Histoire politique et sociale de la cité de Sparte jusqu’à la conquête romaine par Edmond Levy.
Encore un ouvrage, certains diront même un classique, que nous aurions dû lire bien avant … Ce manuel a pour but de dégager autant de vérités que faire se peut au sujet de Sparte, la cité qui plus encore qu’Athènes, dominé l’espace grec antique et qui fut le point de départs de beaucoup de mythes, tant anciens que modernes (son égalitarisme, sa frugalité, etc.) qui ont donné corps à un « mirage spartiate ».
L’auteur commence son propos avec un rappel méthodologique jamais inutile, portant principalement sur le danger de l’hypercritique des sources (conduisant à l’a-historisme). Pour E. Levy, il y a une présomption de vérité des sources (p. 8) et c’est au critique d’apporter la preuve de l’invalidité, partielle ou totale. Comme il ne peut y avoir de vérité absolue et éternelle en Histoire, de siège assuré pour l’historien, l’auteur déclare ne pas hésiter à entrer dans les détails dans ses démonstrations. Et tout au long de l’ouvrage, il se tiendra à cet axiome avec une maestria consommée.
Sans surprise, le premier chapitre est celui de la naissance de Sparte. A une Sparte achéenne (celle d’Homère) succède une Sparte dorienne après le retour des Héraclides (l’archéologie accrédite l’idée d’invasion au XIIe siècle avant J.-C. , p. 16). Une fois la plaine de Sparte conquise et les cinq bourgades originelles ainsi unifiées, Sparte se lance à la conquête de la vallée de l’Eurotas, puis au VIIIe siècle de la Messénie voisine. Au VIIe siècle, l’Etat laconien est formé, rassemblant l’espace lacédémono-messénien et les cités dites périèques (laconiennes mais pas spartiates). A partir du Vie siècle, Sparte étend encore plus loin son influence dans le Péloponnèse en construisant un système d’alliances appelé Ligue du Péloponnèse par les historiens modernes. De l’époque archaïque date aussi la mise en place du régime spartiate (avec ses deux rois, ses éphores, sa gérousie et son assemblée) et son idéologie, révolutionnaire si l’on considère les voisins de Sparte, qui assigne les qualités aristocratiques à tous les citoyens (comme cela est visible chez le poète Tyrtée) : être Spartiate c’est devoir être le meilleur, mais collectivement, pour la cité (p. 36-45).
E.Levy s’intéresse ensuite à la structure sociale spartiate, en commençant par les trois composantes principales de la cité stricto sensu. A tout seigneur tout honneur, l’on débute avec les Spartiate, leur éducation (agôgè, pédérastie et kryptie), le repas commun des sissyties et comment ces dernières fonctionnent, le lot de terre (kléros, fondement de la prétendue égalité spartiate), la place de la femme et la vie religieuse (marquée par son archaïsme). Pour E. Levy, les observateurs antiques ont à partir de ce tableau beaucoup vu une cité bien ordonnée, où l’on enseigne dès l’enfance l’obéissance aux magistrats et l’honneur, dans une communion sans cesse renouvelée au travers des chants et du vote par cris. Mais on peut aussi y voir une société où la surveillance de tous par tous, au code vestimentaire strict, conduit les citoyens à se cacher pout thésauriser. Société de conformisme, conservatrice et collectiviste, mais dans laquelle il faut constamment se distinguer (p. 112).
La seconde partie de la société, ce sont les Hilotes. Esclaves appartenant à la cité, attachés à la terre, ils sont principalement en charge de la production agricole et ne sont ni cessibles à l’extérieur ni affranchissables (p. 118), sauf par la cité. Maltraités de différentes manières, ils sont aussi redoutés par les Spartiates (qui au Ve siècle craignent des révoltes). La dernière partie de l’Etat laconien est constitué des Périèques. Ceux-ci habitent des cités dépendantes, issues vraisemblablement de colonisations, de conquêtes et d’associations, au nombre supérieur à 80. Les Périèques ont la nationalité lacédémonienne mais n’en ont pas la citoyenneté, où alors de seconde catégorie (mais possèdent néanmoins leurs terres). Il est fort vraisemblable que leurs cités soient majoritairement organisées sur un modèle oligarchique (au vu des volontés de Sparte pour les cités de la Ligue du Péloponnèse). Ils fournissent des hoplites ou de l’infanterie de marine et peuvent être envoyés combattre sans la présence de troupes spartiates avec eux. Toujours supérieurs numériquement aux Spartiates, ils leurs sont fidèles jusqu’aux années 370-369 (invasion thébaine, p. 154) parce qu’ils partagent avec eux de nombreuses valeurs et profitent d’être dans l’ensemble dominant la Grèce à de nombreuses reprises.
Enfin, E. Levy passe en revue les catégories marginales de la population lacédémonienne qui n’entrent pas dans les trois catégories qu’il a amplement décrites auparavant. Les Brasidéens et les Néodamodes sont issus d’affranchissements massifs pour services militaires rendus, les mothakés (libres dans la clientèle d’un noble), mothônés (anciens Hilotes), trophimoi (enfants d’aristocrates étrangers pro-spartiates) sont des individus ayant bénéficié de l’éducation spartiate sans être des Spartiates et qui bénéficient à l’issue de leur formation de la condition d’homme libre mais de condition souvent inférieure (p. 155-159).
Les bases ainsi posées, l’auteur s’attaque à la description de l’organisation politique de la cité de Sparte à l’époque classique (troisième chapitre). Les rois, au nombre de deux, provenant de deux dynasties distinctes, sont désignés par hérédité. Ils ont une fonction religieuse très importante et ils ont en charge la conduite des opérations de guerre, mais sous le contrôle des éphores. La royauté subit une profonde crise au Ve siècle, avec de nombreux procès intentés contre eux et l’importance de plus en plus grande de la fonction de navarque (amiral, p. 183). Les éphores sont peut-être à Sparte ceux qui ont le plus grand pouvoir. Elus annuellement, ce sont eux qui décident des plus grandes affaires, de l’ordre public, des mœurs (en une sorte de gouvernement décidant à la majorité). Ils surveillent ainsi toutes les catégories de la population, rois y compris. Leur pouvoir coercitif est sans appel, et est de leur ressort la majorité des affaires judiciaires. Ils préparent les débats de l’assemblée, la préside et font appliquer ses décisions. La gérousie quant à elle recrute ses 28 membres parmi les vieillards de plus de 60 ans (donc plus astreint au service armé), qui sont élus à vie. Ils sont un conseil à pouvoir juridique et de conseil, qui permet une stabilité entre les deux pôles que sont les rois et les éphores. Enfin, dernière composante du système politique spartiate, l’assemblée vote les lois après débat (du moins pour ceux qui ont le droit d’y prendre la parole, p. 216).
Le chapitre suivant analyse les relations entre Sparte et le monde extérieur du milieu du VIe siècle à 362. Ces contacts se font en premier au travers de la Ligue du Péloponnèse, qui d’alliance inégale entre Sparte et différentes cités se transforme petit à petit en alliance dotée d’un conseil à partir de 505, ce qui n’évita pas les conflits internes. Sparte a bien entendu des relations avec les Perses, que ce soit conflictuelles ou bénéficiant de leur appuis contre Athènes. Avec cette dernière, les relations ne sont pas toujours tendues. Athènes est même un moment membre de la Ligue. Après la bataille de Platées (480, opposant les Perses à une alliance panhéllénique), l’opposition est souvent frontale, voire tourne à la guerre (entre 431 et 404 par exemple). En 404, Sparte peut imposer une constitution oligarchique à Athènes. Mais d’autres puissances se développent au IVe siècle, parmi elles les Thébains réussissent en 370 à envahir le territoire spartiate, avant que la Macédoine de Philippes II ne mette tout le monde d’accord en 338.
Le IVe siècle est une période de lente érosion de son pouvoir pour Sparte (chapitre suivant). Suite à l’invasion thébaine de 370, Sparte perd la Messénie, soit la moitié de son territoire. Sparte n’est cependant pas anéantie, surtout pour ne pas laisser un vide trop grand. Mais Sparte doit affronter des crises internes, avec au premier rang de celles-ci, une inégalité de plus en plus grande et une réduction continue du nombre de ses citoyens de plein droit (p. 263, p. 269). A cela s’ajoute une crise morale, due à la victoire de 404. Ces difficulté conduisent à une succession de révolutions, qui vont chaque fois plus loin que la précédente, au point que la dernière, conduite par Nabis au début du IIe siècle, élimine le dernier roi et libère des Hilotes en grand nombre après avoir à nouveau redistribué les terres. En 146, les Romains arrivés à la faveur des interminables conflits qui agitent le Péloponnèse au début du IIe siècle, sont maître de la Grèce.
La conclusion, qui rappelle la singularité de Sparte, Etat constitué de plusieurs cités, précède des cartes, une brève chronologie, une bibliographie indicative et un index.
Ce livre (de 320 pages) s’adresse à un lecteur qui a déjà une bonne idée de l’histoire grecque aux époques classiques et hellénistiques. Il n’y trouvera rien concernant l’art laconien, ce dont s’excuse l’auteur en introduction. Les commentaires de documents sont clairs et apportent beaucoup aux explications que donnent E. Levy. Ce dernier ne cache pas au lecteur les autres lectures possibles de ces documents, comme il mentionne très souvent les avis auxquels il s’oppose, ou qu’au contraire, il suit. Les conclusions à la fin de chaque chapitre, voire de parties de chapitre, résument très clairement les idées exposées avec une très grande clarté précédemment. Le tout se lit avec aisance, avec un appétit (de Delphes) qui vient en mangeant. Un peu plus de cartes, réparties à des endroits stratégiques du texte, aurait été une grande aide cependant.
Un excellent manuel universitaire, assez isolé dans la production francophone, qui ravira son lecteur.
(les Dioscures que l’on transporte sous forme d’amphores, c’est particulier p. 107 … 8,5)