Neuro-science-fiction

Les cerveaux d’ailleurs et de demain
Essai sur le cerveau dans la science-fiction par Laurent Vercueil.

Beaucoup de matière (grise).

Le cerveau et ses fonctions cachées est un thème assez répandu dans la SF qui a, semble-t-il, connu un pic avec les années 1970 et l’action des psychotropes dans le déblocage de capacités insoupçonnées et surpuissantes. Mais les années 80 n’ont pas forcément délaissé cet organe (peu sexy) en le cybernétisant comme dans le cyberpunk. Les extraterrestres, entre Krang des Tortues Ninjas et les envahisseurs de Mars attaque, semblent aussi avoir besoin de ce genre d’accessoires. Toutes ces apparitions et utilisations sont rassemblées dans ce livre écrit par un neurologue grand lecteur de science-fiction.

La première partie prend pour thème le cerveau des extraterrestres en se basant sur la description de l’intelligence des envahisseurs de la Guerre des Mondes de H. G. Wells. En premier lieu, elle se doit d’être vaste. Il est donc question de la possibilité d’une boîte crânienne surdimensionnée pour des extraterrestres mais l’auteur aborde aussi les possibles types d’intelligence (il n’y a pas de définition universellement acceptée de ce qu’est l’intelligence p. 45) ou les intelligences multiples. Mais l’alien est aussi calme. Il a une maîtrise absolue de ses émotions, ce qui emporte des capacités métaboliques particulières. Par contre, cette maîtrise des émotions peut aussi résulter de dommages ou d’opérations du cerveau, conduisant à une plus faible réponse à certains stimulus. Ou alors ils ont des émotions et ne les prennent juste pas en compte. La dernières caractéristique de l’intelligence extraterrestre est l’impitoyabilité. L’alien peut-il éprouver de l’empathie ? Comment un humain peut-il en manquer ?

La seconde partie, plus grande en nombre de pages, s’intéresse à ce que peuvent faire les cerveaux dans la science fiction et quel est le regard que peuvent porter aujourd’hui les neurosciences sur ces fonctionnalités. Première possibilité abordée, l’extension de l’intelligence. Seconde possibilité, la multiplication des cerveaux. En troisième position vient la réduction ou la suppression du sommeil, permettant de consacrer le temps gagné à acquérir du savoir. Mais peut-être pouvons-nous exploiter les rêves aussi ?

Enfin, pour peut-être se libérer de l’enveloppe charnelle, pourrons-nous placer notre cerveau dans une cuve et atteindre ainsi l’immortalité. Mais cela ne signifie pas que notre mémoire ne pourra pas être modifiée … L. Vercueil veut aussi rappeler que le cerveau peut voyager dans le temps, que certains envisagent la greffe de tête (mais attention, le cerveau est plus ou moins à la remorque de l’expérience corporelle p. 233), ou, au moins, de pouvoir lire dans les pensées. Jusqu’à prédire l’avenir ? A chacune des actions potentielles du cerveau, rencontrée dans dans la SF, tant ancienne que récente, l’auteur apporte des réponses sur la faisabilité et partage avec le lecteur la possibilité que cela advienne un jour en spécifiant l’état actuel des connaissances.

Il y a dans ce livre l’alliance de deux hauts niveaux de connaissances, l’un en littérature de l’imaginaire et l’autre en neurologie. Et c’est aussi un peu ce qui est attendu du lecteur, pour qui la lecture ne sera pas toujours aisée. Certes il y a le glossaire (très utile mais pas très long), mais on ne sait pas qu’il existe avant d’y arriver. Du coup, c’est le grand saut dans la piscine d’eau glacée. Ou alors ce n’est pas à lire quand il est encore tôt pour le cerveau du lecteur. Mais en dehors de la difficulté, le lecteur est récompensé par une foule de considérations très intéressantes,où il apprendra surtout des choses sur notre cerveau, sur les types d’intelligences (même si l’auteur est partagé sur la question p. 48-50), sur le rôle des hémisphères du cerveau (p. 145, où le gauche invente un truc pour se sortir de l’embarras!) mais aussi sur la fonction de ralentisseur qu’ont eu les dinosaures dans notre propre développement par rapport à des extraterrestres (p. 54). On ne le suivra par contre pas sur le conspirationnisme reptilien qui serait apparu avec internet. La série V lui est pourtant bien antérieure ! Sur la caducité du concept de cerveau reptilien, L. Vercueil est par contre bien plus convaincant (p. 141-143, fonctions réparties et non hiérarchisées) et le passage sur la nécessité du sommeil est excellent (« le lit nous tend les draps » p. 153). En définitive, un peu d’humour accompagnant une excellente vulgarisation appuyée sur de la science-fiction de toutes époques (qui donne envie d’être lue), entrecoupé dans ses 270 pages de texte de très bonnes illustrations. Encore un très bon volume de la série Parallaxe.

(Kant a fait de la SF  p. 22 et Arthur Clark rappelle l’ahurissante responsabilité d’être seul dans l’univers p. 107 … 7)

Comment parler à un alien ?

Essai de linguistique appliquée à la science-fiction de Frédéric Landragin.

C’est le jour de la tentacule.

Que se passerait-il si des extraterrestres arrivaient demain sur Terre ? Comment communiquer avec eux, s’ils le veulent bien ? Ce livre n’a bien entendu pas la réponse à ces questions (cela dépend beaucoup desdits extraterrestres), mais liste tout de même une partie des éléments qui entrerons en jeu dans ce cas-là. Il s’aide pour cela de ce que la science-fiction a déjà pu mettre en œuvre, dans un roman ou un film, pour parvenir à communiquer avec des êtres inconnus.

L’introduction commence avec quelques notions de base, la plus importante étant la différence entre langue (système de communication) et langage (faculté de parler). Mais il est aussi question des quatre facettes du signe (p. 21) et des fonctions du langage. La linguistique est elle aussi décrite, avec ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.

Puis l’auteur s’attache à montrer comment la SF a donné naissance à une sous-branche du genre appelée linguistique-fiction. Cette dernière utilise des théories de la linguistique pour bâtir des histoires, voir faire d’une notion un personnage. F. Landragin cite les exemples de L’Enchâssement de Ian Watson (publié en 1973 et qui place au centre de son récit la notion d’enchâssement des phrases), Les Langages de Pao de Jack Vance et de Babel 17 de Samuel Delany. Tout cela nous mène aux théories de Noam Chomsky et à la thèse dite Sapir-Whorf, avec toujours au centre l’articulation entre langue et perception de la réalité.

Le second chapitre se concentre sur l’origine et l’évolutions des langues naturelles (le français, le javanais, le patagon etc.). Il faut d’abord faire la différence entre l’oral et l’écrit, avec une plus grande facilité de description pour ce dernier. Leurs relations sont évoquées, de même que leurs évolutions. Il n’existe aucune évolution obligatoire qui ferait passer une langue d’un stade isolant à un stade agglutinant puis enfin à un stade flexionnel (p. 98).

Le troisième chapitre passe aux langues artificielles et imaginaires. Parmi les langues artificielles (qui ont un haut taux d’hapax dans leurs textes p. 135), la plus connue est sans aucun doute l’esperanto mais elle est loin d’être la seule (volapük, cablese, loglan etc). Parmi les nombreuses langues fictionnelles, on peut dénombrer le sindarin, le klingon, le mechanese. Il est évident que ces langues tout comme les néologismes sont un élément essentiel de l’émerveillement que ce doit de susciter une œuvre de SF.

Le chapitre suivant va plus loin dans la description des langues en détaillant certains éléments constitutifs que sont le lexique, la phonétique, la prosodie (pauses et accentuations à l’oral), la morphologie, la syntaxe, la sémantique, la pragmatique et la stylistique. Le panorama est très vaste mais tout est très bien décrit en s’appuyant toujours sur des exemples issus de la SF.

Une fois que tout ceci est bien en tête, on peut enfin rencontrer nos extraterrestres. Le contact est facilité si l’on a préalablement découvert des archives que l’on a pu exploiter (déchiffrer). Le contact lui-même peut s’effectuer à distance (communication lumineuse) ou en face-à-face. C’est là que la désignation prend une importance considérable avec les notions de « je » et « tu » (p. 211). Puis après, il faut avoir quelque chose à se dire …

La conclusion pose la question de l’avenir de la linguistique-fiction, avant de laisser place aux notes, à la bibliographie et à un index des notions.

L’exposé est, comme pressenti, très solide. Les exemples sont variés et la SF française du début du XXe siècle n’est pas oubliée. Le propos est très accessible, très clair. Certaines théories sont même très habilement résumées grâce à des onomatopées (l’origine des langues, p. 79-80) mais leur rejet en bloc nous paraît en revanche beaucoup plus hasardeux. Pour ce qui est de l’indo-européen apparaissant vers 6000 a. C. (p. 89) et les premières écritures vers 10 000 a.C. (p. 73), là encore nous doutons au vu des découvertes archéologiques récentes. Sur la prononciation contemporaine du français en France (p. 96), les conclusions sont très abusives. De même place sur un même plan de comparaison le Gom Jabbar et la cuve axolotl comme termes nécessitants obligatoirement une explication de l’auteur (dans Dune) nous semble fausse (puisque l’axolotl qui donne son nom à la cuve est un animal aux vertus justement régénératives). La racine latine de « dormitoir » (dans Les Monades urbaines de R. Silverberg, ici p. 140) n’est pas non plus vue par F. Landragin. Enfin, certains effets tombent à plat (p. 75), mais on ne peut pas gagner à tous les coups … Mais le passage sur l’importation de phonèmes en français (p. 155) et le nombre de noms différents pour désigner une coccinelle en Corse (24, p. 152) rattrapent aisément ces faibles désaccords.

(les recherches sur l’origine des langues et la langue universelle ont été proscrites à la fin du XIXe siècle en France et au Royaume -Uni  p.82 … trop de fantaisistes …7)