John Howe Artbook

Livre d’art sur l’œuvre de John Howe par Chrystelle Camus et John Howe.

Ca vole très haut.

John Howe est incontestablement l’un des artistes contemporains qui a le plus influencé l’imaginaire collectif grâce à son travail à la direction artistique de la trilogie du Seigneur des Anneaux filmée par Peter Jackson (en tandem avec un autre monstre très influent lui aussi, Alan Lee). Mais cette trilogie n’a fait que multiplier le nombre de personnes réceptives à sa production, puisqu’il compte de très nombreux fans depuis les années 80.

Ce livre nous propose donc, dans une réédition augmentée de celui de 2004, de voir rassemblées quelques reproductions de ses œuvres les plus emblématiques (ce n’est hélas pas un catalogue complet, mais il semble que l’artiste s’y refuserait), tant dans le monde établit par J. R. R.Tolkien que dans d’autres domaines de l’imaginaire. Passé la préface (vivante, honnête et plaisante) de Viggo Mortensen, on rentre dans le vif du sujet avec le récit des années de jeunesse canadienne de l’artiste (né en 1957), sa rencontre avec les littératures de l’imaginaire (par l’intermédiaire des couvertures et du calendrier Tolkien), sa passion précoce pour le dessin. Puis viennent les années d’apprentissage, notamment à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg. Il dit ne plus se souvenir par quel miracle il obtint à la fin des années 70 un passe-partout de la cathédrale de Strasbourg, mais cette clef aura sur son œuvre une influence déterminante. Viennent les premières commandes et au mitan des années 80, sa carrière est déjà bien lancée. Il est régulièrement dans le calendrier Tolkien, parfois pour plusieurs mois et en couverture. Peter Jackson fait appel à lui à la fin des années 90 comme dit plus haut pour son projet cinématographique et il participera aussi de la même façon au Hobbit.

Après la partie biographique, le lecteur poursuit au sein de plusieurs galeries : La Table Ronde, les mythologies, le monde végétal, la nature symbolique, les écailles et le métal, la bataille, la mort, la Terre du Milieu, les autres œuvres de fantasy (comme le Cycle de l’Assassin Royal de Robin Hobb mais aussi Conan, Beowulf et Shan Guo), la cathédrale de Strasbourg, sa participation au projet cinématographique Mortal Engines, les dragons, les corbeaux et d’autres œuvres plus énigmatiques. Le livre se conclut sur quelques croquis. A chaque fois, les peintures sont rapidement commentées, sur un ton parfois léger et souvent anecdotique.

On apprend pas mal de choses : des vols d’originaux (dont sa peinture la plus connue, Gandalf the Grey) des accidents lors d’un passage au scanner, des intitulés laconiques de commandes etc., en plus d’avoir la chance d’un peu connaître l’envers du décor de la création artistique contemporaine. On peut discuter du choix des polices mais les reproductions sont superbes et les pages ajoutées lors de la seconde édition couvrent la période 2004-2017 (mais sans rien sur la trilogie cinématographique du Hobbit par contre). On peut regretter que les œuvres reproduites dans la partie bibliographie ne bénéficient pas des mêmes informations que celles dans les galeries (ni titre, ni année, comme hélas encore certaines couvertures reproduites dans les galeries). Il aurait été intéressant d’en savoir plus sur la conservation des œuvres originales ainsi que leurs dimensions, mais aussi d’avoir une chronologie des expositions à défaut d’avoir une chronologie des œuvres (qui aurait pu renseigner sur la répartition chronologique des thèmes). Mais bon, avec presque 230 illustrations, on va s’occuper de ce qu’il y a déjà dans ce livre avant de rêver à des approches plus scientifiques.

On passe donc d’excellents moments avec ce très beau livre, en espérant une troisième édition réaugmentée dans quelques années !

(faire de la reconstitution historique tardomédiévale ciblée aide à dessiner des armures réalistes … 8,5)

Golem

Avatars d’une légende d’argile
Catalogue de l’exposition du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris sous la direction d’Ada Ackermann.

Golem le Maudit.

Avec la créature de Frankenstein, le golem est indéniablement le personnage fantastique le plus connu de la culture populaire. Remis au goût du jour au début du XXe siècle par le roman de l’autrichien Gustav Meyrinck et porté très vite à l’écran par Paul Wegener dans une trilogie cinématographique (en 1915 pour le premier, entre 1915 et 1902 pour le second), il a depuis rejoint le monde de la bande dessinée ou des arts plastiques au travers de multiples œuvres. Ce motif n’a cependant jamais perdu son lien avec le judaïsme (chez G. Meyrinck c’est un rabbin de Prague qui est son créateur), et il est déjà question de créer un golem dans le Talmud. Comme figure protectrice, il est parfois après 1960 l’expression d’une résistance juive face à l’Holocauste.

Ce catalogue rassemble de nombreux articles unis par la couleur de l’argile. Il débute par une introduction oxymorique intitulée « Le Golem nous parle ». Oxymorique, puisque traditionnellement, un golem ne parle pas. Puis il se découpe en six parties.

La première partie s’interroge sur ce qu’est le golem. Cette partie s’ouvre avec le poème Le Golem  de Jorge Luis Borges (écrit en 1958), précédé de son analyse. Puis suit un article sur les origines du golem puis une étude des illustrations faites en 1916 par Hugo Steiner-Prag pour le roman de G. Meyrinck. L’illustrateur, natif de Prague à la différence de G. Meyrinck, y reproduit les impressions du quartier juif de Josefov avant sa rénovation de la fin du XIXe siècle (qui était un lieu de tourisme folklorique, p. 47) et y campe un golem aux traits asiatiques, fidèle en cela au texte.

La seconde partie explore les différents visages du golem. Elle est inaugurée par un extrait des Oliviers du Négus écrit par Laurent Gaudé, où le golem apparaît comme un esprit de la Terre (une idée reprise à Gershom Sholem), qui se venge à travers lui des blessures qui lui infligent les hommes lors de la Première Guerre Mondiale (p. 57). Dans cette partie, l’antagonisme intrinsèque du golem est dévoilé. Celui qui est une masse informe (et c’est ici l’une des étymologies du mot, comme il en est question plus loin dans le volume), faite d’argile et d’eaux, s’anime quand on inscrit le mot émet (vérité en hébreux) sur son front et redevient de poussière (ou inactif) quand le « e », (qui est un a, alef,  éminemment symbolique en hébreux) est effacé pour former le mot « met » (signifiant mort). La première face du golem est sa face protectrice, très présente et même majoritaire aujourd’hui dans les comics, la sculpture, les jeux vidéo comme il l’était dans les films de la première moitié du XXe siècle. Mais le golem peut aussi être un monstre (p. 67), double non plus bénéfique mais maléfique de son créateur, et qui dans certaines représentations peut avoir une connotation antisémite. Mais il peut aussi être un symbole de l’hybris, de la prétention à dépasser Dieu, ou même de la vanité de l’artiste prétendant pouvoir créer un double de lui-même. Cette partie est close par la très intéressante étude d’un tableau de Gérard Garouste inspiré par F. Kafka (et peint en 2011), mettant en scène six personnes léchant un golem sortant d’un baquet.

La partie suivante a pour objectif de faire porter le regard du visiteur et du lecteur sur la plasticité du golem. Elle s’ouvre sur un extrait de texte de Manuela Draeger (La Shaggå du golem presque éternel)où le golem non seulement parle, mais surtout se sent prisonnier de son créateur. A cela s’ajoute que le golem chez M. Draeger devient le gardien du mot qui l’anime mais se révèle en plus être une figure féminine (p. 84). Le cœur de la partie est formé par un article détaillant les formes du golem dans les arts plastiques mais aussi sa relation à l’artiste, entre force déchaînée et transmutation (p. 88). L’inanimé qui s’anime est aussi un thème qui se retrouve exprimé sous forme de golem, avec l’utilisation de vêtements, de poussière, de sang ou de métal ressemblant à du papier déchiré. Mais l’artiste lui-même peut être le matériau de son œuvre (photographique, vidéo), dans l’optique de créer un Doppelgänger, un double (p. 100). L’artiste ou un modèle peut ainsi s’enduire de terre, sortir de terre et parfois ne faire plus qu’un avec sa création.

La quatrième partie reste dans la contemporanéité mais se concentre sur la mutation en s’intéressant à la descendance du golem. Introduit par un extrait commenté du Leviathan de John Hobbes, c’est la machine qui est le thème central (ce qui n’est pas évident à la lecture de l’introduction). Dès les débuts de la cybernétique, le golem est présent comme figure tutélaire et le premier ordinateur israélien est baptisé Golem I (p. 117). N’ont-ils pas le silicium, la bonté et la puissance en commun ? Le robot est indéniablement le fils le plus connu du golem, et lui aussi est porteur de l’ambivalence aide/angoisse, sur laquelle jouent plusieurs artistes. Et rôde le transhumanisme, abandon au aux pouvoirs de l’artifice … Quelques œuvres commentées de Zaven Paré complètent cette partie.

Assez illogiquement, la partie consacrée au lien entre le golem et l’écrit prend place à ce moment-là dans le livre. Encore une fois, un court texte en forme l’introduction, ici un poème de Paul Celan. Puis, l’étymologie du mot golem est mise à contribution (il y a trois occurrences dans la Bible, en II Rois 2, 8, Ezéchiel 27, 24 et Psaumes 139, 16). Le lecteur est entraîné vers un golem comme figure du désir, mais aussi porteur d’une double identité, technique et littéraire. La gematriah (où chaque nom a une équivalence numérique, technique kabbaliste classique) est mise à contribution pour mettre sur un même plan les mots golem, sagesse et l’addition Halakhah + Aggadah (la Loi et le Récit, p. 146). De même, le tserouf (combinaisons de lettres, autre technique kabbalistique) permet aussi à l’auteur de l’article Marc-André Ouaknin de se transporter dans différentes directions, vers Victor Hugo entre autres. La présentation d’une œuvre d’Anselm Kiefer met un point final à cette partie virevoltante.

La dernière partie de ce livre est constitué par les appendices. On y retrouve des repères biographiques, un glossaire fort utile au lecteur peu formé à la mystique juive, une liste des œuvres de l’exposition, une bibliographie et un index. Le texte du catalogue est en outre encadré par deux extraits de bandes dessinées signées Yoan Sfar et Dino Battaglia.

Ce très beau catalogue s’approche grandement de l’exhaustivité, aucune activité humaine liée au golem ne semble avoir été oubliée. Certes, pour des raisons assez évidentes, l’accent est mis sur la peinture et la sculpture et la mystique juive proprement dite n’est que l’arrière-fond, mais cet arrière-fond sait de temps en temps se mouvoir vers le devant de la scène. Les articles sont méthodologiquement bien étayés, et les textes sont, à de très rares exceptions, d’une grande facilité de lecture, avec très peu de redondances (un catalogue ne se lit de toute façon pas comme un roman). Les illustrations, en couleurs, sont d’une grande variété et d’une grande qualité, sourcées comme il se doit.

Cette exposition, et donc conséquemment catalogue, réussit pleinement à montrer la contemporanéité de la figure du golem, même si le contexte qui a fait naître mythe à l’époque moderne (s’inspirant de textes médiévaux, eux-mêmes faisant référence à la Bible et à la Mishnah) est totalement dépassé. Il est peu probable que, avec les évolutions constante de l’intelligence artificielle, la figure de la création humaine s’autonomisant de son concepteur soit amenée à disparaître.

(D. Trump comparé au golem  par des journalistes étasuniens p. 23 …8,5)