L’industrie du football I : FIFA – Criminalité – Politique

Essai sur la corruption des instances nationales et internationales du football par Romain Molina.

La couverture de la joie de vivre.

Romain Molina n’est pas un journaliste sportif qui se concentre sur les transferts de joueurs de football ou sur les crises saisonnières dans les clubs. Mais comme justement il aime profondément le sport, et plus particulièrement le football et le basket, il pratique un journalisme engagé dans la mise en lumière de ses coulisses criminelles. Ainsi après de nombreux articles dans des journaux anglais ou norvégien, de nombreuses vidéos sur une plate-forme bien connue, sort enfin le livre qui connecte toutes les enquêtes.

Et le tableau brossé n’est, comme attendu, pas des plus attrayants. Le livre commence avec les portraits des condamnés du FIFAgate, les procès nés de l’enquête du FBI sur la délinquance financière à la CONCACAF (qui rassemble les fédérations de football de la Caraïbe et de l’Amérique du Nord). Comme justement, beaucoup des détournements de fonds passent par des institutions financières étasuniennes, le FBI est compétent et a les moyens, aidés par d’autres, de traîner du monde devant les tribunaux. Mais si des présidents de fédérations ont été condamnés, le système a-t-il été mis à bas ? Pour R. Molina, la réponse est négative, et les Etats-Unis portent la responsabilité de ne pas être allé au bout et d’avoir échoué à contraindre la FIFA à mettre fin à sa corruption endémique.

Dans les chapitres suivants, l’auteur continue sa galerie de portraits avec Alimzan Tokhtakhounoff, gangster russo-ouzbek très proche des présidents du premier chapitre, puis avec Christopher Steele, un ancien du MI6 britannique, spécialiste de la Russie et de son monde hors-la-loi (et donc de Londongrad, les oligarques habitants la capitale britanniques), avant de passer à Jean-Marie Weber. J.-M. Weber est l’ancien bras droit de Horst Dassler (le président d’Adidas, lui-même très lié à la FIFA), qui gère ISL, l’entreprise qui a la charge de la commercialisation des droits télévisuels et commerciaux de la FIFA et du CIO (sources de commissions en nombre).

Les enquêteurs du FBI éprouvent des difficultés à pénétrer les cercles dirigeants de la CONCACAF, jusqu’à qu’ils puissent amener Chuck Blazer, son secrétaire général, à collaborer et à enregistrer la réunion en mai 2011 qui voit la distribution d’enveloppes brunes aux présidents de fédérations dans le but de les convaincre de voter pour le Qatarien Mohamed Bin Hammam (qui souhaitait se présenter contre Sepp Blatter). Puis l’auteur montre les autres facettes de la prédation au sein de la CONCACAF. Pourquoi en effet se contenter de détournements de fonds si on peut aussi violer des mineures (membres des équipes de jeunes féminines ou des arbitres) et les offrir aux gens de la FIFA qui viennent contrôler ? C’est ce qui se passe par exemple à Haïti, où une bonne partie de l’équipe dirigeante de la fédération a érigé la pratique en système.

Le livre s’achève sur d’autres affaires footballistiques, du rapport Garcia sur les attributions des coupes du monde 2018 et 2022 à la démission du président de la FFF, mais aussi du devenir de certains protagonistes de l’enquête étasunienne sur la CONCACAF. Certains sont aujourd’hui en termes très cordiaux avec la FIFA …

La lecture ne donne pas, c’est sûr, une confiance folle dans les dirigeants du football mondial. Et ce n’est que le premier tome … Dans la forme, c’est un livre de journaliste, avec de rares références et une écriture rapide qui a laissé passer quelques coquilles, des répétitions dommageables, voire des facilités d’écriture (qui dérapent, comme le Britannique qui d’un coup ne naît plus à Aden mais au large d’Aden). Pour celui qui a dans les dernières années suivi les travaux et les galères de R. Molina, c’est beaucoup de rappels et une mise en forme de communications plus courtes, mais pour le lecteur non préparé, c’est sûrement un bain d’eau glacée. Et l’auteur le rappelle plusieurs fois, ce n’est pas parce que l’on parle principalement de la Caraïbe que cela ne se passe pas ailleurs, ni dans d’autres sports (le patinage artistique français à Salt Lake City en 2002 est mentionné p. 128-129), et la fin du livre le montre. Un travail déprimant mais salutaire, qui pourrait juste être un poil mieux écrit pour devenir un livre où les pages se tournent toutes seules.

(le Klu-Klux-Klan à la Barbade p.111 … 6,5)

La Maison des Jeux II : Le voleur

Roman fantastique de Claire North.

Que des fous !

La Maison des Jeux a ouvert ses portes ailleurs. Venise c’était bien, mais Bangkok, c’est pas mal aussi. En 1938, c’est le point de rencontre de nombreuses influences, proches comme lointaines. De fins observateurs voient déjà la guerre approcher, mais cela ne préoccupe pas Remy Burke quand il se réveille dans sa chambre, la bouche pâteuse et l’esprit embrumé par les restes d’alcool. Franco-britannique et joueur de la Haute Loge, un autre joueur lui rappelle qu’il a hier soir accepté de jouer une partie de cache-cache dans toute la Thaïlande. S’il gagne, il empochera vingt années de vie de son adversaire, Abhik Lee. Dans le cas contraire, il perdra tous ses souvenirs. Problème, il commence la partie comme chassé à midi ce jour même. Dans vingt minutes.

Nous nous demandions à la fin du premier tome comment allait se poursuivre la trilogie. Le fait de continuer à Bangkok avec un tout autre héros répond à une partie de nos questions. Certes le protagoniste central change et quelques éléments font référence au premier tome, mais il ne serait pas impossible de lire ce volume de manière indépendante. Ce n’est toutefois pas à conseiller.

Si ce second opus permet d’approfondir la connaissance de la Haute Loge, le changement de lieu de l’intrigue permet la découverte d’un environnement totalement différent et la claque descriptive est encore plus grande qu’avec Le Serpent. Tout y est : la géographie de la Thaïlande, sa population tant urbaine que rurale, sa politique et ses mœurs. Même si le lecteur accompagne comme dans le premier tome les narrateurs/arbitres omniscients de la partie, l’auteur parvient très bien à faire sentir les différents états psychologiques du héros et à camper (dans des styles différents) toute une galerie de personnages qui éveillent à chaque fois l’intérêt du lecteur. Et toujours avec une économie de mots remarquable, format du roman court oblige. Beaucoup de phrases simples aussi, mais sans excès, juste ce qu’il faut pour des descriptions ou des remarques qui claquent. Et puis cela semble faciliter les zeugmas, comme à la p. 34.

C. North fait aussi sentir l’imminence d’une conflagration tout en gardant, justement, beaucoup de cartes en main. Le prochain saut temporel sera-t-il aussi important qu’entre les deux premières parties ou souhaitera-t-elle tout résoudre lors de la Seconde Guerre Mondiale ? Voulons-nous parier ?

(nous espérons tout de même comprendre les titres à l’aboutissement de la trilogie …8,5)

La Maison des Jeux I : Le serpent

Roman fantasy de Claire North.

Theodotos et le lion.

En 1610, à Venise. Thene accompagne son mari dans la Maison des Jeux. Ce dernier vient y dilapider sa dot, mais sans style. Pensant à raison pouvoir bien mieux jouer que son mari, elle s’y rend seule et commence à accumuler les succès qui se matérialisent en ducats sonnants et trébuchants. Mais elle attire aussi l’attention des gérants de la Maison des Jeux, des gens masqués et habillés de blanc. Ses succès dans la Loge Basse de la Maison pourraient lui permettre d’accéder à la Loge Haute. Pour y être accepté, il faut battre trois autres joueurs dans un jeu qui a pour objectif de faire élire un patricien au Tribunal Suprême, le pouvoir exécutif de la république vénitienne (vraisemblablement le Collège Suprême de la Venise historique). Il y a peu de règles et il n’est pas dit que les joueurs ou les pièces jouées (des individus aux capacités particulières à la disposition du joueur) puissent s’en sortir indemne …

Ce court roman, première partie d’une trilogie, peut se lire de manière indépendante. Nous pensions initialement que ce serait un récit de science-fiction, mais il nous a fallu nous rendre à l’évidence à la lecture que ce n’est pas le cas (du moins aucun élément tangible du genre ne figure dans ce premier volet). Nous sommes donc dans un roman de fantasy, éventuellement de fantastique, qui prend place dans une Venise du XVIIe siècle (une constante dans les romans chroniqués ici ces derniers temps) et qui ne semble pour son cadre sociopolitique, géographique et architectural pas très différente de la Venise historique.

C’est une très bonne histoire, très axée sur la politique et sa petite cuisine, peut-être légèrement teintée de militance néoféministe, servie par un narrateur très intéressant que nous pensons être un collectif de juges de la Maison des Jeux. Ce narrateur pluriel accompagne le lecteur en suivant Thene mais aussi en observant d’autres scènes. Très agréable à lire, le livre parvient très bien à donner l’illusion du masque derrière le masque derrière le masque derrière le masque etc. Et la froideur marmoréenne de Thene, son flegme, ne sont pas une donnée immuable …

Restera-t-elle l’héroïne dans le tome suivant pour autant ?

(le titre du livre reste assez mystérieux …8)