Iron Sky 2

The Coming Race
Film de science-fiction humoristique dirigé par Timo Vuorensola.

Peu d’herbivores.

Iron Sky premier du nom nous avait laissé avec une Terre démarrant une guerre nucléaire, sa suite reprend au même point. La Présidente des Etats-Unis d’Amérique quitte Washington sur le point d’être détruite pour l’Antarctique et rentre dans une base nazie, non pour aller sur la Lune mais pour descendre vers le centre de la Terre. Elle le peut parce que sa vraie nature est … reptilienne. Vingt ans après, la Terre est toujours en grande partie inhabitable et quelques survivants ont trouvé refuge sur la Lune, dans l’ancienne base nazie. Cette dernière ne tient encore debout que par miracle et son anéantissement peut survenir d’un moment à l’autre. Seul espoir, trouver une source d’énergie qui pourrait alimenter un vaisseau spatial et ainsi tenter de survivre ailleurs. Pour les habitants, et plus particulièrement pour l’héroïne Obi (la fille de Washington et Renate du premier épisode), la venue d’une soucoupe bricolée en Sibérie relance l’espoir. Les élites locales, adhérentes à une secte qui vénère Steve Jobs et un système fermé et contrôlable, ne sont pas de cet avis. Si l’on rajoute à cela que tous les Nazis ne sont pas morts …

Dur d’innover, de rajouter un coup de turbo à une idée qui avait fait un bon film sans affaiblir la structure. Le choix ne semble pas avoir été fait de changer de thème, puisque l’on reste dans l’humour fait au dépend de théories conspirationnistes comme dans le premier Iron Sky. Il aurait pu se porter sur les pyramides extraterrestres ou les Illuminati, mais ce sont les reptiliens qui seront le point central de l’intrigue. Les scénaristes partent d’une base éprouvée puisque cette race de reptiliens, appartenant autant au passé qu’au futur de la Terre, vivant en son centre et ayant le Vril pour énergie, sont ceux d’un roman de 1871 écrit par Edward Bulwer-Lytton et intitulé justement The Coming Race. Le roman a une grande influence sur les cercles ésotériques européens, y compris en Allemagne nazie, ce qui ne semble pas du tout avoir été l’objectif de son auteur. Comme si Jules Verne devenait la source d’inspiration du Temple Solaire … Mais c’est un choix intellectuel qu’il faut mettre en mouvement dans le film, et il semble que la matière, autre que graphique, manque un peu.

A cet aspect sont ajoutés toute une série de piques sur des phénomènes sociaux du début du XXIe siècle, allant de la vénération fanatique de Steve Jobs et Apple aux intolérances alimentaires en passant par le powerpoint. Cible facile, la religion n’est pas oubliée. La mise en scène se fait très plaisir avec de très nombreuses références culturelles, que ce soit la Sainte Cène de Léonard de Vinci ou les différentes trilogies de la Guerre des Etoiles (abaissement de la rampe de la navette arrivée sur la Lune, cape noire, courses poursuite dans l’esprit de la course de pods), Indiana Jones (début de la l’Arche perdue), Ken le survivant mais aussi vidéoludiques avec Mario Kart.

Néanmoins on ne peut pas dire que les héros soient très épais et Obi, l’héroïne principale, ne montre aucune faille. C’est donc assez gentillet.

Nous attendions avec impatience d’entendre à nouveau la musique de Laibach mais ce fut de ce côté une déception. Elle est, à ce qu’il nous a semblé, très peu présente (sauf pour le générique). La faute sans doute a bien plus de scènes d’action explosives dans ce film que dans son prédécesseur, qui faisait voir alors plus de scènes en plan large et dans l’espace où la musique soutenait la démonstration de puissance. Le premier Iron Sky devait gérer un budget serré qui ne pouvait pas tout investir dans l’image de synthèse et il semble que le budget augmenté pour la suite ait un peu trop été alloué au fond vert et au michaelbayisme.

C’est donc un film distrayant, au final prévisible mais néanmoins réussi, mais qui est très en dessous de la première partie. Il est difficile de faire vraiment neuf et frais à chaque fois …

(Blondie le Tyrannosaure Rex, cela reste une idée fantastique … 6,5)

Gormenghast III : Titus errant

Roman fantasy de Mervyn Peake.

Suis-je celui que je crôôa ?

Avec Titus errant, M. Peake nous sort du château de Gormenghast pour nous emmener de par le vaste monde. De fait, Titus, le 77e comte de Gormenghast, passe au travers du miroir. Si dans les deux premiers tomes de la série, seul existe Gormenghast, dans ce troisième et dernier tome, c’est son existence qui est mise en doute. Parce que dans les lieux où arrive Titus, personne ne connaît ni ce château, ni ce comté … La ville dans laquelle il arrive est elle-même très différente de son château. Tout y est transparence et ordre. La population y est surveillée au travers d’artefacts sophistiqués ou de policiers aux allures robotiques. Parmi cette population insipide, Musengroin et Junon sont des exceptions. Musengroin possède une sorte de zoo et agit en original. Junon de son côté est animée d’une passion pour Titus après qu’il lui soit tombé dessus (et à travers une verrière) lors d’une réception. Mais Titus est tellement hors-norme pour cette société qui ne supporte pas le mystère qu’il n’est pas dit que même ces deux-là croient aux histoires du jeune homme …

Mais même sans le château, le roman ne délaisse pas le baroque pour autant, toujours tangent avec l’absurde à la Ionesco. La fête est à ce titre emblématique : décrite comme une houle (p. 50-51), une masse presque indifférenciée d’invités, ces derniers échangent platitudes sur platitudes, ne s’écoutent pas, sont ectoplasmiques. Mais Titus errant n’est pas un décalque du château dans une ville, prétexte aux mêmes portraits. Dans cette ville, il y a l’électricité (p. 103), des voitures et des avions mais on sent que la science-fiction n’est pas à exclure (les scientistes, l’usine, la boule, le rayon p. 177). Les thèmes même changent dans ce troisième tome. Si couleur n’est pas devenu inintéressante (p. 225 par exemple), M. Peake se concentre sur la lumière (p. 88) tout en décrivant un autre type d’architecture (p. 46), tout en transparence et de ce qui est peut-être un mi-chemin entre le style international et le monumentalisme totalitariste (du moins en a -t-on l’impression à la lecture). Le niveau de langage, à un tel niveau, permet tout de toute manière (les « contours coruscants » p. 88 !). L’histoire en elle-même montre un Titus jeune adulte pas facile à vivre, mais qui expérimente alors que son enfance ne l’y prédisposait pas. Il y gagne des amis, se fait des ennemis, tout ce qu’il n’avait pas à Gormenghast. Mais surtout il se construit un point de départ dans la vie, un point d’origine de ceux que l’on ne retrouve jamais mais dont la certitude de l’existence permet justement de s’en éloigner. Un très grand roman qui peut perdre son lecteur dans son kaléidoscope aux multiples surprises.

(la préface aurait du être une postface … 8,5)

Chroniques martiennes

Il écoutait la terre sombre se recueillir dans l’attente du soleil, des pluies encore à venir. L’oreille collée au sol, il entendait le pas lointain des années futures et imaginait les graines semées du matin surgissant en pousses vertes, prenant possession du ciel, déployant une branche après l’autre, jusqu’à que Mars ne soit qu’une forêt l’après-midi, un verger resplendissant. (p. 124)

Recueil de nouvelles de science-fiction de Ray Bradbury.

Des canaux et presque des canoës.

D’abord, quelques mots sur le fait de classer ce recueil de nouvelles dans le genre science-fiction. L’auteur semblait refuser cette classification (dans ce même volume notamment), arguant que son œuvre était intemporelle et qu’il n’utilisait pas la technique comme explication du monde. D’un certain côté on peut lui donner raison, car l’intemporalité (ou la multitemporalité) est le fil directeur de ce livre, même si on ne peut mettre de côté que tout ceci se passe néanmoins sur une autre planète et que l’on y vient avec des fusées (même si on ne sait rien de ces fusées ni qui sont en vérité les Martiens).

Les Chroniques martiennes décrivent certains évènements qui se passent sur Mars entre janvier 20130 et octobre 2057. Le livre est introduit par quelques pages de R. Bradbury qui revient sur son livre en 1997, soit exactement cinquante ans après la première parution de ses nouvelles aux Etats-Unis. L’auteur y parle très clairement de créer une mythologie (tout en appréciant de toujours être invité à l’Institut de technologie de Californie). Suivent 28 nouvelles de longueurs très variables, dont la série débute avec le départ de la première fusée pour Mars à partir de l’Ohio puis l’arrivée sur Mars des premières expéditions, avant les premiers colons. La plupart des Martiens disparaissent en très grande partie (même si on en rencontre de temps en temps), et les colons se multiplient. Une fois les premières vagues passées, arrivent les premiers religieux (le très bon Les ballons de feu) mais aussi les minorités raciales, les minorités intellectuelles puis, enfin, les personnes âgées. Puis advient la guerre sur Terre et les colons retournent massivement sur la Terre. Ne restent que quelques rares individus qui assistent à un cataclysme sur Terre, voient les constructions terrienne tomber en ruine, tout comme revient l’expédition envoyée vers Jupiter. Enfin, une petite fusée familiale atterrit sur Mars, dans une dernière page d’une très grande beauté.

Le début du livre est troublant, presque angoissant, dans une ambiance crépusculaire, tant sur Terre que sur Mars, avec ce pressentiment de la fin (cette crépuscularité est instrumentalisée dans l’excellente nouvelle Usher II). L’intemporalité revendiquée par R. Bradbury apparaît cependant très vite au travers du parallèle que l’on peut très aisément faire entre ces chroniques et  l’histoire du continent nord-américain. Ces références sont d’abord implicites, avant d’être explicites (p. 104). Les conflits avec les locaux, l’arrivée des Pères pèlerins (le père Peregrine, référence plus que transparente, p. 144), la colonisation du Far West (p. 185) et son utilisation très préventive des armes, mais aussi le conservatisme moral (Usher II toujours). Le tout forme une critique assez acerbe de la société étatsunienne dans laquelle il vit, et surtout de son versant technophile, avec une peur nucléaire très présente (les dernières nouvelles datent de 1949, année de l’explosion de la première bombe nucléaire soviétique). Il n’y a rien à jeter dans ces nouvelles, dont certaines servent de transitions, écrites de manière magnifique, sur un mode très souvent poétique (pour lequel il faut aussi remercier le traducteur). Aux deux nouvelles déjà mentionnées, il faut ajouter à celles qui nous ont le plus plu Viendront de douces pluies (qui conte la destruction d’une maison entièrement domotisée), Pique-nique dans un million d’années (la nouvelle finale), Rencontre nocturne (entre un Martien et un Terrien) et Tout là-haut dans le ciel (sur les Noirs étatsuniens dans le Vieux Sud qui partent pour Mars). On remarquera aussi l’annonce de Fahrenheit 451, qui paraît en 1953 (p. 210 et 214) avec les livres que l’on brule sur Terre (dans la nouvelle Usher II, qui est un hymne adressé à Edgar Allan Poe et au fantastique).

Ce recueil est-il inférieur à Fahrenheit 451 (chroniqué sur Casalibri en 2009) ? Il ne nous semble pas. Il n’a certes ni l’unicité, ni le côté dystopique, ni encore la puissance de l’hommage à la littérature, mais ce recueil a pour lui la poésie, une pointe d’humour de temps à autre (Les villes muettes), la multiplicité des narrateurs, et malgré tout, un petit peu plus d’optimisme.

(Viendront de douces pluies, sous son vernis humoristique, recèle de glaçantes pépites … 8,5)