Comprendre le malheur français II
Essai de philosophie politique de Marcel Gauchet, Eric Conan et François Azouvi.
Soupçonner le mal dans la volonté du bien, c’est déjà se ranger dans le camp du mal. p. 191 (sur les questions sociétales)
Un quinquennat plus loin, M. Gauchet actualise son portrait du malheur français dans un second livre sur ce thème. Il y a-t-il eu une amélioration de l’état du patient ? Pas vraiment. Un espoir de sortie de l’ornière s’était fait jour en 2017 avec l’élection d’E. Macron, mais pour M. Gauchet, la volonté affichée de renouveau (de sortie du gaullo-mitterandisme dit-il) a été happée par la routine politicarde et communicationnelle. Le diagnostic semblait bon, le remède inadéquat. C’est donc l’échec …
Mais c’est un échec en plusieurs étapes, dans plusieurs champs, avec plusieurs crises. C’est ceux-ci que l’auteur veut analyser, sous la forme d’un dialogue, avec les deux autres co-auteurs. Commençant de manière chronologique, c’est l’élection d’E. Macron, une surprise pour le moins, qui est d’abord analysée. Logiquement, le sujet passe à l’implosion plus ou moins rapide des deux grands partis qui alternaient jusque-là au pouvoir, le Parti Socialiste et Les Républicains (la Gauche et la Droite donc), conséquence de l’élection présidentielle et des législatives consécutives (désuétude de la forme « parti » et de la forme « programme » p. 43). Pour M. Gauchet, le macronisme est aussi un populisme et il y en avait donc deux au second tour de l’élection présidentielle de 2017.
Puis M. Gauchet poursuit avec le thème de l’Europe qui devait être l’objet d’une refondation initiée par E. Macron, un axe très présent de la campagne. Un échec retentissant pour l’auteur. Le chapitre suivant élargit la focale pour orienter la discussion sur la place de la France dans le monde. La partie géopolitique achevée, l’ouvrage enchaine avec les thèmes de premiers plans des cinq dernières années en politique intérieure. L’éducation ouvre le bal avec les espoirs suscités par le ministère Blanquer (déçus), suivent les dilemmes et les zig-zags de la politique écologiques, une politique sociale parfois menée sans beaucoup d’explications sincères, les demandes sociétales qui mettent le gouvernement sous pression (la PMA est un sujet tabou comme la peine de mort p. 194), l’irruption sismique des Gilets Jaunes (analyse imparable, « Pas taxer le travail mais la possibilité d’aller au travail ! » p. 204), les défis de l’immigration (catalogue des obstacles empêchant un règlement démocratique de la question, le poison de la Ve République p. 235) et de l’Islam (empêchements dus à la laïcité qui fut un fusil à un coup p. 248) et enfin, la difficulté qui s’ajoute à toutes les autres, le covid-19.
Le spectre n’est donc pas moins large que l’épisode précédent et il est à parier que les auteurs se soient restreints pour tout faire tenir dans 300 pages de texte. Comme le précédent, il se lit avec une très grande facilité, grâce à un texte qui n’a rien perdu de la spontanéité de l’oral mais aussi par la très grande clarté du propos. L’observateur est averti, tranchant, et puise dans un nombre important de concepts mais avoue aussi ne pas avoir réponse à tout. Ce qui fait qu’il reste bel et bien un philosophe. Mais s’il est en recherche d’objectivité, tout en nuances de gris et très loin du « Tout Sauf Macron », M. Gauchet n’est pas pour autant indécis et cette lecture est une énorme distribution de baffes à l’encontre du gouvernement et du Président de la République (un classique depuis la naissance de la philosophie cela dit). Le verdict est limpide, le vainqueur de 2017 n’a pas réussi (mais comme ses prédécesseurs) à sortir le pays du cul de sac. Faut-il aussi y voir une déception plus personnelle, après les réunions de début de mandat auquel il a participé ?
Certains chapitres laissent supposer lequel des co-auteurs conduit l’entretien, mais il y a une sorte de ligne de conduite qui n’envoie pas le livre dans tous les sens. Mais la lecture achevée, c’est la colère qui domine, de beaucoup. Et il semble qu’elle ne sera pas absente de la campagne électorale de 2022 auquel ce livre prépare de la meilleure des façons.
(Jupiter est descendu de l’Olympe pour vendre son poisson au marché p. 295 … 8,5)