Les Italiens et l’unité (XIXe-XXIe siècle)
Essai d’histoire du Risorgimento de Elena Musiani.
Même si pour l’Italie contemporaine, le Risorgimento a perdu sa centralité au profit de la Seconde Guerre Mondiale et la naissance de la République, la période qui conduit à l’unité italienne marque encore la toponymie de la péninsule. Quelle localité n’a pas sa place Cavour, son cours Victor-Emmanuel II ou une statue de Garibaldi ? Mais E. Musiani (qui enseigne à Bologne) ne se contente pas d’actualiser une histoire du Risorgimento (qu’elle n’est bien évidemment pas la première à faire), elle ausculte aussi comment, dès le lendemain de la création du royaume d’Italie, les évènements qui ont conduit à l’unification sont perçus, tant au niveau de la vie politique et des institutions que dans les arts.
Comme beaucoup de choses au XIXe siècle, le point de départ de l’unification italienne est la Grande Révolution française de 1789. Avec ce bouleversement arrivent en Italie d’abord de nouvelles idées, puis des armées. Le Nord de l’Italie étant sous domination autrichienne, c’est naturellement un théâtre d’opérations pour la jeune république. Bientôt naissent des républiques sœurs et dans le centre et le sud de la péninsule, l’agitation augmente. Avec la présence française, un changement dans la composition des élites dirigeantes s’opère, mariant aristocratie libérale et une bourgeoisie qui a pu profiter de la nationalisation des biens du clergé.
Les restaurations de 1815 ne font pas revenir l’Italie en 1788. De nombreuses principautés n’existent plus, et la conscience de la possibilité d’une union des Italien se fait jour. Le Code Civil reste en vigueur dans de nombreuses contrées. Sa forme n’est pas arrêtée : certains voient le Pape en monarque constitutionnel (la place du catholicisme dans le processus d’unification est majeure p. 65), d’autres imaginent une fédération de princes, et peu imaginent le roi de Sardaigne comme souverain d’une Italie unifiée (malgré de nombreux intellectuels qui se tourne vers la maison de Savoie vue comme plus libérale que d’autres maisons régnantes). L’influence de J. Murat dans la naissance d’une idée politique de l’Italie est de ce point de vue assez inattendue, surtout quant à ses liens avec la société secrète de la Charbonnerie (p. 38 et p. 67). E. Musiani ne peut passer à côté de G. Mazzini, la figure principale du romantisme italien et inspirateur de nombreuses révoltes dans la péninsule (sa vision démocratique et non violente est d’un grand intérêt, p. 98). Un sous-chapitre entier lui est consacré.
Mais 1848 montre l’échec de Mazzini et du modèle des sociétés secrètes formant des conjurations pour renverser les autocraties, chacun dans sa petite ville (comme au Moyen-Âge, p. 77). Et c’est la couronne de Sardaigne qui reprend le flambeau, sous la direction stratégique de Cavour. A Rome et à Venise, le printemps des peuples prend la forme de république à orientation démocratique mais qui ne durent pas. L’Autriche est encore très puissante dans la plaine du Pô et peu de puissances européennes souhaitent la fin de la suzeraineté papale sur Rome, où la France intervient. Mais la France n’est pas insensible à l’idée d’une Italie venant enfoncer un coin dans le flan sud de la monarchie danubienne et Napoléon III va s’engager, avec certaines conditions, en faveur d’une unification italienne sous direction sardo-piémontaise. L’action conjointe des troupes françaises, des volontaires garibaldiens (Garibaldi a été un général de la république romaine) et des troupes piémontaises permet, en plusieurs étapes, d’unir presque toute la péninsule en 1860. Rome étant, condition française, encore indépendante, la nouvelle capitale est transportée à Florence.
Mais quand est proclamé en 1861 le royaume d’Italie, la forme politique a pris beaucoup d’avance sur la réalité sociologique du nouveau pays. Il reste à faire les Italiens. Se pose la question de la langue (seuls 2% des Italiens parlent l’italien, p. 173 même si Manzoni invente la langue nationale au sens du XIXe siècle p. 66), de l’unification économique et administrative. Dans de nombreux cas, on se contente d’envoyer des fonctionnaires piémontais dans le Mezzogiorno, ce qui va avoir des conséquences fâcheuses. Il y a à la fois continuité et fondation : Victor-Emmanuel ne change pas de numéro, il n’y a pas de Constitution, différents systèmes légaux cohabitent encore, la langue italienne est toujours aussi peu parlée qu’en 1815 et le suffrage reste censitaire (p. 165). A la faveur de la guerre franco-allemande en 1870, Rome est annexée au royaume et en devient naturellement sa capitale.
Sitôt après la fin du Risorgimento se met en place son mythe, partagé entre ceux qui se tournent vers les Savoie, les Garibaldiens ou encore Mazzini. Mais la fin du XIXe siècle voit une agrégation de ces différents courants, dans une volonté politique de créer une religion patriotique. On mémorialise, puis on monumentalise (p. 23). Un Autel de la Patrie est donc construit à Rome (concours en 1880), seulement associé et non pas dédié à Victor-Emmanuel comme dans le projet initial. L’Autel inauguré en 1911 mais Mazzini, Garibaldi (et, plus étonnant en 1932, sa femme p. 228) et Cavour ne sont pas oubliés. Initiatives privées et projets communaux se conjuguent. Mais d’un autre côté, la fixation d’une fête nationale continue d’être problématique jusqu’en 1945 (p. 208). Chaque courant politique a bien sûr une vision préférentielle du Risorgimento (p. 206), et les Fascistes sont eux-mêmes influencés par Mazzini, mais une fois au pouvoir, ces mêmes Fascistes s’emploient à séparer les héros de la pensée libérale qui les a animés (exit Cavour, p. 226). En 1947, la toute jeune république s’appuient une nouvelle fois sur le Risorgimento pour asseoir sa légitimité.
Du côté des historiens italiens, les combats ont été âpres comme le montre le septième chapitre du livre. Un très court chapitre se penchent ensuite sur le Risorgimento dans l’opéra, la littérature et le cinéma. Un épilogue clôt le livre et une chronologie, de courtes biographies, une bibliographie, les notes et un index des noms le complètent.
Le fait de ne pas se limiter aux guerres d’indépendance mais au contraire d’élargir jusqu’au XXIe siècle est le grand intérêt de ce livre. Les parties sur l’art aurait cependant mérité un plus grand développement et celle sur les débats historiographiques à réserver à un public déjà averti. Pour qui a le modèle français de construction d’un pays, voilà un modèle très différent et le livre le montre de très belle manière. Mais à la différence de l’Allemagne, pleinement comparable jusqu’en 1860 (toujours contre l’Autriche), l’Italie ne se contente pas d’une fédération mais veut rejoindre l’exemple français (et disons-le latin) de pays centralisé.
Si le livre est d’une grande clarté et se lit avec beaucoup de plaisir (il y a des rebondissements), la traduction n’est hélas pas parfaite. Passons sur l’analyse à notre sens incomplète du mot même de Risorgimento (p. 15). Mais le mot italien Campidoglio doit être traduit en français (Capitole, p. 204) ! On peut aussi contester la qualification de réactionnaires pour les Fascistes (p. 231), puisqu’ils sont, comme les Bolchéviques, très clairement révolutionnaires. La question de la fin de l’expansion ou de la complétude de l’Italie n’est pas abordée dans son côté balkanique mais est limitée aux visions africo-méditerranéennes mussoliniennes, quand l’Empire concurrence la Nation dans les années 30.
Un livre plein de pistes, un clef de plus pour la compréhension du temps long italien.
(les critiques p. 233 des célébrations du 100e anniversaire de la proclamation de l’unité furent exactement l’inverse de celles du 50e …7,5)