément de réserves quant à ses états de service). Les descriptions sont crues, on nous épargne peu de choses de la charnalité de la mort. La question du destin que l’on se choisit est absolument centrale dans cette œuvre et tous les personnages apportent une réponse différente à la question « Quelle est ma liberté ?».

Le lecteur est aussi mis à contribution pour couvrir les ellipses ou interpréter les demi-mots, mais il faut dire que c’est très bien fait et que la réputation de qualité de l’ouvrage n’est à notre sens pas exagérée. Stylistiquement, il n’y a pas un moment de faiblesse, et nous n’avons rencontré aucune difficulté, et plutôt même le contraire, une certaine réticence à reposer le livre.

(Clappique, quel personnage ! 8)