The Interplay of Video Games and Histories Recueil d’articles sur les relations entre les sciences historiques et les jeux vidéo dirigé par Csilla Ariese et alii.
L’étude des interactions entre sciences historiques et jeux vidéo est assez récente. D’une part parce que les jeux vidéo n’existent que depuis une cinquantaine d’années et qu’il n’y a que peut-être seulement depuis deux décennies que ces mêmes jeux vidéo sont considérés comme une production culturelle digne d’intérêt (et légitime, surtout au vu du poids commercial actuel en conséquence de la plus grande part d’adultes qui jouent). La ludologie elle-même est assez jeune en tant que discipline (autre que les théoriciens comme J. Huizinga et son Homo Ludens paru en 1938), conséquence de la part grandissante des loisirs dans la vie des Occidentaux après 1945.
Dans ce second recueil consacré au sujet paru en 2021 (le premier nous semblait moins intéressant), les relations entre sciences historiques et jeux vidéo sont analysées selon différents angles. La première partie est ainsi consacrée à la narration dans et sur les jeux vidéo avec des articles sur la recherche historique conduisant à la création d’un jeu, sur les souvenirs d’anciens combattants intégrés à la visite virtuelle d’une fabrique écossaise de « coquelicots du souvenir » (portés traditionnellement en novembre dans le Commonwealth en souvenir de la Première Guerre Mondiale ), le décorticage façon stratigraphie d’un jeu vidéo du tout début des années 80 et l’interprétation archivistique par les joueurs de Morrowind d’une bataille fondatrice dans ce jeu (mais sujette à des informations contradictoires au sujet de laquelle des passionnés proposent des analyses). La seconde partie passe à la représentation dans les jeux vidéo avec des articles sur l’intersectionnalité, l’Antiquité dans les jeux de combat (y compris les plus obscurs), la décolonisation des jeux vidéo et la cartographie (toujours utile dans les vastes mondes de jeux de rôle mais ici avec un angle très théorique). La dernière partie est plus orientée pédagogie, avec l’exemple du jeu vidéo comme participant de la recherche scientifique, l’emploi du jeu vidéo dans une classe de primaire (sur le monde anglo-saxon) mais aussi sur sa conception à l’université mais aussi les apports de l’histoire environnementale dans les jeux vidéo. L’ouvrage s’achève sur des témoignages de joueurs.
Diversité des approches et des thèmes on l’a vu, et donc aussi de la qualité des contributions. Parmi ceux qui nous ont le plus plu figurent ceux sur l’Antiquité dans les jeux de combat et sur les débats archivistiques autour de Morrowind. On peut sentir une assez dommageable influence « nord-américaine » dans plusieurs articles rattachables aux sciences sociales, vraisemblablement en partie due aux recherches sur l’esclavage et la Compagnie néerlandaise des Indes Occidentales que font une partie des contributeurs, ce qui sensibilise beaucoup dans les dernières décennies aux questions post-coloniales. A tel point qu’il est question des Malouines comme un conflit colonial en 1982 (p. 40), ce qui peut faire bondir et pas seulement à Londres. D’où aussi les questions de représentations …
Chichement mais judicieusement illustré, avec des bibliographies peut-être un peu trop récentes quant aux ouvrages théoriques et doté d’une couverture très évocatrice, voilà un livre qui nécessite d’avoir eu une manette en main pendant quelques heures pour en apprécier un minimum les apports. Pour un public doublement averti donc.
(la simulation économique, un genre plus joué qu’on ne le croit ? … 6)
Conflits, passions et trahisons : la saga décryptée
Essai sur la littérarité de la série cinématographique Star Wars par Nicolas Allard.
Star Wars est devenu un grand rendez-vous annuel au cinéma, en plus de tous les produits dérivés qui sortent en continu. Mais est-ce seulement une série de films d’action et de science-fiction ? Tel n’est pas l’avis de Nicolas Allard, enseignant en classe préparatoire, qui y voit une ligne narrative, courant de l’épisode I à au moins l’épisode VIII (il y ajoute Rogue One pour faire bonne mesure). Prenant le parti d’une progression narrative pour cet ouvrage, N. Allard ne démarre donc pas avec l’épisode IV (sorti au cinéma dans sa première version en 1974) mais avec l’épisode I, la Menace fantôme. Qui dit narration (ou récit) dit procédés narratifs, et c’est ce qu’analyse l’auteur dans les 210 pages que compte ce livre, en plus des liens entre les personnages, leurs buts et leurs psychologies.
L’auteur commence donc par le très discuté épisode I. Son jugement n’est pas entièrement négatif, mais N. Allard le pense néanmoins très dispensable. Ce qui le gêne le plus, c’est que c’est une opposition à la pleine expansion de l’imaginaire du spectateur avec la volonté d’expliquer tout ce qui se passe dans l’épisode IV (p. 12). Montrer une Ancienne République avant sa chute était nécessaire, expliquant la lutte de la Rébellion pour revenir à un état démocratique ou du moins non dictatorial. L’antagonisme Sith-Jedi était lui aussi nécessaire dans cet épisode, passant d’une différence hiérarchique à une dimension spirituelle (les Siths vont toujours par deux, p. 16). Mais pour l’auteur, l’ellipse de dix ans entre les épisodes I et II est l’aveu de l’inutilité du premier épisode.
Dans ce second épisode, le film cherche à compenser ce premier opus déficient. C’est pour l’auteur clairement le but de l’histoire d’amour entre Anakin et Padmé (p. 33). Anakin et Obiwan y sont comparés à Perceval et Gauvain. On entre aussi plus profondément dans le fan service, ce que N. Allard traduit par une « réponse à l’horizon d’attente du spectateur/lecteur » (p. 40-41), avec l’apparition de Jango et Boba Fett mais dont la présence n’apporte rien au récit, ce dernier qualifié même de « hasardeux ». L’arrière-plan politique est pour l’auteur à la fois flou et simpliste, avec une alliance entre Séparatistes et Dark Sidious difficile à expliquer (p. 46).
L’épisode III est de l’avis de la majorité l’épisode le plus réussi de la prélogie. C’est surtout le plus épique en plus d’être le récit de la chute d’Anakin, bien aidée par le flagrant manque de psychologie du Conseil Jedi. L’auteur trace d’ailleurs un parallèle entre cet épisode et la pièce de théâtre Britannicus de J. Racine où Neron est conseillé par plusieurs proches mais choisi de suivre le mauvais conseiller. Néron tue alors son frère, mais perd du coup celle qu’il aimait en plus du soutien du peuple qui jusque là aimait sa vertu (p. 67-68). C’est cette catabase (descente aux enfers) qui fait tout l’intérêt de cet épisode, avec le moment fort du basculement (mais elliptique) de l’entrée dans le Temple Jedi (p. 68). Cette catabase se poursuit sur Mustafar, la planète de lave, où se joue une sorte d’Orphée aux Enfers inversés, Padmé essayant de sauver Anakin. (p. 72). Ce chapitre est aussi l’occasion pour l’auteur de s’interroger sur l’homosexualité de Palpatine (changer un jeune homme par un autre etc) tout en faisant un parallèle intéressant entre Dark Vador, le Monstre de Frankenstein et les Nazgûls (p. 78-79).
Le chapitre suivant permet à l’auteur de parler des différences et des similitudes entre Vador, Padmé, Leia et Luke (p. 87-88) mais aussi de développer un peu sur le personnage d’Obiwan en tant que sage immoral dans l’épisode IV (il était déjà pas sans taches dans la prélogie, p. 91). Il est aussi fait un parallèle dans ce chapitre avec le Seigneur des Anneaux (p. 93). Celui-ci nous semble cependant pas concluant. Un parallèle avec le Hobbit aurait sans doute mieux accompagné le développement de N. Allard sur la constitution comique d’une communauté héroïque. Mais peut-être que l’auteur est alors plus concentré sur les personnages des films que des romans ?
L’épisode V est très explicitement le favori de l’auteur. A bon droit même si l’on suit l’avis majoritaire des amateurs. Cela tiendrait en premier lieu au fait que Vador y serait le metteur en scène de l’épisode (p. 121). N. Allard analyse aussi avec justesse le duel sur Bespin entre Vador et Luke comme la recherche d’une certaine intimité de la part de Vador pour proposer à son fils de renverser l’Empereur (p. 125). Dans cet épisode, Vador est redevenu la force agissante de l’Empire sur le terrain après l’échec des autres subordonnés. Cette évolution continue dans l’épisode suivant avec cette fois-ci l’Empereur obligé d’être présent physiquement, alors que la situation dans l’épisode V lui permettait encore de n’être qu’un hologramme.
L’épisode VI démarre lentement et pas sans redondances selon N. Allard. Luke y assume son ascendance dès le début de l’épisode mais il est aussi le seul depuis sa mère à croire en la rédemption possible de Vador/Anakin (p. 141). De son côté Vador, malgré son offre de l’épisode V, protège encore l’Empereur, sans doute parce que ce dernier est le dernier lien qui unit Anakin à Vador ainsi qu’à l’humanité même, dans une solitude hyperbolique (p. 144). Toujours est-il (p. 146) que Luke ne tue pas le père …
La postlogie (qui commence avec le septième épisode) a un problème d’entrée de jeu pour l’auteur. Elle a été tournée après la prélogie (voir même contre elle, p. 163), celle qui explique la prophétie du rééquilibrage de la Force et le principe sith du « un maître, un apprenti » (p. 154), et elle doit faire suite à la fin fermée de l’épisode VI. La conséquence est sans appel pour N. Allard : l’épisode VII n’a pas lieu d’être mais ce n’est pas forcément un mauvais récit pour autant. L’auteur est très dur envers cet épisode, au point de se demander si toute la trilogie n’a servie à rien. Il y voit de monstrueuses incohérences avec le VI, de plus dans un contexte obscur (le Nouvel Ordre est une faiblesse scénaristique, voire une paresse p. 174). Ne s’est-il rien passé en 30 ans (p. 158-159) ? Le reproche principal reste cependant le manque d’originalité de cet épisode, sorte de reprise de l’épisode IV, à l’écriture contrainte du fait de l’âge des protagonistes, avec son surplace du début, ses grosses coïncidences et Kylo Ren en jeune radicalisé (p. 171). L’auteur nous semble cependant faire fausse route quand il affirme que la sensibilité à la Force est une invention de l’épisode VII, puisque cette dernière existait déjà dans les romans et les jeux de cartes (p. 162). Mais au niveau cinématographique, elle y est devenue explicite. Autre innovation, le sabre laser d’Anakin donne maintenant des visions (p. 167). N. Allard semble regretter que ce ne soit pas une épée de Melniboné … Fait marquant, il n’y a pas d’analepse entre le septième et le huitième épisode, c’est une suite directe. Le déplaisir est donc bien marqué à la lecture de ce chapitre. Pour l’auteur, le spectateur était jusqu’à l’épisode VII libre d’échafauder ses propres théories, comme dans un livre. Mais il y a maintenant des DLC (acronyme anglais pour contenu téléchargeable) …
L’avant dernier chapitre du livre se concentre sur l’épisode libre intitulé Rogue One. N. Allard le trouve faible narrativement, une conséquence de l’abondance de personnages, en plus d’être tout aussi faible en informations (p. 187).
Le dernier chapitre cherche à définir quelles peuvent être les évolutions à venir dans la saga (le livre est sorti neuf mois avant l’épisode VIII) en partant des personnages. C’est un chapitre où l’auteur prend quelques risques, en connaissance de cause, après analyse des potentialités narratives de l’épisode VII, des bandes annonce de l’épisode VIII et des déclarations de l’équipe du film (p. 195 et suivantes). Nous verrons bien si le carreau est loin de la cible …
Le public visé par ce livre est des plus larges, allant même jusqu’à préciser que Stendhal est un romancier français (p. 29, La Boétie p. 71). Le livre est informé mais si l’on en croit la bibliographie, ne s’appuie que sur des ouvrages en français. C’est très plaisant à lire, avec une infinité d’observations d’une grande justesse et un intérêt pour la psychologie des personnages qui tient le lecteur en haleine. On peut discuter de la définition de catharsis donnée par l’auteur (p. 217), mais les autres concepts, principalement littéraires, sont correctement introduits et permettent des analyses claires, sans pesanteurs, avec de nombreuses comparaisons avec des classiques de la littérature française et mondiale. Assez étonnamment il reste des erreurs formelles, dont celle qui fait le plus mal pour un agrégé est cette erreur dans le participe-passé de la page 41. Autre problème formel, il a été rajouté dans le texte des citations de ce même texte, en exergue à l’intérieur des chapitres, avec des guillemets anglais jamais fermés. Mais comme le lecteur vient justement de lire ces mêmes phrases quelques centimètres plus haut, on obtient juste une redite plus que dispensable.
(promenons nous dans les bois pendant que l’Empire n’y est pas, p. 137, est un très bon titre … 8)