Roman d’aventure par un collectif d’auteurs grecs, dont au moins un aveugle.
Les suites sont moins bonnes, c’est une loi d’airain. Après avoir fait un premier long poème sur le thème de la bouderie, le même collectif HObonneMERE nous propose un second poème sur la vengeance. Mais avant que le héros puisse assouvir sa soif de sang et de cervelle éparpillée dans son palais, il lui faut revenir à la maison. Chose peu aisée, qui lui prend dix années, dont la majorité en captivité chez deux femmes, Circée et Calypso. Faire entrer un cheval en bois dans une citadelle ça va, prendre congé après une rencontre c’est plus difficile. Il faut noter qu’à Ithaque, Télémaque ne reste pas inactif et cherche des renseignements sur le sort de son père une fois qu’il est assez grand. Pour cela, il rend visite à deux anciens combattants de la guerre de Troie, Nestor à Pylos et Ménélas à Lacédémone, avec le soutien très actif d’Athéna qui le protège des projets meurtriers de ceux qui courtisent sa mère. Ulysse visite les Enfers, rencontre les Lotophages, perd son équipage petit à petit, mais arrive finalement chez les Phéaciens. Ces derniers, après avoir écouté le récit de ses aventures, lui font de somptueux cadeaux et le ramènent sur Ithaque. Mais instruit par le devin Tirésias en la Maison d’Hadès, il prend ses renseignements incognito (mais toujours avec l’aide constante d’Athéna), se fait passer pour un mendiant avant de finalement faire l’aumône dans son propre palais. Après quelques jours durant lesquels il doit faire appel à tout son self-control, Pénélope propose en fin, de guerre lasse, un concours dont elle épousera le vainqueur : bander l’arc d’Ulysse, puis faire passer une flèche au travers de douze haches. La promesse d’un final à la Tarantino. Qui ne sera pas la fin …
Deux salles deux ambiances chez Homère. L’Iliade, c’est beaucoup de combat dans une ambiance de film de sabres japonais. L’Odyssée fait plus dans les vacances au soleil qui tournent mal : accidents, bagages perdus, compagnons qui font des conneries et disparaissent, beuveries aux conséquences navrantes, locaux antipathiques ou apathiques, chanteurs en cheville avec des naufrageurs … Mais il y a aussi un double voyage, l’un vers sa demeure, l’autre vers la sortie de l’enfance, ce qui est justement à quoi à servi ce texte durant au moins un millénaire. Plusieurs points saillent après cette lecture, toujours dans l’édition de 1961 (Meunier/Sulliger, comme l’Iliade). Ulysse n’est pas toujours d’une folle gratitude (chant XIII, quand les Phéaciens l’ont ramené chez lui et qu’il les soupçonne de ne pas tout avoir débarqué ce qui lui a été donné) et qu’il n’hésite pas dans la justice expéditive : les servantes qui se sont acoquinées avec les prétendants en l’absence du maître sont immédiatement pendues et un berger torturé. Et il raconte des mensonges jusqu’au bout, y compris à son vieux père, avant de réaliser que cela ne sert à rien (ce qui est dramatiquement fort néanmoins). Enfin Pénélope est placée sur le plan de la sagesse au même niveau qu’Ulysse quand les deux se retrouvent. Du côté du texte, on reste dans une traduction datée mais qui a eu l’effet positif de nous apprendre des mots comme « au pourchas » (la poursuite, qui donne pourchasser) ou ce que sont des « ais » (planches). Le choix du mot haruspice pour devin remplit peut-être une fonction métrique dans le texte mais est très déplacé dans le contexte mycénien (p. 859). Mais il y a un rythme et une excellente montée en tension avec les prétendants, sans que tout soit joué ni facile pour Ulysse ou Télémaque. Sans Athéna aux yeux pers …
(Ulysse est déjà de retour à Ithaque à la moitié du livre, au chant XIII …8)
Epopée par un collectif d’auteurs grecs, dont au moins un aveugle.
Atride ! quelle parole a fui la barrière de tes dents ? IV, 344
Gilles (à prononcer de manière germanique, ‘Chill) est un chef de bande de Myrmidons à qui un chef de bande plus puissant a repris un cadeau (parce qu’il avait dû contraint et forcé rendre le sien …). Donner c’est donner, reprendre c’est voler, se dit Gilles, et il en conçoit une très grande colère et veut ravoir sa fille aux jolies joues. En conséquence, lui et ses amis restent chez eux et ne participent plus aux algarades qui opposent les bandes de Danaens aux bandes troyennes. Mais comme Gilles est de loin le meilleur combattant (et bénéficiant d’appuis politiques au plus haut niveau politique olympique), lesdits Danaens se retrouvent vite en fâcheuses postures et presque expulsés de leur territoire en bord de mer (du côté d’Antalya). La méchante bouderie ne prend fin que quand son second est tué avec ses armes (cela arrive normalement plus tôt dans un bon scénario) et que le grand boss lui rend son cadeau. Et c’est le chef des bandes troyennes qui trinque à la fin.
Classique des classiques, fondement de la culture grecque et par là donc, méditerranéenne, l’Iliade est une lecture imposée à tout historien antiquisant. Et puis de temps en temps, une petite relecture … Le « de temps en temps » a été un brin long, il nous faut l’avouer. Mais le hasard nous a envoyé un petit rappel, avec la découverte fortuite en pleine rue, à l’étranger, d’un volume en papier bible d’une édition de 1961 réunissant l’Iliade et l’Odyssée. L’occasion de juger de la traduction dans une édition (M. Meunier à la traduction et J. Sulliger pour l’introduction) qui n’a pas été faite pour gagner de nouveaux lecteurs en leur fournissant des explications une fois dépassée une introduction de bon aloi, mais courte. La traduction en elle-même est parfois incompréhensible (Arès qualifié d’«évaporé ») mais elle n’est finalement pas plus mauvaise que d’autres, avec ses tournures déjà datées en 1961. La traduction de Leconte de l’Isle (1886) avec sa mise à distance par les noms propres (Aias, Hèktôr …) ne nous semble pas supérieure.
Quelques éléments nous ont cette fois-ci particulièrement marqué. Le premier est la forte particularité graphique et cinématographique des blessures. Il est même dit que le talon de la lance tremble au rythme des battements de cœur (XIII, 438) ! Le second est la scène du chant VI avec Andromaque, Hector et leur fils Astyanax, scène touchante et intemporelle où Hector enlève son casque pour embrasser son fils apeuré. Troisièmement, la brièveté du combat entre Achille et Hector (surtout si on le compare au passage sur les jeux funèbres de Patrocle). Patrocle aussi, quatrièmement, que l’on ne prend jamais pour Achille (à l’encontre de nos souvenirs) quand il porte ses armes.
Il y a une suite. Nous savons comment sont les suites.
Recueil d’articles sur la mythologie indo-européenne et son versant romain par Dominique Briquel.
Comme D. Briquel le rappelle souvent, il n’y a pas de mythologie romaine comme il y a, par exemple, une mythologie grecque. Chez ces habitants du Nord-Latium (et peut-être même chez tous les Latins), la mythologie, d’où d’ordinaire les simples mortels sont exclus, s’est légendarisée et a pris divers traits dans l’histoire ancienne de l’Urbs. Les schémas mythologiques indo-européens se retrouvent, pour ainsi dire, non chez Hésiode mais chez Thucydide. Ne s’étant pas arrêté à la figure de Romulus et ses actions, l’auteur s’interroge depuis six décennies sur ce que les Romains ont conservé du fond commun mythologique indo-européen et ce livre en présente un aspect en reproduisant 21 articles (dont certains inédits) écrits entre 1976 et 2021. Reprenant la méthode dumézilienne, il n’hésite pas pour autant à amender le grand comparatiste qu’il a personnellement connu.
Ces articles se répartissent en trois thèmes, à chaque fois précédés d’une présentation. Le premier est celui du combat des dieux, commandant la mise en place du monde et son devenir. Il y est bien entendu question du Ragnarök (comparé au Mahabharata et au mythe de Prométhée) mais aussi de la place qu’occupe le sanctuaire de Saturne en lien avec le sanctuaire de Jupiter sur le Capitole ainsi que les adversaires de Zeus lors de sa montée sur le trône des dieux. On peut aussi lire les premières ébauches de thèmes qui deviendront des livres par la suite : la naissance de la république romaine comme avènement d’un monde parfait, mais aussi la prise de Rome par les Gaulois (390 a.C. selon la tradition) comme retranscription de la bataille finale des dieux.
Le second thème est celui du feu dans l’eau, apanage royal et signe de son pouvoir. D. Briquel y compare comment sont contés la prise de Babylone par Cyrus le Grand et la conquête de Veies (en 396 a.C. selon la tradition), ce qu’il faut comprendre de la punition de l’Hellespont par Xerxès au prisme du feu dans l’eau mais aussi comment il faut voir les Vieux de la Mer et Poséidon dans une optique indo-européenne. Un autre article détaille le lien qui unit le roi de Rome Tarquin l’Ancien à Vulcain (un dieu pas uniquement lié à Romulus donc), avant de commenter le devenir des biens des Tarquins après leur exil avec la création de la république. Pour clore cette partie, l’auteur se penche sur une possible influence indo-européenne dans la Bible avec le combat de Jacob contre Dieu et le passage du fleuve Yabboq (Genèse 32, 23-32).
Le dernier thème s’intéresse à diverses divinités et héros, dans le but de clarifier la personnalité de Quirinus (le troisième membre de la triade précapitoline avec Jupiter et Mars et dieu de la troisième fonction patronant les citoyens) mais aussi de Hermès, dieu paradoxal et pas toujours aimable mais qui n’endosse pas pour autant le destin de Loki, autre figure divine/démoniaque truqueuse. D. Briquel porte aussi la lumière dans la fin de l’ouvrage sur certaines caractéristiques calendaires à Rome et leurs significations avant de passer à l’étude de deux visions du féminin à Rome, celle associant la matrone idéale Lucrèce et Junon faisant face à celle liant la jeune Clélie et Diane. Enfin, le volume s’achève en livrant au lecteur quelques remarques comparatives sur le mythe de Hercule et Cacus, situé sur le site de la future Rome. Avec une bibliographie très robuste s’achève ce recueil de 460 pages de texte qui avait commencé avec une courte préface de John Scheid et une introduction.
Pour nous qui avons une connaissance très limitée des textes de l’Inde védique, il y a toujours à découvrir dans les comparaisons de D. Briquel. Mais dans ce livre, ces découvertes ont aussi concerné la place de Prométhée, dont les actions en tant que participant à une bataille divine au côté de Zeus nous avait échappé. Il y a bien évidemment des redites, mais que nous avons remarqué uniquement parce que nous lisons en un temps resserré plusieurs articles unis par une thématique mais qui ont été écrits à des années ou des décennies d’écart. Les trop nombreuses erreurs typographiques ont par contre un peu moins d’excuses, surtout au vu du prix du livre.
Plusieurs points saillent dans ce contenu dense, plaisant à lire et bien entendu plus que solidement documenté. Le premier est dans la première partie l’importance du passage entre la monarchie dite varunienne et celle mitréenne, entre Cronos et Zeus ou Saturne et Jupiter (p. 75 par exemple), c’est-à-dire le passage de la force brute et aveugle à la souveraineté aidée de la Loi, qui comme les mythes de premier sacrifice (parfois en lien avec un mythe de razzia de bovidés) marquent le début de la civilisation. Le second est l’article sur Xerxès, une explication que nous aurions aimé connaître plus tôt. Ces aspects de maîtrise des eaux comme marque du souverain (et pas uniquement le souverain perse ou en Perse) sont pourtant fondamentaux dans la compréhension de nombreux épisodes de l’histoire grecque (mais aussi romaine ou même germanique comme l’explore le présent livre). Le parallèle entre l’Or du Rhin de la légende germanique et le blé des Tarquins nous a aussi surpris (et marqué). Moins surprenantes, les pages sur la Diane « hors cité », le Rex nemorensis (p. 413-413) mais aussi les trois types de feu (connus pour l’Inde mais moins facilement identifiables à Rome, p. 452-453) et le paradoxe qu’est Hermès nous ont aussi particulièrement plus.
Encore de bons moments comparatistes, où l’on peut suivre au long cours la pensée d’un grand savant.
(l’Or du Rhin, c’est une question de pouvoir, pas d’avarice …8,5)
Manuel de culture gauloise par Jean-Louis Brunaux.
Si aujourd’hui certains d’entre eux sont réfractaires, les Gaulois de l’Antiquité sont surtout remuants. Du moins selon les Romains et les Grecs (et beaucoup d’autres), qui apprécièrent modérément leurs promenades armées jusque dans leurs sanctuaires. Un effet parfois envahissant d’une grande curiosité, un trait qui leur est déjà reconnu par les auteurs antiques. Cette caractéristique n’est pas la première que le grand public leur attribue de nos jours, et c’est ce que J.-L. Brunaux veut faire changer avec ce livre.
Le premier chapitre brosse rapidement l’histoire des Gaules, du rapport entre Celtes et Gaulois à la fin de l’Age du Bronze à la fin de l’indépendance au milieu du premier siècle avant notre ère, en passant par les mouvements de populations au sein des Gaules. Suit la géographie, caractérisée par de fréquents mouvements de populations (dont le plus célèbre est celui des Helvètes qui déclenche l’intervention de César en -58). L’Italie du Nord, la Grèce et l’Anatolie ne sont pas oubliées. L’organisation territoriale des cités est abordée en fin de chapitre, soulignant la faible urbanisation des Gaules mais aussi l’apparition tardive des places fortes (oppida).
L’auteur s’intéresse ensuite aux aspects sociaux, allant de la tribu à la cité, puis détaillant divers groupes (druides, guerriers, plèbe, esclaves) avant de considérer les formes politiques et les institutions rapportées par les sources (royauté, assemblées, magistratures). Quelques pages sont dévolues à la justice, aux finances et à la guerre. Le chapitre suivant commence par la guerre comme activité économique avant de présenter quelques points saillant de cette même économie gauloise (artisanat, commerce, mines).
Continuant sur le chemin allant du macro vers le micro, l’auteur explore ensuite la psyché gauloise, principalement ce que seraient les conceptions gauloises du temps et de l’espace. Le sixième chapitre veut aller plus avant en décrivant la religion gauloise, en tentant de déterminer ses principes sans aller dans les détails de chaque aspect local. Puis J.-L. Brunaux tente de parler langue et littérature gauloise, arts et loisirs avant d’achever ce manuel de manière assez abrupte (sans conclusion) avec quelques facettes de la vie privée (onomastique, habitat, famille, sexualité, soin du corps, éducation et costume).
Des annexes fournies complètent ce livre, avec quelques biographies de gaulois d’après nos sources, une chronologie, les cités connues, des cartes, un précis sur les sources, une bibliographie indicative et deux index. L’ouvrage est assez généreusement illustré dans le texte.
Mais toute cette prodigalité dans les annexes ne suffit hélas pas. Elle ne sauve pas ce livre de très nombreuses faiblesses. La première d’entre elles, c’est que c’est assez mal écrit. Tout n’y est vraiment pas clair, et c’est très frappant dans le chapitre historique. Confus, imprécis, le tout manque aussi de datation. Et la relecture n’a vraisemblablement pas eue lieu (des redites, des erreurs typographiques) …
Le second problème est celui des affirmations dont on peine à voir le soubassement. Certes, il est fait le choix ici de produire un livre grand public, avec conséquemment un appareil critique très léger. Mais l’auteur ne nous dit que très très rarement sur quoi il se base, pour par exemple autant mettre en avant les druides comme éléments rationnels (scientifiques) et rationalisateurs de la religion gauloise. En quoi est-ce un problème si les Gaulois ne sont pas entièrement rationnels (selon nos standards) ? L’irrationnalité des Grecs, que J.-L. Brunaux veut absolument voir comme les plus proches parents des Gaulois (même, très étrangement, linguistiquement p. 303) est quelque chose d’accepté depuis des décennies dans le monde universitaire. On peut encore voir cette volonté de grécisation dans d’autres domaine (fortification de la Heunebourg p. 25, comparaison avec Delphes p. 152), par une comparaison homérique très forcée (p. 306) ou par une propension à voir des bataillons sacrés à la thébaine dans toute la Gaule (p. 381). Quant à la lourde insistance sur le pythagorisme de la p. 385 …
L’auteur semble aussi avoir une conception mouvante de l’homme libre en Gaule, refuse les motifs communs indo-européens en bloc (limite infréquentables p. 24), et use de la proto-urbanisation nébuleuse (p. 45).
J.-L. Brunaux semble aussi avoir écrit son livre comme une sorte de collection de silos. Il y a de nombreuses redites, avec le problème additionnel que l’auteur peut se contredire. C’est le cas avec une tradition trévire aux pages 147, 155 et 410.
On en vient donc naturellement à devoir seulement donner crédit à l’auteur sur sa spécialité première, ce pourquoi il est devenu célèbre : la civilisation matérielle gauloise. Mais même sur les chars, nous sommes amenés à douter très fortement, pour la simple raison que la géographie gauloise ne permet pas le combat de char à l’égyptienne (p. 155). Et pourquoi les centaines de milliers de monnaies retrouvées par les archéologues ne serviraient à rien dans les échanges commerciaux (p. 200-201, d’autres zones géographiques semblent cependant y arriver) ?
L’auteur a-t-il voulu trop en faire, trop en dire, donnant ainsi ce sentiment d’inachevé ? Ce livre n’est pas sans atouts (le semi-nomadisme gaulois, le calendrier par exemple) mais les points négatifs l’emportent cette fois-ci …
(la guerre est-elle vraiment, comme à la p. 381, l’oubli de toutes les lois ? … 4)
Der Siegeszug der Archäologie
Essai de vulgarisation archéologique sous la direction de Hans Hillrichs.
Le titre du livre nous avait tout de même bien égaré. Non qu’il soit faux, puisque l’on parle bel et bien de Troie dans ce livre, mais ce n’est pas le seul sujet du livre. Issu d’une série télévisée sur les sites archéologiques emblématiques, ce livre permet à la fois la découverte de sites archéologiques légendaires sur trois continents ainsi que la figure de leurs découvreurs mais aussi l’évolution des techniques de l’archéologie depuis la fin du XVIIIe siècle. Six sites, avec leurs aires civilisationnelles, sont concernés : Pompéi, Saqqarah, Palenque, Troie, Machu Picchu et Harappa.
Richement illustré, ce livre débute avec une très courte introduction qui présente les six chapitres. Puis vient Pompéi, ou la transformation d’une catastrophe en une énorme chance pour l’archéologie. Site redécouvert au XVIe siècle, son « exploitation » ne démarre qu’à la fin du XVIIIe siècle. Encore aujourd’hui, la ville est loin d’être entièrement fouillée mais heureusement, les techniques ont grandement évolué et lointaine est l’époque où on l’on minait plus Pompéi pour ses trésors que l’on en faisait une étude raisonnée.
Le second chapitre passe en Egypte et conte les vies de deux égyptologues du milieu du XIXe siècle, Auguste Mariette et Heinrich Brugsch. La découverte du Serapeum de Saqqarah est au centre de l’article avec la fondation du Service égyptien des Antiquités qui met fin au pillage des artefacts de l’Egypte ancienne par les puissances européennes. Plus triste, le livre rappelle que la crue du Nil qui a submergé le premier musée cairote des antiquités égyptiennes a détruit les notes de fouilles de A. Mariette, dont une très grande majorité de choses jamais publiées.
La chapitre suivant nous transporte en Amérique du Nord, auprès des Mayas. Si certaines choses sont documentées au XVIe siècle, elles tombent dans l’oubli des remises de bibliothèques pour ne réapparaître qu’au XXe siècle. L’archéologie mésoaméricaine ne bénéficie pas uniquement du déchiffrement des hiéroglyphes mayas, elle tire aussi d’autres avantages de la modernité grâce à l’aviation (C. Lindbergh photographie depuis les airs la ville d’El Mirador en 1930) et à la plongée subaquatique (dès 1904 un plongeur grec explore le cénote sacré de Chichen Itza, p. 172).
Puis enfin, dans le chapitre suivant, Troie. On suit bien évidemment Heinrich Schliemann, ce passionné qui a non seulement fouillé Troie mais aussi Mycènes. Mais on apprend aussi que les fouilles troyennes ne prennent pas fin avec H. Schliemann. En 1988, la physionomie de la ville du Bronze ancien change radicalement, avec la découverte de la ville basse : la ville haute, la forteresse fouillée par Schliemann, fait 20 000 m2 tandis que la ville basse avoisine les 180 000 m2. La ville était bel et bien un centre commercial de grande importance, avec peut-être 12 000 habitants (p. 228).
Dans le cinquième chapitre, le lecteur accompagne Hiram Bingham III dans sa découverte du Machu Picchu en 1911. Le fils de missionnaires hawaïens parvient à être envoyé au Pérou pour y explorer la vallée de l’Urubamba (le but de cet enseignant de Yale était de gravir le sommet du Coropuna, en passant). La découverte de la cette résidence royale perchée à 600 m mètres au-dessus du fleuve ne compte pas pourtant parmi les découvertes les plus importantes de l’expédition pour la presse, pas plus que pour son découvreur scientifique (la découverte de Vilcabamba, la dernière capitale inca, fait bien plus de bruit). Il l’identifie même comme le lieu mythique de l’origine des Incas (p. 287), une théorie qu’il ne reniera jamais.
Le dernier chapitre s’intéresse à la ville de Harappa, le site le moins connu de tous ceux déjà évoqués dans ce livre. La ville se situe dans la vallée de l’Indus, dans l’actuel Pakistan. En 1924, c’est le directeur du Service des antiquités du Raj qui fait l’annonce de la découverte d’une ville de briques qui fleurit au milieu du troisième millénaire avant J.-C., puis d’une civilisation toute entière dans la vallée de l’Indus. Les recherches subséquentes feront perdre son caractère irénique à cette culture, mais pas les preuves d’un très haut niveau de gestion de l’eau et du bâti. Reste à savoir, comme le souhaitent ardemment les nationalistes locaux, si cette culture possédait une écriture, ce qui ne semble pas assuré et disputé encore aujourd’hui. Une très petite conclusion, les biographies des auteurs, une bibliographie indicative et un index concluent cet ouvrage.
Si l’importance des sites pour l’histoire générale de l’archéologie est justement soulignée, on a tout de même eu à exprimer quelques regards interrogatifs. Cet antinéronisme irréfléchi qui se perpétue au XXIe siècle est tout à fait déplacé (p. 63), sans parler de la confusion évidente de voir Sylla agir sous le principat (p. 38). La présentation historique est incomplète, mais dans ce cas, il est plus difficile de faire œuvre d’exhaustivité. Et de là à qualifier les Grecs du XIIIe siècle avant J.-C. de grande puissance (p. 200) … Le livre est très richement illustré, notamment avec des photos du tournage de la série documentaire, ce qui ne manque pas d’intérêt. Mais toutes ces illustrations ne sont pas de qualité, certaines (p. 344 ou encore p. 346) étant vraiment en dessous de tout. Très inégal. On retiendra surtout du livre sa présentation très plaisante d’archéologues d’importance à la vie bien remplie (Mortimer Wheeler, en plus d’être archéologue et conservateur, a eu le temps de devenir général de brigade aérienne avant d’être actif en Inde) et plus encore la partie sur Harappa, Mohenjo-Daro et la civilisation de l’Indus, une terra incognita.
(Hiram Bingham III, découvreur scientifique du Machu Picchu, n’était semble-t-il pas un homme délicieux … 6,5)
Réponse aux critiques formulées à l’encontre de la religion civique romaine par John Scheid. Paru en français sous le titre Les Dieux, l’État et l’individu. Réflexions sur la religion civique à Rome.
Dans le débat toujours vivant portant sur la religion romaine, des voix postulant que la religion civique romaine ne serait en fait pas une « vraie religion » mais une coquille vide ont pris plus de poids au début du XXIe siècle (p. 42). En plus d’être une fiction, la religion romaine ne serait que rituels vains et instruments de domination d’une élite, dont le peuple romain serait écarté. Son vide émotionnel supposé la disqualifierait. Pour J. Scheid, spécialiste de la question au Collège de France, ces critiques font trois erreurs en plus d’être submergés par l’exemple du christianisme : ils ne prennent pas en compte ce qu’est vraiment une cité antique, ce qu’est l’individu avant le Moyen-Age et ce que sont les religions dans un monde de cités-Etat (p. 4).
En onze chapitres, l’auteur va donc défendre une conception historique de la religion romaine. Il commence par définir ceux qui critiquent ses positions, en retraçant leurs influences (chez Georg Wissowa par exemple, du très fameux dictionnaire Pauly-Wissowa) en partant du Romantisme et de la dialectique hégélienne. L’auteur ne cache pas plus être inspiré par un courant proche de l’anthropologie sociale, avec G. Dumézil et J.-P. Vernant (à qui le livre est dédié) puis livre quelques commentaires préliminaires sur les critiques, premièrement dans le choix des termes de ces dernières (p. 11). Le concept de religiosité appliqué aux religions antiques (mais aussi à d’autres) est sévèrement attaqué.
Puis dans un second chapitre, l’auteur porte son attention sur le mythe du déclin de la cité-Etat après la bataille de Chéronée (en 338 a.C., erreur sur la date p. 32). Pour les critiques de la religion civique il est évident que celle-ci ne saurait être sans cités (cadre de l’unification allemande au XIXe siècle, p. 29). Mais si celles-ci ne disparaissent pas … Pour l’auteur, c’est l’évidence puisque l’empire romain est un agrégat de cités aux statuts différents sous l’égide d’une seule cité, Rome. Le chapitre suivant va plus encore dans le particulier et s’attache à décrire la place de l’individu au sein des cités. L’individu n’est pas que devoirs et droits civiques (ou tribaux, d’homme libre ou non, tout dépendant de son statut), il est aussi inséré au sein d’une famille dont la dimension juridique n’est pas à négliger (p. 34). L’Edit de Caracalla de 212 p. C. qui fait citoyen tout homme libre de l’Empire ne change pas cet état de fait (p. 39).
Le quatrième chapitre vise à démontrer que la religion civique n’est pas juste le discours de l’élite urbaine (qui fournit magistrats et prêtres). J. Scheid démontre dans ce chapitre que le culte civique est rendu de manière publique, avec un minimum de personnes présentes (comme le minian juif) en plus de l’être au nom du peuple. Pour l’auteur ces arguments sont surtout le reflet d’animosités d’auteurs du XIXe siècle à l’encontre du catholicisme (p. 49). Le chapitre suivant interroge le rapport entre religion et identité, avec le fait que des chercheurs ont reproché à la religion romaine de ne pas avoir réussi à forger une identité romaine (mythes, rites, philosophie et christianisme sont très clairement séparés p. 52). Mais beaucoup des cultes ne sont pas des cultes publics et sont limités à des régions ou des catégories de personnes. Il n’y a pas d’universalisme (p. 65). Mais pour ce qui concerne les cultes publics, la participation de tous les habitants de condition libre est requise. Des habitants, et pas seulement les citoyens du lieu (p. 66).
La question de la destination des rituels est traitée dans le sixième chapitre. Cela permet à l’auteur de revenir sur le caractère public des cultes civiques, par délégation ou non. Au peuple romain peut être associé la famille impériale mais aussi des alliés. Le Sénat exerce un contrôle sur les cultes, autorisant l’expression publique de certains ou la répression d’autres (en cas de troubles à l’ordre public). Ce dernier thème est central dans le septième chapitre, avec la gestion de l’impiété par les pouvoirs publics. Le huitième chapitre s’aventure dans les autres aspects religieux à Rome, notamment familiaux mais aussi locaux. L’initiation à un culte à mystères dans une ville ne vaut ainsi pas pour une autre localité (p. 109) et l’interprétation des rites peut varier dans le temps (les Parilia p. 111). De même, intégrer un culte était assez simple alors qu’en sortir était bien plus difficile, du fait des implications socio-professionnelles que cela avait.
Le neuvième chapitre revient à la principale critique contre la religion romaine, celle de la religiosité et de l’émotion. Mais il faut prendre en compte que le lien qui unit le dieu au citoyen est celui qui unit le patron au client, une relation d’obligations mais dont les émotions ne sont pas absentes (p. 115-117). La dixième partie de l’ouvrage se pose la question du changement religieux à Rome à la fin de l’Antiquité. Pour l’auteur, les cultes dits orientaux (cultes guérisseurs, mithracisme) ne préfigurent en rien l’irruption du christianisme jusqu’au plus haut niveau de la société. Ces cultes orientaux se révèlent par ailleurs moins différents des autres que ce que l’on a supposé, et finalement marginaux (géographiquement ou limités à des catégories sociales précises). Le dernier chapitre est une conclusion déguisée, qui enfonce le clou du côté de la méthodologie et des incohérences de la critique (rituels sans émotion, cela vaut aussi pour le judaïsme et l’islam ?). Suivent les notes et un index.
Ce livre n’est pas qu’un plaidoyer. C’est aussi un très bon précis sur la religion romaine (ou les religions romaines, ce qui serait peut-être plus exact). Tout n’y est bien sûr pas, mais cela reste très large. La partie en plus, c’est la partie historiographique et elle n’est pas moins intéressante que le reste. L’auteur y dévoile son arrière-plan méthodologique, peu amateur de la déconstruction stérile et des « studies », un danger pour les humanités à son sens (p. xx, p. 2). Les critiques (souvent S. Krauter, comme p. 97) font aussi montre d’un sérieux problème avec l’altérité, ce qui est tout de même problématique pour des historiens ou des anthropologues (p. 46). Les exemples du livre sont plutôt originaux et cela permet au lecteur de se familiariser un peu avec le sujet des deux thèses de J. Scheid, les Frères arvales, un collège sacerdotal romain très lié à la maison impériale.
Le traducteur en anglais est enseignant à l’université de Chicago. Le fait qu’il ne soit pas traducteur professionnel permet l’écriture d’une préface d’excellente tenue mais rend le texte un peu lourd et par moments peu immédiatement compréhensible. On ne sait pas toujours qui critique quoi … Mais ce livre montre le toujours criant déficit de traductions à destination du monde anglophone (p. xvi). Malgré les défauts de la traduction, ce livre se lit facilement, nécessitant finalement peu de connaissances particulières mais plus une culture historique générale d’assez bon niveau.
(un esclave possesseur d’esclave peut être actif religieusement dans un cadre privé p. 139 …8)
Précis sur les armes et les armées étrusques par Raffaele d’Amato et Andrea Salimbeti.
Illustrations de Giuseppe Rava.
L’éditeur Osprey est très apprécié des figurinistes qui y trouvent pour monter leurs armées des renseignements sur le contexte et l’ordre de bataille de l’armée qu’ils ont choisi de peindre mais aussi des illustrations très bien documentées qui rendent crédibles leurs créations. Mais comme chaque tome est basé sur la même trame, il peut parfois manquer la plasticité nécessaire dans le cas d’armées ou de peuples dont on ne sait pas grand-chose, ou du moins pas assez pour en faire un livre court et abordable à tous les publics.
C’est le cas de celui-ci. Les seuls éléments surs étant matériels, ceux apportés par la recherche archéologique, il s’en suit un déséquilibre inévitable mais que les auteurs (certes avec de nombreuses cordes à leurs arcs mais pas spécialistes de la question) essayent de masquer de leur mieux. Tout découle du fait que la question cruciale des sources n’est jamais abordée, ce qui conduit à des affirmations péremptoires, allant jusqu’à la phantasmagorie.
Le livre est constitué de deux parties de manière chronologique : la première partie est dévolue à la période dite villanovienne (Xe-IXe siècle a.C.) et la seconde considère la période s’étalant du VIIIe au IIe siècle a. C. (appelée faussement ici classique). Une rapide mise au point contextuelle (mangée par le vieux débat de l’origine des Etrusques) et une chronologie très discutable ouvrent le volume.
Puis chaque partie est construite sur le même modèle. On commence par un petit point sur la sociologie, avant de s’intéresser à la composition et l’organisation des armées et aux tactiques employées. Une deuxième sous-partie détaille les armes et les équipements, distinguant les armes offensives des armes défensives, pour finir par les symboles de rang et l’habillement. La partie dite « classique » est la seule à bénéficier d’une section sur la musique.
Commençons par les points positifs. Les parties sur l’armement et particulièrement sur les armures en lin ou à lamelles sont du plus grand intérêt, appuyés sur de nombreuses illustrations (de manière générale, et comme toujours chez Osprey, le volume est richement illustré avec souvent de belles planches couleurs pleine page de reconstitutions). Le parallèle entre certaines lances villanoviennes en forme de flamme de bougies avec des points retrouvées à Olympie éveille la curiosité. De même les auteurs font sagement le choix de ne pas considérer les chars étrusques comme autre chose que des moyens de locomotion prestigieux (p. 28).
Mais du côté historique, organisationnel et tactique, c’est pas loin d’être catastrophique. Faute de donner au lecteur l’état de la documentation, on le balade. Virgile devient une source historique indiscutable (p. 28), les libri rituales, codification religieuse dont on a que des bribes, seraient censés parler de l’organisation militaire des cités (p. 31), on imagine des unités militaires spécialisées dans l’utilisation de haches doubles sans la moindre trace écrite (p. 42) … Dans les illustrations de G. Rava, les guerriers sont parfois dotés de peinture rouge sur le visage et les bras (p.8 pour l’explication), sans que là encore on puisse trouver une source. Certes, il y a le rouge sur les joues du triomphe romain, mais c’est tout de même très différent. Tout est résumé dans l’aveu de la p. 25 : on ne sait pas comment combattaient les Etrusques, donc ils combattaient sûrement comme des hoplites grecs … La question de la naissance du combat manipulaire reste débattue mais il n’est pas inconcevable que les Etrusques aient pu y participer. L’utilisation soutenue de termes techniques grecs n’aide pas non plus le lecteur à se distancier de ce modèle grec envahissant.
« Work in progress » nous dit-on p. 39 …
(la ville de Corneto ne s’appelle plus ainsi depuis 1922 … 4,5/5)
L’étude de la sculpture grecque n’a rien de figée comme nous le rappelle B. Holtzmann dans ce manuel touffu. De nouvelles découvertes ont lieu constamment, que ce soit de grandeur nature ou des statuettes, qui viennent agrandir le corpus des œuvres. La sculpture grecque est aussi pour les Modernes ce qu’il y a de plus grec en termes d’art, une conséquence de la disparition des traces qu’auraient pu laisser d’autres types d’œuvres comme les peintures ou la musique.
Ce manuel est découpé en plusieurs parties, d’importances inégales. La première est toute de textes et décrit avec pas mal de profondeur la sculpture grecque. La matérialité de la statuaire, son inscription dans l’espace, les matériaux utilisés (bois, terre cuite, métaux, pierre) et les techniques employées sur eux sont évoqués longuement. Les différents genres sont l’objet de la seconde sous-partie, avec les difficultés de la classification que cela comporte : s’il est parfois difficile de distinguer une statue de culte d’une offrande, certaines statues sont clairement décoratives. Les sculptures funéraire, commémorative et honorifique sont aussi abordées avant que l’auteur ne précise ses vues en matière de préséance de la figure humaine dans la sculpture grecque qui doit être rendue par l’imitation du réel (p. 72). Dans une seconde partie, B. Holtzmann franchit une étape dans son développement allant du général au particulier. Il y est question de tradition et de renouvellement, des analyses du style, et de l’influence de cette analyse sur la datation d’une œuvre, art toujours délicat (p. 100-105).
La dernière partie du livre, enfin, est la plus importante en volume. Elle présente, dans une évolution chronologique, 125 œuvres avec sur la page de droite une photographie et sur la page de gauche une description et des références. On commence ainsi par le centaure de Lefkandi (fin Xe siècle avant notre ère) et le voyage s’achève avec la statue honorifique de Flavius Palmatus (vers 500 ap. J.-C.) en passant par l’offrande de Manticlos (début VIIIe siècle av. J.-C.), la Dame d’Auxerre et le Cavalier Rampin. Que lecteur se rassure : le cratère de Vix, la frise du Trésor de Siphnos, l’Aurige de Delphes (milieu Ve siècle a. C.), le Poséidon du Cap Artémision, la statue A de Riace, le Discobole de Myron, le Doryphore de Polyclète, l’Aphrodite de Cnide de Praxitèle, la Victoire de Samothrace, la tête d’Ulysse de la grotte de Sperlonga et tant d’autres œuvres, tout aussi connues ou moins connues mais ayant toujours un grand intérêt, sont aussi du voyage. L’auteur consacre ensuite quelques pages aux destinées de la statuaire grecque après l’Antiquité, après que les Romains l’ait en partie vidée de son sens et transformée en pièces agrément pour jardins de villas (p. 370). L’avènement du christianisme officiel interrompt les pratiques romaines de conservations (p. 47) et la redécouvert des œuvres à partir de la Renaissance portent sur ces mêmes œuvres des regards nouveaux (dont le refus de la polychromie par exemple). Le volume s’achève par un petit guide des hauts lieux de la sculpture grecque aujourd’hui, un glossaire fort utile, une bibliographie blindée (qui va jusqu’à 2010), une liste des œuvres et un index.
Le livre remplit ses promesses, mais c’est là plus qu’attendu venant d’un spécialiste de la question et il les surpasse même, dans le sens où le lecteur déjà expérimenté apprendra encore des choses (ou les lui rappellera, s’il fut trop avancé dans la spécialisation). Tous les sanctuaires n’ont ainsi pas de statue de culte, surtout s’ils sont petits (p. 49), et que la statue en bronze coûte beaucoup plus cher qu’une statue en marbre (3000 drachmes contre 500 à Athènes à l’époque hellénistique), avec un coût du transport qui peut aller jusqu’à un tiers du coût global (p. 33). Le concept de nudité comme costume est très bien développée, tout comme l’analyse du rapport entre le réel et la sculpture grecque (p. 278). Certaines assertions peuvent être discutées (par exemple la note 5 de la p. 55 sur l’Acropole) tout comme l’emploi de certains adjectifs dans les descriptions (très précises par ailleurs). Il est une imprécision sur la Seconde Guerre Punique (p. 282) mais qui porte à très peu de conséquences. L’épilogue laisse place à des vues plus ouvertement personnelles, où l’auteur critique l’enseignement secondaire européen (p. 383), les grands musées universels (p. 390-391) mais aussi la statuaire réduite à la 2D (p. 384), surtout quand elle est utilisée à des fins mercantiles. On peut regretter qu’il n’y ait qu’une seule photo par œuvre, alors que certaines de celles-ci méritent plusieurs angles différents ou des détails. Mais c’est le format qui limite le nombre des illustrations et il faut faire alors l’effort de chercher les illustrations complémentaires ou aller voir les œuvres dans les musées.
Le livre le dit lui-même en son sous-titre, c’est une introduction. Une très belle, foisonnante et néanmoins rationnelle introduction qui fera faire plein de découvertes au lecteur, si tant est qu’il a eu quelques expériences du sujet.
(ah cette sortie du cadre par le guerrier gisant du temple d’Aphaia à Egine p. 185 … 8)
Histoire politique et sociale de la cité de Sparte jusqu’à la conquête romaine par Edmond Levy.
Encore un ouvrage, certains diront même un classique, que nous aurions dû lire bien avant … Ce manuel a pour but de dégager autant de vérités que faire se peut au sujet de Sparte, la cité qui plus encore qu’Athènes, dominé l’espace grec antique et qui fut le point de départs de beaucoup de mythes, tant anciens que modernes (son égalitarisme, sa frugalité, etc.) qui ont donné corps à un « mirage spartiate ».
L’auteur commence son propos avec un rappel méthodologique jamais inutile, portant principalement sur le danger de l’hypercritique des sources (conduisant à l’a-historisme). Pour E. Levy, il y a une présomption de vérité des sources (p. 8) et c’est au critique d’apporter la preuve de l’invalidité, partielle ou totale. Comme il ne peut y avoir de vérité absolue et éternelle en Histoire, de siège assuré pour l’historien, l’auteur déclare ne pas hésiter à entrer dans les détails dans ses démonstrations. Et tout au long de l’ouvrage, il se tiendra à cet axiome avec une maestria consommée.
Sans surprise, le premier chapitre est celui de la naissance de Sparte. A une Sparte achéenne (celle d’Homère) succède une Sparte dorienne après le retour des Héraclides (l’archéologie accrédite l’idée d’invasion au XIIe siècle avant J.-C. , p. 16). Une fois la plaine de Sparte conquise et les cinq bourgades originelles ainsi unifiées, Sparte se lance à la conquête de la vallée de l’Eurotas, puis au VIIIe siècle de la Messénie voisine. Au VIIe siècle, l’Etat laconien est formé, rassemblant l’espace lacédémono-messénien et les cités dites périèques (laconiennes mais pas spartiates). A partir du Vie siècle, Sparte étend encore plus loin son influence dans le Péloponnèse en construisant un système d’alliances appelé Ligue du Péloponnèse par les historiens modernes. De l’époque archaïque date aussi la mise en place du régime spartiate (avec ses deux rois, ses éphores, sa gérousie et son assemblée) et son idéologie, révolutionnaire si l’on considère les voisins de Sparte, qui assigne les qualités aristocratiques à tous les citoyens (comme cela est visible chez le poète Tyrtée) : être Spartiate c’est devoir être le meilleur, mais collectivement, pour la cité (p. 36-45).
E.Levy s’intéresse ensuite à la structure sociale spartiate, en commençant par les trois composantes principales de la cité stricto sensu. A tout seigneur tout honneur, l’on débute avec les Spartiate, leur éducation (agôgè, pédérastie et kryptie), le repas commun des sissyties et comment ces dernières fonctionnent, le lot de terre (kléros, fondement de la prétendue égalité spartiate), la place de la femme et la vie religieuse (marquée par son archaïsme). Pour E. Levy, les observateurs antiques ont à partir de ce tableau beaucoup vu une cité bien ordonnée, où l’on enseigne dès l’enfance l’obéissance aux magistrats et l’honneur, dans une communion sans cesse renouvelée au travers des chants et du vote par cris. Mais on peut aussi y voir une société où la surveillance de tous par tous, au code vestimentaire strict, conduit les citoyens à se cacher pout thésauriser. Société de conformisme, conservatrice et collectiviste, mais dans laquelle il faut constamment se distinguer (p. 112).
La seconde partie de la société, ce sont les Hilotes. Esclaves appartenant à la cité, attachés à la terre, ils sont principalement en charge de la production agricole et ne sont ni cessibles à l’extérieur ni affranchissables (p. 118), sauf par la cité. Maltraités de différentes manières, ils sont aussi redoutés par les Spartiates (qui au Ve siècle craignent des révoltes). La dernière partie de l’Etat laconien est constitué des Périèques. Ceux-ci habitent des cités dépendantes, issues vraisemblablement de colonisations, de conquêtes et d’associations, au nombre supérieur à 80. Les Périèques ont la nationalité lacédémonienne mais n’en ont pas la citoyenneté, où alors de seconde catégorie (mais possèdent néanmoins leurs terres). Il est fort vraisemblable que leurs cités soient majoritairement organisées sur un modèle oligarchique (au vu des volontés de Sparte pour les cités de la Ligue du Péloponnèse). Ils fournissent des hoplites ou de l’infanterie de marine et peuvent être envoyés combattre sans la présence de troupes spartiates avec eux. Toujours supérieurs numériquement aux Spartiates, ils leurs sont fidèles jusqu’aux années 370-369 (invasion thébaine, p. 154) parce qu’ils partagent avec eux de nombreuses valeurs et profitent d’être dans l’ensemble dominant la Grèce à de nombreuses reprises.
Enfin, E. Levy passe en revue les catégories marginales de la population lacédémonienne qui n’entrent pas dans les trois catégories qu’il a amplement décrites auparavant. Les Brasidéens et les Néodamodes sont issus d’affranchissements massifs pour services militaires rendus, les mothakés (libres dans la clientèle d’un noble), mothônés (anciens Hilotes), trophimoi (enfants d’aristocrates étrangers pro-spartiates) sont des individus ayant bénéficié de l’éducation spartiate sans être des Spartiates et qui bénéficient à l’issue de leur formation de la condition d’homme libre mais de condition souvent inférieure (p. 155-159).
Les bases ainsi posées, l’auteur s’attaque à la description de l’organisation politique de la cité de Sparte à l’époque classique (troisième chapitre). Les rois, au nombre de deux, provenant de deux dynasties distinctes, sont désignés par hérédité. Ils ont une fonction religieuse très importante et ils ont en charge la conduite des opérations de guerre, mais sous le contrôle des éphores. La royauté subit une profonde crise au Ve siècle, avec de nombreux procès intentés contre eux et l’importance de plus en plus grande de la fonction de navarque (amiral, p. 183). Les éphores sont peut-être à Sparte ceux qui ont le plus grand pouvoir. Elus annuellement, ce sont eux qui décident des plus grandes affaires, de l’ordre public, des mœurs (en une sorte de gouvernement décidant à la majorité). Ils surveillent ainsi toutes les catégories de la population, rois y compris. Leur pouvoir coercitif est sans appel, et est de leur ressort la majorité des affaires judiciaires. Ils préparent les débats de l’assemblée, la préside et font appliquer ses décisions. La gérousie quant à elle recrute ses 28 membres parmi les vieillards de plus de 60 ans (donc plus astreint au service armé), qui sont élus à vie. Ils sont un conseil à pouvoir juridique et de conseil, qui permet une stabilité entre les deux pôles que sont les rois et les éphores. Enfin, dernière composante du système politique spartiate, l’assemblée vote les lois après débat (du moins pour ceux qui ont le droit d’y prendre la parole, p. 216).
Le chapitre suivant analyse les relations entre Sparte et le monde extérieur du milieu du VIe siècle à 362. Ces contacts se font en premier au travers de la Ligue du Péloponnèse, qui d’alliance inégale entre Sparte et différentes cités se transforme petit à petit en alliance dotée d’un conseil à partir de 505, ce qui n’évita pas les conflits internes. Sparte a bien entendu des relations avec les Perses, que ce soit conflictuelles ou bénéficiant de leur appuis contre Athènes. Avec cette dernière, les relations ne sont pas toujours tendues. Athènes est même un moment membre de la Ligue. Après la bataille de Platées (480, opposant les Perses à une alliance panhéllénique), l’opposition est souvent frontale, voire tourne à la guerre (entre 431 et 404 par exemple). En 404, Sparte peut imposer une constitution oligarchique à Athènes. Mais d’autres puissances se développent au IVe siècle, parmi elles les Thébains réussissent en 370 à envahir le territoire spartiate, avant que la Macédoine de Philippes II ne mette tout le monde d’accord en 338.
Le IVe siècle est une période de lente érosion de son pouvoir pour Sparte (chapitre suivant). Suite à l’invasion thébaine de 370, Sparte perd la Messénie, soit la moitié de son territoire. Sparte n’est cependant pas anéantie, surtout pour ne pas laisser un vide trop grand. Mais Sparte doit affronter des crises internes, avec au premier rang de celles-ci, une inégalité de plus en plus grande et une réduction continue du nombre de ses citoyens de plein droit (p. 263, p. 269). A cela s’ajoute une crise morale, due à la victoire de 404. Ces difficulté conduisent à une succession de révolutions, qui vont chaque fois plus loin que la précédente, au point que la dernière, conduite par Nabis au début du IIe siècle, élimine le dernier roi et libère des Hilotes en grand nombre après avoir à nouveau redistribué les terres. En 146, les Romains arrivés à la faveur des interminables conflits qui agitent le Péloponnèse au début du IIe siècle, sont maître de la Grèce.
La conclusion, qui rappelle la singularité de Sparte, Etat constitué de plusieurs cités, précède des cartes, une brève chronologie, une bibliographie indicative et un index.
Ce livre (de 320 pages) s’adresse à un lecteur qui a déjà une bonne idée de l’histoire grecque aux époques classiques et hellénistiques. Il n’y trouvera rien concernant l’art laconien, ce dont s’excuse l’auteur en introduction. Les commentaires de documents sont clairs et apportent beaucoup aux explications que donnent E. Levy. Ce dernier ne cache pas au lecteur les autres lectures possibles de ces documents, comme il mentionne très souvent les avis auxquels il s’oppose, ou qu’au contraire, il suit. Les conclusions à la fin de chaque chapitre, voire de parties de chapitre, résument très clairement les idées exposées avec une très grande clarté précédemment. Le tout se lit avec aisance, avec un appétit (de Delphes) qui vient en mangeant. Un peu plus de cartes, réparties à des endroits stratégiques du texte, aurait été une grande aide cependant.
Un excellent manuel universitaire, assez isolé dans la production francophone, qui ravira son lecteur.
(les Dioscures que l’on transporte sous forme d’amphores, c’est particulier p. 107 … 8,5)