Tarkin

Roman de science-fiction dans le monde de Star Wars par James Luceno. Publié en français avec le même titre.

Raide comme l’injustice.

James Luceno est déjà un vieux routier du monde de Star Wars, avec une production débutant bien avant le rachat de Lucas Arts par Disney (qui, rappelons-le, a conduit à la mise sur le côté de pans entier de la production artistique autour des films). Après une participation, entre autres, au Cycle du Nouvel Ordre Jedi, Disney lui a donc confié la novellisation/contextualisation de la nouvelle trilogie et des films connexes. Avant Catalyseur  (prenant place avant Rogue One avec de très nombreux personnages communs), J. Luceno a donc écrit en 2014 un roman autour du personnage du Grand Moff Tarkin, le commandant de l’Etoile de la Mort qui meurt dans cette dernière lors de la bataille de Yavin (Episode IV).

Le roman débute avec l’attaque par un assaillant non-identifié de la base de l’Empire qui protège le site de construction de l’Etoile de la Mort. Tarkin déjoue le piège tendu mais sent bien que ce n’est pas la dernière fois que cet assaillant fera parler de lui. La capitale impériale est alertée et convoque Tarkin séance tenante pour lui confier l’enquête visant à démasquer ce groupe et à les châtier en en faisant un exemple. Mais il ne mènera pas seul ses investigations, puisqu’il doit faire équipe avec Dark Vador. Notre couple associant carpe et lapin démarre donc son enquête et remarque bien vite qu’ils ont toujours un temps de retard sur les dissidents.  Est-ce uniquement du aux capacités techniques hors-normes des pirates ? Toujours est-il qu’au cours de l’enquête reviennent à l’esprit du héros de nombreux souvenirs de son enfance et de son adolescence sur la planète Eriadu, sur l’enseignement survivaliste qu’il a reçu jusqu’au rite initiatique final.

Nous avons lu ce roman de 370 pages dans sa traduction allemande (et encore nos remerciements au généreux donateur qui se reconnaîtra). L’auteur fait le travail, en brossant le portrait d’un personnage très apprécié des fans, surtout parce qu’il apparaît très peu à l’écran mais montre dans ce cours laps de temps le pouvoir qu’est le sien. Le portrait est sans grande aspérité ni surprise majeure, avec comme hélas très souvent dans les œuvres estampillées Star Wars les mêmes lieux et les mêmes motifs (il y a tout de même bien peu de planètes dans cette galaxie fort lointaine). Plus embêtant dans ce roman écrit de manière efficace mais qui est cependant loin d’être stylistiquement un chef-d’œuvre, le lecteur sait parfois les choses avant les personnages (censés être des esprits plus que vifs). Le scénario est donc de ce fait perfectible, mais met cependant assez habilement en lumière le passage de la République à l’Empire, avec des politiques et des militaires qui restent loyaux envers l’Etat, quel que soit sa forme constitutionnelle sur fond de conquête des postes décisionnels par une coterie de natifs des mondes périphériques. La fin de la domination coloniale de Coruscant, la capitale, sur les mondes extérieurs habités plus tardivement, est aussi la fin de la République si l’on suit le discours que le sénateur Palpatine sert au jeune Tarkin quand il cherche à s’attacher ses services. Est-ce une intéressante critique du fédéralisme ou celle du centralisme toujours ennemi de la Liberté, dans un contexte bien évidemment étatsunien ?

Le lecteur non fan de l’univers ne trouvera que très peu de plaisir dans ce livre, avec un texte qui n’a pas pour ambition de marquer la littérature et n’a rien d’un roman psychologique (on est loin de Timothy Zahn dans le même univers). Le lecteur plus afin de l’univers créé par Georges Lucas aura plaisir à découvrir le contexte qui amène à la Rébellion, avec l’accent mis sur les chefs de l’Empire et leurs tensions, dans un univers plus numérique que celui imaginé en 1977.

(un Dark Vader qui semble dans ce roman légèrement introverti, mais ce n’est pas lui la vedette … 5)

Le petit guide à trimbaler de Philip K. Dick

Mini-guide sur l’œuvre et la postérité de Philip K. Dick par Etienne Barillier.

Pleins de mots qui devaient sortir de la tête.

Il avait toujours voulu être un écrivain réaliste et ne fut jamais un auteur de science-fiction. Et aujourd’hui, certains voient même en lui le Kafka de la deuxième partie du XXe siècle. S’il a pu soupçonner sur la fin de sa vie que son œuvre allait avoir des déclinaisons sur écran, il ne vécut que peu de temps de son œuvre : sa vie de bohème, dominée par les drogues diverses, ne l’aidait pas vraiment à faire durer les rares périodes de stabilité …

Ce petit livre compact qui ne fait pas mentir son titre est divisé en huit parties et une conclusion. Il débute avec une préface faite de dix questions que le lecteur peut se poser sur P. Dick, avec à chaque fois une réponse de l’auteur en moins d’une page. La partie suivante n’est pas, de manière inattendue, constituée par une biographie de P. Dick mais par une série de fiches sur les romans de l’auteur (des quelques 120 nouvelles écrites par le Californien, seules quelques-unes seront évoquées dans ce guide). La progression y est chronologique, mais de fait aussi agencée selon les différentes phases de la production dickienne, et s’achevant avec dix questions sur la monumentale Exégèse (et ses 8 000 pages).

La troisième partie est celle de la biographie, commençant avec les difficiles premières années (mort de sa sœur jumelle, séparation de ses parents), les personnes qui l’ont aidé ou influencé et se poursuivant avec ses débuts d’écrivains, ses premiers succès, sa reconnaissance comme auteur, ses différents mariages, les facteurs de stabilité et d’instabilité. Là encore, dix questions sur la vie de P. Dick permettent de se faire une très bonne, et précise idée, sur une vie assez autodestructrice.

Les trois chapitres suivants s’attaquent aux adaptations des écrits (et pas que les romans) de P. Dick. En premier lieu, au cinéma (même français, p. 125-126) et à la radio, avec un panorama très impressionnant et a priori exhaustif des films sortis ou en projet (jusqu’en 2012, donc sans l’adaptation en série du Maître au Haut-Château diffusée à partir de 2015 ), sans oublier les productions où P. Dick est lui-même un personnage. Puis E. Barrillier passe en revue les productions culturelles (avec en plus la BD et la musique) qu’il qualifie de dickiennes. Et enfin, de manière plus succincte dans la sixième partie, les adaptations en jeux vidéo.

L’avant-dernière composante est centrée sur les études se penchant sur P. Dick, avec des biographies, des sites internet, des documentaires, la correspondance, au cinéma et encore la fameuse Exégèse. Le livre s’achève avec des conseils de lectures, parmi les romans et parmi les nouvelles. Dans la conclusion, en une seule page, E. Barrillier fait part au lecteur du choc que fut pour lui la lecture d’Ubik et quels compagnons, toujours proches, sont pour lui les livres du grand Phil Dick.

Le principal problème à la lecture fut que l’exemplaire que j’avais entre les mains n’était pas complet. Il manquait en effet les pages 16 à 32, soit les dernières questions de la préface et l’analyse des premières œuvres. Embêtant … Nous espérons que ce n’est pas un mal qui a atteint tous les exemplaires imprimés. C’est sans doute le seul point noir de notre lecture. Tout est intéressant, pesé dans la critique comme dans la louange, sans admiration béate de la part d’E. Barrillier. Les séries de questions sont bien pensées, les commentaires des romans reprennent les notes des éditeurs ou de de l’agent littéraire (et c’est parfois sanglant, p. 35), l’intertextualité toujours bien en vue et les citations à propos (même si peut-être insuffisantes en nombre et un peu trop bouche-trous). L’auteur est aussi très renseigné sur le développement des projets sur écran, et même le théâtre est couvert par sa recherche !

En plus d’être très adapté au transport, c’est un livre érudit écrit par un passionné aux idées claires et au propos structuré qui s’offre au lecteur curieux. Une parfaite porte d’entrée pour une meilleure connaissance d’un auteur difficilement classable mais dont les accointances avec le roman réaliste et Kafka (il aimait faire le rapprochement avec son K personnel, p. 112) l’ont fait beaucoup aimer en France, où il fut très considéré dès 1972 (p. 111).

(mort en 1982, sa pierre tombale avait été gravée dès 1929 par des parents prévoyants mais peut-être un peu pessimistes … 7,5)

Chroniques martiennes

Il écoutait la terre sombre se recueillir dans l’attente du soleil, des pluies encore à venir. L’oreille collée au sol, il entendait le pas lointain des années futures et imaginait les graines semées du matin surgissant en pousses vertes, prenant possession du ciel, déployant une branche après l’autre, jusqu’à que Mars ne soit qu’une forêt l’après-midi, un verger resplendissant. (p. 124)

Recueil de nouvelles de science-fiction de Ray Bradbury.

Des canaux et presque des canoës.

D’abord, quelques mots sur le fait de classer ce recueil de nouvelles dans le genre science-fiction. L’auteur semblait refuser cette classification (dans ce même volume notamment), arguant que son œuvre était intemporelle et qu’il n’utilisait pas la technique comme explication du monde. D’un certain côté on peut lui donner raison, car l’intemporalité (ou la multitemporalité) est le fil directeur de ce livre, même si on ne peut mettre de côté que tout ceci se passe néanmoins sur une autre planète et que l’on y vient avec des fusées (même si on ne sait rien de ces fusées ni qui sont en vérité les Martiens).

Les Chroniques martiennes décrivent certains évènements qui se passent sur Mars entre janvier 20130 et octobre 2057. Le livre est introduit par quelques pages de R. Bradbury qui revient sur son livre en 1997, soit exactement cinquante ans après la première parution de ses nouvelles aux Etats-Unis. L’auteur y parle très clairement de créer une mythologie (tout en appréciant de toujours être invité à l’Institut de technologie de Californie). Suivent 28 nouvelles de longueurs très variables, dont la série débute avec le départ de la première fusée pour Mars à partir de l’Ohio puis l’arrivée sur Mars des premières expéditions, avant les premiers colons. La plupart des Martiens disparaissent en très grande partie (même si on en rencontre de temps en temps), et les colons se multiplient. Une fois les premières vagues passées, arrivent les premiers religieux (le très bon Les ballons de feu) mais aussi les minorités raciales, les minorités intellectuelles puis, enfin, les personnes âgées. Puis advient la guerre sur Terre et les colons retournent massivement sur la Terre. Ne restent que quelques rares individus qui assistent à un cataclysme sur Terre, voient les constructions terrienne tomber en ruine, tout comme revient l’expédition envoyée vers Jupiter. Enfin, une petite fusée familiale atterrit sur Mars, dans une dernière page d’une très grande beauté.

Le début du livre est troublant, presque angoissant, dans une ambiance crépusculaire, tant sur Terre que sur Mars, avec ce pressentiment de la fin (cette crépuscularité est instrumentalisée dans l’excellente nouvelle Usher II). L’intemporalité revendiquée par R. Bradbury apparaît cependant très vite au travers du parallèle que l’on peut très aisément faire entre ces chroniques et  l’histoire du continent nord-américain. Ces références sont d’abord implicites, avant d’être explicites (p. 104). Les conflits avec les locaux, l’arrivée des Pères pèlerins (le père Peregrine, référence plus que transparente, p. 144), la colonisation du Far West (p. 185) et son utilisation très préventive des armes, mais aussi le conservatisme moral (Usher II toujours). Le tout forme une critique assez acerbe de la société étatsunienne dans laquelle il vit, et surtout de son versant technophile, avec une peur nucléaire très présente (les dernières nouvelles datent de 1949, année de l’explosion de la première bombe nucléaire soviétique). Il n’y a rien à jeter dans ces nouvelles, dont certaines servent de transitions, écrites de manière magnifique, sur un mode très souvent poétique (pour lequel il faut aussi remercier le traducteur). Aux deux nouvelles déjà mentionnées, il faut ajouter à celles qui nous ont le plus plu Viendront de douces pluies (qui conte la destruction d’une maison entièrement domotisée), Pique-nique dans un million d’années (la nouvelle finale), Rencontre nocturne (entre un Martien et un Terrien) et Tout là-haut dans le ciel (sur les Noirs étatsuniens dans le Vieux Sud qui partent pour Mars). On remarquera aussi l’annonce de Fahrenheit 451, qui paraît en 1953 (p. 210 et 214) avec les livres que l’on brule sur Terre (dans la nouvelle Usher II, qui est un hymne adressé à Edgar Allan Poe et au fantastique).

Ce recueil est-il inférieur à Fahrenheit 451 (chroniqué sur Casalibri en 2009) ? Il ne nous semble pas. Il n’a certes ni l’unicité, ni le côté dystopique, ni encore la puissance de l’hommage à la littérature, mais ce recueil a pour lui la poésie, une pointe d’humour de temps à autre (Les villes muettes), la multiplicité des narrateurs, et malgré tout, un petit peu plus d’optimisme.

(Viendront de douces pluies, sous son vernis humoristique, recèle de glaçantes pépites … 8,5)