Roman historico-fantastique de Mika Waltari.
Si je ne risquais pas de t’offenser, je dirais que les Grecs et leurs coutumes sont partout comme une maladie contagieuse. p. 340
Turms d’Ephèse est un Ionien un peu particulier. C’est lui qui, sur injonction d’Artemis, a mis le feu au temple de Cybèle à Sardes (l’une des grandes villes perses à l’ouest de l’empire) et ainsi démarré les guerres médiques. Mais cet acte qui l’obsède n’est connu que de lui … Pour trouver le sens des directives divines et pour savoir qui il est, Turms se rend à Delphes pour y consulter la Pythie. Sur place il fait la connaissance de Dorieos, un membre d’une des deux familles royales de Lacédémone, venu chercher un avis sur l’héritage de son père disparu en Sicile. Les deux retournent en Ionie, à Milet, où ils s’engagent contre la Perse. Les combats terrestres étant peu nombreux, ils s’engagent comme combattants embarqués dans la marine de la coalition ionienne révoltée. Mais la bataille de Ladé tourne à l’avantage des Perses. Turms et Dorieos rejoignent la flottille de Dionysos de Phocée, versent dans la piraterie et espérant rejoindre Massilia, en passant par Cos et Chypre. Ils hivernent à Himère en Sicile.
Turms, Dorieos et le médecin Mikon sont hébergés par Tanakil, une femme riche et ambitieuse. De son côté, Turms rencontre ses premiers Etrusques. Tous se rendent à Eryx au sanctuaire d’Aphrodite pour que cette dernière réponde à leurs questions matrimoniales. En route, ils passent par la ville de Ségeste et rencontrent des Sicanes. A Eryx, Dorieos décide de se marrier avec Tanakil et de conquérir Ségeste, l’héritage de son père. Turms rencontre la prêtresse Arsinoé, en tombe amoureux et l’enlève. Dorieos, après quelques soubresauts et ayant réussi à conquérir Panorme et Ségeste, il est couronné roi de Ségeste. Mais meurt empoisonné peu de temps après, des mains de son épouse bafouée. Turms, Arsinoé et Mikon cherchent ensuite refuge chez les Sicanes pendant quelques années, puis Turms et Arsinoé partent pour Rome, devenue une république à peine quelques années plus tôt. De là Turms peut en apprendre plus sur l’Etrurie. Et peut-être enfin sur lui-même.
L’argument central du roman est que les Etrusques sont mystérieux, surtout leurs sourires. Ce qui se marie assez bien avec le fait que ledit Turms est lui aussi bien mystérieux (moins pour les étruscologues, il faut le dire). On présente donc au lecteur toute une série d’éléments, souvent sous un angle pédagogique, qui doivent construire cette mystériosité (les siècles étrusques, les dés, les dieux voilés, l’aniconisme etc, avec un petit concentré p. 438 mais aussi avec le raté du papyrus en place du livre de lin p. 504). Ces éléments sont sourcés et on peut aisément sentir que l’auteur s’est documenté avec sérieux (R. Bloch sur Bolsena au début des années 1950 p. 297 ?), sa documentation étant elle aussi très largement contaminée par le lieu commun évoqué plus haut (et par d’autres courants idéologiques, comme les Troyens germaniques de la p. 141). C’est en définitive la documentation de son temps.
Mais à notre sens, M. Waltari a aussi puisé à d’autres sources, d’un autre type de littérature. La première nous semble être D.H. Lawrence dans Etruscan Places, emblématique de la douceur étrusque (voir son pacifisme) mis en regard de l’ascétisme romain. La seconde est le Nouveau Testament (avec une coloration platonicienne), ce qui pour un fils de pasteur n’est pas si étonnant. Il y a une claire et explicite mise en parallèle entre ce que M. Waltari caractérise comme saints hommes étrusques (qu’il appelle lucumons) et Christ. Cela se voit dans des citations directes de la Bible (Jean 5,8 p. 492), les miracles (avec un aveugle et une paralytique p. 492-493) et la morale qu’ils professent (guerre défensive, ne pas faire à autrui ce que l’on ne souhaite pas qu’on nous fasse etc p. 494-501). On en vient à des Etrusques qui deviennent des proto-chrétiens (« Nous avons arrêté les sacrifices humains », historiquement très discutable), à mettre en miroir des protagonistes qui ne reculent pas devant les sacrifices sanglants ou humains (justification fallacieuse de la mer p. 68). De manière intéressante, l’auteur mentionne un mythe de fondation romain avec Ramon et Remon (p. 340) qui ne nous est pas connu par ailleurs. Tite-Live et (p. 352) Théopompe (p. 100) sont aussi expressément cités.
Le récit est plein de rebondissements et de voyages comme il sied à un récit initiatique (même si celui-ci se termine quand Turms a la quarantaine), au point de peut-être verser dans la longueur. C’est correctement écrit mais les personnages sont tous d’une inconstance rare et pas forcément très épais. De manière assez « choquante », Tanakil n’est pas une femme étrusque mais phénicienne. Cependant, comme chez Tite-Live, elle est aussi faiseuse de roi. De toute manière les personnages féminins sont peu valorisés (et toujours avec une touche d’érotisme « à l’antique ») et parler d’un roman misogyne n’est pas exagéré.
De plus, M. Waltari montre avec justesse l’unicité de la Méditerranée en insérant son récit avec habileté dans des événements historiques connus. Les vues stratégiques perses sur la Méditerranée occidentale ne sont pas improbables, comme le montrèrent au IVe siècle celles d’Alexandre III le Grand (véritable successeur de Darius III). La Rome que nous fait voir M. Waltari est bien sûr téléologisée mais pas non plus anachronique. Ce n’est pas parfait (grosse erreur sur Tertius p. 353), parce que certains éléments romains dépréciés sont en fait la norme (charges selon le cens), mais ce n’est pas si mal.
Romantisme et idyllisme étrusque (emblématique p. 383) sont au programme de ce roman historico-fantastique de 520 pages, appréciable par tous et avec des gros morceaux de mystère dedans.
(les cités grecques n’ont pas le beau rôle p.428 et n’était sûrement pas aussi naïves face aux Perses … 6,5)