A new understanding of the world’s most iconic building and the people who made it.
Essai d’archéologie et d’histoire grecque de Joan Breton Connelly.
Le Parthénon, sur l’Acropole à Athènes, n’est pas seulement un ancien bâtiment illuminé la nuit pour faire joli. Il fut dès l’Antiquité (et est toujours aujourd’hui) une source d’inspiration pour les architectes qui louèrent ses proportions, son équilibre et sa majesté. Produit d’une société démocratique, il est un modèle dès que ce fait jour le besoin d’un bâtiment devant servir la Raison et le Peuple en Occident. Mais a-t-on pour autant bien compris ce quia conduit à sa construction ? Quel fut son programme décoratif et les liens qu’entretenaient entre elles les différentes parties de ce programme ? Quels furent ceux qui en décidèrent la construction (et le financèrent) en ce lieu particulier, et dans quels état d’esprit il leur apparut nécessaire de le faire ? Ce sont toutes ces questions auxquelles J. Connelly propose des réponses, se plaçant dans la continuité de théories acceptées de longues dates ou venant apporter de nouvelles idées, solidement étayées, une fois le titre un brin racoleur une fois passé.
Le prologue présente l’objectif du livre, mais sans en dire trop sur ce qui est la théorie centrale du livre. J. Connelly précise aussi sa méthode, rappelle qu’Athènes est la cité-Etat la plus connue du monde grec (p. xvii), rappelle à la suite de E.R. Dodds (Les Grecs et l’irrationnel, pas cité dans la bibliographie qui précèdent l’index et suit les notes en fin de volume) que les Grecs n’étaient pas esprits de pur rationalisme (p. xx-xxi) mais fait aussi le choix qui peut se discuter d’appeler le Parthénon un temple (p. x), un temple qui pourrait alors être sans xoanon, sans statue de culte.
Puis le premier chapitre met en place la scénographie : l’Attique, la ville et dans celle-ci, la roche sacrée de l’Acropole. La place de l’eau et des arbres est particulièrement valorisée dans la présentation (la royauté athénienne est intimement liée aux rivières de l’Attique, p. 22). L’Acropole est décrite dans les grandes largeurs, n‘oubliant ni les sources, ni les grottes reliées entres elles par un chemin à mi-pente, ni les restes de constructions mycéniennes (les murs dits cyclopéens, tout particulièrement mis en valeur lors des remaniements poliorcétiques du Ve siècle av. J.-C. avec les deux fenêtres du bastion du temple d’Athéna Niké qui permettent de toucher ces vénérables pierres). L’auteur aborde aussi l’autochtonie des Athéniens, qui se disaient nés du sol (gegenes, p. 37).
Le second chapitre ausculte l’Acropole avant la construction du Parthénon. Il y est d’abord question du cosmos (avec un peu de mythologie comparative, par exemple p. 42 et p. 50), puis du premier grand temple à colonnade péristyle en attique, commencé vers 575 a. C., appelé Hekatompedon (ou temple de Barbe-Bleue, du nom d’une statue de son tympan), peu de temps avant la création des Grandes Panathénées, concours athlétique quadriannuel ouvert à tous les Grecs, en 566 (les Panathénées « normales » avaient déjà lieu tous les ans à ce moment). La suite du chapitre voit la description du Vieux Temple d’Athéna (avec son possible programme iconographique), reconstruit après 490 mais détruit lors de la prise d’Athènes en 480, avant la victoire grecque de Salamine. Ce temple fut laissé en l’état, en souvenir, et la partie qui avait échappé à la destruction, l’opisthodome, fut conservée (à côté de l’Erechthéion). D’autres éléments de la bâtisse, dont des tambours de colonnes furent intégrées de manière très visible à la muraille de l’Acropole, comme réemplois commémoratifs (p. 73-74). L’Acropole devient ainsi après 480 un lieu de mémoire.
Et la mémoire de 480 et des années qui suivirent, la génération qui vécut ses évènements voulu la matérialiser dans une œuvre magistrale (troisième chapitre). Périclès, qui avait 15 ans en 480, fut l’agent de cette volonté. La construction du Parthénon s’étale entre 447 et 432 (p. 87), pour une somme totale de 469 talents d’argent (soit 236 millions d’euros de 2017), en reprenant de nombreux éléments de l’Hekatompedon et du Premier Parthénon (débuté en 488) et au premier rang desquels la plate forme (p. 89). Il est construit en marbre du Pentélique. Aucune des lignes du Parthénon n’est droite pour donner à l’ensemble une harmonie visuelle : si l’on prolonge vers le haut les lignes des colonnes, ces dernières se croiseraient à 2,5 km au dessus du Parthénon (p. 94). Le programme de décoration est à la hauteur de la somme dépensée : les tympans sont historiés, les métopes de la colonnade extérieure leur répondent, de nombreux et délicats acrotères ornent le toit de marbre. Mais sans les témoignages littéraires et les dessins que les voyageurs ont laissé depuis l’Antiquité, il n’aurait jamais été possible de savoir quels thèmes étaient représentés sur les tympans du Parthénon (p. 103) et tous les éléments n’ont pas encore d’explication satisfaisante et définitive aujourd’hui encore.
Mais l’explication de la frise dite ionique (celle à l’intérieur de la colonnade, le long de la nef mais pas aisément visible du spectateur, à cause de sa hauteur destinée au plaisir des dieux, p. 153) est comme annoncé le point culminant du livre dans le quatrième chapitre. C’est là que de très nombreux éléments présentés dans les chapitres précédents s’assemblent. Tout démarre avec la pièce de théâtre Erechthée, écrite par Euripide vers 420 et citée par Lycurgue dans son Contre Léokratès. Les 55 lignes citées par Lycurgue ont été complétées par une découverte papyrologique publiée en 1967 apportant près de 190 lignes de son côté (p. 131). J. Connelly rappelle dans la suite du chapitre qui est Erechthée (celui qui donne son nom à l’Erechtheion), l’un des premiers rois mythiques d’Athènes, né de la Terre et insiste sur la centralité athénienne de l’histoire du sacrifice des filles d’Erechthée (p. 141), qu’il ne faut pas lire avec le lunettes de la morale contemporaine (p. 142). Pour les Grecs, le sacrifice de vierges, c’est le moyen pour une femme d’atteindre la gloire, l’équivalent de la mort héroïque. Et en 420, la mort pour la patrie n’est pas une vue de l’esprit éloignée, après dix ans de guerre entre la Ligue de Délos et la Ligue du Péloponnèse. L’Athènes démocratique (au niveau politique mais aussi au niveau spirituel), en crise, a alors un grand besoin cathartique et d’un support idéologique (p. 143-145).
L’auteur détaille ensuite les différentes interprétations, démontrant que l’hypothèse d’une représentation des Panathénées, très prudente quand elle fut proposée pour la première fois en 1787 par J. Stuart et N. Revett a tout perdu des précautions de son origine pour devenir un dogme, ou au point un fait très peu discuté (p. 158). Mais est-ce vraiment un péplos qui est représenté au dessus de l’entrée principale du Parthénon ? Pour J. Connelly, il est clair que les éléments constitutifs des Panathénées ne sont pas dans la frise, rappelant en plus que cela constituerait la seule représentation d’évènement historique sur un édifice religieux dans toute la Grèce (c’était l’idée de Cyriaque d’Ancône au milieu du XVe siècle, p. 155). J. Connelly ne revendique pas être la seule à s’être interrogé sur ce fait, citant par exemple Arnold Lawrence, le frère de Lawrence d’Arabie (p. 160-162), mais elle est la première à faire le lien entre la frise et la pièce d’Euripide, une découverte qu’elle raconte p. 168. A l’aide de la pièce, la frise prend un autre sens, certes liée à l’actualité politique (la loi de Périclès sur la citoyenneté), mais prenant sa source dans le mythe, comme l’explique la série d’instructions donnée par Athéna à Praxithée, la veuve d’Erechthée (p. 188-189) : Erechthée et ses filles doivent être honorés comme des divinités chtoniennes, avec du miel et de l’eau, et sans vin (p. 134). Ce n’est plus le péplos que l’on voit au dessus de la porte, mais le linceul que revêt la plus jeune des filles d’Erechthée, bientôt sacrifiée par son propre père.
Mais ce livre ne s’arrête pas avec ce tremblement de terre (Poséidon n’est jamais loin, encore moins sur l’Acropole). J. Connelly continue son étude en explorant la signification du Parthénon, appuyant sur la signification funéraire des espaces religieux grecs (p. 219) comme leur aspect commémoratif. Pour l’auteur mais cela nous moyennement convaincu, l’ordre corinthien (et dans le cas du Parthénon, proto-corinthien, p.234) serait particulièrement utilisé dans un sens funéraire. Dans la chambre ouest serait alors la tombe des filles d’Erechthée et les Panathénées sont les jeux en leur honneur (p. 274), avec des épreuves clairement archaïques réservées aux Athéniens, même lors des Grandes Panathénées. C’est dans le septième chapitre que l’auteur donne le détail du déroulement des Panathénées, à la lumière de son interprétation de la frise et de la signification du Parthénon, « lieu des jeunes filles » (p. 229). Ces célébrations ont lieu pendant huit jours, peu avant le 15 août, avec chaque jour des épreuves différentes et une grande procession (p. 257). Une partie des épreuves n’est pas athlétique mais sont musicales et chorales. La danse n’est pas non plus absente des cérémonies. J. Connelly analyse enfin le socle de la statue chryséléphantine d’Athéna dans le Parthénon, là encore en donnant une explication de la présence de Pandore sur ce socle, liée aux filles d’Erechthée (p. 277) avant de clore ce chapitre sur la chouette, animal symbole d’Athéna et comment il s’insère dans le culte rendu aux Erechthéides (le ululement, ce youyou athénien p. 268 ?).
Enfin, le dernier chapitre se penche sur la question de la polychromie de la statuaire grecque en marbre, et des difficultés à faire accepter l’idée au vu de la place qu’avait pris Athènes comme image de la civilisation (p. 294-303). Il est aussi question des liens entre Athènes et Pergame, et plus particulièrement les deux frises du Grand Autel de Pergame. Dans l’épilogue, l’auteur prend position pour un retour sur l’Acropole de toutes les parties manquantes de la frise, dont les marbres dit d’Elgin, maintenant que la rhétorique nationaliste grecque a fait une place à la propriété britannique (p. 347). Une œuvre d’art peut-elle être réunifiée ?
Disons le d’emblée, la thèse de J. Connelly (Université de New-York) est extrêmement convaincante. Les très nombreuses illustrations contenues dans ce livre permettent au lecteur de suivre les démonstrations de l’auteur pas à pas, le lecteur profane étant accompagné par les explications de mots grecs. S’il est quelques longueurs, elles sont pédagogiques. Assez représentatif de la tradition étatsunienne, J. Connelly n’hésite pas devant les comparaisons ethnologiques (avec les Mayas et la corporalité de la prière p. 253 par exemple), très majoritairement à bon escient.
Aussi les petits reproches que nous avons à faire à cet ouvrage n’ont pas de relation avec la thèse générale, mais concernent plus des points périphériques. Le respect des temples par les Grecs, même perses, après 490 nous semble plus de l’ordre déclamatif que vrai en tous lieux (p. 72): pendant l’expédition d’Agésilas II en Asie Mineure, des temples brûlent. On peut aussi questionner la présentation par l’auteur de l’Héliée, le tribunal athénien, de siège réel du pouvoir du fait des procès en ostracisme qui s’y déroulaient (p. 79), surtout que c’est une prérogative de l’assemblée des citoyens. Sur la question des métopes retaillées de la p. 101, il est regrettable que l’auteur, après avoir présenté plusieurs théories, ne donne pas son avis. Un autre point qui a pu nous chiffonner, c’est que la question de la fonction discutée du Parthénon (temple ou trésor ?) n’est pas même évoquée dans ce livre, même si l’auteur parle bien de trésor p. 85. L’existence de concours musicaux dans de grands sanctuaires panhélleniques auraient aussi mérité une mention (p. 259-260). L’analyse du moment « myronique » (avec ses parallèles à Olympie et à Pergame), où le mouvement exprime ce qu’il va advenir comme pour le Discobole de Myron, opposé au style archaïque, plus « gore » (p. 174-175) est a contrario un exemple de point positifs parmi de très nombreux dans ce livre.
C’est donc un point de vue documenté et argumenté qui mérite d’être lu, questionnant des thèmes qui semblaient refermés. Il nous faut maintenant nous soucier des réponses à J. Connelly. Elles n’ont pas du manquer.
(on peut aujourd’hui encore emprunter un pont mycénien à Arkadiko p. 237, entre Tyrinthe et Epidaure … )