Roman de fantasy urbaine de China Miéville.
Venant des durs déserts du Cymek, Yagharek le Garuda arrive dans la métropole de Nouvelle-Crobuzon. Il est à la recherche de quelqu’un qui pourra le faire voler à nouveau, lui à qui on a retiré les ailes pour crime majeur. Isaac Dan der Grimnebulin, savant indépendant, est celui que choisit Yagharek pour mener cette tâche à bien. Grimnebulin ne manque ni d’idées ni de connexions dans la ville tentaculaire et se met à la tâche avec ardeur. Lin son amante est une Khépri, hybride d’humain et de scarabée. C’est une artiste qui crache ses œuvres plastiques grâce à ses glandes. Elle est contactée par un mystérieux admirateur qui souhaite lui passer commande moyennant une très forte rétribution. Mais dans le contrat, le secret est aussi un impératif, ce qui peut s’avérer compliqué quand on entend des choses pas destinées à ses oreilles … Amie d’Isaac et Lin, Derkhan est journaliste. Elle travaille pour le Fléau Endémique, un journal résolument opposé au Parlement et au maire qui gèrent la ville de Nouvelle-Crobuzon. Mais le pouvoir l’a dans sa ligne de mire et la possession d’un exemplaire même est passible de sanctions. Et il est des choses pires que la prison que peuvent ordonner les juges de la ville …
Les choses mettent leur temps pour se mettre en place dans ce roman très bien écrit et surtout remarquablement traduit (sauf ce petit possessif à la place du démonstratif p. 32). Mais si les évènements s’accélèrent en fin de volume, c’est surtout parce que la coupure en deux tomes est le fait de l’éditeur. L’impression doit donc être différente en version originale.
Le monde est d’un grand intérêt et présente une ville chatoyante. On parle d’autres contrées environnantes ou lointaines mais toute l’action se passe dans la ville. La vie urbaine est cependant d’une grande dureté, entre quartiers en ruine, bidonvilles, crime et répression de la part des autorités (Mervyn Peake est cité dans les remerciements, sans doute pour l’inspiration du côté tentaculaire du bâtit que l’on retrouve dans Gormenghast). Technologiquement, on se trouve globalement dans un développement technologique comparable à la fin de notre XIXe siècle, avec des trains et des dirigeables mais où les fiacres n’ont pas encre été remplacés par les voitures automobiles. Mais il y a encore des fusils à silex, et à l’autre bout du spectre des bombes surpuissantes qui engendrent des mutations. A cela s’ajoute la magie mais cette dernière est très loin d’être omniprésente. Sociologiquement, ce qui est décrit dans le roman est peu probable (avec tant de violence et d’inégalité), mais il ne semble pas que l’objectif de C. Miéville fut d’écrire une fable sociale. Le second volume nous rapprochera peut-être de réactions sociales violentes si des éléments du pacte social ne sont plus actifs. Les religions et les partis politiques sont abordées et elles aussi auront peut-être un rôle plus important à jouer dans la suite.
Les Humains et les Khépri ne sont pas les seuls habitants de Nouvelle-Crobuzon (un nom que l’on peut penser mal choisi au premier abord mais qui à l’usage se révèle assez puissant). Des quantités d’autres races ont fait souche : parmi d’autres, les Vodyanoi sont des sortes de batraciens qui peuvent sculpter l’eau, les Recréés ont été modifiés par des adjonctions de tissus organiques ou de mécanismes et les Calovires sont des sortes de gargouilles volantes et peu civilisés. Ménagerie bien pensée et intéressante (il a même des surprises en cours de route !) qui renforce l’atmosphère dickensienne de ce steampunk mesuré (avec un léger soupçon de post-apocalyptique ?). Le roman, malgré une exposition un peu longue, sait devenir prenant. Les personnages principaux, en nombre limité, ne sont pas qu’une collection d’archétypes et possèdent une belle profondeur psychologique. Ils ne sont ni des héros invincibles ni des perpétuelles victimes ni encore des trains lancés vers une directions connue d’avance, ce qui va rendre la résolution de leurs problèmes, petits et grands, particulièrement intéressants.
Le second volume nous regarde et nous sentons monter la convoitise.
(il y a tellement de potentialité que je ne vois pas comment nous serions déçus … 7,5)