Notre-Dame – Une affaire d’Etat

Essai sur l’incendie de Notre-Dame de Paris et sa restauration par Didier Rykner.

Va falloir faire vite.

Un bon révélateur de la place de la France dans le paysage mental mondial a été l’incendie qui a touché la cathédrale Notre-Dame le 15 avril 2019 à Paris. L’émotion a été forte dans quantité d’endroits de par le monde, les messages de sympathies affluèrent, suivis par les dons, parfois très importants, pour la future restauration. Et restauration il y aura annonce le Président de la République, et peut-être même un peu plus. C’est de ce plus que ne veut pas l’auteur, en plus de nombreuses choses que ce livre lui permet de détailler.

Mais tout commence par l’incendie, le 15 avril 2019 à 18h18. Le feu couvait sans doute depuis des heures, mais l’alarme ne se déclenche qu’avec l’apparition des flammes dans la charpente de la nef. Pour plusieurs raisons, la localisation du départ de feu n’est pas rapide et les pompiers ne sont appelés qu’une demi-heure plus tard. La fumée est déjà visible par ceux qui regardent en direction du toit de plomb de la cathédrale. La charpente de la nef brûle, et à 19h50, la flèche s’effondre. Quand les pompiers ont réussi à éteindre l’incendie, la charpente n’est plus, tout comme le toit bien évidemment. Mais les rosaces ont survécu, comme de nombreuses œuvres d’art en contrebas.

Le second chapitre, qui fait suite au récit heure par heure du sinistre, est plus technique. La question est de savoir où a démarré l’incendie et pourquoi, avec comme première difficulté que le rapport d’enquête n’a pas encore été publié, quatre ans après. C’est anormalement long, même si la piste criminelle ou terroriste est écartée. Le chapitre aborde aussi les manquements possibles à la sécurité du chantier qui était en cours, ainsi que la législation que l’auteur juge pas au niveau, au vu des différents feux ayant affectés des monuments historiques dans les dernières années en France. Le dernier en date, le 11 juin 2024, a eu lieu au Château de Versailles. Et là encore, un chantier.

Une fois l’incendie éteint et alors que l’inventaire des dégâts est en cours, débute le débat sur la restauration. Certains observateurs ou politiciens parlent eux de reconstruction, ce qui n’est pas du tout la même chose, et qui vise in fine à une transformation parfois radicale du monument. Certains architectes se prennent à rêver d’être choisis pour ériger une nouvelle flèche comme geste architectural (alors que cette dernière est présente sur la cathédrale dès le début du XIIIe siècle). Si le Président de la République, le gouvernement et d’autres y pensent très fortement, jusqu’à organiser un concours, au grand soulagement de l’auteur (mais surtout en conformité avec la loi et les accords internationaux) la décision de l’Etat propriétaire est la restauration, c’est à dire refaire dans le dernier état connu en mariant donc le Moyen-Age et la réfection de Viollet-Le-Duc au XIXe siècle. La charpente aussi doit être refaite en bois, un choix non seulement matériellement possible, mais aussi pas si mauvaise en cas d’incendie si des mesures d’accompagnement sont prévues.

L’auteur analyse ensuite la loi spéciale votée pour la restauration de Notre Dame, passant de la méfiance à une sorte de satisfaction, surtout parce que les dérogations qu’elle permettait n’ont pas été utilisées. Puis D. Rykner évoque dans un sixième chapitre les étapes du chantier de restauration, des statues aux peintures en passant par les questions de statiques. Le chantier est l’occasion de programmes scientifiques d’importance. Puis l’auteur avance dans des thématiques qu’il considère comme plus problématiques. La première est celle des abords, du square attenant, selon lui saccagé, mais il met aussi en lumière l’absence d’un vrai musée et l’arrêt des fouilles archéologiques alors qu’au moins la moitié du jubé médiéval du chœur (démonté et enseveli au XVIIIe siècle p. 221 et dont la très haute qualité d’exécution est connue) n’a pas été fouillé à cause du délai imposé pour la réouverture de la cathédrale. Un dernier chapitre fait un état des lieux de la protection des monuments historiques en France et particulièrement des cathédrales, quatre ans après le sinistre, puis propose des moyens d’amélioration (avec des pistes de financement). Il reste beaucoup à faire, tel est le mot de conclusion.

Dans un livre très enlevé, personnel et richement illustré (en couleur), D. Rykner est égal à lui-même, à ce qu’il montre dans son travail quotidien à La Tribune de l’Art : ténacité, sérieux, vivacité de plume, avis tranchés mais argumentés (p. 48, p. 106 par exemple). Il n’est pas ami avec tout le monde et cela lui est égal, au premier rang pour D. Rykner il y a l’information du public et la défense du patrimoine. Il est donc ami avec S. Bern, avoine une grande partie des architectes français connus mais donne une vison plus nuancée du général Georgelin, en charge de la restauration, que ce que d’autres médias ont pu faire. Qui est surpris quand il démontre que la municipalité parisienne ment continuellement, tout en dépensant beaucoup d’argent dans des projets ineptes ce qu’elle devrait consacrer à la préservation et la mise en valeur de son patrimoine ?

Un travail journalistique modèle qui ravira tout lecteur intéressé.

(la voûte gothique est justement faite pour permettre au bâti de résister au feux de charpentes p. 34 … 8)

The Viking Age

A Time of Many Faces
Essai d’ostéologie viking par Caroline Ahlström Arcini.

Drôle de lapin.

Les Vikings sont bien partis de quelque part pour se rendre à Constantinople, Palerme ou au Groenland. En Scandinavie, ils vivèrent et moururent. Certains des cimetières ont été fouillés, et c’est ceux contenant des squelettes non crématisés qui ont intéressé C. Ahlström. Car C. Ahlström a un secret (assez mal gardé) : elle est ostéologue, archéologue spécialisée dans l’étude des os humains. Dans ce livre, son but est de dégager une description des Scandinaves restés sur place à partir du matériel ostéologique et d’ainsi mieux décrire leurs conditions de vie.

Aussi dans un premier temps C. Ahlström décrit les huit cimetières datés de la période viking (milieu VIIIe – milieu XIe siècles) qui forment la base de son étude. Ils se situent au Sud de la Suède (Lund, Vannhög et Fjälkinge en Scanie), sur l’île de Gotland (Kopparsvik, Slite, Fröjel) et dans a province d’Uppland (la célèbre Birka et Skämsta). A chaque fois l’auteur indique les répartitions par âge et sexe des squelettes retrouvés et présente quelques tombes ressortant du lot. Une vue d’ensemble des huit site montre qu’aucun groupe ne semble exclu, même si certains site montrent de grosses disparités (p. 37), mais comme on déjà pu le faire voir d’autres sites d’inhumation.

Avec un tel élargissement des horizons géographiques, le commerce au long-cours, les raids ou encore pour d’autres raisons, les individus peuvent se déplacer et s’installer ailleurs, de leur plein gré ou non. Une analyse du strontium dans l’émail dentaire permet de savoir si l’individu considéré est un local ou pas en fonction des valeurs médianes locales qui sont fonction de la géologie (comparaison avec des animaux locaux). L’auteur utilise 405 analyses au strontium, faite dans tout le pourtour de la Baltique pour ensuite dégager des tendances (p. 46). Ainsi au cimetière de Lund-Trinité, 75 % des squelettes considérés ne sont pas des gens ayant grandi à Lund. Cela monte même à 88 % à Birka, grand centre commercial. La proportion est de 30 % à Slite, moindre mais tout de même significatif. Tous ces individus ne sont pas venus de leur plein gré, mais leur statut ne transparaît pas dans leur localisation dans les cimetières ou en fonction du matériel enseveli avec eux. La Scanie semble avoir beaucoup de contacts avec les populations slaves de l’actuelle côte allemande, tandis que Gotland compte une forte population en provenance de l’actuelle Lettonie.

Le chapitre suivant a pour objectif de préciser l’état de santé général de la population. Pour l’auteur, il est comparable à celui de la Scandinavie au début du XXe siècle, avec une taille moyenne de 172 cm pour les hommes, bien plus que la moyenne continentale. Le bilan dentaire est plus contrasté, avec de nombreux cas d’individus âgés (plus de 60 ans) avec peu de dents restantes. De nombreuses caries ont été relevées, dues au miel certes, mais surtout attribuables à une alimentation riche en féculents. Les dents, les seuls moyens de découpe avec le couteau, sont très sollicitées et le sable généré par les meules à main (servant à faire la farine) accentue l’abrasion et causent même des mini fractures. Il en résulte des usures très fortes, pouvant déboucher sur des inflammations de la mâchoire. Si l’arthrose est répandue, C. Ahlström n’a const,até que très peu de signes de violences, à rebours de ce que l’image du viking peut véhiculer et bien moins que celles constatées aux XIIe-XVe siècles. Chose rare, mais néanmoins significative d’une forte intégration des individus différents de la norme, trois squelettes de nains ont été retrouvés (Skämsta et Kopparsvik). Aucun dispositif funéraire ne les distingue des autres tombes. Il en est de même des individus atteints de la lèpre.

Le chapitre suivant s’intéresse aux tailles de dents, un possible marqueur d’identité. La technique en elle même peut se retrouver sur tous les continents, mais en Europe, elle se concentre en Scandinavie. Les porteurs de ce genre de marques (écoincement, taille de demi-lune de la partie inférieure ou encore création de bandes obliques ou horizontales pouvant recevoir des inserts colorés) sont de tous types : hommes et femmes, grands et petits etc. La pratique ne semble donc pas limitée à des pirates (7 tombes sur les 132 porteurs de dents taillées contiennent aussi une arme), mais pour l’auteur l’île de Gotland lui semble liée (80 % des cas) sans pouvoir prétendre à une exclusivité dans le monde scandinave.

Le livre s’achève sur un dernier court chapitre ayant pour but de présenter quelques idées sur la question d’une spécialisation des cimetières et sur l’éventuelle l’influence du christianisme dans l’attention accordée aux enfants (aucun changement selon C. Ahlström). Passé la conclusion récapitulative, un tableau des mesures de strontium et une bibliographie indicative complète ce volume de 90 pages de texte aux nombreuses illustrations.

Première constatation, comme dans beaucoup des livres d’archéologie que nous avons pu lire ces derniers temps : le livre est à peine âgé de six ans, il semble produit il y a cinquante ans tant les possibilités offertes par les analyses génomiques ont tout chamboulé. L’auteur annonce même de prochaines analyses mais les manques sont criants, puisque l’on ne sait pas en 2018 si les deux nains de Skämsta sont apparentés (même si c’est hautement probable) ou la relations entre deux individus enterrés ensemble (p. 26-28). Ceci ne diminue pas l’apport des mesures de strontium (avec une méthodologie très bien expliquée), avec des proportions de non-locaux importantes même hors des ports et des lieux de commerce. Cette partie nécessite encore des développements pour pouvoir voir avec bien plus de précision la composition de la population de la Scandinavie, avec une répartition chronologique plus fine.

Les passages sur les modifications dentaires et sur la santé dentaire nous ont semblé les plus aboutis et ils rachètent largement les petites imprécisions, par exemple sur l’organisation des royaumes carolingiens (p. 40), les légendes de photographies incomplètes (p. 33) ou que le défunt décide de son inhumation (p. 49). C’est peut-être un peu court, mais appréciable de part la visibilité donnée à une science auxiliaire rarement portée sur le devant de la scène.

(on ne sait toujours pas pourquoi certains individus sont inhumés sur le ventre … 7)

Julio-Claudian Building Programs

A Quantitative Study in Political Management
Essai d’économie de la construction impériale romaine, de son management et de ses effets macroéconomiques par M.K et R.L. Thornton.

Très carré.

Quand Auguste a la gentillesse d’accepter que le principat lui soit redonné par le Sénat en 27 a.C., trois choses sont nécessaires en premier lieu pour stabiliser la nouvelle construction des pouvoirs à Rome : que ses habitants puissent boire, qu’ils puissent se nourrir et qu’ils puissent se distraire. La situation des infrastructures publiques de la tentaculaire ville ne s’est en effet pas améliorée avec les guerres civiles. Les aqueducs n’ont pas été entretenus ( l’État n’avait même pas l’autorité pour forcer les propriétaires privés sur les terrains desquels passaient ces mêmes aqueducs à accepter l’entretien ou ne pouvait pas mettre fin à des ponctions d’eau à fins privées), beaucoup de temples sont délabrés et les réserves en grain dans la Ville sont limitées à quelques jours. Auguste introduit deux nouveautés qui vont lui permettre, à lui et ses successeurs, de bâtir selon ses idées (c’est à dire pour soutenir le principat) et en exerçant son contrôle tout au long du projet. La première est que l’édile va récupérer une partie des attributions du censeur en ce qui concerne l’adjudication des travaux publics (l’édile avait déjà à charge l’entretien). Ceci a un double effet, puisque le censeur n’était en fonction que dix-huit mois tous les cinq ans et que Auguste va pouvoir placer quelqu’un de son entourage à un poste d’édile, une magistrature annuelle. La seconde innovation est que le Prince va financer les travaux sur ses propres fonds, et donc ne pas se compliquer la vie avec les votes de financement du Sénat. Ce qui est plus facile quand on est de loin la première fortune de son temps.

Faisant suite à une petite introduction détaillant les objectifs du livre, ses limites et les trois raisons principales de l’existence de programmes de constructions impériaux, l’ouvrage débute avec quelques considérations sur les coûts de main-d’œuvre dans la Rome julio-claudienne et explique la méthode d’indexation des différents édifices et travaux en Unités de Travail de Base, en se basant sur la Maison Carrée de Nîmes, le temple de période augustéenne le mieux conservé (soit 60 UTB). En comparant les m² au sol en fonction du type de travaux (construction, rénovation, pavement etc.), il est possible de comparer les projets entre eux en les factorisant. Les choses sont bien sûr arbitraires, mais une comparaison minimale est possible puisque de toutes façons, les coûts ne nous sont parvenus que de manière très parcellaire. Comme les datation des projets est elle aussi possible, une répartition des charges année par années est elle aussi possible, permettant de visualiser les variations.

Le chapitre suivant met en lumière les problèmes de gestion du personnel, entre travailleurs serviles et libres. Que se passe en cas de contraction de la demande ? Les employés aux grandes constructions publiques quittent-ils Rome ? Trouvent-ils à s’employer sur le marché privé ? Faut-il voir enfin un multiplicateur keynésien dans les programmes publics ?

Les auteurs, munis de leurs données indexées, veulent ensuite déterminer l’activité édificatrice de chaque prince de la dynastie. Si Auguste est un grand bâtisseur, l’activité marque grandement le pas avec Tibère, mais repart en force durant les quatre ans de règne de Caligula, que continue Claude. Les auteurs se concentrent plus en détail sur deux projets de Claude dont le premier est l’assèchement du lac Fucin entre 41 et 52 p.C. par le moyen d’un émissaire long de six kilomètres (un record qui tient jusqu’en 1871 et le tunnel du Fréjus). Une détermination du volume excavé (tunnel et puis) permet aux auteurs de déterminer le nombre de travailleurs employés et d’ébaucher une idée de l’organisation du travail et du chantier, à mettre en relation avec la construction contemporaine pas si éloignée des aqueducs Claudia et Anio Novus qui avaient besoin dans les portions éloignées de Rome du même type de compétences.

Le second projet de Claude est la construction du port d’Ostie (à ne pas confondre avec celui hexagonal de Trajan) devant permettre une meilleure gestion de l’approvisionnement en grain de Rome en provenance des provinces pourvoyeuses comme celle d’Egypte. Les travaux étaient déjà envisagés par César, avec en plus un canal entre Terracine et Ostie et le drainage des Marais pontins (ce que fera Néron). Là encore les auteurs décrivent le projet, avec ses deux môles, son phare (construit à partir de la submersion de l’immense navire qui a transporté l’obélisque qui est maintenant place Saint-Pierre), ses quais et entrepôts. De ce port il n’y aujourd’hui quasiment plus rien de visible, le littoral s’étant pas mal déplacé (des fouilles ont eu lieu dans les années 2000). Avec les données disponibles les auteurs calculent le nombre de voyages des paniers de terre nécessaires pour le creusement du port, avec aide animale ou sans, mais aussi replacent les travaux dans le cadre d’un ralentissement de l’activité édilitaire, un chantier pouvant peut-être amortir la baisse d’activité et ses conséquences sur l’emploi (et ses conséquences sur l’ordre public).

Le livre se poursuit de manière plus générale avec les projets de Claude et de Néron (la Domus Aurea, mais pas que) avant de passer à différentes réflexions, en commençant avec le multiplicateur keynésien, le changement de management mais surtout l’importance des hommes de confiance du Prince, et au premier rang desquels Agrippa. Ces derniers sont détaillés pour chaque membre de la dynastie, avec leur destinée. Si Tibère succède à Agrippa comme chargé des construction sous Auguste, Séjan va tenter de renverser ce même Tibère. Le choix des hommes est ici primordial et l’ordre équestre va revenir sur le devant de la scène avec le temps.

L’ouvrage est complété par une bibliographie qui a bien entendu vieilli (le livre est paru en 1989), un appendice sur l’indexation de types de construction pas vues dans le texte, une liste de tous les projets évalués, des précisions supplémentaires sur Ostie et le lac Fucin. Et enfin un index.

Si les versants ingéniérie et économie du livre sont bien maîtrisés, la partie histoire romaine pure n’est pas délaissée du tout. On pourra regretter des affirmations un peu étonnantes comme le fait que Rome ne serait pas situé sur un nœud de communication (et même dire que ce n’est pas le port qui a créé Rome mais l’inverse peut se discuter, selon comment on définit ce qu’est un port) avec le Tibre et le pont, ou encore que Mécène serait de basse extraction et sans charge de gestion (il administre toute l’Italie quand Octave est à Actium). Les auteurs restent prudents sur les effets macro-économiques des constructions impériales, émettant seulement des hypothèses sur l’inflation ou le marché du travail, et soulignant l’absence presque complète de mesures. L’analyse de l’action de chaque Prince dans le domaine édilitaire est faite avec doigté, avec des résultats étonnants, comme pour la frénésie de construction de Caligula ou les deux phases de Néron, sur lequel Trajan porta un regard appréciatif (quelques lignes visent à le défendre dans ce qui est maintenant un exercice de dépréciation un peu passé de mode, soulignant l’absence de sources favorables à Néron que Flavius Josèphe mentionne, p. 98). Des cartes supplémentaires et moins chaotiques du point de vue chronologique auraient été un plus, mais internet peut de ce côté là nous sauver la mise.

Un ouvrage court, correctement illustré, qui donne une très bonne idée des changements qui affectent la Ville au tournant de l’ère et de ce qu’ils impliquent de planification, de suivi et de gestion des ressources.

(Tibère décide juste de ne rien faire p. 47-48 … 8)

Towards the Borders of the Bronze Age and Beyond

Mycenean Long-Distance Travel and its Reflection in Myth
Essai sur le voyage à l’époque mycénienne par Jörg Mull.

Et revoilà Olympias !

Le bronze de l’Age de Bronze nécessite la combinaison de deux minerais qui ne se trouvent en général pas au même endroit. Pour se procurer l’un ou l’autre (ou les deux) de ces composants, il est donc nécessaire de le faire venir. Et parfois, en quantités non négligeables si l’on considère que pour la taille des blocs de la pyramide de Kheops, 70 tonnes de cuivre ont été nécessaires pour fabriquer les outils de taille (et c’était avant l’introduction du bronze en Egypte). Mais même si les besoins sont moins grands (toutes entités politiques autour de la Méditerranée n’ont de loin pas la grosseur de l’Egypte à la fin du IIe millénaire avant J.C.), il faut faire venir le minerai (en « lingots »), ce qui sous-entend non seulement des cadeaux entre aristocrates mais aussi des échanges commerciaux.

Les textes en grec (en linéaire B donc) qui relatent ces voyages et les liens commerciaux ne nous sont pas parvenus, seules quelques mentions dans les textes égyptiens ou hittites donnent quelques idées vagues sur des contacts. L’archéologie est bien sûr présente, mais la datation n’est pas toujours aisée, et encore moins l’est l’évaluation des productions minières et ce qui est finalement transporté, même si quelques hauts lieux de production sont connus (Chypre a la première place en Méditerranée pour la production de cuivre comme son nom l’indique). Il y a quelques épaves.

Tous ces éléments sont présents dans le livre mais le cœur du propos de l’auteur est l’utilisation des mythes grecs comme indications de contacts au long cours, sorte d’histoire transmise sous forme de mythe. Prenant comme terminus ante quem la Guerre de Troie, J. Mull compte de génération en génération pour remonter jusque vers 1500 a.C. dans une chronologie recomposée. Ménélas, fils d’Atrée, fils de Pélops, fils de Tantale, lui-même fils de Zeus, voilà qui permet les datations relatives des voyages (p. 66). L’auteur entre ensuite dans le détail avec, pour chaque destination les preuves historiques et archéologiques puis l’interprétation d’épisodes mythiques. On commence par l’Anatolie, avant de passer au Levant, à Chypre, à l’Egypte, à l’Italie et ses îles principales avant d’arriver à l’Ibérie et ce qui se passe au-delà des Colonnes d’Hercule (Gaule, Maroc). La Mer Noire n’est pas oubliée et J. Mull finit son périple avec l’Ethiopie, la Grande Bretagne et la Scandinavie. Une bibliographie (ne reprenant pas tous les livres cités dans le texte) complète l’ouvrage.

L’ouvrage n’est pas terriblement critique de ses sources, pour le moins, et cette sorte de crédentialisme, faisant fi de tout ce que les études indo-européennes ont pu dire des mythes (voire plus large encore avec le Déluge de Deucalion p. 98), est assez étonnant. Non que certains épisodes ne soient pas colorés par certaines réalités historiques (les Hittites en arrière fond de la Guerre de Troie par exemple), mais de là à en faire des simili-preuves de liens commerciaux, où chaque équidé un peu rapide est forcément la métaphore d’un navire rapide … Venant de la part de celui qui est le directeur financier de Volkswagen Chine, il faut sans doute voir ce livre comme une toquade. Nous cherchons encore le point de vue différent de l’économiste cité en quatrième de couverture. Non que tout soit faux (les mines par exemple), mais beaucoup de choses y sont comme étirées et forcées (la vitamine C bonne pour les marins des oranges du Jardin des Hespérides …). Les Peuples de la Mer servent de voiture balais ramasse-tout grâce au jeu des ressemblances les plus aventureuses. Des Sardes, des Etrusques parmi eux, vraiment ? Quant à la présence minoenne en Norvège (p. 142), sur quoi repose-t-elle ? La bibliographie est récente, voire même trop, et les citations dans le textes sont la plupart du temps des platitudes dispensables, ne cachant pas les trous du raisonnement.

Une déception.

(la métaphorisation à pleins tubes … 5)

 

Il santuario ritrovato

Essai d’archéologie romaine dirigé par Emanuele Mariotti et Jacopo Tabolli.
Nuovi scavi e  ricerche al Bagno Grande di San Casciano dei Bagni.

Plouf.

Quand ce livre est sorti en 2021, tout était encore calme. Un an après, le site était le théâtre de la plus grande découverte de statues en bronze depuis celles de Riace en 1972. Mais contrairement à Riace, pas de mer ici. San Casciano dei Bagni est dans la campagne toscane, entre Sienne, Chiusi et Orvieto. Mais il y a de l’eau dans le coin, et pas qu’un peu : la commune compte 37 sources thermales. C’est l’une de ses sources qui alimente le sanctuaire sis au pied du village moderne, avec ses deux piscines d’eau chaude encore aujourd’hui utilisées par les habitants (mais sans doute avec des interruptions depuis l’Antiquité).

La présence d’un sanctuaire est connue depuis 1585 et quelques petites fouilles amateures ont eu lieu au XIXe siècle. L’étude scientifique débute en 2014, suite à d’autres découvertes dans des localités proches. Suivent des prospections en 2016 et 2019, une première tranchée de sondage en 2019. Enfin, entre juillet septembre 2020 prennent place les premières fouilles. Mais le présent livre ne fait pas que relater le déroulé de ces fouilles et leurs résultats. Son objectif est bien plus ample. Il s’intéresse aussi au site à la préhistoire, ainsi qu’aux confins sud du territoire clusinien au début de l’Age du Fer et à la période étrusque. La question des eaux sacrées en Toscane intérieure étrusco-romaine est l’objet d’un chapitre, tout comme les évolutions du paysage clusinien, entre sources, population et échanges.

Le regard des antiquaires sur le sanctuaire du Bagno Grande n’est pas oublié, avec plusieurs gravures du XVIIe siècle portant sur les différents modes de cure pratiqués sur place tout comme est étudié ce qu’il est advenu d’une collection privée d’artefacts originaires de San Casciano. Enfin, passé tous ces éléments de contexte très variés, l’étude du site commence vraiment avec la partie topographique, suivie de la relation des fouilles de 2019 et 2020 au Bagno Grande. Les fouilles ont mis au jour un sanctuaire dédié à Apollon, la Fortune Primigène, Esculape, Isis et Hygie, dont les plus anciennes structures architectoniques sont datées entre la fin du IIe et le début du Ier siècle avant notre ère (p. 152). Au début du Ier siècle ap. J.C. s’opère une monumentalisation du site avec l’édification d’une structure quadrangulaire doté d’un bassin ovale encadré par des colonnes (un impluvium, en lien avec une source à proximité). Peu de temps après et suite à un incendie, un petit portique à colonnes est rajouté, donnant accès à la structure quadrangulaire. Au milieu du IIe siècle de notre ère sont ajoutés les autels au bord du bassin, essentiellement dédié à la santé de membres d’une famille sénatoriale. Au IVe siècle, le sanctuaire bénéficie d’une rénovation importante du mur périmétral, puis entre la fin de ce siècle et le début du suivant, le sanctuaire est « mis en dormance » (p. 159) par la mise bas méthodique des éléments porteurs et le renversement des autels et des statues. A un angle du sanctuaire, une structure mal définie est ensuite érigée.

Les matériaux utilisés, les techniques de construction et la décoration sont ensuite abordés plus en détail, en utilisant le protocole de description AcoR. Les inscriptions sont au centre du chapitre suivant, tant celles retrouvées avant la fouilles que celles que la fouille a pu dégager. Une analyse du paysage religieux, de ses espaces et de ses acteurs, conclut la partie textuelle de ce livre avant de laisser la place à un catalogue décrivant les autels, la statue en marbre d’Hygie, les ex votos anatomiques en bronze, les statuettes d’oiseau en bronze et en marbre, les autres objets en métal et enfin la céramique. La bibliographie ferme la marche d’un ouvrage très richement illustré en couleur comptant 250 pages.

Fouiller dans de la boue chaude pendant qu’à quelques mètres des gens se baignent, voilà des conditions de fouille qui peuvent être frustrantes. Mais le lecteur lui n’est pas frustré, loin de là. Le livre est d’un très bon niveau et si certains articles peuvent être arides, le plaisir de lire les analyses sur les techniques édilitaires ou l’interprétation religieuse, entre les Prénestins adorateurs de la Fortune qui visitent Délos et les oreilles en bronze destinées aux dieux qui écoutent, il est lui bien réel. Une grande variété d’articles, de belles descriptions tant de bâtit que d’œuvres plastiques, des références à jour forment un travail de grande qualité et très complet. Alors oui, ce n’est pas le Parthénon (ou l’Ara della Regina tarquinienne pour aller moins loin), mais les sanctuaires des eaux non dédiés aux nymphes ne sont pas si nombreux. C’est donc un très bon début et la prochaine livraison portera forcément sur les découvertes de 2021, sur l’usage des piscines attenantes au sanctuaire et peut-être d’autres aires sacrées ou bâtiments. Et même si la population à l’époque étrusque semble assez faible dans la zone, peut-être que seront mis au jour des états plus anciens du sanctuaire. Comme sanctuaire des confins, les pèlerins ne sont pas obligés de vivre à côté. Il y a une incitation à publier !

(le lien entre Isis et les oreilles offertes en ex-voto, voilà qui avale les kilomètres …7,5)

Das Rätsel der Schamanin

Eine archäologische Reise zu unseren Anfängen
Essai d’archéologie mésolithique par Harald Meller et Kai Michel.

Un mystére bien moins épais.

En 1934, à Bad Dürrenberg sur un plateau qui surplombe la rivière Saale (de nos jours dans le Land de Saxe-Anhalt), des travaux ont lieu dans un parc en vue d’une exposition horticole. Une tombe préhistorique est découverte et en un après-midi, cette dernière est fouillée. Les spécialistes locaux et nationaux s’entendent pour voir son occupant comme un homme ayant vécu vers 7000 av. J.-C. avec des fonctions sacrées. Les Nazis sont contents, on a un aryen, ancêtre direct (non chrétien) des Allemands du XXe siècle. Et on stocke les os et les très nombreux artefacts retrouvés dans un magasin et le cas n’intéresse plus grand monde. Problème : l’occupant de la plus riche tombe préhistorique retrouvée en Allemagne est une femme, qui plus est enterrée avec un enfant en bas âge que les fouilleurs nazis ont très vite évacué. Une femme chamane donc ? Comment les deux auteurs en arrivent à cette conclusion ? Grâce aux avancées de l’archéogénétique, à un regard critique sur l’ethnologie, à l’ostéologie et à la possibilité de fouiller à nouveau la tombe en 2019 à l’occasion de nouveaux travaux dans le parc. Il en ressort des choses étonnantes, rassemblées dans un livre comptant 340 pages de textes, des illustrations dans le texte et deux cahiers d’illustrations quadrichromes.

Le Mésolithique, c’est une sorte de transition (sur des milliers d’années tout de même). Avec la fin de la dernière glaciation (dite de Würm), la toundra recule en Europe centrale et se transforme en gigantesque espace arboré. Les groupes humains qui se déplaçaient sur des grands distances pour chasser de grands animaux le font beaucoup moins, ils se territorialisent et leurs réseaux de connaissances se réduisent. Les moyens de la chasse changent eux aussi, pour s’adapter à l’environnement. Il y a donc un début de sédentarisation (invention du cimetière p. 266), qui, sans téléologie, va déboucher sur l’agriculture (mais pas avant 4000 a.C.). Mais les habitants de l’Europe centrale restent des chasseurs-cueilleurs, à des mondes du mode de vie des pasteurs nomades que l’on peut encore voir aux abords du cercle polaire. La chamane de Bad Dürrenberg vit dans ce monde mais y occupe une position qui n’est pas celle du commun. Ses os montrent une activité physique beaucoup plus réduite que ses contemporains et sa tombe décrit, selon les auteurs, une spécialisation professionnelle qui n’a pas cours au paléolithique. Ses incisives supérieures, signe supplémentaire, ont été rabotées (intentionnellement ou suite à une pratique répétée non identifiée), que les auteurs voient comme un signe de crédibilisation professionnelle, laissent la pulpe dentaire à vif. Mais cela ne conduit pas à une inflammation maxillaire généralisée, sans doute parce que la chamane peut calmer la douleur et empêcher (par différents moyens) les infections. Si l’on ne peut pas dire avec certitude que la chamane use de percussions dans son activité (de toutes façons pas une composante obligatoire du chamanisme), elle est néanmoins sujette à des pertes de connaissances ou des éblouissements à cause d’une malformation cervicale qui peut, quand elle incline la tête en arrière, agir sur le flux sanguin irrigant le cerveau. Comme pour les dents, ce n’est pas la cause de la mort, survenue entre 40 et 45 ans, soit un âge très honorable pour l’époque.

La question du chamanisme est centrale dans ce livre (elle occupe de nombreux chapitres) et si les auteurs semblent se contredire en répétant que des découvreurs ont attribué avec grande libéralité la qualité de chamane à de nombreuses sépultures, leur attribution repose sur des bases solides, avec des renseignements dont les archéologues d’il y a encore dix ans ne pouvaient même pas rêver. Mais à la base il y a les restes ostéologiques et la grande diversité et qualité du matériel retrouvé. Une fois la tombe rouverte (la chamane et l’enfant reposent dans une sorte de panier, au fond d’un rectangle badigeonné d’ocre et recouvert de terre blanche formant un octogone en surface) et ses abords inspectés (deux masques de cerf, postérieurs de six à huit siècles, retrouvés à un mètre), la fouille a eu lieu pendant six mois dans les locaux du service archéologique régional après avoir extrait la tombe « en bloc ». Puis scanner à haute résolution, analyse génétique etc. Les analyses génétiques ne montrent pas de prédispositions génétiques aux maladies mentales et établissent que l’enfant n’est pas le fils de la chamane mais qu’ils ont un ancêtre commun, qui se trouve être l’arrière grand-père ou l’arrière-grand-mère de l’adulte (extrêmement improbable qu’il ait été sacrifié, p. 295).

Comme on vient de le voir, la génétique appliquée à l’archéologie ne se limite pas aux grands groupes. Les techniques plus traditionnelles de l’archéologie ne sont pas pour autant délaissées (les lames de silex différentes permettent d’évaluer la présence de 200 personnes à l’inhumation, pas tous des locaux p. 293). Les auteurs usent par contre assez souvent d’un militantisme de portes ouvertes (ah le méchant patriarcat …) et leurs germanité leur fait dire des choses inexactes sur les « prépenseurs de la destruction »  (p. 62) en confondant théorie raciale et Solution Finale ou en simplifiant outrageusement un choix entre unité européenne et guerre d’anéantissement (p. 65). Leurs critiques sur la vision occidentale du chamanisme jusque dans les années 1970 ne sont pas non plus sans fondement, mais elles tangentent l’anachronisme ou la technique de l’homme de paille sans pour autant souligner le goût plutôt européen pour la découverte (les chrétiens, les seuls intolérants p. 136). Et comme il a été le fait le choix de se passer de notes, il est difficile au lecteur de contrôler certaines affirmations et la très courte bibliographie finale n’aidera pas beaucoup. Les statistiques avec un contingent de 33 cas sont aussi un peu tirées par les cheveux (p. 204). Quant à cette invasion d’anglicismes, ils n’apportent rien mais montrent seulement l’appauvrissement de l’allemand scientifique …

Mais la question du chamanisme, y compris dans sa problématique contemporaine, est abordée avec beaucoup d’intérêt (les huit critères du chamanisme p. 140-143), même si ce qui pourrait, pour les auteurs, ressembler à un retour à une religion « naturelle » par de nombreuses personnes (ils n’en sont pas les avocats néanmoins p. 326) contredit ce qu’ils affirment aussi par ailleurs concernant la disparition des traditions chamaniques sous les coups de boutoir des différents pouvoirs russes et soviétiques. Il y a beaucoup de simplismes dans les passages sur l’histoire des religions et la déchristianisation. Un éventuel matriarcat paléolithique voir son sort réglé brutalement mais avec humour en faisant une comparaison avec le culte marial et la hiérarchie catholique (p. 248) et l’influence idéologique est bien démontrée dans le cas des fouilles de tombes dites de chamanes par les Soviétiques. Le chamane, c’est le koulak.

Si la toute fin du livre s’aventure du côté de la fiction, il envoie un dernier trait en évoquant une possible fréquentation du site sur vingt générations avec l’ensevelissement des deux masques de cerfs à un mètre de la tombe, tournés vers cette dernière. Entre 600 et 800 ans plus tard …

(le premier livre d’archéologie que nous lisons qui cite du Harry Potter …7,5)

The Children of Ash and Elm

A History of the Vikings
Manuel de vikingologie par Neil Price, traduit sous le titre Les Enfants du frêne et de l’orme. Une histoire des Vikings.

Bien plus que des bouts de mêtal en tas.

Hervath, Hjorvath, Hrani, Agantyr !
Je vous réveille tous sous les racines des arbres,
avec casque et cotte de maille, avec épée aiguë,
avec bouclier et harnais, avec lance rougie.
Vous, fils d’Arngrim, violente race,
avez grandement changé depuis l’amoncellement de la terre.
Le Réveil d’Agantyr, cité p. 234

Après avoir produit un des livres les plus excitants dans les études nordiques des dernières décennies, le même auteur décide de produire un manuel sur les Vikings. Comment résister ? Nous n’avons pas pu.

Et grand bien nous fit. Le sujet est certes beaucoup moins resserré que dans The Viking Way mais la sensibilité de l’auteur, sa distance scientifique vis-à-vis de son sujet et la qualité de sa plume sont toujours là. Et s’il y a moins de passages romancés (de petites saynètes apparaissent ci et là) et qu’un seul dessin de Ƿórhallur Ƿráinsson, c’est pour laisser de la place à tout ce qui doit être dit entre le VIe siècle (les conséquences au Nord de la fin de l’Empire romain en Occident) et le XVe siècle (la fin de la colonie groenlandaise). Et ceux qui ont espéré que tout démarre avec la mise à sac du monastère de Lindisfarne (en 793 p. C.) devront attendre 200 pages et la seconde partie de l’ouvrage. Chez N. Price, il y a d’abord une mise en place qui a pour but premier de permettre au lecteur de se faire une juste image des sociétés norroises au VIIIe siècle et de bien être clair sur le fait les Vikings ne sont pas des démons sortis de l’Enfer et que tout le monde sait qui sont ses voisins.

Commençant avec une introduction générale mais très loin d’être bateau (ou drakkar ?) sur les sources et les intentions de l’auteur, N. Price attaque directement avec le but de l’archéologie cognitive : que pensent les gens qui ont produit les objets que l’on retrouve en terre ? Pour cela, il part de la mythologie nordique pour esquisser le paysage mental des Norrois d’avant la christianisation (et éventuellement de quelques restes après). Comme dans The Viking Way, l’auteur ne se limite pas à un tableau simpliste de dieux mais évoque tous les types d’êtres invisibles avec qui les hommes partagent la Terre (Midgard), mais aussi tout ce qui constitue un humain pour un Norrois (hamr, hugr, hamingja et fylgja).

Puis N. Price entame sa progression chronologique avec le Ve siècle, celui qui voit l’effacement de Rome (une puissance connue en Scandinavie et pas si éloignée si l’on prend pour point de départ le limes en Frise) et les mouvements de populations germaniques. L’éruption du volcan Ilopango au Nicaragua en 536 et 539/540 a de dramatiques suites en Scandinavie de par les conséquences des rejets dans l’atmosphère des deux irruptions sur une agriculture très extensive (sur peut-être 80 ans, avec des différences régionales marquées p. 77). Les structures sociales en sont modifiées et le mythe du long hiver (Fimbulwinter) comme annonciateur du Ragnarǫk y puise peut-être même son origine. La moitié de la population de Scandinavie peut avoir péri.

De ce cataclysme naît la culture de la halle, avec ses bancs, son foyer central et le siège du maître des lieux, le tout destiné à la réception de visiteurs et de poètes (p. 95). C’est « la civilisation, la lumière, la renommée, l’honneur, la mémoire, l’histoire et la joie. Au delà de ses portes, comme dans Beowulf, et dans ce dernier défonçant ces mêmes portes, sont les monstres du chaos et de la nuit » (p. 96). La plus grande de ces halles atteint les 80 mètres de long (à Borg dans les Lofoten), soit un bâtiment aussi long que la cathédrale de Trondheim achevée au XIVe siècle.

L’auteur continue son exploration de la structure sociale du monde scandinave entre la chute de Rome et le VIIIe siècle dans un troisième chapitre qui traite de la ferme comme unité de base (et de tout ce qui fait sa vie quotidienne comme la nourriture), du mariage et de la polygynie, des liens politiques et d’amitié. De manière étonnante, l’habillement (jamais avec des poches p. 135) est bien moins connu que l’on ne le croit, comme ont pu le montrer des découvertes récentes de figurations métalliques (p. 126-132).

Mais il est un fait qu’il ne faut pas oublier, et qui, s’il est bien présent dans les sagas, l’est beaucoup plus rarement dans les ouvrages de vulgarisation, c’est qu’économiquement, tout cela repose sur l’esclavage, à un niveau élevé et pour une grande variété de fonctions. Mais après tout, c’est aussi l’objectif des raids de Vikings par la suite …

Après avoir dans tout un chapitre et de manière très vaste abordé la question du genre dans la société norroise (Odin le queer p. 173, un grand paradoxe), N. Price propose une nouvelle brique dans sa construction avec l’organisation politique des différentes entités scandinaves, entre roitelets et assemblées législatives et judiciaires, ce qui conduit à la question de l’alphabétisation (pas négligeable p. 192) mais aussi à celle des bateaux et des changements de types dans les mers septentrionales. La voile fait son apparition vers 750 en Baltique et le dessin évolue dans le sens d’une meilleure tenue à la mer, pour pouvoir affronter les océans. Le septième chapitre explore ensuite un autre versant des nouvelles élites nées au Ve-VIe siècles, celle de la fonction sacrée (avec certaines fusions entre halle et temple (p. 211), mais aussi plus généralement comment les populations norroises rencontrent les autres habitants invisibles de la Terre. Sacrifices, magie, mises en scène, les moyens sont innombrables. Tout comme les modes d’inhumations (du moins ceux visibles p. 226) que N. Price détaille du simple trous dans le sol au grand style qui classe son homme : le bateau-tombe. Mais ce grand homme peut aussi être une femme, comme à Oseberg. L’auteur détaille aussi les difficultés de la crémation, qui nécessite des personnes spécialisées (p. 230) et où seule une partie, voire une toute petite partie, de ce qu’il reste du corps est enseveli (p. 231-232).

Puis, à ce point du livre, après 270 pages de ce qui pourrait être une introduction s’il l’on a mauvais esprit, arrive pour le lecteur le premier chapitre sur le phénomène viking (pour commencer cette seconde partie). Et tout semble plutôt commencer dans la Baltique vers 750, avant de toucher la Mer du Nord dans le cadre de changements politiques et commerciaux locaux (les marchés en Europe et en Scandinavie) mais aussi avec des incitations personnelles comme la gloire, la richesse, l’acquisition de partenaires sexuels et les ordres des Rois de la Mer (saekonungr p. 300 : un chef, une armée, pas de terres, des pirates donc), sans plan d’ensemble (p. 333).

Mais avec le temps, les forces commencent à collaborer entre elles, comme coalescent les pouvoirs politiques en Scandinavie même. Ce se sont plus des raids de quelques jours avec un seul bateau, ce sont plusieurs équipages, qui finissent par rester plus longtemps parce qu’ils ne sont pas chassés (mais toute expédition n’est pas un succès non plus …). En 865 débute la conquête et la colonisation de l’Angleterre par la « Grande Armée Païenne » (qui se déplace avec femmes et enfants). La Francie (coût astronomique des rançons p.351), l’Irlande puis jusqu’en Méditerranée et à Madère (p. 377), Ladoga, Kiev, Alexandrie et Constantinople de l’autre, mais N. Price n’oublie évidemment pas les Feroés, l’Islande (où les hommes sont scandinaves mais beaucoup de femmes irlandaises, p. 380-381), le Groenland et l’énigmatique Vinland (avec souvent les mêmes gens à l’Est comme à l’Ouest). Parallèlement naissent des royaumes au Nord et la christianisation progresse (les petits marteaux de Thor en pendentifs semblent être une réaction à la croix).

En 1408 est célébré le dernier mariage connu au Groenland. La colonie locale a presque disparu et c’est ainsi que pour l’auteur prend fin la période viking (relation ahurissante du 600e anniversaire avec un descendant p. 501-502).

Que ce manuel fera date est l’évidence même. Tout y est : érudition historique, articulation entre les différents types de sources, qualité littéraire très au dessus du lot, facilité de lecture. Alors certes, la présentation des références n’étanche pas la soif de précision du spécialiste mais cette présentation des références/notes s’étend sur 60 pages et est aussi bien écrit que le reste. Les illustrations, assez nombreuses pour ce type de production, sont intelligemment choisies. Mais surtout ce livre est l’incarnation de ce que doit montrer l’archéologie : les gens derrière l’artefact. Et c’est tout particulièrement le cas, dans un mode presque émotionnel, avec des objets simples, comme ces moufles d’enfants reliés par un fil trouvés en Islande (p. 135-136), mais sans jamais oublier que l’auteur est un scientifique.

Au moins une gemme par page, un éblouissement continu.

The Vikings were back the following year, and they knew what they liked : isolated, undefended, but very rich monastic houses. (p. 282)

(et qui donc était conseiller historique de la série télévisée Vikings ? …9)

Game of Rome

L’Antiquité vidéoludique
Essai de philosophie esthétique appliquée à la représentation de l’Antiquité dans les jeux vidéo par Laury-Nuria André.

Vous verrez du paysage.

Les versions vidéoludiques, étrangement proches des modalités de réécritures post-homériques, ne nous placeraient-elles pas, avatars du jeu, dans la même position de spectateur pris à parti, investi, happé dans l’espace fallacieux que celle d’Enée [voyant Andromaque invoquer le fantôme d’Hector dans l’Enéide de Virgile, III, 301-355], contraints que nous serions, entre fascination pour le double et nostalgie de l’Antique, à voir le vrai dans le faux et à reconnaître à tout prix l’Antique, même dans une version tout-à-fait autre ? p. 44

L’Antiquité a disparu mais est toujours là. Tout comme le Moyen-Age tout entier est convoqué avec un château fort conséquent et un chevalier en cotte de mailles, il suffit de peu pour faire débarquer l’Antiquité. Quelques colonnes, et pas ruinées . Et comme d’autres médias, et plus encore avec son développement dans les quatre dernières décennies, le jeu vidéo n’est pas exempt de ses représentations et de son utilisation.

Cette figure du désir et de l’absence dans les jeux vidéo est l’objet de ce livre qui aborde le problème par le versant de l’esthétique. Doté de cent pages de texte et des deux carnets d’illustrations en couleurs, il se veut explorer en quatre chapitres plusieurs aspects de la relation entre Antiquité (très grecque dans ses exemples) et le médium vidéoludique.

L’introït définit l’ambition de ce livre, entre altérité et copie, avant qu’au lecteur ne soit proposé une analyse du jeu Rise of the Argonauts du point de vue de la mimêsis vis à vis d’Apollonios de Rhodes (qui conte justement l’histoire des Argonautes). Le second chapitre se concentre sur les paysages et comment ils sont utilisés dans les jeux vidéo. Le premier est le paysage épique, la plaine entre plage et ville comme dans l’Iliade et le second est le paysage sacro-idyllique, souvent avec un temple en pleine nature. Le troisième paysage évoqué est celui de la ville-monde, typiquement Rome, qui accentue les effets de dégradations (couleurs passées, maison devenant rapidement une ruine dans une simulation urbanistique p. 54).

La troisième chapitre analyse ce que l’auteur appelle le « syndrome Acropole », à savoir la rencontre entre la stéréotypie et l’hyperbole, et le « symptôme ornement », qui est la fusion du vase et du paysage dans le jeu Apotheon. Enfin, le dernier chapitre traite de la nostalgie de l’antique au XXIe siècle à travers l’insularisation de la Delphes antique dans le jeu Rise of the Argonauts répondant à celle figurant chez Apollonios. Précédant une bibliographie indicative, la conclusion devient sur le frottement (la tribologie) entre sciences de l’antiquité et médium vidéoludique.

Le livre est peut-être court, sa lecture en est inversement compliquée. C’est bel et bien de la philosophie esthétique, mais une expression très obscure. Certes on retrouve le paysage troyen, celui qui est aussi attribué à Pise (voir ici) mais on subit une avalanche continue de concepts que l’auteur rapproche d’un nombre d’exemples finalement très limités qui conduisent à se demander quelle validité ont les conclusions proposées. C’est parfois lourdement orienté politiquement (p. 16-18 en notes), pas forcément toujours de bonne foi (fort utile ce mythe de la statuaire grecque monochrome que nous allons glorieusement combattre p. 16) et semble méconnaître que le choix des ancêtres ne se limite pas à l’époque contemporaine (p. 18). Quand à la condescendance envers les « petites villes de province » (p. 53) … Finalement, de bonnes choses mais la forme rend le propos peu discernable.

(le jeu vidéo n’est pas une mimêsis mais une empreinte, un type, à l’égal des réécritures tardives …6)

A la recherche d’une mythologie indo-européenne

Recueil d’articles sur la mythologie indo-européenne et son versant romain par Dominique Briquel.

Bien plus excitant que la couverture !

Comme D. Briquel le rappelle souvent, il n’y a pas de mythologie romaine comme il y a, par exemple, une mythologie grecque. Chez ces habitants du Nord-Latium (et peut-être même chez tous les Latins), la mythologie, d’où d’ordinaire les simples mortels sont exclus, s’est légendarisée et a pris divers traits dans l’histoire ancienne de l’Urbs. Les schémas mythologiques indo-européens se retrouvent, pour ainsi dire, non chez Hésiode mais chez Thucydide. Ne s’étant pas arrêté à la figure de Romulus et ses actions, l’auteur s’interroge depuis six décennies sur ce que les Romains ont conservé du fond commun mythologique indo-européen et ce livre en présente un aspect en reproduisant 21 articles (dont certains inédits) écrits entre 1976 et 2021. Reprenant la méthode dumézilienne, il n’hésite pas pour autant à amender le grand comparatiste qu’il a personnellement connu.

Ces articles se répartissent en trois thèmes, à chaque fois précédés d’une présentation. Le premier est celui du combat des dieux, commandant la mise en place du monde et son devenir. Il y est bien entendu question du Ragnarök (comparé au Mahabharata et au mythe de Prométhée) mais aussi de la place qu’occupe le sanctuaire de Saturne en lien avec le sanctuaire de Jupiter sur le Capitole ainsi que les adversaires de Zeus lors de sa montée sur le trône des dieux. On peut aussi lire les premières ébauches de thèmes qui deviendront des livres par la suite : la naissance de la république romaine comme avènement d’un monde parfait, mais aussi la prise de Rome par les Gaulois (390 a.C. selon la tradition) comme retranscription de la bataille finale des dieux.

Le second thème est celui du feu dans l’eau, apanage royal et signe de son pouvoir. D. Briquel y compare comment sont contés la prise de Babylone par Cyrus le Grand et la conquête de Veies (en 396 a.C. selon la tradition), ce qu’il faut comprendre de la punition de l’Hellespont par Xerxès au prisme du feu dans l’eau mais aussi comment il faut voir les Vieux de la Mer et Poséidon dans une optique indo-européenne. Un autre article détaille le lien qui unit le roi de Rome Tarquin l’Ancien à Vulcain (un dieu pas uniquement lié à Romulus donc), avant de commenter le devenir des biens des Tarquins après leur exil avec la création de la république. Pour clore cette partie, l’auteur se penche sur une possible influence indo-européenne dans la Bible avec le combat de Jacob contre Dieu et le passage du fleuve Yabboq (Genèse 32, 23-32).

Le dernier thème s’intéresse à diverses divinités et héros, dans le but de clarifier la personnalité de Quirinus (le troisième membre de la triade précapitoline avec Jupiter et Mars et dieu de la troisième fonction patronant les citoyens) mais aussi de Hermès, dieu paradoxal et pas toujours aimable mais qui n’endosse pas pour autant le destin de Loki, autre figure divine/démoniaque truqueuse. D. Briquel porte aussi la lumière dans la fin de l’ouvrage sur certaines caractéristiques calendaires à Rome et leurs significations avant de passer à l’étude de deux visions du féminin à Rome, celle associant la matrone idéale Lucrèce et Junon faisant face à celle liant la jeune Clélie et Diane. Enfin, le volume s’achève en livrant au lecteur quelques remarques comparatives sur le mythe de Hercule et Cacus, situé sur le site de la future Rome. Avec une bibliographie très robuste s’achève ce recueil de 460 pages de texte qui avait commencé avec une courte préface de John Scheid et une introduction.

Pour nous qui avons une connaissance très limitée des textes de l’Inde védique, il y a toujours à découvrir dans les comparaisons de D. Briquel. Mais dans ce livre, ces découvertes ont aussi concerné la place de Prométhée, dont les actions en tant que participant à une bataille divine au côté de Zeus nous avait échappé. Il y a bien évidemment des redites, mais que nous avons remarqué uniquement parce que nous lisons en un temps resserré plusieurs articles unis par une thématique mais qui ont été écrits à des années ou des décennies d’écart. Les trop nombreuses erreurs typographiques ont par contre un peu moins d’excuses, surtout au vu du prix du livre.

Plusieurs points saillent dans ce contenu dense, plaisant à lire et bien entendu plus que solidement documenté. Le premier est dans la première partie l’importance du passage entre la monarchie dite varunienne et celle mitréenne, entre Cronos et Zeus ou Saturne et Jupiter (p. 75 par exemple), c’est-à-dire le passage de la force brute et aveugle à la souveraineté aidée de la Loi, qui comme les mythes de premier sacrifice (parfois en lien avec un mythe de razzia de bovidés) marquent le début de la civilisation. Le second est l’article sur Xerxès, une explication que nous aurions aimé connaître plus tôt. Ces aspects de maîtrise des eaux comme marque du souverain (et pas uniquement le souverain perse ou en Perse) sont pourtant fondamentaux dans la compréhension de nombreux épisodes de l’histoire grecque (mais aussi romaine ou même germanique comme l’explore le présent livre). Le parallèle entre l’Or du Rhin de la légende germanique et le blé des Tarquins nous a aussi surpris (et marqué). Moins surprenantes, les pages sur la Diane « hors cité », le Rex nemorensis (p. 413-413) mais aussi les trois types de feu (connus pour l’Inde mais moins facilement identifiables à Rome, p. 452-453) et le paradoxe qu’est Hermès nous ont aussi particulièrement plus.

Encore de bons moments comparatistes, où l’on peut suivre au long cours la pensée d’un grand savant.

(l’Or du Rhin, c’est une question de pouvoir, pas d’avarice …8,5)

Return to the Interactive Past

The Interplay of Video Games and Histories
Recueil d’articles sur les relations entre les sciences historiques et les jeux vidéo dirigé par Csilla Ariese et alii.

Aucun souvenir ?

L’étude des interactions entre sciences historiques et jeux vidéo est assez récente. D’une part parce que les jeux vidéo n’existent que depuis une cinquantaine d’années et qu’il n’y a que peut-être seulement depuis deux décennies que ces mêmes jeux vidéo sont considérés comme une production culturelle digne d’intérêt (et légitime, surtout au vu du poids commercial actuel en conséquence de la plus grande part d’adultes qui jouent). La ludologie elle-même est assez jeune en tant que discipline (autre que les théoriciens comme J. Huizinga et son Homo Ludens paru en 1938), conséquence de la part grandissante des loisirs dans la vie des Occidentaux après 1945.

Dans ce second recueil consacré au sujet paru en 2021 (le premier nous semblait moins intéressant), les relations entre sciences historiques et jeux vidéo sont analysées selon différents angles. La première partie est ainsi consacrée à la narration dans et sur les jeux vidéo avec des articles sur la recherche historique conduisant à la création d’un jeu, sur les souvenirs d’anciens combattants intégrés à la visite virtuelle d’une fabrique écossaise de « coquelicots du souvenir » (portés traditionnellement en novembre dans le Commonwealth en souvenir de la Première Guerre Mondiale ), le décorticage façon stratigraphie d’un jeu vidéo du tout début des années 80 et l’interprétation archivistique par les joueurs de Morrowind d’une bataille fondatrice dans ce jeu (mais sujette à des informations contradictoires au sujet de laquelle des passionnés proposent des analyses). La seconde partie passe à la représentation dans les jeux vidéo avec des articles sur l’intersectionnalité, l’Antiquité dans les jeux de combat (y compris les plus obscurs), la décolonisation des jeux vidéo et la cartographie (toujours utile dans les vastes mondes de jeux de rôle mais ici avec un angle très théorique). La dernière partie est plus orientée pédagogie, avec l’exemple du jeu vidéo comme participant de la recherche scientifique, l’emploi du jeu vidéo dans une classe de primaire (sur le monde anglo-saxon) mais aussi sur sa conception à l’université mais aussi les apports de l’histoire environnementale dans les jeux vidéo. L’ouvrage s’achève sur des témoignages de joueurs.

Diversité des approches et des thèmes on l’a vu, et donc aussi de la qualité des contributions. Parmi ceux qui nous ont le plus plu figurent ceux sur l’Antiquité dans les jeux de combat et sur les débats archivistiques autour de Morrowind. On peut sentir une assez dommageable influence « nord-américaine » dans plusieurs articles rattachables aux sciences sociales, vraisemblablement en partie due aux recherches sur l’esclavage et la Compagnie néerlandaise des Indes Occidentales que font une partie des contributeurs, ce qui sensibilise beaucoup dans les dernières décennies aux questions post-coloniales. A tel point qu’il est question des Malouines comme un conflit colonial en 1982 (p. 40), ce qui peut faire bondir et pas seulement à Londres. D’où aussi les questions de représentations …

Chichement mais judicieusement illustré, avec des bibliographies peut-être un peu trop récentes quant aux ouvrages théoriques et doté d’une couverture très évocatrice, voilà un livre qui nécessite d’avoir eu une manette en main pendant quelques heures pour en apprécier un minimum les apports. Pour un public doublement averti donc.

(la simulation économique, un genre plus joué qu’on ne le croit ? … 6)