Lovecraft

Au cœur du cauchemar
Recueil d’articles autour de H.P. Lovecraft, dirigé par Jean-Laurent Del Socorro et Jérôme Vincent.

Que serait la renommée d’Euclide sans Lovecraft ?

Il est indéniable que H. P. Lovecraft a durant les dernières décennies énormément gagné en visibilité, surtout du fait que sa création la plus connue fait maintenant partie intégrante de la culture populaire occidentale. Cet état de fait contraste bien évidemment avec la notoriété qui fut la sienne durant les années où il fut actif en tant que romancier, nouvelliste et essayiste (avec une conséquence directe sur ses revenus). Ce livre interroge, en plus de 450 pages, cette évolution et cette reconnaissance (qui touche aussi d’autres auteurs étasuniens des années 20 et 30).

Le structure générale du livre ne prétend pas à l’inédit. Il s’articule, très logiquement, en trois parties centrées successivement sur l’homme, son œuvre et sa postérité.

La première partie semble avoir pour but premier de lutter contre la mythologie entourant l’auteur de Providence, vendu après sa mort comme reclus, psychiquement faible ou occultiste. Les trois premiers articles s’attachent ainsi à mettre en lumière la personnalité, la philosophie et les rencontres (de visu ou épistolaires, avec une production de peut-être 100 000 lettres) avec l’aide de B. Bonnet, C. Thill et le grand spécialiste S. T. Joshi. Les deux articles suivants inaugurent l’aspect géographique (qui reviendra par la suite) avec les lieux qu’a fréquenté Lovecraft (M. Manchon) et la relation du voyage à Providence qu’à fait le traducteur F. Bon sur les traces du maître. Puis, au rayon des liens que Lovecraft entretenait avec d’autres écrivains, l’accent est mis sur Robert Howard (B. Bonnet), avec une sélection de lettres qu’ils s’échangèrent (P. Louinet). La partie s’achève sur l’activité de conseil et de correction/réécriture/nègre de Lovecraft, une partie de sa vie d’écrivain encore à même de connaître des découvertes (T. Spaulding). Le seul commanditaire qui semblait payer correctement fut le magicien H. Houdini (la première collaboration date de 1924). Mais sa mort en 1926 a brisé net le projet de livre sur la superstition qu’il avait chargé Lovecraft d’écrire.

La seconde partie (l’œuvre) commence avec une histoire de l’édition des textes de Lovecraft (C. Thill), pour vite passer au personnage de Cthuluh. Ce dernier est l’objet d’une analyse (E. Mamosa) avant d’être le sujet d’une interview de R. Granier de Cassagnac.  Puis B. Bonnet présente de manière étendue ce qu’il considère comme étant les 25 œuvres essentielles de Lovecraft. L’entretien avec C. Thill qui suit vient appuyer cette présentation avec un point de vue plus synthétique. Puis F. Montaclair montre comment Lovecraft, loin d’être un écrivain à part, s’insère très bien dans la production littéraire de son temps, avec en particulier une analyse comparée entre Le cauchemar d’Innsmouth (1931) et Manhattan Transfer de John Dos Passos (paru en 1925). Les analyses s’enchaînent ensuite, avec la science de Lovecraft (E. Gorusuk), l’anti-héroic fantasy qu’aurait écrite ce dernier (très axé sur l’héritage de Lord Dunsany puis avec sa distanciation, C. Thill), l’introduction de D. Camus pour sa traduction des Montagnes hallucinées et une mise en perspective des différentes traductions depuis 1954 (M. Perrier). D. Camus complète la très bonne analyse de M. Perrier dans la reproduction de sa préface aux Contrées du rêve où il explique ses choix de traduction. Cette seconde partie prend fin avec un entretien de M. Chevalier sur la poésie de Lovecraft, et plus particulièrement les Fungi de Yuggoth.

La dernière partie est presque exclusivement composée d’entretiens. Seuls les articles sur Cthuluh dans la bande dessinée (A. Nikolavitch) et Lovecraft au cinéma (S. Azulys) n’en sont pas. Sont ainsi interrogés P. Marcel sur Lovecraft en tant qu’héros de fiction, J.-M. Gueney sur le jeu vidéo, F. Baranger, N. Fructus  et P. Caza (les deux derniers illustrent aussi en partie cet ouvrage avec Goomi, E. Vial, Zariel et G. Francescano) sur Lovecraft en image, ainsi que C. Ferrand et les éditions Sans-Détour sur le jeu de rôle. Avant la présentation des différents auteurs de ce recueil sont rassemblées les impressions sur Lovecraft et son œuvre d’une foultitude de gens interrogés par les éditeurs (visiblement des gens de lettres, mais nous avouons n’en connaître qu’une très petite partie et M. Houellebecq, pourtant auteur d’un livre sur Lovecraft, n’en fait pas partie).

C’est un livre touffu, qui s’adresse en premier lieu à des lecteurs déjà connaisseurs et de l’œuvre et de la vie de H. P. Lovecraft. Il est très richement illustré, non seulement dans le texte mais aussi en dehors. Beaucoup d’illustrations n’ont par contre hélas pas été sourcées, ce qui peut laisser parfois le lecteur quelque peu perplexe. Ce livre est aussi un recueil classique, dans le sens où tous les articles ne plaisent pas à un égal degré lors de la lecture. L’article sur les lieux et celui sur les révisions auraient mérités plus d’attention quant au style (le dernier est même parfois très confus), et le ton de connivence du tout premier article nous a très vite ennuyé. Certains articles auraient pu aller plus en profondeur, ou encore s’épargner la confusion comme par exemple celui sur la science (p. 277) qui dit très maladroitement que « dans un monde du XXe siècle où la société, le capitalisme, les guerres et les dictatures règnent, il n’est pas étonnant de constater que Lovecraft ait pu déceler dans la science un moyen destructeur pour l’homme de se rendre compte de tout ce qui le dépasse et qui le mène potentiellement à sa fin » (sic). Le même article parle du site archéologique de Salem (p. 278) … De la même eau, l’explication du contre-sens sur la nature de Kadath (une cité ou un pic ? p. 324) manque justement totalement son but.

Les articles présentent différents points de vue, ce qui fait le sel de l’objet, mais parfois une direction commune semble avoir manqué. Si l’appréciation de la part réelle de Zealia Bishop dans les nouvelles signées par elle (p. 95 et p. 151) ou la perception plus ou moins construite du bestiaire lovecraftien (p. 225) peut différer grandement, il est plus troublant de lire dans la première partie que H. P. Lovecraft est très vite revenu du fascisme et de l’hitlérisme (son racisme est bien connu et abondamment cité dans les réactions de la dernière partie), alors qu’il est qualifié de pro-nazi plus loin (p. 384). De même si l’article sur les 25 œuvres essentielles est très intéressant, il tombe dans l’anachronisme dont il prétend se défier (p. 228).

A contrario, l’article sur le cinéma est d’une très grande tenue, l’interview de S.T. Joshi très éclairante et l’analyse des différentes traductions atteint pleinement son but. Le parallèle entre Lovecraft et la Génération Perdue de la littérature étatsunienne est certes ardu, mais sa solidité est manifeste. L’article sur la bande dessinée fait montre de beaucoup de qualités lui aussi et l’on apprend enfin qui était le Bergier dont il est fait mention dans la nouvelle H.P.L. de R. Wagner (p. 16, p. 144-145 et p. 295-296) !

Certaines notes sont de plus inutiles (les notes lexicales 26 et 27 de la p. 183 par exemple), d’autres références ne sont pas immédiatement claires (p. 279), il y a de trop nombreuses erreurs typographiques et de formes qui auraient pu être éliminées (des lettres graissées p. 253, un numéro de page baladeur p. 323 etc).

Si ce livre est très très loin d’être un cauchemar pour le lecteur, il reste donc très inégal et aurait grandement bénéficié d’un tout petit peu plus de temps de polissage. Tout le spectre est balayé (l’importance du jeu de rôle pour faire connaître les écrits de Lovecraft apparaît nettement), même si d’autres thématiques auraient pu aussi être de la partie (d’autres choix de lettres ? les relations entre Lovecraft et A. Derleth ?), et les illustrations sont d’un grand apport, tant documentaire qu’esthétique. Un livre qui encourage aussi le lecteur à questionner les traductions, que ce soit celles du dandy de Providence, ou d’autres.

(l’apport paradoxal, corrupteur et néanmoins popularisateur, de A. Derleth semble être accepté après une période où il faisait figure de traître abominable … 6,5)

H.P.L.

Biographie imaginaire, nouvelle de steampunk horrifique et interview de Roland C. Wagner.

Providence, LA ville du rock !

Que l’œuvre de Howard Philip Lovecraft soit une source d’inspiration, la chose n’est pas nouvelle. Ce qui est par contre inédit dans la biographie écrite par R. Wagner, c’est que son sujet ne décède pas en 1937 mais en 1991, à l’âge de 101 ans (presque aussi vieux que Ernst Jünger !). Lovecraft gagne ainsi des décennies de production littéraire, qu’il met à profit pour écrire de la SF, se confronter aux autres auteurs majeurs de l’Âge d’Or et passer le flambeau aux auteurs des années 70 et 80 (dont fait partie R. Wagner).  La première partie, jusqu’en 1937 donc, est documentée sérieusement puis après 1937, R. Wagner déploie une carrière sous le signe de la plausabilité, empruntant des textes à d’autres auteurs et en inventant d’autres (et on pense avec émotion à la bibliothèque créée par Frank Herbert), montrant une évolution de la pensée politique de Lovecraft, collant avec les publications, les polémiques et les redécouvertes posthumes, sans oublier un retour vers les premiers amours à la fin de sa pseudo-carrière. Dans l’architecture de cette biographie contrafactuelle, les notes infrapaginales sont d’une importance cruciale et c’est un plaisir pour le lecteur de les analyser pour y départager le vrai du faux.  Dans ce court livre (150 pages) est d’abord présentée la version française de cette biographie et lui fait suite une traduction en langue anglaise (traduite par l’auteur ?).

La seconde partie du livre est une nouvelle de steampunk horrifique qui prend place aux Etats-Unis dans les années 1890 (ce qui permet une distanciation d’avec l’élément victorien que ne semble pas apprécier l’auteur pour son côté puritain, selon l’interview donnée à ActuSF en fin de volume). Une révolte indienne reçoit l’aide de mystérieuses créatures dotées d’armes produisant des rayons mortels. Les forces militaires fédérales sont constamment battues et la Frontière recule, recule … Le gouvernement étatsunien ne peut donc qu’accepter l’aide que souhaite lui fournir d’autres créatures tout autant mystérieuses. Tout ceci ne peut que troubler Martin Lévêque, un professeur d’occultisme français, qui veut tirer au clair cette affaire avec l’aide de Kit Carson. C’est l’occasion pour lecteur de rencontrer une ribambelle de figures connues de l’Ouest sauvage (dans une version très secouée): Buffalo Bill, les Dalton, Jesse James, les agents de Pinkerton et leur chef, Doc Holiday etc. Mais dans ce monde existe aussi un livre maudit, peut être la clef de la compréhension de l’arrivée sur Terre de ces êtres technologiquement avancés. Cette nouvelle est dotée d’un ton enjouée et humoristique, d’un rythme particulièrement plaisant et de dialogues frais qui montrent avec éclat le plaisir qu’a eu l’auteur à l’écrire. C’est court, efficace, très prenant, grinçant et avec quelques clins d’œil légers et fins et avec un brin de militance (aux saveurs très années 70 il faut dire). Un délice.

Le volume est enfin complété par deux entretiens donnés par R. Wagner au site internet ActuSF en 2006 et en 2007. Dans la première interview,  il explique comment lui est venue l’idée de la biographie alternative et dans la seconde il détaille les choix et les lectures qui ont présidé à l’écriture de la nouvelle (presque sans retouche, p. 157).  Cette dernière partie est très succincte mais apporte quelques renseignements très intéressants sur la cuisine où ont été mitonnés les deux précédents textes.

Pour avoir une compréhension minimale des textes, une connaissance préalable de H.P Lovecraft et de son œuvre est impérative, sous peine de passer au travers de tout ce qui fait le sel de l’ouvrage. Mais si cette connaissance (qui n’a pas besoin d’être encyclopédique, loin de là) est présente, c’est une heure  de plaisirs divers qui attend le lecteur. Et un excellent premier contact avec R. Wagner pour ceux qui comme nous n’avaient encore rien lu de cette figure de la science-fiction francophone.

(étrange note sur un tout aussi étrange personnage que  J. Bergier p. 31 …8,5)

Tarkin

Roman de science-fiction dans le monde de Star Wars par James Luceno. Publié en français avec le même titre.

Raide comme l’injustice.

James Luceno est déjà un vieux routier du monde de Star Wars, avec une production débutant bien avant le rachat de Lucas Arts par Disney (qui, rappelons-le, a conduit à la mise sur le côté de pans entier de la production artistique autour des films). Après une participation, entre autres, au Cycle du Nouvel Ordre Jedi, Disney lui a donc confié la novellisation/contextualisation de la nouvelle trilogie et des films connexes. Avant Catalyseur  (prenant place avant Rogue One avec de très nombreux personnages communs), J. Luceno a donc écrit en 2014 un roman autour du personnage du Grand Moff Tarkin, le commandant de l’Etoile de la Mort qui meurt dans cette dernière lors de la bataille de Yavin (Episode IV).

Le roman débute avec l’attaque par un assaillant non-identifié de la base de l’Empire qui protège le site de construction de l’Etoile de la Mort. Tarkin déjoue le piège tendu mais sent bien que ce n’est pas la dernière fois que cet assaillant fera parler de lui. La capitale impériale est alertée et convoque Tarkin séance tenante pour lui confier l’enquête visant à démasquer ce groupe et à les châtier en en faisant un exemple. Mais il ne mènera pas seul ses investigations, puisqu’il doit faire équipe avec Dark Vador. Notre couple associant carpe et lapin démarre donc son enquête et remarque bien vite qu’ils ont toujours un temps de retard sur les dissidents.  Est-ce uniquement du aux capacités techniques hors-normes des pirates ? Toujours est-il qu’au cours de l’enquête reviennent à l’esprit du héros de nombreux souvenirs de son enfance et de son adolescence sur la planète Eriadu, sur l’enseignement survivaliste qu’il a reçu jusqu’au rite initiatique final.

Nous avons lu ce roman de 370 pages dans sa traduction allemande (et encore nos remerciements au généreux donateur qui se reconnaîtra). L’auteur fait le travail, en brossant le portrait d’un personnage très apprécié des fans, surtout parce qu’il apparaît très peu à l’écran mais montre dans ce cours laps de temps le pouvoir qu’est le sien. Le portrait est sans grande aspérité ni surprise majeure, avec comme hélas très souvent dans les œuvres estampillées Star Wars les mêmes lieux et les mêmes motifs (il y a tout de même bien peu de planètes dans cette galaxie fort lointaine). Plus embêtant dans ce roman écrit de manière efficace mais qui est cependant loin d’être stylistiquement un chef-d’œuvre, le lecteur sait parfois les choses avant les personnages (censés être des esprits plus que vifs). Le scénario est donc de ce fait perfectible, mais met cependant assez habilement en lumière le passage de la République à l’Empire, avec des politiques et des militaires qui restent loyaux envers l’Etat, quel que soit sa forme constitutionnelle sur fond de conquête des postes décisionnels par une coterie de natifs des mondes périphériques. La fin de la domination coloniale de Coruscant, la capitale, sur les mondes extérieurs habités plus tardivement, est aussi la fin de la République si l’on suit le discours que le sénateur Palpatine sert au jeune Tarkin quand il cherche à s’attacher ses services. Est-ce une intéressante critique du fédéralisme ou celle du centralisme toujours ennemi de la Liberté, dans un contexte bien évidemment étatsunien ?

Le lecteur non fan de l’univers ne trouvera que très peu de plaisir dans ce livre, avec un texte qui n’a pas pour ambition de marquer la littérature et n’a rien d’un roman psychologique (on est loin de Timothy Zahn dans le même univers). Le lecteur plus afin de l’univers créé par Georges Lucas aura plaisir à découvrir le contexte qui amène à la Rébellion, avec l’accent mis sur les chefs de l’Empire et leurs tensions, dans un univers plus numérique que celui imaginé en 1977.

(un Dark Vader qui semble dans ce roman légèrement introverti, mais ce n’est pas lui la vedette … 5)

Le petit guide à trimbaler de Philip K. Dick

Mini-guide sur l’œuvre et la postérité de Philip K. Dick par Etienne Barillier.

Pleins de mots qui devaient sortir de la tête.

Il avait toujours voulu être un écrivain réaliste et ne fut jamais un auteur de science-fiction. Et aujourd’hui, certains voient même en lui le Kafka de la deuxième partie du XXe siècle. S’il a pu soupçonner sur la fin de sa vie que son œuvre allait avoir des déclinaisons sur écran, il ne vécut que peu de temps de son œuvre : sa vie de bohème, dominée par les drogues diverses, ne l’aidait pas vraiment à faire durer les rares périodes de stabilité …

Ce petit livre compact qui ne fait pas mentir son titre est divisé en huit parties et une conclusion. Il débute avec une préface faite de dix questions que le lecteur peut se poser sur P. Dick, avec à chaque fois une réponse de l’auteur en moins d’une page. La partie suivante n’est pas, de manière inattendue, constituée par une biographie de P. Dick mais par une série de fiches sur les romans de l’auteur (des quelques 120 nouvelles écrites par le Californien, seules quelques-unes seront évoquées dans ce guide). La progression y est chronologique, mais de fait aussi agencée selon les différentes phases de la production dickienne, et s’achevant avec dix questions sur la monumentale Exégèse (et ses 8 000 pages).

La troisième partie est celle de la biographie, commençant avec les difficiles premières années (mort de sa sœur jumelle, séparation de ses parents), les personnes qui l’ont aidé ou influencé et se poursuivant avec ses débuts d’écrivains, ses premiers succès, sa reconnaissance comme auteur, ses différents mariages, les facteurs de stabilité et d’instabilité. Là encore, dix questions sur la vie de P. Dick permettent de se faire une très bonne, et précise idée, sur une vie assez autodestructrice.

Les trois chapitres suivants s’attaquent aux adaptations des écrits (et pas que les romans) de P. Dick. En premier lieu, au cinéma (même français, p. 125-126) et à la radio, avec un panorama très impressionnant et a priori exhaustif des films sortis ou en projet (jusqu’en 2012, donc sans l’adaptation en série du Maître au Haut-Château diffusée à partir de 2015 ), sans oublier les productions où P. Dick est lui-même un personnage. Puis E. Barrillier passe en revue les productions culturelles (avec en plus la BD et la musique) qu’il qualifie de dickiennes. Et enfin, de manière plus succincte dans la sixième partie, les adaptations en jeux vidéo.

L’avant-dernière composante est centrée sur les études se penchant sur P. Dick, avec des biographies, des sites internet, des documentaires, la correspondance, au cinéma et encore la fameuse Exégèse. Le livre s’achève avec des conseils de lectures, parmi les romans et parmi les nouvelles. Dans la conclusion, en une seule page, E. Barrillier fait part au lecteur du choc que fut pour lui la lecture d’Ubik et quels compagnons, toujours proches, sont pour lui les livres du grand Phil Dick.

Le principal problème à la lecture fut que l’exemplaire que j’avais entre les mains n’était pas complet. Il manquait en effet les pages 16 à 32, soit les dernières questions de la préface et l’analyse des premières œuvres. Embêtant … Nous espérons que ce n’est pas un mal qui a atteint tous les exemplaires imprimés. C’est sans doute le seul point noir de notre lecture. Tout est intéressant, pesé dans la critique comme dans la louange, sans admiration béate de la part d’E. Barrillier. Les séries de questions sont bien pensées, les commentaires des romans reprennent les notes des éditeurs ou de de l’agent littéraire (et c’est parfois sanglant, p. 35), l’intertextualité toujours bien en vue et les citations à propos (même si peut-être insuffisantes en nombre et un peu trop bouche-trous). L’auteur est aussi très renseigné sur le développement des projets sur écran, et même le théâtre est couvert par sa recherche !

En plus d’être très adapté au transport, c’est un livre érudit écrit par un passionné aux idées claires et au propos structuré qui s’offre au lecteur curieux. Une parfaite porte d’entrée pour une meilleure connaissance d’un auteur difficilement classable mais dont les accointances avec le roman réaliste et Kafka (il aimait faire le rapprochement avec son K personnel, p. 112) l’ont fait beaucoup aimer en France, où il fut très considéré dès 1972 (p. 111).

(mort en 1982, sa pierre tombale avait été gravée dès 1929 par des parents prévoyants mais peut-être un peu pessimistes … 7,5)

Chroniques martiennes

Il écoutait la terre sombre se recueillir dans l’attente du soleil, des pluies encore à venir. L’oreille collée au sol, il entendait le pas lointain des années futures et imaginait les graines semées du matin surgissant en pousses vertes, prenant possession du ciel, déployant une branche après l’autre, jusqu’à que Mars ne soit qu’une forêt l’après-midi, un verger resplendissant. (p. 124)

Recueil de nouvelles de science-fiction de Ray Bradbury.

Des canaux et presque des canoës.

D’abord, quelques mots sur le fait de classer ce recueil de nouvelles dans le genre science-fiction. L’auteur semblait refuser cette classification (dans ce même volume notamment), arguant que son œuvre était intemporelle et qu’il n’utilisait pas la technique comme explication du monde. D’un certain côté on peut lui donner raison, car l’intemporalité (ou la multitemporalité) est le fil directeur de ce livre, même si on ne peut mettre de côté que tout ceci se passe néanmoins sur une autre planète et que l’on y vient avec des fusées (même si on ne sait rien de ces fusées ni qui sont en vérité les Martiens).

Les Chroniques martiennes décrivent certains évènements qui se passent sur Mars entre janvier 20130 et octobre 2057. Le livre est introduit par quelques pages de R. Bradbury qui revient sur son livre en 1997, soit exactement cinquante ans après la première parution de ses nouvelles aux Etats-Unis. L’auteur y parle très clairement de créer une mythologie (tout en appréciant de toujours être invité à l’Institut de technologie de Californie). Suivent 28 nouvelles de longueurs très variables, dont la série débute avec le départ de la première fusée pour Mars à partir de l’Ohio puis l’arrivée sur Mars des premières expéditions, avant les premiers colons. La plupart des Martiens disparaissent en très grande partie (même si on en rencontre de temps en temps), et les colons se multiplient. Une fois les premières vagues passées, arrivent les premiers religieux (le très bon Les ballons de feu) mais aussi les minorités raciales, les minorités intellectuelles puis, enfin, les personnes âgées. Puis advient la guerre sur Terre et les colons retournent massivement sur la Terre. Ne restent que quelques rares individus qui assistent à un cataclysme sur Terre, voient les constructions terrienne tomber en ruine, tout comme revient l’expédition envoyée vers Jupiter. Enfin, une petite fusée familiale atterrit sur Mars, dans une dernière page d’une très grande beauté.

Le début du livre est troublant, presque angoissant, dans une ambiance crépusculaire, tant sur Terre que sur Mars, avec ce pressentiment de la fin (cette crépuscularité est instrumentalisée dans l’excellente nouvelle Usher II). L’intemporalité revendiquée par R. Bradbury apparaît cependant très vite au travers du parallèle que l’on peut très aisément faire entre ces chroniques et  l’histoire du continent nord-américain. Ces références sont d’abord implicites, avant d’être explicites (p. 104). Les conflits avec les locaux, l’arrivée des Pères pèlerins (le père Peregrine, référence plus que transparente, p. 144), la colonisation du Far West (p. 185) et son utilisation très préventive des armes, mais aussi le conservatisme moral (Usher II toujours). Le tout forme une critique assez acerbe de la société étatsunienne dans laquelle il vit, et surtout de son versant technophile, avec une peur nucléaire très présente (les dernières nouvelles datent de 1949, année de l’explosion de la première bombe nucléaire soviétique). Il n’y a rien à jeter dans ces nouvelles, dont certaines servent de transitions, écrites de manière magnifique, sur un mode très souvent poétique (pour lequel il faut aussi remercier le traducteur). Aux deux nouvelles déjà mentionnées, il faut ajouter à celles qui nous ont le plus plu Viendront de douces pluies (qui conte la destruction d’une maison entièrement domotisée), Pique-nique dans un million d’années (la nouvelle finale), Rencontre nocturne (entre un Martien et un Terrien) et Tout là-haut dans le ciel (sur les Noirs étatsuniens dans le Vieux Sud qui partent pour Mars). On remarquera aussi l’annonce de Fahrenheit 451, qui paraît en 1953 (p. 210 et 214) avec les livres que l’on brule sur Terre (dans la nouvelle Usher II, qui est un hymne adressé à Edgar Allan Poe et au fantastique).

Ce recueil est-il inférieur à Fahrenheit 451 (chroniqué sur Casalibri en 2009) ? Il ne nous semble pas. Il n’a certes ni l’unicité, ni le côté dystopique, ni encore la puissance de l’hommage à la littérature, mais ce recueil a pour lui la poésie, une pointe d’humour de temps à autre (Les villes muettes), la multiplicité des narrateurs, et malgré tout, un petit peu plus d’optimisme.

(Viendront de douces pluies, sous son vernis humoristique, recèle de glaçantes pépites … 8,5)