Splendeur et misère de l’Oncle Sam
Essai de de psycho-politique étatsunienne de Jean-Philippe Immarigeon.
La suite de American parano est plus courte et complète ce volume trois ans après, en 2009.
L’avant-propos narre avec férocité l’allégresse générale qui a saisi la presse française avec l’élection de Barack Obama. L’auteur y voit l’arrivée au pouvoir d’un nouveau Gorbatcheff, rien de moins. Mais, comme de juste et d’usage, avec quelques arguments, comme celui de vouloir corriger les inégalités inscrites dans l’ADN étatsunien depuis 1776 (p. 13). Le premier chapitre commence avec l’intervention russe en Géorgie à l’été 2008, analysée comme le point de bascule de la puissance étatsunienne, incapable et/ou sans envie de venir aider la Géorgie (qui a cru à l’aide étatsunienne comme la Convention dans le traité d’alliance de 1778, p.23). Puis l’on passe aux changements dans la continuité de B. Obama en Irak et en Afghanistan, avant que toute la fin du chapitre soit une longue charge contre le libéralisme. Le second chapitre poursuit, dans un développement assez demandant, sur l’influence du cartésianisme conjugué au libéralisme aux Etats-Unis, dans une société d’égaux sans liberté (ce qui est assez contre-intuitif …). L’auteur en profite pour comparer avec les principes de Rousseau (Le contrat social), qu’il juge très éloignés de ceux mis en œuvre aux Etats-Unis. Pour le Genevois, la loi est l’expression de la majorité, pas un donné de toute éternité dans les affaires humaines (p.79). S’en suit un peu de droit constitutionnel comparé, de manière très claire.
Le troisième chapitre explore la relation des Etats-Unis au machinisme, son influence sur la science et ses conséquences dans le domaine militaire. Enfin, le quatrième et dernier chapitre fait un peu de prospective en essayant de définir la crise qui attend les Etats-Unis. F. Fukuyama y prend pour son grade (il est aussi devenu un bouc émissaire commode en tous lieux) et les discours de B. Obama son aussi scrutés à la loupe. Sa volonté de corriger certaines inégalités sur lesquelles sont fondées les Etats-Unis, est-ce seulement réalisable (p. 141), se questionne l’auteur ?
On trouve dans ce livre sûrement des chapitres qui n’avaient pas trouvé de place dans American parano, mais avec en plus une actualisation avec B. Obama et N. Sarkozy (sujet d’un autre livre de l’auteur). Le style d’écriture a lui aussi changé, avec un lecteur interpellé bien plus directement, mais avec toujours autant de petites phrases bien senties. Comme dans son prédécesseur, il y a de petites pépites, comme la double légitimation étatsunienne, religieuse et scientifique (p. 64), mais aussi hélas quelques simplismes (sur la campagne de Géorgie p. 17, les drones chez les Talibans p. 29, A. Smith p. 71, entre autres). On peut aussi grandement s’éloigner du sujet dans le passage sur le machinisme et la science (p. 96-106) sans que cela apporte vraiment quelque chose. C’est très loin d’être mauvais mais il nous reste l’impression que ces 160 pages de texte n’auraient pas vu le jour sans American parano. Peut-être est-il sorti trop tôt aussi, sans recul sur le mandat Obama. Les simplismes et une recherche peut-être trop effrénée de la formule-choc amoindrissent malheureusement cet ouvrage.
(le Seigneur des Anneaux n’est toujours pas revenu en odeur de sainteté, malgré les années …5,5/6)
Essai de géographie de la ville du futur par Alain Musset.
Il y a peu d’œuvres de science-fiction sans une présence massive de l’élément urbain. Dune compte peut-être parmi les grandes œuvres où la ville est de peu d’importance, mais que l’on pense à Coruscant, la planète-ville de la Guerre des Etoiles, à Trantor chez Asimov ou Los Angeles dans Blade Runner/Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, et chez chacun des images viennent en tête. Cependant, l’image qui est en donnée est rarement méliorative (les Cavernes d’Acier chez Asimov peut-être) : le délabrement peut régner, la plus grande richesse côtoyer la plus extrême pauvreté, la violence peut être présente à chaque coin de rue et il y a des pénuries d’air ou d’eau, on est le plus généralement dans le contre-mythe arcadien.
Alain Musset (géographe à l’EHESS) nous faire voir ici toutes les facettes de la ville telle que décrite dans la science-fiction, quel que soit le média (roman, film, bande dessinée, jeu vidéo). De courtes pages sur le contexte culturel occidental de défiance envers la ville (la Babylone biblique, le romantisme) ouvrent ensuite sur quatre parties contenant à chaque fois trois chapitres.
La première partie s’intitule « De la mégalopole à la monstruopole » et le premier chapitre commence par la première caractéristique de la ville de science-fiction : son gigantisme. Dans la SF, le processus d’urbanisation est souvent arrivé à son point le plus extrême. Parfois même, comme à Coruscant, il n’y a plus rien de naturel sur la surface de la planète. Plus de mer, de montagne. Tout est recouvert par la ville, et on parle en centaines de milliards d’habitants. Et par conséquence, la ville prend de la hauteur (second chapitre), là encore de manière astronomique. Les tours font très vite plusieurs kilomètres de haut et peuvent abriter des millions d’habitants (seulement des centaines de mille dans des Monades urbaines de R. Silverberg). La tour babylonienne de Metropolis est ici iconique (et est en couverture). Mais si l’énergie vient à manquer à ces tours ? Alors tout se dérègle (troisième chapitre). La surpopulation règne, tout comme souvent la faim et la soif, avec un maximum de pollution en sus. Les déchets forment des montagnes … De ces images est née l’arcologie, qui a pour but de marier écologie et habitat. Mais est-ce, là encore, utopique ?
La seconde partie s’intéresse aux structures sociales dans la ville de science-fiction, principalement sous le prisme des classes sociales et des castes. La ville SF est le royaume des inégalités (ceux qui mangent des fruits et de la viande dans Soleil vert et ceux qui mangent le pâté vert p.82). De manière assez inattendue, de nombreux romans de l’univers de la Guerre des Etoiles sont de ce point de vue très critiques (p. 85-88). L’inégalité ne concerne pas que l’argent mais peut aussi prendre la forme du temps, de l’eau ou de l’air. Les plus basses classes sociales urbaines sont le thème du chapitre suivant. La robotisation ou la numérisation des processus de productions sont les premières causes de déclassement. Mais tout n’est pas figé de toute éternité et les beaux quartiers peuvent aussi être atteints par la ruine ou une nature qui reprend ses droits. Avec de telles disparités sociales, la dialectique haut / bas est très présente dans les environnements urbains de science-fiction (sixième chapitre). Léonard de Vinci déjà imaginait une ville sur deux niveaux, l’un pour la noblesse et l’autre pour le reste du peuple (p. 120)
La partie suivante poursuit dans l’exploration des bas-fonds, et de leur matérialisation : les bidonvilles. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas forcément sur la terre ferme, comme c’est déjà le cas à Bangkok (p. 146). Qui dit bas-fond dit aussi criminalité, comme on peut le voir dans Robocop, avec son lot de violence. Le dernier chapitre de cette partie concerne les murs à l’intérieur de la ville. Il y a dans la SF de nombreuses reprises du thème des quartiers privés (ou résidences privées), nés aux Etats-Unis dans les années 50. Vient à l’esprit la Zone du dehors de A. Damasio.
La dernière partie propose au lecteur de voir la ville sous l’angle du contrôle, avec en premier lieu le centre commercial (très bon jeu de mot en titre avec « L’ombre du mall » p. 189). Qui dit univers dit consommation de masse. Et donc centre commercial, avec son architecture spécifique qui doit encourager l’acte d’achat. Dans le second chapitre de cette partie, l’auteur discute de la ville dans son rapport au totalitarisme et à la dictature. Mais il ne faut pas non plus oublier les transnationales (ou parfois mégacorporations). Certains portent comme nom de famille le nom de leur employeur (p. 217). L’ordinateur n’est bien sûr pas absent de ces jeux de pouvoir. Le dernier chapitre a pour objet la ville en tant que panoptique. Big Brother, le Cerclon de A. Damasio, le Truman Show mais aussi le puçage et la ville virtuelle sont abordés par A. Musset.
Le tout dernier chapitre forme la conclusion de l’ouvrage, rappelant que seule une minorité de villes ne sont pas dystopiques dans la SF. La dystopie a ici clairement vaincu l’utopie.
Mitigée est notre réaction une fois refermé ce livre de 250 pages (plus une longue bibliographie). Nous nous attendions à plus de géographie et d’urbanisme, alors que la partie sciences sociales domine outrageusement. Un problème d’équilibre, par rapport à nos attentes. Corollaire de ce déséquilibre, le propos est assez marqué politiquement, avec un peu d’autocritique (p. 62). Cette teinte politique conduit à des erreurs factuelles, comme par exemple ce qui peut se dire sur la responsabilité de Goldman Sachs en Grèce et lors de la crise dite des subprimes (p. 86). Le libéralisme indéfini est l’accusé facile de tous les mots, c’est presque la faute au destin (p. 167 par exemple ou p. 191 avec « l’ultralibéraliste » M. Friedman). Quant à la sortie sur D. Trump (p. 184), elle confine à l’inutilité. Les excursions hors du sujet sont périlleuses tant quand il est question d’Ovide soi-disant contempteur des villes (il ne cesse pourtant, de son exil au bord de la Mer Noire, de vouloir revenir à Rome p.13) que quand on parle démocrature dans le onzième chapitre. Reste, au final, une forte impression de délayage. Ce livre aurait pu être plus court et moins saucissonner les thèmes. A. Musset, auteur d’autres géofictions ayant attrait à la SF, veut semble-t-il aussi faire le pont entre ses différentes aires de recherche.
D’un autre côté, A. Musset fait découvrir des auteurs oubliés, surtout français (p. 99-100, l’Age d’Or de la SF étatsunienne a recouvert beaucoup de choses). Il annexe un peu de la fantasy urbaine (Miéville p. 145), mais cela n’est pas sans justification. L’aspect physique du livre, avec ses très belles illustrations et les photos dans le texte, est une grande réussite, déjà annoncée par une couverture de grande classe.
A mi-chemin donc, tant pour la forme que pour le fond.
(les Pinçon-Charlot ou la sociologie la plus éloignée possible de la science p. 112 … 6,5)
Essai sur la société des illusions
Essai de sociologie par Louis Chauvel.
La réalité, c’est ce qui, quand on cesse d’y croire, ne s’en va pas.
Philip K. Dick, cité p. 11
Un auteur de livres sérieux, par ailleurs pas unanimement apprécié dans son milieu (mais qui en retour, n’hésite pas non plus à critiquer les collègues), qui cite Philip K. Dick, il ne peut pas être foncièrement mauvais. Et d’ailleurs le présent livre est très loin d’être mauvais, en plus d’être dense et de néanmoins se dévorer. Mais sa caractéristique principale n’est ni d’ordre scientifique, ni d’ordre moral, il est d’ordre politique : l’auteur est d’un pessimisme à peine atténué par quelques frémissements de relativisation sur l’avenir de la société française et sa démocratie.
L’introduction démarre de manière classique, avec une prise de position méthodologique qui commence déjà par envoyer quelques piques en direction du constructivisme : L. Chauvel se déclare pour un néomatérialisme objectiviste (une catégorie malheureusement pas assez expliquée dans le livre), débarrassé des croyances et voulant lutter contre le déni de faits sociaux. Dans ce cadre, l’auteur liste cinq éléments qui désagrègent la société de classes moyennes en Europe et en France (ce qui conduit à une société d’illusions) et qui forment ainsi les cinq chapitres de son livre.
Le premier chapitre, premier facteur d’érosion, est celui des inégalités croissantes. Les hiérarchies sociales s’étirent, avec une repratrimonialisation galopante que ne fait pas voir au premier abord un coefficient de Gini français plutôt stable sur les dernières décennies et des inégalités de revenus qui sont beaucoup moins choquantes qu’aux Etats-Unis. Afin de mieux faire comprendre le phénomène en court de constitution (ou de reconstitution si l’on considère le XIXe siècle par exemple), L. Chauvel fait un détour par le concept d’inégalité sidérale, qu’il illustre en prenant pour exemple la société égyptienne ayant permis la construction des grandes pyramides : l’extrême inégalité laisse des traces sans égales (IVe dynastie, p. 27-28). Puis l’auteur passe à Rome et démontre que l’égalitarisme relatif de la légion cache des différences de patrimoine monumentaux entre le petit gars des quartiers pauvres de Rome et les sénateurs, gagnant certes des sommes rondelettes lors de campagnes mais s’appuient sur d’autres réseaux générateurs de revenus (qui restent des estimations …). En considérant la reproduction sociale et la hausse en valeur du patrimoine moyen des français (liée aux prix de l’immobilier en grande partie), la méritocratie risque tout simplement d’être totalement remplacée par la loterie de la naissance (p. 52).
Le second facteur d’érosion selon L. Chauvel est le malaise dans la classe moyenne. Après avoir établi que les classes moyennes ne sont pas hypocondriaques (pour clarifier cette notion polysémique de classe ou classes moyennes, il est mieux de se reporter à l’article de l’auteur consacré aux classes sociales : Retour des classes sociales ?, Revue de l’OFCE, 79, 2001/4, p. 315-359), le lecteur est mis en présence de divers problèmes : celui du tassement de l’échelle des salaires, de la fin de la hausse systématique du niveau de vie, du chômage touchant aussi les cadres, de l’expansion limitée de cette même population et du déclassement scolaire (source d’angoisses et de frustrations importantes). Après avoir comparé les approches divergentes de G. von Schmoller et G. Simmel, L. Chauvel définit une civilisation de classe moyenne en sept éléments : une société salariale avancée, dans laquelle un salaire moyen suffit à mener une vie confortable (acquisition d’un logement), avec une expansion scolaire permettant une mobilité sociale, appuyée par une croyance dans le progrès social, scientifique et humain. Il ajoute à ces cinq premiers points le contrôle du politique par les catégories intermédiaires au travers d’institutions syndicales ou associatives et enfin la promotion « d’objectifs politiques de progrès mesurés, équilibrés au regard des contraintes réelles » (p. 85).
Mais le revenus et le patrimoine ne font pas tout, l’âge entre aussi en ligne de compte. C’est le troisième chapitre, ajoutant les fractures générationnelles au tableau. Suivant K. Mannheim (et d’autres), L. Chauvel démontre ici que les conditions d’entrée de l’individu sur le marché du travail conditionnent tout son futur. En clair, un individu qui effectue sa socialisation transitionnelle (p. 94-95, phase entre la stabilité infantile et la stabilité familiale adulte) dans une période économiquement peut porteuse ne rattrapera jamais un départ laborieux (p. 127-132). Ceci affecte non seulement les individus (plus haut taux de suicides par exemple, p.131) mais aussi les cohortes générationnelles. Les générations nées entre 1948 et 1955 s’en sont exceptionnellement bien tirés si l’on regarde l’ensemble de la société française. Les générations nées au début des années 60 prennent de plein fouet la crise de 1973 (elles ont les mêmes conditions que les générations nées dans les années 1920, selon le modèle âge-période-cohorte p. 100), celles nées en 1980 étant déjà averties de l’existence de la stagnation, sans pour autant en éviter tous les effets. A partir des années 80, avec la protection des individus déjà intégrés, être femme est aussi handicapant dans l’intégration sociale que d’être jeune ou immigré (p. 105). A cela s’ajoute le rendement décroissant du diplôme, tout simplement la conséquence de l’explosion du nombre de diplômés du supérieur aux attentes dont les attentes ne peuvent être que déçues en regard du monde de leurs parents : les bacheliers de la génération 1980 occupent la position sociale des titulaires du BEPC de la génération 1950 (p. 110-11) … L. Chauvel complète son chapitre avec la mobilité descendante, qui peut prendre la forme d’un déclassement résidentiel (la gentrification, cette fois-ci vue du côté des classes moyennes) et la moindre implication politique des plus jeunes générations (les générations de baby-boomers accèdent aux manettes dès les années 70 et ne les ont pas encore lâchées, p. 126-127). Son plaidoyer contre le déni et le renoncement sera-t-il entendu ?
Quittant l’Europe et la France, l’auteur élargit ensuite son angle de vue au monde pour considérer la position des classes moyennes et plus généralement de la population française dans l’ensemble de la population mondiale. Avec une plus grande répartition mondiale des richesses et le développement économique des BRICS (même si l’on cède nous aussi à la facilité de cette dénomination), la richesse relative de la population française s’affaisse : si en 2000, 80% des Français étaient parmi les 20% les plus riches de la planète, ils ne sont plus que 75% en 2010 (p. 146). La difficulté ne réside pas dans le relèvement de la médiane mondiale, mais plutôt dans la rapidité de ce mouvement, puisque les groupes sociaux regardent à la fois les groupes visiblement situés au-dessus d’eux (l’objectif) mais aussi ceux en-dessous (dont il faut se distancer). Le groupe dont il faut se distancier ne se trouve plus forcément dans la même ville ni le même pays (ouvriers de l’automobile). La conscience de classe pourra-t-elle alors aider les classes en danger à s’en sortir par le haut ? L’auteur est sur ce point très pessimiste, par manque d’identité collective (des classes ou autre), voir d’anomie (p. 173).
Le dernier chapitre du livre approfondit la notion de déclassement systémique, c’est-à-dire quand les déclassements s’accumulent. L. Chauvel n’exclut pas un grand collapsus final, couplé au problème écologique maintenant bien connu mais qui est pensé depuis plus de 40 ans (Club de Rome), sur fond de civilisation insoutenable dont une partie, les générations qui ont aujourd’hui plus de 65 ans, n’aurait pas conscience de son héritage. Le chapitre s’achève sur l’idée de Ver Sacrum, ce mouvement générationnel de colonisation et de scission d’une société qui fut aussi un thème abordé par la Sécession viennoise au début du XXe siècle (un concept que l’auteur attribue à Rome mais qui est en vérité samnite, p. 195-197 et p. 208), en vue d’ébaucher une solution. Le volume est complété par une conclusion très littéraire (la société des illusions, l’objet des sciences sociales est de monter l’invisible) et des tables.
Voilà de la bien belle sociologie, alliant érudition théorique (G. Simmel, G. von Schmoller, tous des gens liés à F. Oppenheimer, sont du lot), littéraire (de tous styles) et des statistiques bien employées. Quelques redites et des passages arides peuvent freiner certaines ardeurs, mais dans l’ensemble, ce livre balaie de manière large et en profondeur la société française dans son environnement naturel. On peut se poser la question de la véracité des calculs de coefficients de Gini pour des civilisations anciennes (p. 27-34, avec de très grosses simplifications), mais l’idée en elle-même ainsi que les comparaisons, limitées, sont intéressantes. Certaines intuitions du lecteur trouvent aussi des bases chiffrées et des noms à mettre sur des phénomènes : après 40 ans de stagflation, les écarts de revenus entre les classes populaires et moyennes sont passés de 120 à 37% par exemple. La dévalorisation du diplôme dans l’Europe méditerranéenne est aussi une réalité (p. 73, tout descend d’un palier p. 111), pas améliorée par le passage au système LMD dans les universités françaises, qui engendre d’incommensurables frustrations (et une panique dans la course aux diplômes qui peut avoir pour conséquence de passer d’une société de la connaissance à une société de la connivence devant le trop plein de diplômés, p. 112). Les conséquences sur les solidarités intrafamiliales sont importantes aussi, avec une culture de la dépendance familiale qui s’installe en France (p. 106, en comparaison avec l’Italie ou l’Espagne par exemple). Mais au-delà des statistiques des effets de générations sur le personnel politique (p. 125-127), c’est le rappel du fait que le temporaire des années 70 qui est devenu le permanent qui donne cette tonalité très pessimiste au livre qui percutera de plein fouet le lecteur non encore retraité.
Du point de vue formel, la rareté des notes infrapaginales n’est pas trop gênante, mais une relecture supplémentaire aurait permis l’élimination des dernières coquilles restantes, tout comme de l’incohérence entre le texte et la note de la p. 81 concernant la date de l’article de T. Geiger , Panik im Mittelstand de 1930.
Ce livre a fait un peu de bruit médiatique et c’est justifié tant il met très bien à portée du grand public les avancées et les découvertes récentes de la sociologie et de l’économie. Quant à savoir si son avertissement sera entendu …
(L. Chauvel a un rythme de publication proche d’A. Damasio tout de même …8)