Notre-Dame – Une affaire d’Etat

Essai sur l’incendie de Notre-Dame de Paris et sa restauration par Didier Rykner.

Va falloir faire vite.

Un bon révélateur de la place de la France dans le paysage mental mondial a été l’incendie qui a touché la cathédrale Notre-Dame le 15 avril 2019 à Paris. L’émotion a été forte dans quantité d’endroits de par le monde, les messages de sympathies affluèrent, suivis par les dons, parfois très importants, pour la future restauration. Et restauration il y aura annonce le Président de la République, et peut-être même un peu plus. C’est de ce plus que ne veut pas l’auteur, en plus de nombreuses choses que ce livre lui permet de détailler.

Mais tout commence par l’incendie, le 15 avril 2019 à 18h18. Le feu couvait sans doute depuis des heures, mais l’alarme ne se déclenche qu’avec l’apparition des flammes dans la charpente de la nef. Pour plusieurs raisons, la localisation du départ de feu n’est pas rapide et les pompiers ne sont appelés qu’une demi-heure plus tard. La fumée est déjà visible par ceux qui regardent en direction du toit de plomb de la cathédrale. La charpente de la nef brûle, et à 19h50, la flèche s’effondre. Quand les pompiers ont réussi à éteindre l’incendie, la charpente n’est plus, tout comme le toit bien évidemment. Mais les rosaces ont survécu, comme de nombreuses œuvres d’art en contrebas.

Le second chapitre, qui fait suite au récit heure par heure du sinistre, est plus technique. La question est de savoir où a démarré l’incendie et pourquoi, avec comme première difficulté que le rapport d’enquête n’a pas encore été publié, quatre ans après. C’est anormalement long, même si la piste criminelle ou terroriste est écartée. Le chapitre aborde aussi les manquements possibles à la sécurité du chantier qui était en cours, ainsi que la législation que l’auteur juge pas au niveau, au vu des différents feux ayant affectés des monuments historiques dans les dernières années en France. Le dernier en date, le 11 juin 2024, a eu lieu au Château de Versailles. Et là encore, un chantier.

Une fois l’incendie éteint et alors que l’inventaire des dégâts est en cours, débute le débat sur la restauration. Certains observateurs ou politiciens parlent eux de reconstruction, ce qui n’est pas du tout la même chose, et qui vise in fine à une transformation parfois radicale du monument. Certains architectes se prennent à rêver d’être choisis pour ériger une nouvelle flèche comme geste architectural (alors que cette dernière est présente sur la cathédrale dès le début du XIIIe siècle). Si le Président de la République, le gouvernement et d’autres y pensent très fortement, jusqu’à organiser un concours, au grand soulagement de l’auteur (mais surtout en conformité avec la loi et les accords internationaux) la décision de l’Etat propriétaire est la restauration, c’est à dire refaire dans le dernier état connu en mariant donc le Moyen-Age et la réfection de Viollet-Le-Duc au XIXe siècle. La charpente aussi doit être refaite en bois, un choix non seulement matériellement possible, mais aussi pas si mauvaise en cas d’incendie si des mesures d’accompagnement sont prévues.

L’auteur analyse ensuite la loi spéciale votée pour la restauration de Notre Dame, passant de la méfiance à une sorte de satisfaction, surtout parce que les dérogations qu’elle permettait n’ont pas été utilisées. Puis D. Rykner évoque dans un sixième chapitre les étapes du chantier de restauration, des statues aux peintures en passant par les questions de statiques. Le chantier est l’occasion de programmes scientifiques d’importance. Puis l’auteur avance dans des thématiques qu’il considère comme plus problématiques. La première est celle des abords, du square attenant, selon lui saccagé, mais il met aussi en lumière l’absence d’un vrai musée et l’arrêt des fouilles archéologiques alors qu’au moins la moitié du jubé médiéval du chœur (démonté et enseveli au XVIIIe siècle p. 221 et dont la très haute qualité d’exécution est connue) n’a pas été fouillé à cause du délai imposé pour la réouverture de la cathédrale. Un dernier chapitre fait un état des lieux de la protection des monuments historiques en France et particulièrement des cathédrales, quatre ans après le sinistre, puis propose des moyens d’amélioration (avec des pistes de financement). Il reste beaucoup à faire, tel est le mot de conclusion.

Dans un livre très enlevé, personnel et richement illustré (en couleur), D. Rykner est égal à lui-même, à ce qu’il montre dans son travail quotidien à La Tribune de l’Art : ténacité, sérieux, vivacité de plume, avis tranchés mais argumentés (p. 48, p. 106 par exemple). Il n’est pas ami avec tout le monde et cela lui est égal, au premier rang pour D. Rykner il y a l’information du public et la défense du patrimoine. Il est donc ami avec S. Bern, avoine une grande partie des architectes français connus mais donne une vison plus nuancée du général Georgelin, en charge de la restauration, que ce que d’autres médias ont pu faire. Qui est surpris quand il démontre que la municipalité parisienne ment continuellement, tout en dépensant beaucoup d’argent dans des projets ineptes ce qu’elle devrait consacrer à la préservation et la mise en valeur de son patrimoine ?

Un travail journalistique modèle qui ravira tout lecteur intéressé.

(la voûte gothique est justement faite pour permettre au bâti de résister au feux de charpentes p. 34 … 8)

Il santuario ritrovato

Essai d’archéologie romaine dirigé par Emanuele Mariotti et Jacopo Tabolli.
Nuovi scavi e  ricerche al Bagno Grande di San Casciano dei Bagni.

Plouf.

Quand ce livre est sorti en 2021, tout était encore calme. Un an après, le site était le théâtre de la plus grande découverte de statues en bronze depuis celles de Riace en 1972. Mais contrairement à Riace, pas de mer ici. San Casciano dei Bagni est dans la campagne toscane, entre Sienne, Chiusi et Orvieto. Mais il y a de l’eau dans le coin, et pas qu’un peu : la commune compte 37 sources thermales. C’est l’une de ses sources qui alimente le sanctuaire sis au pied du village moderne, avec ses deux piscines d’eau chaude encore aujourd’hui utilisées par les habitants (mais sans doute avec des interruptions depuis l’Antiquité).

La présence d’un sanctuaire est connue depuis 1585 et quelques petites fouilles amateures ont eu lieu au XIXe siècle. L’étude scientifique débute en 2014, suite à d’autres découvertes dans des localités proches. Suivent des prospections en 2016 et 2019, une première tranchée de sondage en 2019. Enfin, entre juillet septembre 2020 prennent place les premières fouilles. Mais le présent livre ne fait pas que relater le déroulé de ces fouilles et leurs résultats. Son objectif est bien plus ample. Il s’intéresse aussi au site à la préhistoire, ainsi qu’aux confins sud du territoire clusinien au début de l’Age du Fer et à la période étrusque. La question des eaux sacrées en Toscane intérieure étrusco-romaine est l’objet d’un chapitre, tout comme les évolutions du paysage clusinien, entre sources, population et échanges.

Le regard des antiquaires sur le sanctuaire du Bagno Grande n’est pas oublié, avec plusieurs gravures du XVIIe siècle portant sur les différents modes de cure pratiqués sur place tout comme est étudié ce qu’il est advenu d’une collection privée d’artefacts originaires de San Casciano. Enfin, passé tous ces éléments de contexte très variés, l’étude du site commence vraiment avec la partie topographique, suivie de la relation des fouilles de 2019 et 2020 au Bagno Grande. Les fouilles ont mis au jour un sanctuaire dédié à Apollon, la Fortune Primigène, Esculape, Isis et Hygie, dont les plus anciennes structures architectoniques sont datées entre la fin du IIe et le début du Ier siècle avant notre ère (p. 152). Au début du Ier siècle ap. J.C. s’opère une monumentalisation du site avec l’édification d’une structure quadrangulaire doté d’un bassin ovale encadré par des colonnes (un impluvium, en lien avec une source à proximité). Peu de temps après et suite à un incendie, un petit portique à colonnes est rajouté, donnant accès à la structure quadrangulaire. Au milieu du IIe siècle de notre ère sont ajoutés les autels au bord du bassin, essentiellement dédié à la santé de membres d’une famille sénatoriale. Au IVe siècle, le sanctuaire bénéficie d’une rénovation importante du mur périmétral, puis entre la fin de ce siècle et le début du suivant, le sanctuaire est « mis en dormance » (p. 159) par la mise bas méthodique des éléments porteurs et le renversement des autels et des statues. A un angle du sanctuaire, une structure mal définie est ensuite érigée.

Les matériaux utilisés, les techniques de construction et la décoration sont ensuite abordés plus en détail, en utilisant le protocole de description AcoR. Les inscriptions sont au centre du chapitre suivant, tant celles retrouvées avant la fouilles que celles que la fouille a pu dégager. Une analyse du paysage religieux, de ses espaces et de ses acteurs, conclut la partie textuelle de ce livre avant de laisser la place à un catalogue décrivant les autels, la statue en marbre d’Hygie, les ex votos anatomiques en bronze, les statuettes d’oiseau en bronze et en marbre, les autres objets en métal et enfin la céramique. La bibliographie ferme la marche d’un ouvrage très richement illustré en couleur comptant 250 pages.

Fouiller dans de la boue chaude pendant qu’à quelques mètres des gens se baignent, voilà des conditions de fouille qui peuvent être frustrantes. Mais le lecteur lui n’est pas frustré, loin de là. Le livre est d’un très bon niveau et si certains articles peuvent être arides, le plaisir de lire les analyses sur les techniques édilitaires ou l’interprétation religieuse, entre les Prénestins adorateurs de la Fortune qui visitent Délos et les oreilles en bronze destinées aux dieux qui écoutent, il est lui bien réel. Une grande variété d’articles, de belles descriptions tant de bâtit que d’œuvres plastiques, des références à jour forment un travail de grande qualité et très complet. Alors oui, ce n’est pas le Parthénon (ou l’Ara della Regina tarquinienne pour aller moins loin), mais les sanctuaires des eaux non dédiés aux nymphes ne sont pas si nombreux. C’est donc un très bon début et la prochaine livraison portera forcément sur les découvertes de 2021, sur l’usage des piscines attenantes au sanctuaire et peut-être d’autres aires sacrées ou bâtiments. Et même si la population à l’époque étrusque semble assez faible dans la zone, peut-être que seront mis au jour des états plus anciens du sanctuaire. Comme sanctuaire des confins, les pèlerins ne sont pas obligés de vivre à côté. Il y a une incitation à publier !

(le lien entre Isis et les oreilles offertes en ex-voto, voilà qui avale les kilomètres …7,5)